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Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl (P^ c. ^ / 9IST0IRE GÉNÉRALE ET SYSTÈME COMPARÉ BES LANGUES SÉMITIQUES. ÉDITEURS : MICHEL LÉVY FRÈRES. PARIS, RUi TITIENNE, N'SM. HISTOIRE GÉNÉRALE ET SYSTÈME COMPAKÉ DES LANGUES SÉMITIQUES, ERNEST RENAN, OUVRAGE COURONNÉ PAR L'INSTITUT. PREMIÈRE PARTIE. HISTOIRE GÉNÉRALE DES LANGUES SÉMITIQUES. SECOKDB ^ITIOn, BEVCB ET «DfiMBNTJB. PARIS. IMPRIMA PAR AUTORISATION DU GARDE DBS SCEAUX A L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. A MM. DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Messieurs et savants confrères , . En accueillant avec bienveillance cet essai soiis les formes diverses où il vous a été présenté, vous m'avez imposé le devoir de travaîHer sans relâche à le rendre moins imparfait. Je vous Toffre de nouveau , soigneuse- ment revu et complété dans plusieurs de ses parties. Puisse-t-il servir en quelque chose au but commun de notre Compagnie, je veux dire au progrès des études historiques et philologiques, qui sojit l'instrument et la condition de la science critique de l'esprit humain ! Agréez, Messieurs et savants confrères, l'assurance de la haute estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être , Votre dévoué serviteur, ERNEST RENAN. AVERTISSEMENT POUR LA SECONDE ÉDITION. L'auteur a fait tous ses efforts pour que cette seconde édi- tion représentât les progrès accomplis dans le champ de la philologie sémitique durant les trois dernières années. Grâce au zèle que l'Allemagne continue de déployer pour ces belles études , et aussi grâce au degré de maturité où elles sont par- venues, d'importants résultats ont été acquis dans un inter- valle aussi court. Le mémoire de M. Lassen sur les langues et l'ethnographie de l'Asie Mineure; les travaux de M. Spiegel sur le pefalvi et sur les rapports entre le monde sémitique et le monde iranien; la découverte de l'inscription phénicienne du sarcophage d'Eschmunazar, maintenant au Louvre, qui a enfin donné à la philologie un texte phénicien complet, étendu , rédigé en style suivi, et certainement écrit en Phénicie à une époque ancienne; les profondes recherches de M. Chwolsohn sur les Sabiens, qui n'étaient connues, lors de la première édi- tion de cet ouvrage, que par l'analyse de M. Kunik, et la com- munication anticipée que j'ai pu avoir des opinions du même savant sur Y Agriculture nabatéenne; le mémoire de M. Osiander sur les inscriptions himyarites; enfin l'excellente grammaire éthiopienne de M. Dillmann, qui a fait envisager la position du ghez dans la famille sémitique sous un jour nouveau, m'ont permis de porter dans divers chapitres de mon essai un plus haut degré de certitude et de précision. Quant aux inscriptions cunéiformes assyriennes, je n'ai pas cru devoir sortir encore, vw AVERTISSEMENT. pour ce qui les concerne , de la réserve que j'avais gardée dans la première édition , et qui a été généralement approuvée. J'ai régardé également comme un devoir de peser avep le plus grand soin toutes les observations d'une nature scienti- fique qui m'ont été adressées. Lorsque je n'ai pu y faire droit , j'ai exposé d'ordinaire les motifs qui m'obligeaient à persévérer dans mon sentiment. Il est pourtant une classe d'objections fort importantes dont on ne trouvera pas la solution en ce vo- lume; je veux parler de celles qui ont été élevées contre les idées que j'ai émises sur le caractère général des peuples sémitiques et sur l'ethnographie de certaines parties de l'Asie occidentale. Les réflexions que j'ai été amené à faire , et les témoignages que j'ai dû grouper pour répondrç aux difficultés qui m'étaient op- posées , sont arrivés à former deux mémoires , qui auraient grossi outre mesure le présent volume. Le premier de ces deux mé- moires aura pour objet de préciser la notion du monothéisme sémitique; dans le second, j'essayerai d'établir qu'il fipiut ad- mettre dans l'histoire de la civilisation de l'ancien m^de un troisième élément, qui n'est ni sâni tique ni arien, et qu'on ppurrait appeler étliiopien ou couschite. L'un et l'autre trou- veront dans le secçod volume une place un peu moins natu- relle peut-être que dans celui-ci, mais suffisamment justifiée. En les lisant , on verra , j'espère , que les objections dont je parle viennent presque toutes- de ce qu'on a pris d'une ma- nière trop absolue , et sans tenir compte des restrictions que j'avais moi-même présentées ^ des vues que, pour ne pas rompre l'unité de mon plan , je devais exposer d'une manière fort sommaire. ' Voir les dernières pages de la préface de la i'* ëdiUon. PRÉFACE. La première esquisse de eet ouvrage fut présentée au concours du prix Volney, en 18/17. ^^ m'étais proposé de faire, selon la mesure de mes forces, pour les langues sémitiques ce que M. Bopp a fait pour les langues indo^ européennes , c'est-à-dire un tableau du système gram- matical qui montrât de quelle manière les Sémites sont arrivés à donner par la parole une expression complète à la pensée. Le livre était, de la sorte, essentiellement théorique : dans une introduction générale, je plaçais un rapide exposé de l'histoire des langues sémitiques, et une série de considérations qui excédaient le cadre d'une grammaire comparée. Plus je réfléchis à l'économie de mon sujet, plus cette introduction acquit à mes yeux d'importance; bientôt elle devint une ntoitié du livre lui-même, et aimî s'est formé le volume que je publie en ce moment. Les langues étant le produit immédiat de la conscience humaine se modifient sans cesse avec elle, et la vraie théorie des langues n'est, en un sens, que leur histoire. Etudier un idiome à un moment donné de soiL existence peut être utile, s'il s'agit d'un idiome qu'on apprend uniquement pour le parler ou en inte^- X PRÉFACE. prêter les monuments; mais s'arrêter là est aussi peu profitable pour la philologie comparée qu'il le serait pour la science des corps organisés de connaître ce qu'ils sont au moment de leur pleine maturité , sans re- chercher les lois de leur développement. L'exposition grammaticale elle-même suppose des notions étendues d'histoire littéraire. Comment présenter d'une manière complète le système de la langue hébraïque , si l'on n'a établi préalablement la chronologie des textes hébreux qui nous sont parvenus ? Comment s'expliquer les ap-» parentes J^izarreri^s de la * grammaire et du diction^ naire arabes, si l'on ne connaît les circonstances dans lesquelles s'est formé l'idiome littéraire du monde mu- sulman ? En partani^de ce principe , on arrive à envisager la théorie scientifique d'une famille de langues comme ren- fei*mant deux parties essentielles : d'abord l'histoire ex- térieure des idiomes qui la composent, leur rôle dans le temps et l'espace , leur géographie et leur chronologie , l'ordre et le caractère des monuments écrits qui nous les font connaître; puis leur histoire intérieure, le déve- loppjement organi<}uede leurs procédés, leur grammaire comparative en un mot, envisagée, non comme une loi immuable, mais comme un sujet de perpétuels chan- gements. Toutes les familles de langues n'exigent pas ou ne comportent pas également ces deux séries d'inves- tigations; dans l'état actuel des études, il ne serait guère possible de faire pour les langues indo-européennes la contre-partie historique, sans laquelle la grammaire PRÉFACE. Il générale est toujours plus ou moins incomplète. Le champ si réduit de la famille sémitique et la certitude avec la- quelle elle se laisse embrasser dans toute ses branches offrent, au contraire, pour le travail dont nous par- lons, de grandes facilités. Mon essai de philologie sémitique s'est ainsi trouvé divisé en deux parties, Tune hhtariqiiey l'autre théorique y que Ton peut envisager à volonté ou comme deux ou- vrages séparés ou comme deux tomes d'un même ou- vrage. Bien qu'à plusieurs égards le présent volume doive paraître défectueux , si on ne le rattache pi^ la pensée à celui qui le complétera, j'ose croire cependant que, même en l'envisageant comme un livre distinct, on trou- vera qu'il a par lui-même son unité et son intérêt. Peutr être le tableau des destinées d'une famille de langues qui a évidemment achevé la série de ses révolutions in- térieures, puisqu'elle n'est plus représentée que par un seul idiome , l'arabe , ofirira-t-il pour l'histoire générale du langage un spectacle instructif. Les langues sémitiques ont eu , dans l'histoire de la phflologie , cette singulière destinée que , d'un côté , à une époque fort ancienne , elles ont suggéré la méthode com- parative aux savants qui les cultivaient, et que, d'un autre côté , lorsque celte méthode est devenue un puis^ sant instrument de découvertes, ^es sont entrées pour peu de chose dans le mouvement nouveau qui allait ré- générer la linguistique. On peut dire que les grammai- riens juifs du X* et du xi* siècle font déjà de la philido^ gie comparée, |Hiisqu'ils se servent de la connaissance XII PRÉFACE. de l'arabe et mèaie de» dialectes araméens pour éclaircir les difficultés de l'hébreu. Dès le xvu* siècle, les langues sémitiques ont eu, grâce aux travaux de Hottinger, de Louis de Dieu , de Castel , des grammaires et des dic- tionnaires comparés. Au xvni^, la philologie sémiticpie traversa , par l'école de Sehultens , les exagérations que la méthode comparative entraîne d'ordinaire avec elle. L'unité de la famille sémitique a été aperçue dès l'anti- quité , tandis qu'au commencement dé ce siècle on n'avait point encore soupQpnné les liens qui rattachent entre eux les rameaux épars de la famille indo-européenne. Et pourtant^ quelle différence dans les résultats de la méthode comparative appliquée à ces deux familles de langues ! Trois ou quatre années d'étude suflSrent pour dévoiler, au moyen de l'analyse des langues indo* européenne», les lois les plus profondes du langage, tandis £pie la philologie sémitique est restée jusqu'à nos jours renfermée en elle-même, et presque étrangère au mouvement général de la science. La cause de ce sin- gulier phénomène doit être cherchée dans le caractère même des idiomes sémitiques. Des langues qui ont pré- senté une vie intérieure si peu active étaient incapables de révéler l'organisme du langage et les lois de ses dé- eompositicms. Nous montrerons que la faculté qu'ont les langues indo-européennes de se reproduire et de re- naître en quelque sorte de leurs cendres manque près* ' que entièrement aux langues sémitiques : elles n'ont pas eu de févolutions profondes, pas de développement, pas de progrès. L'étude exclusive des langues sémitiques ne PRÉFACE. xin pouvait farmer de grands linguistes, pas plus que le spectacle de l'histoire de la Chine ne saurait inspirer de grands historiens. Ajoutons que l'habitude de ne point écrire les voyelles , effaçant les nuances légères dans les- quelles consiste toute l'individualité des dialectes , réduit les teites sémitique;» à une sorte de squelette , excellent pour l'étude anatomique du langage, mais qui n'est guère propre à l'étude du mouvemyent.et de la vie. D'un autre côté , la philologie sémitique présente un avantage qui, dans l'état actuel de la linguistique, mé- rite d^être fort apprécié. Incontestabieinent moins fé- ccmde qm la philologie indo-européenne , elle est aussi plus assurée, moins sujette aux déceptions. La matière de la philologie sémitique n'a pas cette fluidité, cette aptitude aux transformations qui caractérise la matière de la philologie indo-européenne. Elle est métallique, si j'ose le dire , et a conservé depuis la plus haute anti- quité, peut-être même depuis les premiers jours de l'ap- parition du langage, la plusirappante identité. En géné- ral l'étude des langues sémitiques inspire une philologie sévère et pleine de réserve. Or je pense, comme M. Ewald\ que la philologie comparée, à l'heure qu'il est, a plus besoin d'être retenue que d'être excitée à la hardiesse. Les merveilleux résultats obtenus par les Bopp , les Schlegel, les Humboldt, les Burnouf ont inspiré en Alle- magne une sorte d'ivresse à des jeunes gens avides de thèses nouvelles, qui, mis prématurément, par l'ensei- gnement des universités, en possession des plus hautes ' Zeittehriftjur die Kunde des Margenlatides , t. V, p. &d5 et suiv. xiY PRÉFACE. théories, ont cru pouvoir, dès leurs premiers pas dans la science, égaler les découvertes des grands maîtres, sans songer que ces découvertes avaient été le fruit de longues recherches. En feuilletant quelques dictionnaires, on s'est donné à peu de frais un semblant de philologie com- parée. Il est plus commode, en effet, de débuter par des rapprochements hardis , qui n exigent pas un bien vaste savoir, que de se livrer au travail patient des textes. Certes lancienne école, qui ne se proposait d'autre but dans les études orientale^ que de lire, de parler ou d'écrire un ou plusieurs idiomes 4e l'Orient, sans ratta- cher ces études à un ensemble de vues historiques, phi- losophiques, littéraires, pouvait être à bon droit taxée d'insuffisance. Mais il vaudrait mieux ne pas l'avoir dé- passée que de courir de telles aventures. La philologie timide peut être incomplète ; mais il est moins fâcheux d'être incomplet que chimérique. On est surtout obligé à de grandes précautions quand il s'agit d'une science aussi délicate que la linguistique, où la bonne méthode confine à la mauvaise par des limites impossibles à dé- finir, et où il n'existe d'autre critérium de la vérité qu'un sentiment dont les personnes non initiées accueillent naturellement le témoignage avec quelque défiance. En blâmant des témérités de méthode qui ne sem- blent propres qu'à jeter du discrédit sur la philologie comparée, je n'ignore pas qu'à beaucoup d'excellents juges je paraîtrai souvent moi-même trop porté aux con- jectures. Toutes les généralités prêtent à la critique, et, si l'on voulait réduirei'histoire à des thèses inattaquables, PRÉFACE. xr il faudrait lui refuser le droit de dépasser Tordre des faits purement matériels; mais ce serait du même coup l'a- baisser, ou plutôt la détruire. Le passé se montre à nous obscur, complexe, parfois contradictoire. La simplicité et la clarté, si recherchées des esprits exclusivement ana- lytiques, ne sbnt bien souvent que des apparences trom- peuses. Le monde , comme nous le connaissons , n'est ni simple, ni clair; on ne le rend tel qu'en le présentant volontairement d'une manière partielle. Je serai excusé si les incertitudes qu'on pourra relever dans ce livre viennent du sujet luiHoaême, et non de l'auteur. Nous n'avons pas le droit d'effacer les contradictions de l'his- toire, et le progrès des sciences critiques n'est possible qu'à la condition d'une rigoureuse bonne foi, unique- ment attentive à découvrir la signification des faits , sans en rien dissimuler. Ce serait donc méconnaître les limites que j'ai posées à ma propre pensée que de s attacher isolément à tel ou tel passage de cet essai, qui a besoin d'être contrôlé et complété' par un autre. Les jugements sur les races doivent toujours être entendus avec beaucoup de res- trictions : l'influence primordiale de la race, quelque immense part qu'il convienne de lui attribuer dans le mouvement des choses humaines , est balancée par une foule d'autres influences, qui parfois semblent dominer ou même étouffer entièrement celle du sang. Combien d'Israélites de nos jours , qui descendent en droite ligne des anciens habitants de la Palestine, n'ont rien du caractère sémitique, et ne sont plus que des hommes ivi PRÉFACE. modernes, entraînés et assimilés par cette grande force supérieure aux races et destructive des originalités lo- cales, qu'on appelle la civilisation! Toutes les assertions sur les Sémites impliquent de semblables réserves. Les caractères essentiels que j*ai attribués à cette race et aux idiomes qu'elle a parlés ne conviennent de tout point qu'aux Sémites purs, tels que les Térachites, les Arabes, les Araméens proprement dits, et ne se vérifient qu'im- parfaitement en Phénicie, à Babylone, dans l'Yémen, dans l'Ethiopie. Mais il est évident que, pour parier des Sémites en général, je devais considérer de préférence les branches de la famille qui ont été le moins modifiées par le contact avec l'étranger, et ont le mieux conservé les traits généraux de la famille. Si f on veut que je me sois laissé dominer trop exclusivement par la considéra- tion des Sémites purs, nomades et monothéistes, et que j'aie trop effacé de mon tableau les Sémites païens , in- dustriels , commerçants , je ne m'en défendtai pas , pourvu que l'on m'accorde que \m premiers seuls nous ont laissé des monuments écrits , et que , seuls aussi , ils représen- tent pour nous , dans l'histoire des langues , l'esprit sé- mitique. HISTOIRE GÉNÉRALE DBS LANGUES SÉMITIQUES LIVRE PREMIER. QUESTIONS D^ORIGINE. CHAPITRE PREMIER. CABACTBRB GIÎNÉRAL DBS PEUPLBS BT DBS LANGUBS SEMITIQUES. S I. Au sud-^uest de TAsie, dans la région comprise entre la Mé- diterranée , la chaîne du Taurus y le Tigre et les mers qui en- tourent la péninsule arabique , est situé le berceau d'une famSle de langues beaucoup moins remarquables parTétendue des pays qu'elles ont primitivement occupés que par Un haut caractère d'homogénéité et par le rôle qu'elles ont joué dans l'histoire de l'esprit humain. Les anciens, qui furent déjà frappés de leur unité ^ les appelèrent langues arientales^y désignation devenue > PriideD , ïnêtiL V, a. -^ Isidore de Séviile, Orig. liv. IX , chap. i. — Jtdiani Halîeini. Fmgm, aprid Mai, SpieH, Ram. t X, p. tso-sii. ' Ceit la dénominaiioii employée par saint Jérôme. C'était aussi edle dés sa- I. 5 LANGUES SÉMITIQUES. e les penpiea de l'Asie ont été Vi&^el tes; les savants modernes, k la suite rdés à leur donner le nom de langues omioatiDn est tout à fait défectueuse, : de peuples qui pariaient des langues ns pfr exemple, et plusieurs tribus la table du x* chapitre de la Genèse, contraire des peuples donnés par le 3SUS de Sem , les Elamites par exemple , Dgue sémitique. 11 sera démontré plus écieux document est géographique , et sorte que le nom de Sem y désigne erre , sans distinction de race. Si l'on familles de langues des noms fmmés i, comme on le fait pour les langues able nom des langues qui nous oc- '. Du reste, la dénomination de thii- mvénieQt, du moment qu'on la prend latioo conventionnelle et que l'on s'est enferme de profondément inexact. ir la grave question de l'unité primi- es et des langues ariennes, il Eaut dire , i\al actuel de la science, les langues mvisagées conune correspondant à une in-, en effet, le caractère des peuples marqué dans l'histoire par des traits UAwiini df FAuMmie àm Mwripteiw tl Ml»- tm rtnmimfM kmum, hi. Vi, dtip. ii, 1 i) le nom d'orotijMM, dénoDUiMlMii ifni «ratl Pin- LIVRE I, CHAPITRE I. 3 aussi originaux que les langues qui ont servi de formule et de limite à leur pensée. C'est beaucoup moins, il est vrai, dans Tordre politique que dans Tordre religieux que s'est exercée leur influence. L'antiquité nous les montre à peine jouant un rftle actif dans les grandes conquêtes qui traversèrent l'Asie ; la civilisation de Ninive et de Babylone, par plusieurs de ses traits essentiels, n'appartient pas (j'essayerai de l'établir) à des peuples de cette race, et peut-4tre avant la puissante impul- sion donnée à la nation arabe par une religion nouvelle, cber- cfaerait-on yainement dans Tbistoire des traces d'un grand em- pire sémitique. Hais ce qu'ils ne firent point dans Tordre des dioses extérieures, ils le firent dans Tordre moral, et Ton peut, sans exagération , leur attribuer au moins une moitié de l'œuvre intellectuelle de l'humanité. Des deux mots, eneflet, qui jus- qu'ici ont servi de symbole ^Tesprit dans sa marche vers le vrai, celui de ieienee ou de fi;Ua9ophie leur fut presque étranger; mais toujours ils entendirent avec un instinct supérieur, avec un cens spécial, si j'ose le dire, celui de religwn. La recherche véAécbiey indépendante, sévère, courageuse, philosophique, en on mot, de la vérité , semble avoir été le partage de èette race indo-européenne, qui , du fond de f Inde jusqu'aux extré- mités de l'Occident et dn Nord, depuis les siècles les plus re- culés jusqu'aux temps modernes, a cherché à expliquer Dieu, l'homme et le monde par un système rationnel , et a laissé der- rière elle, comme échelonnées aux divers degrés de son his- toire , des créations philosophiques toujours et partout soumises aux lois d'un développement logique. Mais à la race sémitique appartiennent ces intuitions f^mes et sûres- qui dégagèrent tout d'abord la divinité de ses voiles , et , sans réflexion ni rai- sonnement, atteignirent la formie religieuse la plus épurée que Tantiquité ait connue. L'école philosophique a sa patrie dans 1 . à HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. la Grèce et dans l'Inde , au milieu d'une race curieuse et vive* ment préoccupée du secret des choses; le psaume et la pro- phétie, la sagesse s'explicpiant en énigmes et en symboles, rhymne pur , le livre révélé , tel est le partage de la race théo- cratique des Sémites. C'est , par excellence , le peuple de Dieu et le peuple des religions , destiné à les créer et à les propager. Et, en effet, n'est-il pas remarquable que les trois religions qui jusqu'ici ont joué le plus grand rôle dans l'histoire de la civili- sation , les trois religions marquées d'un caractère spécial de durée, de fécondité, de prosélytisme, et liées d'ailleurs entre elles par des rapports si étroits qu'elles semblent trois rameaui du méine tronc, trois traductions inégalement pures d'une même idée , sont nées toutes les trois parmi les peuples sémi- tiques, et, de là, se sont élancées à la conquête de hautes des- tinées? Il n'y a que quelques joiypnées de Jérusalem au Sinal et du Sinaî à la Mecque. % Ce serait pousser outre mesure le panthéisme en histoire que de mettre toutes les races sur un pied d'égalité, et, sous pré- texte que la nature humaine est toujours belle, de chercher dans ses diverse» combinaisons k même plénitude et la même richesse. Je suis donc le premier à reconnattre que la race sémi- tique, comparée à la race indo-européenne, représente réelle- ment une combinaison inférieure de la nature humaine ^ Elle ^ Payais écrit ce paragraphe avant de oonnaitre trois ou quatre beUes pages que M. Lassen a consacrées au même sujet ( ïndiiehê AUêrtkumêhmde , 1. 1 , p. & 1 4* &17). J*ai été singdièrement frappé d'être arrivé, par Tétnde des langues sémi- tiques, i une opinion semblable, sur presque tous les points, à celle d*un des sa* vants qui ont le mieux connu de nos jours le monde arien. M. Lassen voit, avee raison, dans la Êubjeetkaité le trait fondamental du caractère sémitique. Ghei auc||il$ autre race les passions égovtes n^ont eu plus de développement; la vie arabe n*est quWe succession de haines et de vengeances. M. Lassen , toutefois, ne me parait pas suffisamment juste envers Tesprit religieux des Sémites, qu^il trouve étroit et intolérant, parce qu'ils affirmaient que tous les cultes étrangers étaient LIVRE I, CHAPITRE I. 5 n*a ni cette hauteur de spiritualisme que l'Inde et la Germanie seules ont connue, ni ce sentiment de la mesure et de la par- faite beauté que la Grèce a légué aux nations néo-latines, ni cette sensibilité délicate et profonde qui est le trait dominant des peuples celtiques. La conscience sémitique est claire , mais peu étendue; elle comprend merveilleusement 1 unité, elle ne sait pas atteindre la multiplicité. Le monothéisme en résume et en explique tous les caractères. C'est la gloire de la race sémitique d'avoir atteint, dès ses premiers jours, la notion de la divinité que tous les autres peuples devaient adopter à son exemple et sur la foi de sa pré* dication. Cette race n'a jamais conçu le gouvernement de Tunivers que comme une monarchie absolue ; sa théodicée n'a pas fait un pas depuis le livre de Job ; les grandeurs et les aber- rations du polythéisme lui sont toujours restées étrangères. On n'invente pas le monothéisme : l'Inde, qui a pensé avec tant d'originalité et de profondeur, n'y est pas encore arrivée de nos jours ; toute la force de l'esprit grec n'eût pas suffi pour y ramener l'humanité sans la coopération des Sémites; on peut affirmer de même que ceux-ci n'eussent jamais conquis le dogme de Funité divine , s'ils ne l'avaient trouvé dans lés instincts les plus impérieux de leur esprit et de leur cœur. Les Sémites ne ooniprirent point en Dieu la variété, la pluralité, le sexe : fiiax et flans Taienr, tandis que les Indo-Earopéens, avant leur conversion ao christianisme on à Tislamisme, n^ont jamais vu dans la religion qa^une chose es^ sentîellement relative. Ce reproche serait mérité, si les Sémites, comme le sup- pose M. Laasen, avaient anathématisé les religions locales au nom d*une rdigion locale; mais, leur tendance étant précisément de substituer le Dieu suprême aux divinités nationales, leur intolérance était toute logique et partait d'une idée rdi- gîease supérieure. M. Léo a adressé à M. Lassen des objections parfois fondées, mais conçues d'un point de vue bien peu scientifique {LehHmeh der Univenalr gmekiehit, 1. 1, p. 96-89, 3' édit.). 6 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. le mot dée99e serait en hébreu le plus horrible barbarisme. Tous les noms par lescpiels la race sémitique a désigné la divi- nité, El, Eloh, Adon, Baal, EHan, Sdiaddai, Jehovah, AUah, lors même qu'ils revêtent la forme plurielle , impliquent tous ridée de suprême et incommunicable puissance, de parfaite unité. La nature, d*un autre côté, tient peu de place dans les religions sémitiques : le désert est monothéiste ; sublime dans son immense uniformité , il révéla tout d'abord à Thomme Tidée de l'infini, mais non le sentiment de cette vie incessamment créatrice qu'une nature plus féconde a inspiré à d'autres races. Voilà pourquoi l'Arabie a toujours été le boulevard du mono- théisme le plus exalté. Ce serait une erreur d'envisager Mahomet comme ayant fondé le monothéisme chez les Arabes. Le culte d'Allah suprême [Allah taàla) avait toujours été le fond de la religion de l'Arabie. Je sais la grave objection qu'on peut tirar, contre l'opinion qui vient d'être exposée , des branches de la famille sémitique qui, comme les Phéniciens , professèrent un paganisme assez compliqué ; mais , outre que ce fut là un effet des migrations et des influences étrangères, qui firent entrer ces peuples dans les voies profanes du commerce et de l'indus- trie, il faut dire que la nature du paganisme sémitique n'a point été encore assez étudiée. Quand ce sujet délicat aura été examiné de plus près, on reconnattra peut^tre que le poly- théisme de la Phénicie, de la Syrie,. de Babylone, de TArabie, loin d'affaiblir notre thèse, ne fait que la confirmer ^ En tout cas, les branches attachées à l'esprit primitif de la famille, telles que les Térachites ou Abrahamides, restèrent pures de toute infidélité, et les réformes religieuses pour les Sémites consistèrent toujours à revenir à la religion d'Abraham. * Des moliCs qui ont été exposés dans r Avertissement nous ont décidé à ré- server le développement de celte thèse pour le second volume. LIVRE I, CHAPITRE I. 7 Ainsi les cultes vraiment sémitiques n'ont jamais dépassé la simple religion patriarcale , religion sans mysticisme , sans théologie snbtile , confinant prescpie chez le hédouin à Tin- crédolité. De nos jours, le mouvement des Wahhabis nVt-il pas failli aboutir à un nouvel islam, sans autre prestige que rétemdle idée de TArabie : simplifier Dieu , écarter sans cesse toutes les superfétations qui tendent à s'ajouter à la nudité du culte pur? De là ce trait caractéristique, que les Sémites n'ont jamais eu de mythologie. La façon nette et simple dont ils conçoivent Dieu séparé du monde , n'engendrant point, n'étant point engendré , n'ayant point de semblable , exduait ces grands poèmes divins, où l'Inde, la Perse, la Ghrèce ont dévelc^pé leur fantaisie, et qui n'étaient possibles que dans l'imagina- tion d'une race laissant flotter indécises les limites de Dieu , de l'humanité et de l'univers. La mythologie , c'est le panthéisme en religion; or l'esprit le plus Soigné du panthéisme, c'est as- surément l'esprit sémitique. Qu'il y a loin de cette étroite et simple conception dHm Dieu isolé du monde, et d'un monde façonné comme un vase entre les mains du potier, à la théo- gonie indor^uropéenne, animant et divinisant la nature, com- prenant la vie comme une hitte, l'univers comme un perpétuel changement, et transportant, en quelque sorte, dans les dynas- ties divines la révolution et le progrès ! L'intolérance des peuples sémitiques est la conséquence né- cessaire de leur monothéisme. Les peuples indo^urq)éens, tfvant leur conversion aux idées sémitiques , n'ayant jamais pris leur religion comme la vérité absolue, mais conmie une sorte dliéritage de famille ou de caste, devaient rester étrangers à l'intolérance et au prosélytisme : voilà pourquoi on ne trouve que chez ces derniers peuples la liberté dépenser, l'esprit d'exa- men et de recherche individuelle. Les Sémites , au contraire, as- y 8 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. pirant à fonder un culte indépendant des variétés provinciales , devaient déclarer mauvaises toutes les religions différentes de la leur. L'intolérance est bien réellement en ce sens une partie des legs bons et mauvais que la race sémitique a faits au monde. Le phénomène extraordinaire de la conquête musulmane n'était possible qu'au sein d'une race incapable comme celle-ci de saisir les diversités , et dont tout le symbole se résume en un mot : Dieu est Dieu. Certes , la tolérance indo-européenne par- tait d'un sentiment plus élevé de la destinée humaine et d'une plus grande largeur d'esprit; mais qui osera dire qu'en révé- lant l'unité divine , et en. supprimant définitivement les reli- gions locales , la race sémitique n'a pas posé la pierre fonda- mentale de l'unité et du progrès de l'humanité? Au monothéisme se rattache un autre trait essentiel de la race sémitique : je veux dire le prophéti$me. Le prophétisme est la forme sous laquelle s'opèrent tous les grands mouvements chez les Sémites, et, de même qu'à chaque ftge du monde corres- pond chez les Indiens un nouvel Avatar, de même, chez les Sémites , à toutes les grandes révolutions religieuse^ et poli- tiques correspond un prophète. Les peuples primitifs se croyant sans cesse en raj^ort immédiat avec la divinité , et envisaigeant les grands événements de l'ordre physique et de Yoràta motai comme des effets de l'action directe d'êtres supérieurs, n'ont eu que deux manières de concevoir cette influence de Dieu dans le gouvernement de l'univers : ou bien la force divine s'incarne sous une forme humaine, c'est Y Avatar indien*; ou bien Dieu se choisit pour organe un mortel privilégié , c'est le NM ou prophète sémitique. Il y a si Itfin, en effet, de Dieu à l'homme dans le système sémitique, que la communication de l'un à l'autre ne peut s'opérer que par un interprète restant toujours parfaitement distinct de celui qui l'inspire. L'idée de LIVRE I, CHAPITRE I. 9 rà>A»hon est en ce sens une idëe sémitique. Elle apparatt dès les origines de la race. Le Coran n'imagine pas d'autre classi- fication des peuples que celle-ci : peuples qui ont une révâa- tion (un livre) , peuples qui n'en ont pas. L'absence de culture philosophique et scientifique chez les^ Sémites tient, ce me semble, au manque d'étendue, de variété et, par conséquent, d'esprit analytique, qui les distingue. Les fecultés qui engendrent la mythologie sont les mêmes que celles qui engendrent la philosophie, et ce n'est pas sans raison que rinde et la Grèce nous présentent le phénomène de la plus riche mythologie à côté de la plus profonde métaph|>siq(ie. Exdusivement frappés de l'unité de gouvernement qui éclate dans le monde , les Sémites n'ont vu dans le développement des choses que l'accomplissement inflexible de la'volonté d'un être supérieur; ik n'ont jamais compris la multiplicité dans l'univers. Or la conception de la multiplicité dans l'univers , c'est le polythéisme chez les peuples enfants; c'est la science chez les peuples arrivés à l'âge mfûr. Voilà pourquoi la sagesse sémitique n'a jamais dépassé le proverbe et 1» parabole, à peu près conune si la philosophie grecque eût pris son point d'arrêt aux maximes des sept sages de la Grèce. Le. Livre de Job et le Kohéleth , qui nous représentent le plus haut degré de la philosophie sémitique, ne font que retourner les pro- blèmes sôus toutes les formes, sans jamais avancer d'un pas vers la réponse ; la dialectique , l'esprit serré et pressant de Soerate y font complètement défaut. Si parfois le Kohéleth semble plug près d'une solution, c'est pour aboutir à des formules anti- scientifiques : ((Vanité des vanités. . . Rien de nouveau sous le soleil. . . Augmenter sa science , c'est augmenter sa peine. . . M " ' EeM. ch. I : n J^ai voulu rechercher ce qui se pane sous le cIbI, et j*ai vu qoe c^était la pire oocupatiou que Dieu ait donnée aux fils des hommes. . . . « J^ai 10 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. formules dont la coodusion est : jouir et servir Dieu, — les deux p61e8 de la vie sémitique. Les peuples sémitiques manquent presque complètement de curiosité. Leur idée de la puissance de Dieu est tdle que rien ne les étonne. Aux récits les plus surprenants f aux spec- tacles les plus capables de le frapper, TArabe n'oppose qu'une réflexion, «Dieu est puissant !a> comme dans le doute, après avoir exposé les opinions pour et contre , il se garde de con- clure, et s'échappe par la formule ^1 aNI «Dieu le saitl» L'explication de toute chose est à leurs yeux trop prochaine et trop simple pour laisser place à la recherche rationnelle. Dieu est, Dieu a créé le monde; cela dit, tout est dit. — Si l'on objecte le déveloj^ement philosophique et scientifique des Arabes sous les Abbasides , il faut répondre que c'est un abus de donner le nom de pkUoiophie arabe à une philosophie qui n'est qu'un emprunt fait à la Grèce, et qui n'a jamais eu au- cune racine dans la péninsule arabique. Cette philosophie est écrite en arabe, voilà tout. E31e n'a fleuri que dans les parties les plus reculées de l'empire musulman, en Espagne, au Ma- roc, à Samarkand, et, bien loin d'élre un produit naturel de l'esprit sémitique , elle représente plutôt la réaction du génie indo-européen de la Perse contre l'islamisme , c'est-à-dire contre l'un des produits les plus purs de l'esprit sémitique. La poésie des peuples sânitiques se distingue par les mêmes caractères. Là variété y manque absolument. Les thèmes de la poésie sont, chez les Séniites, peu nombreux et bien vite épui- sés. Cette race n'a conni^, à vrai dire, que deux sortes de poé- sies : la poésie parabolique , le maeehal hâireu , dont les livres attribués à Salomon sont le type le plus parfait, et la poésie api^qné mon gonit à h sdeaee, . ... et f ai vu que ce n'était qa*affliction d'es- prit.» LIVRE I, CHAPlTilE I. 11 subjective, lyrique, comme qou^ éûmms, représentée par le psaume hébreu et la iontia arabe ^ formes courtes, ne dépas- sant jamais une centaine de vers, exprimant un sentiment per- sonnel , un état de Tâme , et dont fauteur est lui-même le héros. Ce caractère éminemment subjectif de la poésie arabe et de la poésie hébraïque tient lui-même è un autre trait essentiel de res|Nrit sémitique, je veux dire à Tabéence complète d'imagina- tion créatrice et, par conséquent, defiction« Le poète sémitique ne se résigne jamais à prendre au sérieux un sujet étranger à lui-même. Ainsi nulle trace de poésie narrative ou dramatique, aucune de ces grandes compositions où le poète doit s'effacer : la fiction des Sémites ne s'élève jamais au-dessus de l'apologue ; le conte leur est venu de l'Inde et ne s'est développé parmi eux que bien tard. En général , le sentiment des nuances manque profondément aux peuples sémitiques. Leur conception est entière, absolue, embrassant très-peu de chose , mais l'embrassant très-fortement. Les législations purement sémitiques ne connaissent guère qu'une seule peine, la peine de mort. La monotonie de l'his- toire musulmane, renfermée dans le jeu continu des mêmes passions, a frappé tous ceux qui se sont occupés de l'Orient. D'un autre cêté, la polygamie, conséquence d'une vie primi- tivement nomade, s'est opposée chez les Sémites au dévelop- pement de tout ce que nous appelons société, et a formé une raee exdustvement vkile , sans flexibilité ni finesse. De là cette tnue sévère , ce tour d'esprit sérieux et opposé à toute fantaisie , cette gravité qui les empêche de se dérider jamais. Les Sémites ^ La poëne dei MoêUâkaî est, ama contredit, la plua snliiective de toutea les poéôee, lea poèmes de cette sorte a^ayant aucun sujet déterminé et étant Teipres- ■oo de la peraomudité du poète, il bien qn^on ne peut les désigner que par le nom même de leur auteur : la MoaUàka d'Ântara , la Moallaka é^lm-ouXkm» , etc. 12 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. manquent presque complètement de k faculté de rire , et la tendance toute contraire qui caractérise les Français est pour les Arabes de l'Algérie un perpétuel sujet d'étonnement. De là aussi, chez ces peuples, le manque absolu d arts plas- tiques. L'enluminure des manuscrits , où les Turcs et les Per- sans ont déployé un sentiment si vif de la couleur, est antipa- thique ,aux Arabes et tout à fait inconnue dans les pays où l'esprit arabe s est conservé pur, dans le Maroc par exemple. La musique , Fart subjectif par excellence , est le seul que les Sémites aient connu. La peinture et la sculpture ont toujours été frappées chez eux d'une interdiction religieuse; leur naif réalisme ne se prétait pas à la fiction , qui est la condition essentielle de ces deux arts. Un musulman , à qui Bruce mon- trait un poisson peint, après un moment de surprise, lui fit cette question : «Si ce poisson, au jour du jugement, se lève contre toi et t'accuse en ces termes : Tu m'as donné un corps, mais point d'âme vivante; que lui répondras-tu?» Les prescriptions sans cesse répétées des livres mosaïques contre toute représentation figurée, le zèle iconoclaste de Mahomet, prouvent manifestement la tendance de ces peuples à prendre la statue pour un être réel et animé. Les races plus artistes, capables de détacher l'idée du symbole, n'étaient point obli- gées à tant de sévérité. Le monothéisme et l'absence de mythologie expliquent cet autre caractère fondamental des littératures sémitiques , qu'eUes n'ont pas d'épopée ^ La grande épopée sort toujours d'une mythologie : elle n'est- possible qu'avec la lutte des éléments ' ' Les rédte d^Antar, cpioicpi'ils forment un cycle bien caractérisé, ne aont pas une épopée. L*intéréty est tout individuel, et, bien que roi|[neil de rArabie et sa rivalité avec la Perse soient la pensée dominante de cette curieuse composi- tion , aucune cause suffisamment nationale n^est mise en jeu pour qu^ii soit permis d*y voir autre chose qu\m roman. LIVRE I, CHAPITRE I. 13 divins , et dans l'hypothèse où le monde est envisagé comme un vaste champ de bataille oik les dieux et les hommes se livrent de peipétuels combats. Mais que faire pour l'épopée de ce Jého- vah solitaire , qui est Celui cpii est ? Quelle lutte engager contre ie Dieu de Job, qui ne répond à lliomme que par des coups de tonnerre? Sous un tel régime, la création mythologique ne pouvait aboutir qu*à des exécuteurs des ordres de Dieu , à des angei^y ou messagers, sans variété individuelle, sans initiative ni passion. Sous le rapport de la vie civile et politique , la race des Sé- mites se distingue par le même caractère de simplicité. Elle n a jamais compris la civilisation dans le sens que nous don- nons à ce mot; on ne trouve dans son sein ni grands empires organisés , ni commerce , ni esprit public , rien qui rappelle la moXitsia des Grecs; rien aussi qui rappelle la riionarchie abso- lue de l'Egypte ou de la Perse. La véritable société sémitique est celle de la tente et de la tribu : aucune institution politique et judiciaire, Thomme libre, sans autre autorité et sans autre garantie que celle de la famille. Les questions d'aristocratie , de démocratie, de féodalité, qui renferment tous les secrets de l'histoire des peuples ariens , n'ont pas de sens pour les Sé- mites. L'aristocratie, n'ayant pas chez eux une origine mili- taire , est acceptée sans contestation et sans la moindre répu- gnance. La noblesse sémitique est toute patriarcale : elle ne tient pas à une conquête; elle a sa source dans le sang. Quant au pouvoir suprême, le Sémite ne l'accorde rigoureusement qu'à Dieu. Les Juifs ne passèrent à une organisation royale et à un état de civilisation stable qu'à une époque déjà avancée * Lm dévdoppements uHérieun que prit ]a théorie des anges cbei les Joifs, déreloppements qui ont bien qudque chose de mythologique, sont des emprunts faits am ft^roners de la Perse. 1& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. de leur développement, à rimitation des autres peuples ^ J'au- rai à mVxpliquer plus tard sur les exceptions apparentes que présentent la Phénicie et la Syrie. Qu'A me suffise , pour le mo* ment 9 de faire observer que Fesprit sémitique a toujours été fort altéré en Aramée par le contact de Tétranger, et que cet esprit ne s'est manifesté que sous deux formes vraiment pures : la forme hébraïque ou le mosaisme , et la forme arabe ou Tida- misme. Encore doit-on reconnaitre que la forme hébraïque s*est si promptement mélangée et dépasse si étonnamment en quelques points les limites de Tesprit particulier d'une race , que c'est vraiment TArabie qui doit être prise pour mesure de l'esprit sémitique. Or l'anarchie la plus complète , tel a tou- jours été l'état politique de la race arabe. Cette race nous présente le singulier spectade d'une soetét^ se soutenant à sa^ manière, sans aucune espèce de gouvernement ou d'idée de souveraineté. Les étranges révolutions des premiers siècles de l'islamisme, l'extermination de la famille du prophète et du parti resté fidèle aux mœurs de l'Hedjaz, venaient de l'inca- pacité absolue de rien fonder et de l'impossibilité où était la race sémitique de se développer à sa guise dans un pays qui, comme la Perse, appelle une organisation régulière. Au con- traire , toutes les fois que cette race a trouvé un sol approprié à sa vie nomade , en Syrie , en Palestine et surtout en Afrique , elle s'y est établie comme ches elle, si bien qu'à cette heure les limites de l'Arabie sont, à proprement parler, les limites du dés^. L'infériorité militaire des Sémites tient à cette incapacité de toute discipline et de toute subordination. Pour se créer des armées régulières, ils furent obligés de recourir h des mercenaires : ainsi firent David , les Phéniciens , les Cartha- ^ 1 Samuel, chap. Viii. LIVRE I, CHAPITRE I. 15 ginois, les khalifes. Ce fut la plaie mortelle de tous les états sémitiques : la ruine du khalifat n'eut pas d'autre cause, La conquête musulmane elle-même se fit sans organisation et sans tactique; le khalife n'a rien d'un souverain ni d'un chef militaire : c'est un m&frophite* Le plus illustre représentant de la race sémitique de. nos jours, Abd-el-^Kader, est un sa- vant, un homme de méditation religieuse et de fortes pas- sions, nullement un soldat. Mahomet eut le même caractère. L'abnégation de la personnalité et le sentiment de la hiérar- chie, condition essentielle de toute milice, sont profondément antipathiques à l'individualisme et à la fierté indomptable des La moralité elle-^nême fut toujours entendue par cette race d'une manière fort différente de la nôtre. Le Sémite ne con* natt guère de devoirs qu'envers lui-m&tne. Poursuivre sa ven- geance, revendiquer ce qu'il croit être son droit, est à ses yeux une sorte d'obligation. Au contraire , lur demander de tenir sa parole, de rendre la justice d'une manière 'désintéressée, c'est lui demander une chose impossible. Rien ne tient dans ces âmes passionnées contre le sentiment indompté du mot. La rdigion d'ailleurs est pour le Sémite une sorte de devoir q>é- oal, qui n'a qu'un lien fort éloigné avec la morale de tous les jours. De là ces caractères étranges de Histoire biblique , qui provoquent l'objection, et devant lesquels l'apologie est auesi déplacée que le dénigrement : un David , par exemple , chez qui les mœurs d'un soldat de fortune s'unissent à la piété la plus exquise et à la poésie la plus sentimentale ^ un Sdomon, que *■ Bneora cette poéne eal>«Oe toajeiin ua peu ëgonle. On dirait qnp Dieu o*eiifte que pour loi; sHl aime Jëhovah, c'est que Jéhovah est son protecteur 1, intéressé à sa cause, obligé à ie fiiire réussir et à le venger de ses eu- 16 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. les actes de la politique la moins scruptdeuse n'empêchent pas d'être reconnu pour le plus sage des rois. Presque tous les prophètes de l'ancienne école, Samuel, Elie, échappent de même à toutes nos règles de critique morale. Le mélange bi- aarre de sincérité et de mensonge, d'exaltation religieuse et d'é^oisme qui nous frappe dans Mahomet, la facilité avec la- quelle les musulmans avouent que dans plusieurs circonstances le prophète obéit plutôt à sa passion qu'à son devoir, ne peu- vent s'expliquer que par cette espèce de relâchement qui r^nd les Sémites profondément indifférents sur le choix des moyens , quand ils ont pu se persuader que le but à atteindre est la volonté de Dieu. Notre manière désintéressée , et pour ainsi dire abstraite de juger les choses, leur est complètement in- connue. Ainsi la race sémitique se reconnaît presque uniquement à des caractères négatifs : elle n'a ni mythologie, ni épopée, ni science, ni philosophie, ni fiction, ni arts plastiques, ni vie civile; en tout, absence de complexité, de nuances, sentiment exclusif de l'unité. Il n'y a pas de variété dans le monothéisme. Au lieu de cet immense cordon qui, depuis lldande jusqu'aux lies de la Malaisie , trace le domaine de la race indo-européenne , les Sémites nous apparaissent confinés dans un coin de l'Asie. Au lieu de ces individualités caractérisées qui , dans le sein de )a famille indo-européenne, laissent place à des variétés aussi tranchées que celles qui séparent les branches indienne, ira- nienne, péjasgique, germanique, slave, celtique, nous n'avons ici qu'une famille homogène , et sans division intérieure bien profonde. Malgré l'évidente affinité, (^i réunit les idiomes de rinde, de la Perse, de la Grèce, de fltalie, ()e la Germanie, des peuples slaves et celtiques , on ne peut nier que ces idiomes ne forment des groupes complètement distincts, qui se sub- LIVRE I, CHAPITRE I. > 17 divisent eux-mémeâ en d'autres dialectes. Chez les Sémites, au contraire , la famille se divise immédiatement en dialectes qui ne diflèreftt pas plus Tun de l'autre que dans Tintérieur de la famille indo-européenne les variétés d'un groupe donné, du groupe germanique par exemple (teutonique, néeriandais, Scandinave). La civilisation sémitique de même n'a qu'un seul type, et ne tarde jamais à rencontrer sa limite : on a remarqué avec raison que la domination arabe a exactement le même caractère dans les pays les plus éloignés où elle a été portée , en Afrique, en Sicile, en Espagne. L'infini, la diversité, le germe du développement et du progrès semblent refusés aux peuples dont nous avons à parier. En toute dioi^e, on le voit, la race sémitique nous apparaît comme une race incomplète par sa simplicité même. Elle est, â j'ose le dire , à la famille indo-européenne ce que la gri- saille est à la peinture , ce que le plain-chant est à la musique moderne; elle manque de cette variété, de cette largeur, de cette surabondance de vie qui est la condition de la perfecti- bilité. Semblables à ces natures peu fécondes qui, après une gracieuse enfance, n'arrivent qu'à une médiocre virilité, les nations sémitiques ont eu leur complet épanouissement à leur premier âge , et n'ont plus de rôle à leur Âge mûr. L'Arabie , il est vrai, conserve encore toute son originalité, et mène sa vie propre , de nos jours , à peu près comme au temps d'Ismaël; mais cette énergie de la vie nomade ne saurait être d'aucun emploi dans l'œuvre de la civilisation moderne ; elle n'aboutira sans doute qu'à créer un dernier boulevard à l'islamisme , qui finira ainsi par où il a commencé , par n'être plus que là rêU^ gim des Arabes, selon l'idée de Mabomet. I. 16 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUilS. SU. I « L'ttûké ei la sîoipKcHé » qui distingaent la raoe aémîtiqtte , se retrouvent dans les langues sémitiques eUes-méaies. L*abstnH> tiofi leur est ineonnue; la métaphysiarent , les impressions qui , réfléchies par la conscience des premiers hramnes, produisirent le langage. Les mots dé- rivés s'y forment d'après des lois simples et régulières. Le verbe offre un caractère encore sensible de priorité. Les consonnes déterminent à elles seules le sens des mots, et seules aussi sont exprimées par Técritore. Les gutturales et les sifflantes y abondent, comme dans toutes les langues qui ont conservé à un haut degré leur caractère primitif. La conjugaison , qui se prête avec une merveilleuse flexibilité è peindre les relations extérieures des idées, est tout à fait incapddb d'en exprimer les relations métaphysiques, fsute de toaps^et de modes bien caractérisés. Par les formes diverses d'une même racine ver- bale à laquelle sera, je suppose, attachée l'idée de grandeur^ l'hébreu pourra exprimer toutes ces nuances : être grand, se jSNregraiiJ(s'enorgneiUir), s'i^nmOr, rmiire grand (élever), déclarer gnmd (exalter, célébrer), être rendu grand, etc. et ne saura dire avec exactitude s'il s'agit du présent ou de l'avenir, d'une vérité conditionnelle ou subordonnée. Le nom n'a que peu de flexions, et, bien que l'arabe littéral offre un système de déclinaisons, il faut avouer au ttioins que ce mécanisme n'est pas de l'essence des laides sémitiques , el n'existe dans les ^08 anciennes qu'à l'état mdimentaire : queues monosyllabes paiMtes; qui s'agglutinent au commencement des mots, tien- ttiÉtibn des flexions finsdes. Les autres particules constituent moins une classe de mots à part qu'un certain emploi du subs- tai^ privé de toute signification déterminée et réduit à un rèle purement abstrait. Enfin la construction générale de la f^rase offre un tel caractère de simplicité, surtout dans la narration , qu'on ne peut y comparer que les naïfs récits d'un enfant. Au lieu de ces savants enroulements de phrase [circui- Hu, compreheneio, comme les appelle Gicéron) sous lesquels le 20 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. grec et le latin assemblent avec tant d'art les membres divers dune même pensée, les Sémites ne savent que faire succéder les propositions les unes aux autres, en employant pour tout artifice la simple copule et, qui leur tient lieu de presque toutes les conjonctions. M. Ewald a fait observer avec raison que la langue des Sé- mites est plutôt poétique et lyrique qu'oratoire et épique ^ En effet lart oratoire, dans le sens classique, leur a toujours été étranger. La grammaire des Sémites ignore presque l'art de subordonner les membres de la phrase ; elle accuse chez la race qui l'a créée une évidente infériorité des facultés du raisonne- ment , mais un goût très-vif des réalités et une grande délicatesse de sensations. La perspective manque complètement au style sémitique ; on y chercherait vainement ces saillies , ces reculs , ces demi-jours , qui donnent aux langues ariennes comme une seconde puissance d'expression. Planes et sans inversion , les langues sémitiques ne connaissent d'autre procédé que la juxta- position des idées ^ à la* manière de la peinture byzantine ou des basrreliefs de Ninive. Il faut même avouer que l'idée de* styk, telle que nous l'entendons , manque compléteaptent mx Sémites* Leur période est très-«ourte; la région du discours qu'ils embrassent à la fois ne dépasse pas une ou deux lignes. Uniquement préoccupés de la pensée actuelle, ils ne préparent point d'avance le mécanisme de la phrase, et ne songent ja- mais à ce qui précède ni à ce qui doit venir. De là d'étranges inadvertances, oit les entraînent leur incapacité de suivre jus- qu'au bout un même tour et l'habitude où ils sont de ne ja- mais revenir sur leurs pas pour corriger ce qui est écrit^. On > Àu^fiihrUeheê L$hrbueh dtr hêbr. Spr. p. 3o (6* édit). * Voir la siiuidîère théorie des grammairiens arabes sar la figure dite pirmu- LIVRE I, CHAPITRE I. 31 dirait la conversation la plus abandonnée prise sur le fait et immédiatement fixée par l'écriture. Dans la structure de la phrase , comme dans toute leur cons- titution intellectuelle, il y a chez les Sémites une complication de moins que chez les Ariens. li leur manque un des degrés de combinaison que nous jugeons nécessaires pour Texpression complète de la pensée. Joindre les mots dans une proposition est leur dernier effort; ils ne songent point à faire subir la même opération aux propositions elles-mêmes. C'est, pour prendre l'expression d'Aristote^ le style infini, procédant par atomes accumulés, en opposition avec la rondeur achevée de la pé- riode grecque et latine. Tout ce qui peut s'appeler nombre ora- toire leur resta inconnu ; l'éloquence n'est pour eux qu'une vive succession de tours pressants et d'images hardies : en rhétorique conune en architecture , l'arabesque est leur procédé favori. L'importance du verset dans le style des Sémites est la meil- leure preuve du manque absolu de construction intérieure , qui caractérise leur phrase. Le verset n'a rien de commun avec la période grecque et latine, puisqu'il n'offre pas une suite de membres dépendants les uns des autres : c'est une coupe & peu près arbitraire dans une série de propositions séparées par des virgules. Rien de nécessaire n'en détermine la longueur; le verset correspond à ces repos que la respiration impose, lors même que le sens ne les érige pas. L'auteur s'arrête, non par le sentiment d'une période naturelle du discours, mais par le simple besoin de s'arrêter. Qu'on essaye de diviser de la sorte un discours de Démosthène ou de Gicéron , et l'on sentira combien le verset tient à l'essence même des langues sémitiques. Ce n'est qu'à une époque relativement moderne qu'elles renoncèrent à cet artifice, insuffisant remède contre > AiCkl. III,c viii,edîd. Bekker. 23 HISTOIRE DBS LANGUES SÉMITIQUES. la fatigante untfonnité à laquelle les cdndamnait leur fcçon trop simple détendre le discours. On peut dire que les langues ariennes , comparéesanx langues sémitiques, sont les langues de l'abstraction et de la métaphy* sique, comparées k cdles du réalisme et de la sensualité. Avec leur souplesse merveilleuse, leurs flexions variées, leurs par- tictdes délicates, leurs mots composés, et surtout gr&ce à Tid* mirable secret de Tiaversion , qui permet de conserver Tordbre naturel des idées sans nuire à la détermination des rapports grammaticaux, les langues ariennes nous transportent tout d'aberd en plein idéalisme , et nous feraient envisager la créa- tion de la parole comme un fait essentiellement transoendental. Si l'on ne considérait, au contraire, que les langues sémitiques , on pourrait croire que la sensation présida seule aux premiers actes de la pensée humaine et que le langage ne fut d'abord qu'une sorte de reflet du monde extérieur. En parcourant la série des racines sémitiques, è peine en rencontre-4K>n une seule qui n'oflre un premier sens matériel, appliqué, par des transitions plus ou moins immédiates, aux choses intellec- tudles. S'agit-il d'exprimer un sentiment de l'Ame , on à re- cours au mouvement organique qui d'ordinaire en est le signe. Ainsi la colère s'exprime en hébreu d'une foule de manières également pittoresques, et toutes empruntées à des faits physiolo- giques. Tantôt la métaphore est prise du souffle rapide et animé qui accompagne la passion (*)k); tantôt de la chaleur (non, |nn), du bouillonnement ("^^sr); tantôt de l'action de briser avec fracas (Tn); tantôt du frémissement (qs^*^). Le découra- gement , le désespoir sont exprimés dans cette langue par la liquéfaction intérieure , la dissolution du cœur (noD , dkd , aïo); la crainte, parie rel&chement des reins. L'orgueil se peint par l'élévation de la tête, la taille haute et roide (on, 0*cn KVa, UYRE 1, GHAPITRE I. U inxïït). La patience, c'est la bngaeor èa souffle (d^m y^); impatience, la Imèveté(D^OK i«p). Le désir, c'est ia soif (mds) on la pUenr {^m). Le pardon s'exprime par une fotde de méta- pliores empruntées à lldée de etimir, cacher, passer sur une fiiate nn enduit qoi Teffiice (los , no^yjàà). Dans le Livre de Jd>, Diencond liés pédiés dans nn sac, y met son sceau, puisie jttte deniète son àoa ; tout cela pour signifier auUier. Remuer la tête , se r^^arder les uns les autres, laisser tomber ses bras, sont autant d'expressions que l'hébreu préfère de beaucoup peur OKpnmer le dédain, l'indécision, l'abattement, & touteis nos expressions psyclu^giques. On peut même dire que cette demi^ classe de mots manque presque conq>létement en hé- breu, ou du moins qu'on y ajoute toujours la peinture de la circonstance physique : «Il se mit en colère, et son visage s'en- flamma^ ; il ouvrit la bouche, et dit9,.etc. D'autres idées plus ou moins abstraites ont reçu leur signe , dans les langues sémitiques , d'un procédé semblable. L'idée du vrai se tire de la solidité, de la stabilité (pK, p3, chald. 3^s\ I W^*»)l telle du beau, de la splendeur (n^Dv); celle du bien, de la rectitude ("iv*»); cdle du mal, de la déviation, de la ligne courbe (niy , bis , hrhm ) , ou de la puanteur {«tm^). Faire ou créer, c'est primitivement tuilier (3S9, K")3); décider quel* que dmse, c'est trancher (m, «xtfiûft, o^)? pcn^r? <^'^ parier. L'os (nsy) signifie la substance, l'intime d'une chose, et sert , en hâ>reu , d'équivalent au pronom ^. — Je n'ignore pas que des faits analogues se remarquent dans toutes les lan- gues, et que les idiomes ariens fourniraient presque autant d'exemples où l'on verrait de même la pensée pure engagée dans une forme concrète et sensible. Mais ce qui distingue la ' 0 se nil en colère, et sod visage tomba {Gen. i?, 5), pour exprimer un èifà sonrams et ooneentré. 2& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. famille sémitique, c'est que l'union primitive de la sensation et de ridée s y est toujours conservée , c'est que Tua des deux termes n'y a point fait oublier l'autre , comme cela est arrivé dans les langues ariennes, c'est que l'idéalisation, en un mot, ne s'y est jamais opérée d'une manière complète ; si bien que dans chaque mot on croit entendre encore l'écho des sensations primitives qui déterminèrent le choix des premiers nomencla- teurs. Un tel système grammatical sent évidemment l'enfance de l'esprit humain , et il est permis , sans tomber dans les rêves de l'ancienne philologie , de croire que les langues, sémitiques nous ont conservé , plus clairement qu'aucune autre famille , le sou- venir d'un des langages que l'honmie dut parler au premier éveil de sa conscience. Supposer qu'il y eut à l'origine de l'hu- manité une seule langue primitive, dont toutes les autres dérivent par descendance directe, c'est imposer aux faits l'hy- pothèse, et l'hypothèse la moins probable. Mais que, parmi les idiomes dont la connaissance nous est accessible, il y en ait qui, mieux que d'autres, aient gardé le type du lan^^age des premiers jours, c'est là un fait qui résulte des notions les plus simples de la philologie comparée. La vieille école se rendit ridicule en voulant ressaisir, à travers l'immense réseau de con^ticotions dont se sont enveloppées nos langues occi- dentales, là trace du monde primitif. Mais il est des langues moins tourmentées par les révolutions, moins variables dans leur forme, pariées par des peuples dévoués à l'immobilité « peuples d'une extrême ténacité dans leurs opinions et leurs mœitrs, chez lesquels le mouvement des idées ne nécessite point de continuelles modifications dans le langage ; celles-là subsistent encore comme des témoins des procédés primitifs au moyen desquels l'homme donna d'abord à sa pensée une LIVRE I, CHAPITRE L 35 eipresnon eitërieure et sociale. Je dis des pràdiés primii^s; car, pour la langue m^me que parièrent les ancêtres des di- verses races, n'espérons jamais y atteindre. De même que le géologue aurait tort de composer le centre du g^obe des masses que Ton rencontre aux dernières profondeurs accessibles à rexpérience, de même ce serait témérité de chercher à con- cevoir l'état originaire des langues d'après l'analogie de l'état actuel, et de regarder comme absolument primitifs les idiomes qui doivent être j^acés en tête de leurs familles respectives aons le rapport de l'ancienneté. I â6 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. CHAPITRE II. EXTENSION PRIMITIVE DU DOMAINE DES LANGUES SEMITIQUES. S I. Les langues sémitiques nous apparaissent,, dès les temps anté-historiques, cantonnas dans les mêmes régions où nous les voyons parlées encore aujourd'hui, et d'où elles ne sont guère sorties que par les colonies phéniciennes et l'invasion musulmane : je veux dire dans l'espace péninsulaire fermé au nord par les montagnes de l'Arménie , et à l'est par les mon- tagnes qui limitent le bassin du Tigre. Aucune famille de lan- gues n'a moins voyagé, ni moins rayonné à l'extérieur; on chercherait en vain , en dehors du sud-ouest de l'Asie , quel- que trace bien caractérisée du séjour anté-historique des Sé- mites. Les antiques souvenirs de géographie et d'histoire con- signés dans les premières pages de la Genèse , pages qu'on est en droit d'envisager comme les archives communes de la race sémitique, peuvent seuls nous fournir quelques conjectures sur l^s migrations qui précédèrent l'entrée des Sémites dans la région où l'on serait tenté, au premier coup d'œil, de les croire autocfathones. Les Sémites, en effet, sont sans contredit la race qui a con- servé le souvenir le plus distinct de ses origines. La noMesse consistant uniquement chez eux k descendre en droite ligne du patriarche ou chef de la tribu , nulle part on ne tient tant a ses généalogies , nulle part on n'en possède de si longues et de LIVRE I, CH4»l«lil n. 27 si Mthentiques. La théologie «i la IcNmie essentidle de tontes les histoires primitives ehez les Sémites ( nn^m). Les Tholeioik des Hébreux 9 malgré leurs lacunes, leurs contradictions et les différents remaniements qu'elles ont subis , sont peut-être les documents historiques qui nous font approcher le plus près de l'origine de l'humanité. De là ce fait remarquable, que les autres* races, ayant perdu leurs souvenirs primitifs, n'ont trouvé rien de mieux à &tre que de se rattacher aux souvenirs sémitiques; en sorte que les origines racontées dans la Ge- nèse sont devenues, dans Topiniôn générale, les origines dû genre humain. Ces souvmirs particuliers de la race sémitique , qui com- prennent à peu près les onœ premiers chapitres delà Genèse , se divisent en deux parties bien distinctes. Dans la phase anté- £luvienne, c'est une géographie fabuleuse, à laquelle il est fort difficile de trouver un sens positif; ce sont des généalogies fictives, dont les degrés sont remplis , soit par des noms d'an- ciens héros et peut-être de divinités qu'on retrouve chei les antres peuples sémitiques , soit par des mots exprimant des idées, et dont la signification n'était plus aperçue^ Ce sont des fragments de souvenirs confondus , où le rêve se mêle à la réalité , ' EvaU, GttehielUêdig FoOw/w-mI,!, p. Sog eksoiv./oM. dtt biblWi$$. 1 85& , p. 1 et aaif. — Leogerke, Kitiaan, p. xni, et suiv. — Movers, Dm Phœniziêry I, i39-iSS. — BnoBea^JSgypUm 5teQ0, V** Buch, m' Abth. H est impossible de ééfkj9 plw de pâiétration que ne Ta fidt M. Ewald pour ioteiiNnéter ces pe|{es antiqnei. Je dois dire oqtendant que, dans mon opinion, M. Ëwaid cède beau- eeop trop à b tentation de eomparer les origines bebrœo-sëmitiqaes aax eosmogo- BÎes ariennee. Ain il croit trouver, dans les idées primitives des Sémites, beau- eoop plnr de symbriisme et de mythcdogie qa*dles n*en renfermèrent en réalitë ; il voit paflins, dans les patriarches primitils, des dienx et des déesses dont Texis- Iflooe n*e0i pas bien prouvée; il cherche dans les nombres des symétries trop eiades; il fiât entre les mythes sémiti<|ues et ceux de Tlnde des rapprochements au moins hasardés. 28 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. à peu près comme dans les souvenirs de ia première enfance. Quelques personnages pins réels, teb que Hanok, envisagé coomie un saint, Kaîn ou Kaînan^ et Lémek , auxquels se rat- tachent des idées de violence et dont le nom sert de refrain à un chant populaire d'une singulière barbarie , apparaissent seuls pour donner une [diysionomie historique & ces récits. A partir du déluge, au contraire, les traditions ont un caractère beaucoup plus réel. Les généalogies se composent en général de noms de villes (Sarug, Sidon), de pays (Arphaxad, Aram, Ghanaan), de montagnes (Masch, Riphath). Quelques mots désignant des événements , tels que Phaleg, Schélah« peut-être Héber, y paraissent encore»; mais la géographie repose sur un fond solide, et l'interprétation ethnographique et historique peut s'exercer désormais en toute sûreté. Nous réservons pour une autre discussion les lumières que Ton peut tirer de la géographie mythologique, contenue prin- cipalement au second chapitre de la Genèse. Quant aux sou- venirs de ia période intermédiaire, comprise entre Noé et Abraham, voici, ce me semble, les inductions qu'il est permis d'en tirer relativement aux plus anciens mouvements de ia race sémitique avant son entrée dans la terre où depuis les temps historiques nous la voyons établie. De ces mouvements , il n'en est qu'un seul ( et probablement ce fut le dernier) sur lequel nous ayons des données précises ; c'est celui de Térach ou Tharé (Gen. xi, ^i)K Ici nous entrons ^ L^ideatité de ces deux penonna^ n^ett pas douteuse , n Ton considère que la généalogie du chapitre t est, an fond, la même que celle du chapitre iv« avec de l^ere dMIgements et dee transpositions. Ce sont évidemment deux versions asseft différentes d*une même généalogie, que les derniers rédacteurs ont mises bout à bout» n*en voyant pas bien clairement Tidentité fondamentale. * Ewald, Gttchiekiê du FoOst Itrad, 1 1, p. 3i6 et suiv. ' Les vues nouvelles , généralement adoptées en Allemagne sur ce pmnt, ont été LIVRE I, CHAPITRE IL S9 réellement dans l'histoire; la vie des patriarches ne dépasse plus guère les limites naturelles de la vie humaine , et bien que Tharé paraisse encore être fils d'une ville (Nahor), que parmi ses enfants se trouvent des noms de villes, et qu'il soit lui-- même peut-être Téponyme d'une ânigration^, on sent évidem- ment qu'on a affaire à un événement capital, à celui qui trans* porta d'Our-Kasdim en Ghanaan une nombreuse famille de tribus sémitiques (Beni-Israêl, Edomites, Moabites, Ammo- nites, etc.). Quelle position assigner à Our-Kasdim? Tout porte à identifier ce pays avec celui d'Arphaxad, quand on voit ailleurs ( Gm. x, 9& ; xi ^ i o) Ârphaxad institué chef de la des- cendance d'Héber et de Tharé; car, dans le style des Thokdoth, dire qulléber et Tharé sont fils d'Arphaxad, cela veut dire qu'ils sont venus du pay»d'Aq)haxad^. Or le pays d'Arphaxad, ou pays des Kasda, désigne, selon l'opinion générale, la pro- vince Skppvaa)(jnis^ placée par Ptolémée au nord de l'Assyrie, vers les monts Gordyé&s, dans le pays actuel des Kurdes. Tharé, en effet, meurt à Harran, au milieu à peu près de la route qu'il poursuivait vers le sud-ouest, et c'est Abram , personnage d^nitivement réel et historique, qui conduit l'émigration en Palestine. Il n'y était pas du reste le premier de sa race; car, snrtoot àéfêappées par M. Berthean, Zur Ge$ehic1Uê der ImvêUien (Gcettmgue, i8&a),p. aoA etstriv. ' LHin({e d^eoTinger i<8 tribus eomme des individus et de les ^uper en fa- BÛlies artifiôcHes, osage tràs-fré^ent chei les peuples sëmitiqiies, est sîngdiè- raoïenifiivorisépar la locution ^J3f • • •kS^ «fils dei», qui sert à former les noms ethniques. Cet usage s*est conservé jusqu'à une époque bien moderne, puisqu'on roboerre à un haut degré dans les généalogies des tribus berbères don- nées par Um-Khaldonn, lesquelles n'ont pris leur dernière forme que sous l'in- fluence musulmane. * Aucun doute au moins ne peut rester sur la position septentrionale du point de départ des Téracfaites. (Voy. Tuch, Eammêwlar Hher die Gtmiii, p. aSA. — Lengerke , XiiMum y p. a 1 3 . ) 36 HISTOIRE DBS LANGUES SÉMITIQUES. îndépesidamiiirât des Ghananéens , il y tronva uni chef sémite et monothéiste comme lui , Melchisédech y atec lequel il iit amitié. Mais longtemps encore la Mésopotamie resta le centre de la famille téraehite, et c'est là que Taristocràtie, fidèle an idées sémitiques sur la pureté du sang, envoya, jusqu'à son entr^ en Egypte, dièrcher des femmes pour ses fils. Les détails de la génédogie d'Arphaxad, conTeHablemeat interprétés, nous conduisent aux méines résultats. Les trois noms nl^tf, na'y, 3^, qui y figurent, paraissent être des noms abstraits signifiant dimiêiioy transUttê (fluminis), diipenioK Seraient^ lès moments divers de Témigration? Quoi qu'il en soit , les noms de I3y et nss^ ( HArmuc, ol ^fepékeu ) , qui certai- nement à l'origine ne s'appliquaient pas seulement aux Israé- lites , ne laissent lieu à aucun doute , et se rapportent évidem- ment à une époque où une partie de la population sémitique habitait en deçà de l'Ei^phrate, et une autre au delà^. Les noms de RaghA, Sarug, Nahor, Harran, qui figurent dans la même généalogie, paraissent représenter des villes échelonnées du nord au sud depuis la source du Tigre jusqu'à l'endroit où les Térachites passèrent l'Euphrate ^, et peuvent ainsi désigner les principales stations de l'émigration. Dans une autre généa-^ logie ( Gen. xxii , a a ) , la race de Tharé est de nouveau ratta- chée à £a«2^ c'est-à-dire au pays des Garduques ou Ghaldiée ' Tach, XowwMWtnr» p. «57. — Knobel, Ow VedhêrU^d.dêr GiiMftt, p. 169. * £wiiM, GmekAt 387, Aurf. LêM. P* 19* — Knobd, op. a'Lp. 176 et flaiv. et ke observations de M. Bwald, Jahrbùekm- der 6t6i. Wmmuehfiy III, 908. — Geseniiu, GmeKder hêbr, ^.p. 1 1-1 1 ,et Thm. s. h. v. — Bertfaeau, Zut Qmck, éet ïmr, p. aoS et suiv. On ne peut voir qa^un paradoie dans Topiiiion de M. de Lengerke , qui cherche, chei les Ihériens du Gancase , rexpikatûm do nom des Hé- breox {Kenaan, p, aiâ et soiv.), bien que les preuves par Issqnelles il ëlabKt Torigine septentrionale de eas deniers consarvent tonte leur force. ' Ewald, Ge9ek. dm Kottas ïm-. 1, di6-3i7.— Tnch, op. cit. p. aSo.-- Len- gerke, p. 916 et suiv. LIVRE I, CHAPITRE IL 91 prîmitiTe^. Enfin, on a remarqué que les noms propres de Tâge patrian»d renferment beaucoup d'arftmal^nes'. Déjà nous saisissons la direction du mouvement des Steitas du nord-est au sud*^uest : D*autres faits , du reste , confirment cet aperçu. Bien que l'application des noms du Tigre et de l*Enphrate à deux des quatre fleuves du Paradis paraisse arti- fidefle et relativement moderne, elle indique au moins que o'est v^s les sources de ces deux fleuves qu'une tradition pla- çait YEdm on le séjour primitif de la race sémitique. Le plus ancien souvenir post-diluvien, celui des montagnes d'Ararat, nous reporte au nord de TArménie , sur les bords de l' Araxe , à la bauleur d'Erivan ^. Le nom de Masek, l'un des membres de la fiunâie d'Aram ( Gm. x , â 3 ) , rappelle les monts Maxim, qui séparent TArménie de la Mésopotamie \ Un passage d'Amos (0,7) fait venir les Araméens du pays de Kir, et sous ce mot la Impart des eïégètes voient le fleuve Gyrus (Kur), dont le nom sert eneore aujourd'hui à désigner le pays environnant^. C'est là une interprétation fort attaquable sans doute; néan- moins il &at avouer que tout nous convie à chercher le premier s^oitr historique des Sémites dans les montagnes d'Arménie , entre le cours supérieur du Tigre et de l'Euphrate et le €yrus. Il est remarquable que le tableau ethnographique du x' cha^ pitre de la Genèse accuse une connaissance étendue des races septentrionales , groupées autour du Caucase et de la mer Noire , tandis que , du cAtîi de l'orient, tout ce qui est au delà de l'Ély- * Tneh, luoimNmtor, p. 396. ' Wicheihaas, De N, 7. ven, êyr, ont, p. 33 et eoiv. ' WÎBer, Ml RudwartêHmeh, au mot Ararat. « Bockirt, Phukg, l. n, cb. II. — Knobel, hU VaïkerUfiléêr Gemtiê, p. 937 geogr. Htibr. extênB, U , 1 9 1 ; SuppUm, ai kx. Mr. 9191 — Gefloiios, Thêiawrut, k ce mot.-— Knobei, op. cit. p. i5o et siiiv. 33 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. maîde et de la Médie est pour le rédacteur une terre inconnue. Une tradition adoptée pair les Hébreux et exprimée par un curieux mythe étymologique ( Gen, xi , i -9 ) place , il est vrai , le point de dispersion des races dans la plaine de Sennaar, et rattache ce fait à la construction de Babylone; mais cette lé- gende ne parait pas fort ancienne ^ ; elle s'explique par cer- taines particularités caractéristiques de la Babylonie : d'une part, le singulier mélange de langues qu'ofirait Babylone, la ville où Ton ne s'entendait pas, la vUle de cmjunon; de l'autre, l'aspect de cette plaine infinie qui semblait faite pour servir de lieu d'assemblée à tout le genre humain; enfin l'impression d'étonnement que devait causer à des populations étrangères dans le pays la vue de la tour de Bélus (aujourd'hui Birs-Nem- rod ^). Ce gigantesque monument devint pour l'imagination le point de départ des nations, une sorte SomhSUc du monde, comme étaient VbfjiUpaXét de Delphes pour les Grecs, la fantas- tique coupole d'Ârtn ou la Gaaba pour les Arabes, la rosace du Saint-Sépulcre pour le moyen âge chrétien. Tous les vieux monuments dont la signification n'est plus bien comprise en- fantent ces sortes de légendes, qui se combinent d'ordinaire avec les -traits saillants de la physionomie géographique et ethno- graphique du pays. Quoique l'émigration de Tharé nous soit présentée comme pmpement spontanée , il est naturel de supposer que les causes déterminantes de ce grand fait et d'une foule d'autres mouve- ments analogues furent la pression des races qui s'accumu- * Tnch , KommetUar, p. a66. ' Herod. 1 , 1 78, 1 83. — Cf. Fresnel , Jùum. anat ynn 1 853 , et Oppert , dans h ZeiUehtyt der dêitUchen morgml, Gêêêlhehi^y i. TIf, p. 606 et soiv. Si Ton admet les inteiprétations de M. Oppert, le nom ménre du monooMot (Tour des langues) aurait donné naissance à la l^nde dont nous parlons (Joiini. anat, de fëvr. à sept. 1 867 ). LIVRE I, CHAPITRE IL 33 laienl vers le Caucase, et la création de grands empires non sémitiques sur le cours du Tigre ^ . Nemrod , la première person- nification de la force conquérante et brutale aux yeux des Sé- mites, est représenté sous des traits de violence {Gen. x, 8-1 o). La fondation de Babylone est réprouvée bien plus vivement encore, comme une œuvre d'orgueil, une révolte contre Dieu [Gm. X, 1-9)* Ces constructions gigantesques, cette puis- sante organisation de la force, ce despotisme où le roi usur- pait la place de Dieu , devaient être souverainement antipathi- ques aux mœurs simples , à la fierté , aux goûts d'indépendance , à la religion élevée, qui ont toujours distingué les Sémites purs. Aussi les grands faits auxquels se rattachent les noms de Nemrod/ d'Assur, de Ninus nous apparaissent-ils comme des faits anti^émitiqnes, du moins relativement aux Térachites res- tés fid^es aux habitudes patriarcales, et sommes-nous incliné à y voir ki cause du mouvement qui porta les Sémites de l'Ar- ménie et du Kurdistan vers les régions du sud , mieux appro- priées à leur vie nomade. Incapables, en effet, de toute orga- nisation jmUtaire , ils avaient besoin du désert pour se défendre. Voilà pourquoi, tandis que dans le nord ils ne surent que plier, à toutes les époques, devant les grandes puissances des bords du Tigre, au midi ils eurent le privil^, presque unique dans le monde, de n'être jamais atteints par la con- quête étrangère. Quelles furent les races dont la pression détermina ce mou- vement des Sémites, qu'on peut fixer approximativement à l'an 9000 avant l'ère chrétienne? Dans l'Arphaxad, ce furent sans doute des Ariens : tout porte à croire, en effet, que les Koêies appartenaient à la race indo-européenne. Peu de temps ' Konik, MéUmgts asiaL publiés par rAcadëmie de Saintr-Pëlersbourg, t. I, p. Sao^tniv. (t85t.) I. 3 3& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. après le passage de TEii^hrate par les Térachites, nous voyons une invasion de chefs qui paraissent ariens pénétrer juscpi'au cœur des pays sémitiques ((rm. ch. xiv)^« Mais sur le Tigre ce furent sans doute des Gouschites y des G^àaes , ou , de quel- que nom qu'on* veuille lea appder, des peuples appartenant k ce troisième élément ethnographique » ni sémite u arien , qu'il faut admettre dans l'histoire de la civilisation de l'ancien monde \ Nemrod {Gen.%j 8) est expressément rattaché à Gousch» et» en effet, on retrouve son nom dans Ja série des dynasties égyp- tiennes ^. Ainsi, par le plus grand des hasards , il y aurait quet* que vérité dans la fahle racontée par Tacite, et d'après laquelle les Hébreux seraient «JSthiopum proies, quos, rege Cepheo, «metus atque odium mutare sedes perpulerit ^ ». Le carac- tère de l'ancienne civilisation assyrienne, qui se rapprodbe pufois de celle de l'Egypte ^, s'éloigne presque autant de la civilisation arienne que de celle des Sémites. Fent-étre la race gigantesque et impie des /Vig/Uôn (Gai. vi, t^h)^ issue, sdon la traditiim hâunique ,.de démons incubes ,:et dont les crimes ame- nèrent le déluge, nous représente-tr-elle le premier contact des SVmites avec ces races étrangères et profanes qui leur appa* raissaient comme dénuées de toute religion. On ne peut douter que les Sémites , en se portant vers le sud et l'ouest, n'aient trouvé sur quelques points des établis* sements chamites ou couschites antérieurs ^. Gela paraît certain , ' Cf. Kunik, OUangeê oiûoiquu, 1. 1, p. 61 1 et suiv. et les obsenrations de M. Tuch dans la Zêit$ehr^ der deuUchen tnorgmUenJ^hen GêtelUclufi, 1. 1, p. 1 61 et8iiiv.(i8&6.) * Les dévdoppementa de ce point sont réaenrëa pour le deunème volume. ^ Lepaiiis, Emkùnmg zmr Omrmologie éêr Mg}ff^, I, p. saS. * HiêL l V, c. II. ^ Lepaina, loe, eit, — Kunik, ap, eit p. 5 1 1 et 6f|iv. * Voir, sur ce sujet, lea ingénieuses recherches de M. le baron d^Eekstein, LIVRE 1, CHAPITRE II. 3S du mollis pour ITémen et TAbyssiiiie : eu général , c'est aux Qbanîtesel au Coiuchîtes qu^appaiiîennent les premièrea (on- (klioiis de la ovilisation matérielle e& Orient. Sur la plupart des paînts aependant, les Sémites ne paraissent avoir trouvé à leur arrivée que des races à demi sauvages » telles que les Re^ faim, les Zamzommim ^ etc. qu'ils exterminèrent. De là vient la grande pureté de leur langue et de leur sang. N'ayant ce»- tracté aucune alliance avec les premières couches de popula- tie«s, ils restèrent dans la simplicité primitive, et n'admirent dans leur sein presque aucun Aémmt étaamger. On peut dire que le contact vraiment fécond des Sémites 'et des peuples voî- flins n'a commencé que vers le vu* ou le vm** siècle avant l'ère cbrétienne. Du famit de kur monoAiéinne, ils regardaient en pitié , cosnne le font encore aujourd'hui les juifs et les musul- mans, ceux qui nïadoraient pas Dieu d'une manière ausri épu- rée. Ceci s'appiique surtout à la branche térachite^ qui s'en- visagea de bonne heure comme le peuph d9 Dieu, et^i fit la prmière le. mot méiom synonyme de fdm» (d>i3, gevUee). 11 fosi supposer qu'il y eut longteùips dans l'Arphaïad un foyer d'aristocratie patriarche et monolàéiste, qui resta fidèle à la rie nomade, à c6té des étalfs constitués ides races ariennes et dans VAUmmtm Jnmfoit àm «s avril «t 17 mai 1 856 , «il QiMfl. nka, mue mu dêêpnfl $émL p. 3o et soiv. ' Le nom des Zomiommin, formé probablement par imitation des sons bartraires de leur langue (comme le mot fiépSapoç lui-même), suffirait pour prouver qu*ils n^étaîent point Sémites. Je n*bésite pas à rapprocber ce mot de Tarabe ^ttik Dans preaqne toutes les langues, le mot qui veut dire étranger vient d^nne racine qui si- gnifie b^mftr, fwfkr ffune numiàre cot^tuê, Asab. >#|; hébr.îy)? (cf. Gesen. Tkm. s. h. v.);saiiacr. mUuhu. (Cf. Knbn et Anfredit, Zêkêditr^fir vtrgkieh$nde Sfm^mruhmg^ I, p. S8i et suiv. il , a^a et auîv. — Pott, Dk Zigmmêr, If, 339, et moa essai sur ïOrigmê du lang^, p* 1 77 et sniy. 9* édît) * Gonf. Bertheau , Zur Gtêeh. dtrhrtMmf p. ^ 18 et suiv. 3. 36 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. chamites. Même en sortant de ce sanctuaire , les tribus ëmi- grantes se regardaient comme liées envers Dieu par une al- liance et un pacte spécial ; c'est ainsi que nous voyons Abra- ham , Isaac , Jacob continuant en Ghanaan et en Egypte leur noble vie de pasteurs, riches, fiers, chefs d'une nombreux domesticité, en possession d'idées religieuses pures et simples, traversant les diverses civilisations sans s'y confondre et sans en rien accepter. Peut-on se former quelque idée des divisions de la race sé- mitique à cette époque reculée, et de l'ordre dans lequel les différentes branches qui la composaient se séparèrent les unes des autres ?  s'en tenir au x* chapitre de la Genèse , cette race se diviserait en trois groupes^ : i^ groupe araméen ou syria- que; 9^ groupe arphaxadite, c'est-^-dire venant d'Arphaxad, et se subdivisant lui-même en Térachites (Israélites, Madia- nites, Moabites, Ismaélites, etc.) et en Joktanides ou Arabes méridionaux; 3^ groupe chananéen, rgeté par l'ethnographe hébreu dans la famille de Gham , mais que l'analogie de lan- gage rattache nécessair^nent aux Araméens, aux Térachites et aux Arabes. La classification fournie par l'étude des langues serait un peu différente. Le groupe araméen conserve sa phy- sionomie isolée ; mais on ne voit pas bien clairement la raison qui a pu faire rattacher par l'ethnographe hébreu les Jokta- nides aux Térachites ( Gen. x , s 5 )^. Si l'on remarque d'ailleurs, i"" que la famille des langues sémitiques n'offre aucune de ces ' n n^est question ici ni d^Élam, ni d^Assur, ni de Lud, qui désignent des pays où il Y a eu sans doute des Sémites, mais qui ne paraissent pas correspondre à des divisions ethniques de la famille elle-même. ' H. Ewaid (Gesci^. de§ V. Itroêl, I, 337) ^^^^ ^^'^'^ ^^ Joktanides un rameau des Mfrmue primitif, c^est-à-dire de la branche sémitique qui passa TEuphrate vers Harran. D est vrai que le ghei se rapproche quelquefois de Thébreu; mais par Tensemble de sa grammaire û te rattache plutôt à Tarabe. LIVRE I, tlHAPITRE IL 37 coupures profondes que présentent les langues indo-euro- péennes et qui tracent dans le sein de ces dernières langues des classifications si marquées ; a^ que la plus profonde division qui s'observe dans la famille des langues sémitiques est celle qui sépare Tarabe de toutes les autres, Tarabe ayant des pro- cédés propres dont on trouve à peine le germe en hébreu et en syriaque ; 3** que l'arabe ressemble plus à l'araméen qu'à l'hébreu , on est tenté d'assigner la formule suivante à l'émi- gration sémitique : Aram, centre commun de la race , au nord ; — la branche joktanide se porte la première vers le sud, et s'établit dans la partie méridionale de la péninsule arabe qui était déjà occupée par des Couschites; — les Térachites, restés fidèles au monothéisme, se détachent plus tard d'Aram, et prennent en passant TEuphrate le nom SE&inux [ol ^epckai). L'histoire détaillée que nous possédons des aventures des Beni-Israël , avant leur établissement définitif en Ghanaan , peut noua donner une idée de la vie intérieure (jl'une tribu sémi- tique durant cette période de migration; vie parfaitement iden- tique , du reste , à celle des Arabes bédouins , si bien que rien n'est plus sen)blable au récit de l'époque patriarcale dans la Genèse que le tableau de la vie arabe anté-islamique. Le sé- jour des Israélites dans un canton de l'Egypte nous représente de même les rapports des Sémites avec les populations cou- schites et chamites , établies bien plus anciennement sur le sol. Les Israélites ne furent pas , du reste , la seule tribu sémitique qui traversa ainsi l'Egypte et les pays voisins. Les critiques les plus éminents^ ont vu dans les Hyksos (Arabes suivant Mané- * Moven,I)wPldmttMr, 1 1, p. 3t et 8oiv.-~Ewakl,6Mei^. dtt F. lir. I,p.&^5 el ndr. — Knobel , Dw Vmlkniafitidêr Om«ni, p. ao8 et suiv. — BonseD , Sg^tmu SêtOi, Ihr. m, p. 3 et miv.— Guigniant, R^gkmdêraïUiquité, t HI, 3* partie, p. 834-835. — Leagsgke , J&imoii, p. 363 et saiv. — Bertheau , Zur Gêêek^dêriaraê- 38 HISTOIRE DES LANCfUES SÉMITIQUES. thon , Phéniciens sdon Eusèbe et le Syneelle) nn flot de nomades sémites, qui troabla pour an temps la miiisation égyptienne, et finit par céder à la résistance qu'une société organisée oppose toujours avec succès à la force indisciplinée. Les Phéniciens et les Philistins continuèrent longtemps cette vie de courses et d'atentures, et il n'est pas impossible cpie les Hyksos nous représentent une de leurs invasions dans le pays des Phsh mons K Le nom de Qmu, par lequel les inscriptions hiéro- glyphiques désignent les Hyksos ^ serait dans cette hypothèse identique à D^nn , ancien nom des Ghananéens. La haine des Egyptiens contre la race blonde ou rousse [mu^^Y^ personnifiée en Typhon, s'adressait sans doute à ces hordes sémitiques : plusieurs notns de peuples sémitiques , en effet , paraissent tirés de la couleur rousse de leur teint [Édomite$, Himyarkêê, lin«r, i853), p. Aa, 45, 5s, 53. &0 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. seulement les Hébreux connaissent leur fraternité ave6 les Edo- mites , les Moabites , les Ammonites , les Madianites et les autres tribus voisines de la Palestine ; mais ils savent leur communauté d'origine avec les Arabes ismaélites et les Araméens ; Abram , le haut père, est le lien commun par lequel ils établissent cette parenté, que la philologie confirme d'une manière éclatante ^ Les généalogies du x* chapitre de la Genèse , qui nous repré- sentent l'ethnographie des Hébreux vers l'an i aoo avant J. G.^, ne correspondent nullement , il est vrai , aux divisions que four- nit la linguistique moderne. Mais il faut se rappeler que ce tableau groupe les peuples, non par race, mais par climat; sa base est géographique et non ethnographique ^. Japhet , Sem et Gham y représentent les trois zones, boréale, moyenne et australe ; aucun de ces noms ne peut désigner une race , dans le sens scientifique que nous donnons à ce mot. Pour ne parler que de Sem , entre les cinq fils qui lui sont attribués , Ela^i , ' Gen, XXI II , ao et suiv. xxy, i et suiv. xxt, i a et suiv. — Gonf. Bertheau, iur Geieh. der I$r. p. aïo et suiv. Je ne pois croire, toutefois, que la tradition par laquelle les Arabes se rattachent à Abraham et aux généalogies bibliques ait une valeur historique. Cette tradition n^est, à mes yeux, qu^un reflet de celle des Juifs, qui, dans le3 siècles qui précèdent Tislamisme, exercèrent sur Téducation du peuple arabe une influence si décisive. ' Knobel, Di$VœJhrUrfelderGme$i»,^, k. — Ewald, JahMeher dêr hibUiehên Wmenêchc^ (i85i), III, p. S07. ^ G^est Topinion des meilleurs exégèles: RosenmûUer, Handbuehderlnhl, AUer- ihumskunje, 1 , 1 , 1 Ao et suiv. — Lengerke, Kenaan, p. 908 etsuiv. — Tuch, Kom- mmUar, p. s5a et suiv. •— Bertheau, Ziir G$ieh, dêr /imMl.p.173 etsuiv. — ^Winer, BibU ReabocBrt, II, û/iS , 665. L'erreur principale du livre, d'ailleurs estimable, de M. Knobel est d'avoir méconnu ce principe essentiel. M. Knobel ne semble pas avoir assez compris le vague de la géographie primitive, la manière arbitraire dont s'y faisaient les dassifications de peuples, et les fautes qui doivent s'être glissées dans ces sortes de documents. En général, les anciens manquaient du sentiment ethnographique comme du sentiment linguistique , et leura affirmations en ce genre n'ont de vdeur que par les faits positifs qu'elles nous apprennent et les inductions qu'elles nous permettent de tirer. LIVAE 1. CHAPITRE II. hl t Assor, Arphaxad, Ludet Aram, ce dernier seal est sémitique, dans le sens rigoureux que le mot doit garder en philologie. Elam est probablement le nom de Ylran =■ Atryama, zend Aùjana, dérivé lui-même de l'antique nom de la race indo- européenne, Airya, Aryya^ : la conAision de / et r est dérègle dans les anciennes langues de la Perse ; Iran et Aniran figurent dans les inscriptions de Kirmanscbah sous la forme Ilan%i AnUan ^. Arphaxad est un terme géographique » et n'a d'autre rapport avec les peuples dits aimUiqueê que d'avoir été leur point de départ. Le nom de peuple qui , d'après l'hypothèse généralement reçue, y est renfermé [Arph-Kasd) , appartient à la femille indo-européenne. Les plus grandes obscurités planent sur la signification ethnographique d'Assur et de Lud. — Il est dair, d'après tout cela , que le nom de Sem désignait simple- ment, pour les Hébreux, la région moyenne de la partie du g^obe qu'ils connaissaient' ; ils n'y attachaient aucune idée an- thropologique bien distincte , puisqu'ils donnent place dans la famille sémitique aux Iraniens , avec lesquels ils n'avaient au- cun rapport de race, et qu'ils en excluent les Ghananéens, auxquels pourtant ils tenaient de si près^. ' De U auMÎ Jrak , Airyakû. ( Voy. ie mém. de M. Molier sur le peUvi , Journal anoL anîl i SSg, p. 398 et suiv.) — Zeitiehr^Jur die Kmde des Morgeidandet, III , p.38/i. — Kimik, M^/.Mia<.p.6i9et8aiv. — humouf y Commentaire ^wr le Yaçna, p. &60. — Spiegel, Gramni,der Hunwdresdieprache , p. 9. — Kiepert,dai]Bles Mo" nataberidUe derhœn. preueê, Akad, der Wis$» zu BerUn, déc. t856, p. Gàs , noie. ' Voy. Sacy, Mén. eur kê antiq. de la Peree, p. aàS-s/iA. ' Inutile d*ajoater que, pour ie rédacteur hébreu , ees noms étaient de véritaUes éponymea, oomme ceux que Tethnographie primitive place à Torigine de tous les peuples : Hellen, Dorus, iEoIus, etc. Mais leur valeur géographique n'en estjpas nH»ns réelle. * Peut-être le nom de Coueeh recèle-t^il aussi des peuples sémitiques, rejetés dans ta Êunille de Gham uniquement à cause de leur situation méridionale. Il est certain, dn moins, que dans les pays désignés comme eouêchitee en parle des dialectes sémîtiqnes depuis une haute antiquité. 42 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. » Quant au sens radical des nnu de Sem, de Japhet ei de Ckàm, û est f<^ obscur. M. Knobei et M. Hitâg y trouvent une désignation des races par la couleur, ce qui convient & Cham (noir), mais bien peu à Japhu et k Sem^. M. Ewald y cherche la trace d*une trilogie titanique, originaire de rAnnénie^. D'autres voient dans le nom de Sem un titre hono- rifique (d|^, gloire), analogue à celui des Arya$ (vénérables)^ Buttmann y voyait le nom à'Uranm (stf "- D^itf 1)^. On pour- rait âtre porté à rapprocher ce nom du mot «tfi , par lequel les Arabes désignent la Syrie, et à y voir un simple nom de pays, de même que le nom de Cham paraît Atre le nom pnqiire de TEgypte^, s*il n'était prouvé que le mot #VX est d'o- rigine arabe et signifie en général les contrées du nord, par opposition à {^j désignant les contrées du sud. On comprend maintenant comlnen fut malheureuse l'idée d'Eichhom , lorsqu'il donna le nom de similique à la famille des langues syro-^rabes. Ce nom , que l'usage nous (Alige de con- server, a été et sera longtemps la cause d'une foule de con- fluons. Je répète encore une fois que le nom des Sémites n'a dans cet écrit qu'une signification de pure convention : il y désigne les peuples qui ont parlé hébreu, syriaque, arabe ou ■ Knobei, Di9 VM&titfii dtr Gen$$ii, p. 187 et nûv. — Hilng, dans k iZiilidbf^ ibril. m. G. (i855), p. 7&8. > Gêiek. de$ V. hr. I, p. 378 etsaiv. (e* édit.) M. Ewald Adt iDtervemrdns cette diflduâon Tautorité de Moiie de KborÂne. Maia les récks de cet écrivain ne sont godre qu'on aynerétûme groener des rédU heUéniqoes et InbKqoes quand il s'agît des lemps antiques de rfaistoîre de TOrient. (Yoy. cependant d'Bebtain, Qm/L nslot. mue mi, de$ pMiplêt iémiL p. 55 et soiv.) ' Tuch, KommêfUar ûher die Genmi, p. ao3. — Pott , Dm Unglneklmi mmtêck- K^êr Raêêm, p. 69, note. * Mffthohgutt I, p. 09 1 etsuiv. * GhampoUion, L'Egfpêf $im$ Jm Pkârmm$, I , p. 1 06 et suiv. Grmmn, égfpt. p. 1 52. - Bunsen, /Eg}fptêm StdU in étr Wêitguehiekte , I, p. 598. LIVRE I, CHAPITRE 11. AS quelque dialecte voisin , et nullement les peuples qui sont donnés dans le x* chapitre de la Genèse comme issus de Sem , lesquels sont, pour une bonne partie, d*origine arienne. SU. On reconnaîtra qu'en général nous somntes beaucoup plus porté à resserrer qu'à étendre les limites de la race sémitique. Le domaine de cette race nous paraît singulièrement étroit, si nous le comparons aux immenses espaces que les langues indo^ européennes et touraniennes occupent depuis les temps les plus reculés; à l'heure qu'il est, on peut affirmer que la somme des individus de sang sémitique ne dépasse pas trente millions \ tandis que les langues indo^uropéennes sont pariées par plus de quatre cents millions d'individus. Bien de plus arbitraire que les procédés par lesquels oA s'est habitué à étendre outre mesure le domaine du sémitisme. On parie de couches anté* historiques de Sémites rendus en Asie Mineure, en Grèce, en Egypte, sur tout le littoral de la Méditerranée , sans se faire une idée exacte du sens qu'on doit attacher à ce nom. Certes la présence des Phéniciens est impossible à nier en Grèce et dans les pays voisins. Le nom, si évidemment sémitique, de Cladmus (oip^^^s) cache, on n'en peut douter, une colonie phénicienne ; mais la quantité imperc^tiUe de mots sémiti- ques que nous offirent les antiquités helléniques ne permet pas de supposer une influence sémitique étendue et profonde en Grèce. Le mot Samoa, Sanu, Samothraee, etc. {movf, cdfwus * At«bîe 6 millions. Po(iuhtioii88yrieim08 ei anibet de la Tàrqoie d'Aii6 6 Arabes répandas en ^[ypte , sur les côtes bariiaresques , dans le Sahara et dans le Soudan i o Popaklkms sémitiques de TAbysainie et de TAfrique orientale. S Juifs répandus dans le monde entier A Uà HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ixakoSv ràu^ffii SiraI>on,p. S&S, édit. Gas.^ elle moi ^otutXsis (^t9D?) sont les seuls mots sémitiques qu'on puisse signaler avec certitude parmi les vocables essentiels de la langue grecque. M. Hitzig, dans un article bizarre et paradoxal, mais renfer- mant quelques vues ingénieuses sur les migrations sémitiques, suppose que les Phéniciens de Gadmus ne parlaient pas sémi- tique ^ et M. Ernest Gurtius, dans son Essai sur les Ioniens, semble avoir établi que le nom des Phéniciens couvrit en réalité des migrations de peuplades ioniennes vers Tocci- dent^. L'individualité de la race sémitique ne nous ayant été ré- vélée que par l'analyse du langage, analyse singulièrement confirmée, il est vrai, par l'étude des mœurs, des littératures, des religions , cette race étant , en quelque sorte, créée par la philologie , il n'y a réellement qu'un seul critérium pour recon- nattre les Sémites : c'est le langage. Le type des langues sémi- tiques est d'ailleurs si tranché , et offire si peu de variété , que le doute sur le caractère sémitique de tel ou tel idiome , même peu connu, ne saurait jamais être de longue durée. J'ose dire qu'il n'y a pas de race plus reconnaissable , et qui porte plus notoirement sur le front son air de famille. Toutefois, comme des opinions différentes se sont accréditées sur ce sujet, et que d'ailleurs il importe de marquer certaines limites avec plus de précision que nous ne l'avons fait jusqu'ici , nous allons dis- cuter les frontières des langues sémitiques sur les trois points par lesquels elles confinent aux langues indo-européennes et chamitiques : i"" du côté de l'Asie Mineure et de l'Arménie, â° du côté de l'Assyrie et de la Perse, 3*" du côté de l'Egypte. ' Die lamêrvor der lomichw Wtmdenmg (Berlia, i855), p. i3-iÂ, ao-fii y 55-56. LIVRE I, CHAPITRE IL A5 li est vraisemblable que la race sémitique , cantonnée d'a- bord dans les montagnes de TArménie et de la Gordyène, ne se sera pas déversée exclusivement vers le sud, mais qu'elle aura jeté bien des rameaux vers Touest, sur le versant septen- trional du mont Taurus. Gela est vraisemblable, dis-je, mais au fond rien ne l'établit d'une manière historique. Il est impos- sible de montrer en Asie Mineure, au nord du Taurus, une trace manifeste des langues sémitiques. Les suppositions de Bocbart\ d'Adelung^, de Heeren^à cet égard , sont bien peu fondées. M. Paul Bœtticher^ a recueilli les mots mysiens, phrygiens, lydiens, cariens, cappadociens , pontiques, paphla- goniens , ciliciens , bithyniens qui se trouvent dans les auteurs grecs et latins , et semble avoir prouvé qu'en général ils appar- tiennent à la famille des langues ariennes. Plus récemment M. Lassen, dans un savant mémoire, a repris la même dé- monstration et lui a donné un véritable caractère de certitude scientifique». Déjà Fréret, dans le mémoire justement célèbre où il a si bien entrevu l'unité de la famille indo^uropéenne , avait éta- bli que les langues de la plupart des peuples de l'Asie Mineure appartenaient à une même famille ^ Son raisonnement, bien que faible sur certains points, mérite d'être reproduit. — Stra- bon affirme que le fond de la langue des Garions, qu'Homère * Chanaan, p. 535. * Mùkridate, tll, p. UU. ' De Umguiê impmifeniei , in CommenL àoc. GoUing. Cl. phitol. et histor. t VIII , p. «3 et Boiv. ^ Ariea, Habe, i85i. (Voir l'ouvrage anonyme Zvr Ikgeêchiehie der Arme- mer, Beriin, i85& , p. 36 et suiv. et la diésertation de M. Goache, De ariana Un- gwegeniùqveiarmemaemindole{BeïMa, i8&7),p. Sa etsuiv.) * Zeiteehr^ der d. m. G. (i856), p. 36A etsniv. (Cf. A. Maury, HiëUnredeere' kg. de la Grèce antique, I, p. 3s et suiv.) * Ètém, de VÂcad. de$ inecr, ei beUee-lettres , t. XLVII, p. 98 et suiv. 46 HISTOIRE DBS LANGUES SÉMITIQUES. appelle ^ap€api^ûHnt S était un grec baiiwre'. Or Hérodote nous apprend que les Garien8 , les Mysiens et les Lydiens étaient ipe^Xvvvw '• Voilà donc un ppemiér groupe rattaché aux lan- gues belléniques. -^ D'un autre c6té, Hérodote regarde les Phrygiens et les Arméniens comme frères, et nous dit (pie dans Tannée de Xerxès ils ne formaient quW seul corps commandé par les mêmes chefs ^. Eudoice noos apprend de plus que ces peuples parlaient des dialectes fort ressemblants entre eux : T^ ÇoMf^ nfoXkà (PfvylifiWTiv y dit41 en parlant des Arméniens ^. Enfin Strabon caractérise ainsi, d'«^rès d^anciennes autorités, la langue my sienne : VLil^ÏjiStAw «ta»^ wà iu5o(Pp6yiov^. De toutes ces affinités, Fréret conclut qu'une seule famille de lan- gues a été pariée depuis TArménie jusqu'aux rivages les plus occidentaux de l'Asie Mineure, et qu'elle se rattachait à la fa- mille étendue dont la langue grecque eUennéme n'était qu'un rameau. Lés recherches plus récentes de l'ethnographie n'ont rien révélé qui contredise essentiellement ces résultats. Sans doute elles ont montré des nuances où Fréret ne voyait qu'unifor- mité; mais, à part quelques remarquaUes exceptions, l'Asie Mineure est restée arienne dans son ensemUe. Gesenius a démontré que la Gappadoce et le Pont jusqu'à l'Halys, où Bo- chart et les anciens ethnographes voulaient voir des Sémites, en s'appuyant surtout du nom de \sux6 Stnb. Géagr. liv. XIV , p. 455, édit Gasaub. ^ H^iod.1, 17t. * M. VU, 73. ^ Eadox.apiid Steph. Byi. v. kp^upia, • P.SgS.éditGamub. ^ Genchi^iê dtr hétr. Spr, S & , p. 4-5. LIVRE I, CHAPITRE II. 47 M. LaBsen a établi d'une man^re pins précise le caractère arien des mêmes régions ^ La Pbr^e est également une partie do monde arien ^. Entre les nombreuses preuves qu'on en pourrait citer, je me bornerai à u^e seule : on lit dans Hesy^^ chius : Bayaioç* Zeàf (Ppiytof : peut^n méconnaître là le Baga (dieu) de l'ancien persan, le Bog des Slaves'? Le Birè- ofntiie, qui semble identique au Berezant ou montagne sacrée du Zend-Avesta , est un lien de plus «atre les Phrygiens et les Iraniens. Enfin, selon une hypothèse très-vraisemblable, les Briges sont identiques aux Bhrigous des Védas ^, et appar- iMment par conséquent à la souche arienne la plus pure. — Quant aux Bithyniens, aux Maryandimens et aux Paphlago- Biens , leur affinité avec les Thraces , qui étaient certainement ariens ^, est attestée par toute l'antiquité. L'identification des Lydiens avec Lud, fils de Sem , est assez douteuse ^ et d'ailleurs la catégorie biblique des Sémites ren- fermait des peuples qui ne pariaient pas les langues dites «f- miiiqmi. M. Bœlticher'' croit distinguer en Lydie deux couches de population, l'une arienne, l'autre s(toitique. A celle-ci appartiendraient les noms de Sodyattes, MyaUe$, Alyattes, dont la physionomie sémitique est en efiet trèfr-frappante. Les deux mots Apiiia (ann) «montagnes» et kSaxXtfç « prêtre t» pa*- raissent également sémitiques. M. Lassen explique par des emprunts plusieurs autres mots donnés pour lydiens et qui > ZmUtknfidi8rd.m.G. (i856), p. 376-378. * IM. p. 368 et 8uiv. ' IbiL Cf. Pott , EtfmoL Fonek. I, p. ui? 11 et s35hi36. ^ Linglob, Mém. de VAead. à» tnf«r. H hjXkê-UfUm , t XIX , 9' part. p. 339. ^ LuMD, loe. àu p. 367-368. * Todi , K ZnUehr^ derd.m, G. (i856), p. 389-386. * Voyez M. Niébuhr, Geichichiê Aêmrê tmd Babel» (BerKn, 1867), p. iSg «t suivaDtes. ' Die Phœnkier, I, p. 17 et suiv. ^ Zw Guch. der Itr. p. igS. » ZnUehr^ der d, m. G, (i856), p. 38o-38s. * Ué)er die Karer und Leleger, dans le RheinUehet Musewn , III '( 1 835 ) , p. 87 el suivaDtes. ^ Die YœJkertafel der Genetie, p. 98 et suiv. ' Queêtions relatives OMix aniifuitée dee pevple$ eémUiqueSj p. 37-38, 66, et Rimte archéologique (1857), p. Sai et suiv. 38 1 et suiv. ^ L'o|Mnion de M. Maury {Hiet, des reUg, de la Gr. aiU. I^ 95) sur la cor- rection à^Ôffoyé en Ùiy<& R*est pourtant pas admissible; le nom OCOrû est fré- quent dans les inscriptions de Mylasa. (Le Bas, Voyage archéolog. Inscript III, p. 1 1 3 et suiv.) LIVRE I, CHAPITRE IL 49 fluence phénicienne en Carie pour expliquer bien des faits dont il serait difficile de se rendre raison , si l'on n'admettait dans ce pays qu'un élément purement arien ^ Le nom de Mot^- (nik&s^ qui parait avoir été le nom commun des souverains de la Carie ^ s^explique bien par h^\0 (â KimM, p. a3o-a3i. — Movers, L I, p. i3 et suiv. t II, ii, p. 170 et suiv. — Lasseo, p. 379 et suiv. 386. « Hom. IL VI, 18&; Od^. V, 98s. * Steph. Byi. v. ÏUmêia. * Omira Apitm. I, as. — Euseb. Prép. Eoang. IX, 9. Inutile d'ajouter que Ti- de&tîfication que les Jui& essayaient d'établir entre les Solymes et les Hiérosoly- miles est dûniérique. ( Gonf. Tacite , BUl V, s. ) ' Movers, op. eit, I, i5-i6. — Knobel, op. eit, p. s3o-s3i. — Lassen, toc. ett. p. 363, 386. — Hitzig, dans la ZeiUehr^ der d. m. G. (i855), p. 731 et suiv. A côté de vues ingénieuses, ce travail de M. Hitzig renferme des rapprochements bien hasardés. I. U 50 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Lycie. La langue lycienne toutefois n^appartenait pas à la fa- mille des langues sémitiques. Il résulte du déchiffrement des inscriptions lyciennes, récemment donné par M. Lassen ^, que ces inscriptions sont conçues dans un idiome arien peu éloigné du grec , ce qui semble confirmer l'opinion accréditée sur l'ori- gine Cretoise du peuple qui les a tracées. La Pampbylie paratt également avoir été envahie par des races helléniques ^. La Gilicie , enfin , fut d'abord un pays sémitique , et ne fut con- quise f par les Grecs , qu'à une époque relativement moderne '. Peut-être faut-il chercher en Cilicie les Érembês d'Homère^, dont le nom rappelle celui des Araméens ^d*ik ^, et que Lycophron semble placer dans ces parages ^. Un témoignage plus positif est celui de Strabon, qui nous apprend que la Gilicie fut d'a- bord habitée par des Syriens''. L'étymologie que Hamaker proposait pour le nom de la ville de Soles (stVd) est confirmée par des rapprochements significatifs ^. Les monnaies de Gilicie forment, dans la numismatique phénicienne, une classe à part^, et accusent, dans ce pays, un développement sémitique ' ZêUiéhr^ dtr (2. m. G. ( i856) , p. 3 99 et saiY. L^9Iplicadon des inscriptions lydennes à Taide du sémitique, proposée par Saint-Martin {Journal dn SammU, avril 1831, p. s/i3-a/^&), n^a rien de satisfaisant Les plus importantes des ins- criptions lydennes ont été découvertes par M. Feilows : An aeewni (jfikeonmi» m lâfcia; London, 18&0. * Zntêànr^ cfer (2. m. G. (i856), p. 38A-385. ' Movers, Dis Phœmaierj II, 11, p. 169 et suiv. — Lassen, loc. «ttp. 385-386. « Otjytt^, lY, 8Â. ^ Strabon, i. I, p. s8 et suiv. L Xm, p. &3i, édit. Gasaubon. On disait de même Xiftâ^ pour Xififus . * Ahxamàray v. 827, édit Dehèqne. ' Strabon,!. XIII, p. &3i. ^ Hamaker, MûeeU, phcsn, p. S79 et suiv. — Cf. Mûlier, Geogr. gr. mm. I , p. 3. ^ Gesenius, M(mMm.phœn, p. 976 et suiv. — DeLuynes, Eêêm$ur lamimigma- tiquê de$ tatrapiêi (18&6), p. 55, etc. — F. Lenormant, Cahinêt du hitron Behr, p. ii3 et suiv. i55 et suiv. LIVRE I, CHAPITRE II. 51 particulier. L'tle de Chypre» par suite des nombieuses migra- tions chananëennes, fut aussi pour un temps une terre sémi- tique^. Gittium et Amathonte étaient des villes phénieiennes ^. Nous n'avons pas à nous occuper ici des colonies que les Phéniciens répandirent dans toutes les régions maritimes con- nues des anciens. Ces colonies, si Ton excepte celles qui cou* vrirent la côte septentrionale de TAfirique, n'eurent jamais le caractère de véritables faits ethnographiques, et ne fondèrent nulle part un établissement définitif de la race sémitique. M. Movers, auquel on ne peut contester une vaste érudition, mais qui paraît ne posséder que médiocrement le sentiment de la philologie comparée, et même, comme la fait observer M. Ewald, le sentiment spécial de la philologie sémitique, a exagéré l'importance des migrations chananéennes. Les traces de mythes phéniciens , qu'il croit reconnaître dans presque tout le monde méditerranéen, sont souvent chimériques et appuyées sur des étymologies superficielles, à la manière de Bochart. Les transmissions de mythes sont toujours fort difficiles à dé- montrer, à cause de l'identité de la nature humaine , qui s'ex- prime en des points divers par des conceptions analogues. Les Phéniciens, d'ailleurs, ne nous apparaissent pas comme un peuple doué d'un grand prosélytisme religieux. Garthage nous donne la mesure de ce que pouvait devenir une colonie phé- nicienne placée dans les meilleures conditions; or on ne voit nulle affinité entre la physionomie de la civilisation cartha- ^ Moren, Die Fhcnnziêr, 1 1, p. is-i3; t. II, i'* part p. 77 ; 9* part p. so3 et tm, — De Liiyiie8,iViHtiMffNali^ et imer^tioM eypno(M(i85a), et E$$ai mtr Im mmuMmatifiiê de$ êotrajpm , p. 89 , 1 1 o et suiv. ^interprétation de rinacription qpriole d'Idaiie donnée par M. E. M. Rceth (Dm IVoiUanialion dm Anums; Paris et Heîdelbei|[, 1 855) ne mérite ancone attention. (Voyei ia critique dé M. Ewald, dana lee GigtL gêi Âsn, 5 nov. i855.) ' Geaenius, Momim. phem, p. 199 et suiv. — Hesychius, v. MaUimc. 6. 52 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ginoise et ie rôle que les Phéniciens auraient joué dans le monde égyptien et hellénique « selon les vues que nous com- battons ici. Ce que nous avons dit de TAsie Mineure s'applique à TAr- ménie. Depuis les temps historiques, TArménie nous apparaît comme une terre arienne, bien qu'elle ait dû être le séjour primitif des Sémites. Togarma , Féponyme biblique de l'Armé- nie, est clairement rattaché aux races du Nord [Gen. x, 3)^ La langue arménienne , sur le caractère de laquelle on avait d'abord pu hésiter, est maintenant rapportée avec certitude au groupe des langues indo-européennes'. L'hypothèse de M. Las- sen' d'après laquelle une division spéciale de la famille indo- européenne devrait être créée pour l'Arménie , la Gappadoce , la Phrygie , le nord de l'Asie Mineure et la Thrace , me paraît avoir pour elle toutes les probabilités. Les analogies que Po- sidonius * voulait trouver entre les Syriens et les Arméniens pour la langue , les moeurs et la physionomie , étaient sans doute de ces ressemblances superficielles par lesquelles les géogra- phes anciens, privés de l'instrument de la philologie, étaient si souvent induits en erreur. Autant les Sémites ont peu rayonné sur les populations indo- européennes de l'ouest et du nord, autant celles-ci ont peu entamé le terrain proprement sémitique. Un mur, tracé sans doute par la nature du sol et du climat, semble avoir existé jusqu'au iv* siècle avant l'ère chrétienne entre le monde sé- mitique et les Ariens d'Asie Mineure , de Grèce et d'Italie. La ' Cf. Popiucule anonyme Zur Vrgeêeh, der Arwêmêr (Beriîn , 1 85 A ) , p. 36-37. * Neumann^dans hZêUachr^firiiêKmidêdeêMifrgmlandêiy 1, 9&9. — Peter- mann, dans Ritter, Erdkundê, X, p. 679 et sniY. — Gosche, De oriana Unguagm- HiquÊ armmdacœ ûMê ; Beriin, 18&7. ' Zntêeh. der d. m. G. (i856), p. 365 , 386 etsuiv. — Cf. Goeche, op. ctl. p. 57. ^ Cité par Strabon, p. 98, édit Gannbon. LIVRE I, CHAPITRE II. 53 question d'une intrusion des races de l'Occident parmi les Sémites ne peut être agitée qu'à propos des Philistins ^ De graves raisons ont pu faire croire que cet intéressant petit peuple, qui a exercé une influence si décisive sur la nation juive, et, par conséquent, sur les destinées du genre humain, n'était pas sémitique. Une hypothèse très-vraisemblable, adoptée par les meilleurs exégètes et ethnographes, Rosenmûller, Gesenius, Tueh, Hitzig, Bertheau, Lengerke, Movers, Ëwald, Munk^ les fait venir de Crète. Le nom seul de ntr^D (ÀXX^Xof ) in- dique une origine étrangère ou de longues migrations , et rap- pelle celui des Pélasges. Plusieurs fois ils sont appelés dans les écrivains hébreux D^n^^ [ISam. xxx , i /i ; Soph. ii , 5 ; Ézéch. xxv, 16), mot où l'on ne peut se refuser à reconnaître le nom des Cretois. Ailleurs (Il&im. xx, a3; II Reg. xi, &, 19), ce mot parait s'échanger contre celui de n3(Cariens?), pour désigner la garde du corps des rois de Juda : on sait que les Cariens étaient alliés aux Cretois, et jouaient comme eux dans l'anti- quité le rôle de mercenaires'. Les traditions hébraïques sont du moins unanimes pour faire venir les Philistins de l'île de Caphtor^y mot vague qui , conune les noms de Kium, de Tharm * On ne peut que meattonner le système bisarre de M. Hitzig sar une popu- latioii «rienne, primitivement établie en Syrie. (Znttchryï dméLm, G. (i85&), p. aog etsniv. (i855),p. 7Â7 etsoiy.) * Hitâg, UrgêêehkJUe wnd Mifthologiê der FhiUiUnr (Leipzig, i8Â5), p. \h et smY. — Gesenios, Thfoniru» ,9xxt mots liriD3 , ^ri*13 , etc. — Ewaid , GeMchUiUê de» Foflbn Ifrail,I,p. SaS etfluiv. 9* éd. — Bertheau, Zur Ge»ehichteder itroalp. 186 et iaiv. — ^Movere, Dm Phcnûziir, I, p. 3-& ,10, 97-39, 33 et saiv. 663. — Tuch, KùmmmUar i&er Oê Gmi9$. p. a&3. — Lengerke, £0110011, 1, p. igS et suiv. — Kno- hd^Diê YitUksrUifêl der Gmaii, p. 91 5 et soiv. — ^Monk , Palutine, p. 89 et soiv. (Voir eqpendant les observations de M. Quatremère, /oum. dei Sa», mai i8à6.) ' Ewaid, Geêck. I, 995.— Wîner, Bibl Beabo. art. Kretki tmd i^tlU.— Bei^ theao, Zir Gtiek, dur I§raêl, p. 807, 3i3 et soiv. * Le chap. x de ia Genèse , v. là , semble les ftdre venird*Égypte ou du pays des \ 5& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. et $Ophir, n^offirait aux Hébreox d'autre idée que celle d'un pays maritime et lointain. Le mot CofktoTy il est vrai , corres- pond assez bien à celui de Ki$9rpo^. Mais quand on voit les Hébreux désigner en général toutes les fies et les côtes de la Méditerranée par Kitim (nom propre de la ville de Cittûcm dans rtle de Chypre) et Tharns (la colonie phénicienne de Tartesse en Espagne), on admet facilement qu'ils aient pu ap* pliquer le nom de ftle de Chypre à bien d'autres tles et en particulier à la Crète ^ Etienne de Byzance^ nous présente la ville de Gaza comme une colonie Cretoise. La singulière ex- pression Kreihi etPlethi, désignant les gardes du corps du roi David, s'explique dans cette hypothèse. David, qui avait fait un long séjour chez les Philistins , et qui paraît leur avoir em- prunté toutes ses idées d'organisation mflitaire , aura très-bien pu se former une garde d'étrangers pour réussir dans son projet de soumettre toutes les tribus à celle de Juda. Pîethi serait une abréviation de PUêchihi, et les deux mots auraient été réunis par un de ces jeux de sons si recherchés du peuple*. Quant à la langue des Philistins, il faut avouer que presque tout ce qui nous en reste s'explique par les langues sémi- tiques; en particulier par l'hébreu : m?, 3^3r^?3, |131^; quel- GMMwk Maïs il est probable qa*il y a en cet endroit une transposition, et rt bien pu être ap- pliqué à me de Crète. Cette explication est du moins aussi probable que celle de M. Ewald, qui voit Capbtor dans KvSAp on Gydonie. . * Aux mots VVie de S. Hilarion , dans Rosweyde , Viia PiÉiM, p. 77 etsoÎT. — Gonf. Selden, DediMMyriê, p. i&i; Amsterdam, 1680. ' Geseniiis, Gœk. âtr ktbr. Spr. p. 55. — Ewald ,Le. * OrgmehkklÊ und Mythologie à&r FhUiêkBor, p. 33 et suiv. * Bertheaa, Zmr GoieL dor br. p. 190 et suiv. — Leogerke, Kenaan, p. igSet suiv. — Moven, Di» Fhmmxmr, I , p. 10, 97, 33; II , 11 , p. 1 7-9 1 . — Ewald , Gesch, ém F. Inr, I , p. 3s9 et suiv. a" édit. 56 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. tinent^ Souvent même on rapporte à ces hordes de Sémites errants Tinvasion de TEgypte par les Hyksos^. Ce sont là, je Tavoue, des hardiesses qu'il ne me paraît pas bon d'imiter. Quand Wk voit des hommes aussi habiles que MM. Hitzig, Mo- vers, Quatremère soutenir, le premier, l'origine arienne;. le second, l'origine sémitique; le troisième, l'origine africaine des Philistins, et expliquer le petit nombre de mots qui nous restent de leur langue par le sanscrit, l'hébreu, le berb^, la défiance est naturellement commandée. S'il fallait cependant énoncer une conjecture, je dirais que l'antipathie qui ne cessa d'exister entre les Philistins et les tribus sémitiques environ- nantes, leur système politique et militaire, si profondément dis* tinct, feraient croire qu'ils n'appartenaient pas à la même race\ Il sembla que les idées nouvelles de gouvernement qui se font jour avec David dans l'esprit des Israélites, et qui sont fort opposées à l'esprit général des Sémites, provenaient en partie des Philistins. ■ s m. La frontière orientale des langues sémitiques n'est pas fa- cile à déterminer. Comme , dès la plus haate antiquité , il s'o- péra sur les bords du Tigre un grand mélange des races sémi- « i Ody$9.m,ig^\IUad.yU, i35.->Hérod.I,7.— ApoUod.II,▼l,3.Lelap^ Ce livre, qui n^est qae du n* siècle avant Père dirétienne, n*a, il est vrai, aucune autorité historique; toutefois, son té- moignage a de la valeur pour nous attester un fait qui fut longtemps caractéris-â tique de h Babylonie. 58 HISTOIRE DES LANGUES SÉMiTIQUES. date appréciable. Lliistoire ne commence pour elles qu'au moment où les Térachites passent l'Euphrate et devîmnent Hébreux (ceux d'au delà). On peut donc envisager la race sé- mitique comme indigène dans le bassin supérieur du Tigre, en conservant à ce mot le sens relatif qu'il 'doit toujours garder en ethnographie. Le type des Ghaldéens modernes on Nesto- riens paraît fort analogue à celui des anciens Assyriens , tel qu'il résulte des monuments figurés^. s^ A une époque également anté-historique , nous rencon- trons sur le Tigre et le bas Euphrate une race qui paratt étran- gère aux Sémites , les Gouschites , représentés dans les souvenirs des Hébreux par le personnage de Nemrod (Gen. x, 8-i^)^ et dont le nom se retrouve peut-être dans celui des D^n)3 ou Cuthéens, des KtaaiOi d'Hérodote, des Kùtraaioi et du Khou- ziêtan actueP. Tout porte à croire qu'identiques aux Géphènes, auxquels la tradition grecque attribuait la fondation du pre- mier empire chaldéen^, ils procédèrent du sud au nord, et se portèrent de la Susiane et de la Babylonie vers l'Assyrie. Ba- bylone, Ninive, plusieurs des grands centres de population groupés autour de Ninive et que les explorations récentes viennent de rendre à la lumière , durent à ces peuples leur première fondation. Le caractère grandiose des constructions babyloniennes et ninivites, le développement scientifique de > ¥oy. Nott et Giiddon, Indigmwui raeeê of tkê Earlh, p. 1&7. * Probablement VAmereUU da zend, le Merdad da persan. (Gonf. Bœtticher, Ariea, p. 17; Budim.mytk, iemit. p. 19-90.) ' Movers, Dm Pkœmzier, t. II, i" partie, p. 969, 976, 98& et sdv. t. II, 9* part p. 10&, io5, 388. — Knobel, DiêVœlkerUtf$l der Genê$iê, p. 95 1,339 ^ suiv.— D^Eckstdn, dans VAthenœwnJrançaii, 99 avril, 97 mai, 19 août i856; éiQueêUrelêt, aux ont dn peîq>h» iénùt, p. 1 7 et suiv. p. 98 et suiv. p. 39 et 6uiv. ^ Cf. G. MûHer, Fragm, hût grœc, I, p. 67. — M.Niebuhr, Ge$ch.A§êwr$ tmd Babeb,^, 5ii-5i9; Berlin, 1857. LIVRE I. CHAPITRE II. 59 « la Ghaldée, les rapports incontestables de la civilisation as- syrienne avec celle de l'Egypte^, auraient leur cause dans cette première assise de peuples matérialistes , constructeurs , aux- quels le monde entier doit , avec le système métrique » les plus anciennes connaissances qui tiennent à Tastronomie, aux ma- thématiques et à rindustrie^. Ces conjectures sont, du reste, en accord avec les travaux de M. Oppert sur les inscriptions babyloniennes et avec les redierches de M. Fresnel sur les langues de l'Arabie méridio- nale. Tous deux sont persuadés que la langue des inscriptions babyloniennes est un dialecte sémitique analogue au dialecte du pays de Mahrab, situé au nord-est de THadramaut. Or le dialecte du pays de Mahrah semble représenter un reste de Tancienne langue de Cousch. M. Fresnel conclut de là que c'est en Arabie qu'il fautchercher le point de départ des Gou- schites de Nemrod'. Si ces hypothèses sont confirmées par un plus mûr examen , il faudra créer un groupe de langues sAnt- hqueê-^ouâchitei , renfermant l'himyarite, le ghez, le mahri, la langue des inscriptions babyloniennes. Mais, dans l'état ac- tuel de la science , il serait prématuré d'adopter à cet égard aucune formule définitive. 3* Les noms ^Arf-Kaid, Axcr-Kasâm, donnés au pays d'où sortirent les Sémites hébreux; le nom de Koid, qui est mis de nouveau en rapport avec eux [Gm. xxii, as), semblent indi- quer qu'au moment où cette grande émigration se dirigea vers le sud, l'Assyrie proprement dite et la Gordyène étaient déjà > Cuoî. Kmnk, Mêwngn anatiqws de PAead. de Samt-Pétenb. 1 1, p. 5o6 et mnr. 5i s et soiv. — Lepsns, EiMtung zur Chronologie der ^gypter, I (Berlin , i838),p. 1S9 et sniv. * BokUi, Metrologieeke UtUemidmmgen; Berlin, i838.~-BeriheaQ , Zm- Geeeh, der imrûeHUmt p. 99 et sniv. ' /nm. oMol. juillet 1 853 , p. 38 et suIy. 60 HISTOIRE DBfi LANGUES SÉMITIQUES. occupées par les Kasdeis ou Ghaldéens primitifs, que tout porte à rattacher à la race arienne. Nous reviendrons sur ces Kasdes, quand nous les retrouverons, non plus à Tétat de montagnards à demi barbares , mais à l'état de dominateurs de l'Orient , sur toute la ligne du Tigre et de l'Euphrate. b^ Peu après Témigration des Térachites , à l'époque d'A- braham , c'est-à-dire deux mille ans environ avant l'ère chré- tienne , nous trouvons déjà les Iraniens sur le Tigre et dans la plaine de Sennaar. Ariok, roi d'Ellasar^; Amraphel, roi de Sen- naar, alliés de Kedar-Laomr, roi d'Elam (Iran), et de Thédal, roi des Gcjm ou païens (Gen. ch. xiv), semblent porter dans leur nom la trace d'une origine arienne^. Ces rois nous appa- raissent déjà exerçant leur suzeraineté jusqu'au cœur du pays de Ghanaan, où il n'y avait encore que peu de Sémites', et vaincus par la fière et puissante tribu d'Abraham , qui campait dors dans ces parages. — Les noms de Tigre et de Fhrai sont iraniens et non sémitiques \ Les noms des plus anciennes dynasties fabuleuses des rois d'Assyrie et de Bab^one, tels * Larisêa, maintenant Nîmroad , près de Moasoul , sdon M. Quatremère (/oitm. dei Sa», 18&9, p. 568, 6o5 et suiv.). Je préfère ndentifier avec JLaXaedp. (laî- dori Gharaœni Mamùmet parthicœ , p. a5i, edit MiUer.) Près de là se trouvent la plupart des villes du primitif empire d^Assyrie : n^73 «^ TLaXûtphns on Uptva; n 7D =XetAa ou KéXûovtç, {Gm, x, 1 0-1 1 ; Idd. Char, ibid.) * Knnik , Mélanges atiatifuti, 1. 1 , p. BsS , 61 1 et sniv. Les ëtymoldgies don- nées pa» M. Kunik ont été contestées par M. Spiegel (Miinehener GMurte in- zeigm, 96 sept. i856) et par M. A. Weber (commmiication particulière). L'ex- plication d*A!marapàla, proposée pour ^mrapW, parait devoir être abandonnée. Mais Ariok = Àryaka doit être maintenu; Tétymologie sémitique que M. Spi^gd y substitue est inadmissible : le suffixe h n^est pas sémitique. ' Les peuples qu'ib ont à combattre sont avant tout les Refaîm , les Zouzim , les Émim, non sémitiques. (Voy. les observations de M. Tuch, dans la Zeitêchrift der 'D, M, GêielL 1. 1, p. 1 61 et suiv.) * Bumouf , CommenL êur le Yapnà, I , addit. p. CLxxxiet suiv. LIVRE I, CHAPITRE IL 61 qa^Arius, Arwmts, Miàtrœus, Otiartis, Ximthrus, sont également ariens^, 5* D'Abraham jusqu'à la première moitié du viii* siècle avant Tère chrétienne, c'est-à-dire pendant près de douze cents ans , le plus profond silence règne dans les annales hébraïques sur les états du Tigre et du bas Euphrate. Pendant tout ce temps les relations dlsraël sont exclusivement bornées à TÉgypte , à la Phénicie et à la Syrie de Damas. Tout à coup , sous le règne d'Osias, roi de Juda; de Menahem, roi d'Israël; à l'époque brillante d'Amos, d'Osée, d'Isaie (vers 770 avant l'ère chré- tienne), apparaît dans l'histoire des Sémites une puissance formidable, dont rien jusque-là n'avait pu leur donner une idée. Les écrits d'Isaîe nous attestent eu plusieurs endroits l'étonnement et la teireur que causèrent tout d'abord aur pe- tits états sémitiques , qui ne connaissaient d'autres guerres que des razzias, cette redoutable organisation militaire , cette vaste féodalité qui faisait tout aboutir à un même centre, cette science de gouvernement qui leur était si complètement in- connue. On sent, au premier coup d'œil, qu'on a affaire à une autre race , et qu'il n'y a rien de sémitique dans la force nou- velle qui va conduire le sémitisme à deux doigts du néant. A Ninive, le contraste est plus frappant encore. C'est une immense civilisation matérielle, dont la physionomie ne rentre nullement dans le type général de l'écrit sémitique. La vie sémitique se présente à nous comme simple , étroite , patriarcale , étrangère à tout esprit politique ; le Sémite n'est pas travailleur ; la pa- tience et la soumission que supposent chez un peuple des constructions comme celles de l'Egypte et de l'Assyrie lui man- quent. A Ninive , au contraire , nous trouvons un grand déve- ' Kmiik, HUUmgn mUu, 1 1, p. 61a, 69s, 6B0. — Gonf. Mnller, Fragm, Atft grme, III, 6s 6. 62 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. loppement de civilisation proprement dite, une. royauté ab- solue , des arts plastiques et mécaniques très-avancés , une ar- chitecture colossale 9 un culte mythologiipie qui semble em- preint d'idées iraniennes , la tendance à envisager la personne du roi comme une divinité , un grand ei^rit dé conquête et de centralisation, A défaut de la langue, peut-être à jamais perdue, de ces conquérants^, si nous étudions leurs noms propres, nous n'hé- siterons pas à les déclarer étrangers aux Sémites. Rien n'est si facile à reconnaître , au premier coup d'oeil , qu'un nom propre sémitique : or les noms nouveaux qui frappèrent pour la première fois l'oreille des contemporains d'Isaîe , les noms de TéglathrPUùer, de Sanhérib, d^Asarhaddon, échappent à toutes les lois qui s'observent dans les noms hébreux, phéniciens, syriaques, arabes^. Les tentatives d'Eichhorn, d'Adelung, d'OIshausen, pour expliquer ces noms par les langues sémi- tiques , ont complètement échoué. Lorsbach , Gesenius , Bohlen, en les tirant du persan , ont été bien plus près de la vérité , quoiqu'ils n'aient pas toujours porté dans cette analyse la ri- gueur désirable '. Plusieurs noms de rois assyriens , conservés par Eusèbe et le Syncelle, sont médo-perses^. On est porté à croire , par conséquent , que la dynastie qui éleva à un si haut ^ Les prophètes (1«. xxtiii« ii;iixiii, 19; Jér, v, i5; ïkutér. xxnii, hg) prételUent les peuples de T Assyrie et de Babylone comme des peuples dont les Juifs n'entendent pas la langue; mais ces passages n'ont pas asseï de précision pour qu'il soit permis d'en tirer une conclusion arrêtée. * Ewald, Geêek, de» Fofikef hnutly t III , i" part. p. 399-300. — Winer, Gram" matikdeê bibl, und targmn, CAaU. p. 1 et 9. ' Cf. Gesenius, GeÊeh,der htbr, Spr, p. 6s etsuiv. The$. passim. — Knobel, Die VœlkerUifelf p. 156-167. ^ Euseb. OiÊ^m, arm, i'* part p. 98 et suiv. édit. Aucher. -^ Georgii Syncdli C^ironogr, p. to3, 307, etc. Paris, 1669. LIVRE I, CHAPITRE IL 63 d^é, au vm* siècle, la puissance de Ninive était d'origine arienne^. 6* Quelques années après l'apparition des rois de Ninive dans les affaires de l'Asie occidentale, vers le milieu du vn^ siècle, une dynastie, qui offre avec celle de *Ninive des croisements souvent difficiles à démêler, nous apparaît à Ba- bylone. Jl est probable que ces deux dynasties n'étaient que les deux branches ,tantAt séparées, tantôt réunies, d'une même race qui régnait alors sur le Tigre et le bas Euphrate. En effet, les noms des rois assyriens de Ninive et des rois de Babylone conservés par les historiens hébreux appartiennent à une même langue. La physionomie de ces noms et les procédés de com- position sont identiques de part et d'autre; souvent, ce sont les mêmes mots qui servent de composants. Ainsi on retrouve dans les noms propres des deux nations les mots idk'7D , idk ou itH , pKit et pK. Ces analogies semblent indiquer que la dynastie régnante de Babylone était proche parente de celle de Ninive , et que les questions relatives à la langue et aux anti- quités des deux peuples à cette époque doivent être réunies. Il est remarquable, cependant, que les noms de dieux, Nebo, Nergal, Merodak, Bal, ne se trouvent que dans la composition des noms babyloniens. Or, parmi ces noms, celui de Merodak, qui entre dans la composition de tant de noms propres, Sisir- moriak, Mardokempad, EpUrMerodak, etc. est certainement ira- nien, n faut en dire autant des noms de dignités de l'empire assyro-babylonien , nno , itho , d^^sd , etc. dont plusieurs con- tinueront à être employés sous la dynastie achéménide. * M. Glnrdsolinm^ëcritqa'ileBt arrive, par Texamen de VAgrietiUmn naba- UÊtmtf à proaTer que la ciaaae aristocratiqne de Ninive n*ëUit pas sémitiqae, mâb que le îanà de la popalalioa Tékait (Gonsulter avec réserve M. Niebuhr, Geêck, ÀÊtmn und B^tbA , p. tkS et aoiv. ) 6& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. " 7° Au vu'' siècle , un nom que nous avons déjà trouvé dans les souvenirs les plus anciens des Hébreux, celui des Kasdim ou Cfaaldéens , reparaît tout à coup, après quinze cents ans d*oubli , dans les affaires de l'Orient. La pkis grande obscurité plane sur les circonstances qui amenèrent ce peuple à régner à Bâby- lone^. Quoi qu'il en soit, dès la fin du vn* siècle, le nom des Kasdim est indissolublement lié à celui de Babylone, «t à peu près synonyme de Babyloniens et même quelquefois A* Assyriens^. Ezéchiel (chap. xxiii) les représente comme vêtus d'habits ma- gnifiques, montés sur des chevaux superbes, portant de longues tiares pendantes , et les appelle alternativement Dner3 , ^33 ^ix Nebucadnezar, le plus célèbre des princes de cette dynastie, est qualifié de Chaldéen (^Esdr. v, 1 3 ). ' Ce que nous avons dit sur l'idiome des dynasties régnantes à Ninive et à Babylone s'applique, par conséquent, aux Ghal- déens. Le livre de Daniel distingue expressément la langue des Ghaldéens de la langue vulgaire de Babylone (le sémitique sans doute), et nous présente l'étude de la littérature des Ghaldéens comme un privilège dé la classe noble, une sorte d'enseignement réservé , qui se donnait dans une école du pa- lais'. Malheureusement ce livre, assez moderne, parait écrit sans aucun sentiment de la réalité historique : peut-être le mot ChaUéens y est-il déjà pris dans le sens conventionnel que lui donnaient les Grecs et les Latins ( XaXSaîoi * yévos Màlyœvy > Le passage d^Isaïe (xxiii , i3) résoudrait la question, s*il ëtait clairement in- telligible. Mais ce passage présente de grandes obsoarilés. (Voy. Gesenius, Com- mêtU. ûber /m. a. h. 1. ) * Jér.m, k; xxu, â5;xiv, is, etc. — PÈeudo-h, ili, i, 5;XLriii,i&, 90. — Ezéeh, xxiii, ao. ^ «Le roi ordonna à son grand eunuque de lui amener les plus beaux et les plus nobles des enfants d'Israâ et ceux qui étaient instruits dans toute sorte de sciences, afin qulk habitassent son palais, et fussent instruits dans la litté- rature et la langue des Ghaldéens.» (Dan, i , h.) — Si nous voyons, un peu plus LIVRE I, CHAPITRE IL 65 Hesych.)^ Il est remarquable pourtant que les noms de cour que reçoivent Damet et ses compagnons , à la place de leurs noms juifs, n'ont nen de sémitique [Dan. i, 7). Nous avons admi» précédemment que la population des Katdei ^'établit , dèsuM haute antiquité , dans les montagnes qui limitent an nord-est le bassin supérieur du Tigre. Tous les géographes anciens placent des Ghaldéens en Arménie, dans le Pont et le pays des Ghalybes ^. Là était sans doute la Ghaldée primitive, un repaire de belliqueux montagnards, redoutés dans tout TOrient peur leurs brigandages', servant dans les années étrangères, et jusque dans l'Inde, conmie mercenairesS parfiflûtement sembbd)les , en un mot , à ce que sont de nos jours , dans les mêmes contrées, les Kurde$, avec lesquels on a tant de raisons pour les identifier. En effet, entre les deux formes du nom de ce peuple. Tune hébraïque, Kasdim, Tautre grecque XakSatot yon est autorisé à supposer b forme intermédiaire Kard, voisine de la première par Taffinité des lettres # et r, et de la seconde par Taffihité des liquides / et r, lesquelles sont confondues dans les anciens dia- lectes de llran ^. Cette forme reparaît , aux diverses époques , kùn (11, A ), les Ghaidëeiis parier en oramAn, c^est sans donte on artifice de Tau- teor poor intercaler dana son texte on fragment écrit en cette langue; car, le dÎMonra fini, le rédt continue en arunéen. * Dm. II, 9, 6. — Cf. Winer, BibL Bêohvœrt. I, aai-aaa.— De Wette, £m- kitmgm ioa il. T. S 955 a. > Cf. Winer, B&l. RêdœarU L I, p;9i7-9iS.-~Knobel, Die VœïkirU^l dêr Gnmk, p. i63. Constantin Porphyrogénète (!>• thêmaÊUntê, p. 3o,édit ^ Bonn) parle encore d^une province de ILaXêia', dont Trébiaonde ëtaii la capitale, et qu'il met en rapport avec les anciens Ghaldéens. * BâbmeuCf i, 6 et auiv. — /oi, 1, 17. — Xénophon, Cyrop. III, 1, iU. — iiM^.IY, iii,i;Vll,viu,t5. ^ lénoph. Oyrop. lil, 11, 7; VU, 11, 5. — Anab. iV,iii, A. * VAgrieultmn nabaiêmn$ présente les dein formes nyK»\o*M^j OY^^^jr^ jamais (j^tivUT I. 5 66 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. avec une persistance remarquable dans les noms de peuplades et de montagnes du Kurdistan : KdpSaxes, ¥iapSoSxot^f Kop- Sialotf TopSunvoif ropSvaioif KvpTioi, GarJiani, Katdu (nom de la province d*Ararat dans la paraphrase chaldalque, et du mont Ararat chez les Syriens)^, Kurdeê. Cette identité, aperçue par Michadis, Schlœzer, Friedrich , Heeren, mais démontrée d*abord par MM. Lassen et Garl Ritter', est maintenant géné- ralement admise^. On est donc autorisé à chercher dans la langue des Kurdes les traces de l'ancienne langue des Ghal- déens. Or la langue kurde se rattache aux dialectes iraniens, et même aux formes les plus anciennes de ces dialectes. C'est à tort que Ton a présenté cette langue cc»nme un mélange de persan et de sémitique , analogue au pehivi \ Les mots sémi* tiques s'y sont introduits, soit par l'arabe depuis l'islamisme, * Cette dernière forme est sans doute veaae aux Grecs par rarménieD, connue l'indique la terminaiflon plurielle Gordaukh, * Asaem. BUfL criètu, II, 1 13; lil , s* part p. 73&. ' Laaaep, Dk al^permcim bUmêàhtyUm von Ptnêpokê (Boim« i8d6), p. 81- 86. et dans Uc Zeiticknfifir die Kwdê des Morgenlmideê , L YI (i865), p. Ag- 5o. — Westergaard, tbtd. p. ^70 et suiv. •— Jacquet, Journal atioL juin i838 , p. 593 et suiv. — - Ritter, Erdkunde, Âufl. I (t8i8), t. II, p. 788-796; t VIII, p. 90 et suiv. t. IX, p. 63o. Voy. cependant Hilsig, Ditr Grabodurift detDanm (Zurich, 1 867), p« 73 et suiv. * ' « Gesenlus, 7%ef . au mot^ DntTD . 1~ R«iiiger et Pott, dans la ZmWAt^ fikt àk Kmiê dm Mm-gmlandêâ, L III (18/10), p. 6 et suiv. — Ewald, GMckiehie des Fottef/jT. 1,333 — Layard, DûcooeniM mthermne ofNineoek&nd Bahylm, piAtraeeh m Armenia, KurdieUm, ekil J[LoodoD, i853), pmêim. — Kunik, Mékmgfê^aeiat. I, 53i et aoiv. 6&0, note. ^ Hitsig, IkgÊeeh. der PhiiieUeer, p. A6. — Pott, dans VEnofd. d'Ersch ol Gruber, art Indogerm. Sproehetanm, p. 59, — Lengerke, Kenaan, p. sso-asi. — Ghwolsohn, Die SeMer, I, 3i*s- 3i3. M. Lerch, de Saini-Pélersbourgi dont je n'ai pu encore Uœ les travaux, parait être arrivé au même résultat M» Spiegel (Mimeh. GeL Ânz, sA et a6 sep- tembre i856) a soutenu Torigine sémitique des Ghaldéens, mu>|ar des preuves qui n'ont pu me faire changer de sentiment ^ Adelung, Mithrid, I , s 3 1, 997. — Klaproth, Àêia poi^ghUayp, 76 et suiv. LIVRE I, CHAPITRE II. 67 iMHt par raraméen à une époque plus ancienne , et en parti- culier & l'époque des missions nestoriennes ^ Le turc depuis qudques sièdes y a introduit presque autant de mots que Tarabe et le syriaque réunis. Tous ces faits nous invitent à considérer les Ghaldéens établis à Babylone au tii* siècle avant notre ère comme un rameau détaché de la famille iranienne qui s'établit, plus de deux mille ans avant notre ère, dans les montagnes du Kurdistan, où on la retrouve encore aujourd'hui. Peut-être l'habitude où étaient ces peuples de se mettre à laf solde des Etats voisins leur aura-t-elie livré Babylone , de la même manière que Bag- dad tomba, quinze cents ans plus tard, sous la dépendance des milices du Nord, que le khalifat était obligé d'entretenir. Devenus la caste dominante à Babylone, ils auront, comme les Turcs, donné leur noqi au pays, bien que l'immense majorité de la population appartint à une autre race. Mais comment ce nrai de CluJdéenê, qui semble, dans les écrivains hébreux, dé- signer un peuple exclusivement militaire, en était-il venu, dès l'époque d'Hércydote ^, à désigner une classe de prêtres , et , quel- ques siècles après, un corps de savants^? C'est ce qu'il est assez difficile d'expliquer. Peut-être, comme les Mèdes, avec lesquels ils ont plus d'un lien de parenté, ou comme les Celtes, dont on a voulu les rapprocher, les Kasdes avaient-ils, à cêté de leurs institutions militaires, une classe sacerdotale analogue > RcBdiger et Pott, Kurdûekê Stuàim, dans la ZnUekr^fir die Kmdê dm MargenlMdêi, i. III ( 18A0), mit. — Ritter, Erdhmde, t IX, p 698. et suiv. — A. Gliodiko , Jùwm, a$iat, avrilHoaai 1 867. Les travaux de M. Lerch paraissent devoir porter beaucoup de lamière dans la question de la langue kurde. ( Yoy. Méhngm umL t n, p. 617 et sniv. et k première partie de ses FoncftiMgitfi vber dts Kur- dtmtmidiêiramêcktn NordchaUmer; Saint-Pëtershourg, 1867.) * Hërod. Hi»L I, 181, i83. ^ Dmê, 11, a, 5, 10; iv, 5; v, 7, 11. 0. 66 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. a^x Druides ou aux Mobeds^ Peut-être aussi les institutions scientifiques données pour chaldéennes étaient-elles un héri- tage des anciens habitants de Babylone : le nom de Gfaaldée étant devenu synonyme de Babylonie, on aura traité coaûime chaldéen tout ce qui se rapportait à la Babylonie. La distinction des Kasdes ( ce mot désignant la caste scientifique et sacerdo* taie) et des Ghaldéens (militaires), adoptée par quelques sa- vants, résoudrait ces difficultés; mais il serait singulier que les écrivains hébreux , qui doivent être sur ce sujet les mieux ren- seignés, eussent réuni des peuples si divers sous le nom de u^TO^ , surtout quand on voit aussi chez les Grecs le mot XoXt Sauoi désigner tour à tour les hordes de montagnards à demi sauvages des monts Garduques et la classe savante de Babylone. 8"" Les Perses, en se substituant, vers le milieu du vi^^iècle, aux Ghaldéens dans la domination de l'Prient, ne firent donc que continuer sur le Tigre et le bas Eupbrate Faction que la race iranienne, sous des noms diviAK , était en possession dy exercer ^. Dans înapensée, toute la grande civilisation qu'on désigne du nom un peu vague d'assyrienne , avec ses arts plas- tiques, son écriture cunéifenne, ses institutions militaires et sacerdotales, n'est pas Fœuvre des Sémites'. La puissante fa- culté de conquête et de centralisation, qui semble avoir été le privilège de l'Assyrie , est précisément ce qui manque le plus à la race sémitique. S'il est, au contraire, un don qui paraisse appartenir en propre à la race indo-européenne , c'est celui-là. La race tartare n'a couru le monde que pour détruire ; la Ghine ' Bergmaim , Ln pêupkt primUft d$ la race d$ Jumelé , p. 1 5, 93, &o, k^ei soiv» ^ Gf. M. Niebuhc, Gneh» Atiun undBabeU,^. i5si et suiv. ^ G*est ce qu*a très-bien vu M. Kunik, Mélanget oiiat. I, p. 53o et suiv. 699, 63o. (Voy. cependant Spiegel, Âveitay i" Excurs. — Dunker, Gtêch, de» ÂUtrthumê,!; i859.) LIVRE I, CHAPITRE II. «9 et l'Egypte n'ont su qae durer et s'entbinrer d'un mur; les races sÉiûdques n'ont connu que le prosélytisme religieux ; la race indo-européenne seule a été conquérante à la grande manière, à la manière de Gyrus , d'Alexandre , des Romains , de Ghai^ lemagne. L'Assyrie nous apparaît à cet égard comme un pre- mier essai d'empiré fondé par une aristocratie féodale, ayant À c6té d'elle , comme en Médie et en Perse , une caste religieuse. Nous soDunes donc autorisé à rattacher la classe dominante de l'Assyrie, au moins depuis le nii^ siècle, à la race arienne. Quant au fond de la population , à Ninive comme dans la Babylonie, elle était sans doute sémitique. Nos idées sur la race que , faute d'un autre nom , nous appelons couschite ne sont point encore assez arrêtées pour qu'on puisse dire dans quel rapport était cette race avec les Sémites , et si elle n'était elle-m^me, à Babylone, dans ITémen, en Ethiopie, qu'une fraction particulière de la race sémitique. Ce qu'il y a de cer- tain, c'est que la plupart des localités d'Assyrie et de Baby»- lonie portent des noms sémitiques dès la plus haute antiquité. Tels sont les noms des villes : n>y msnn , mentionnée dans le plus ancien document relatif à l'Assyrie ( (rén. x , 1 1 ) , Gauga- mêle, Mespila; et les noms de rivières Zah ou Iajcu;^ (skt =: XJxo^), Zabate ou Caprus (? V ^^ A = caprea). Les noms du grand dieu babylonien Bel, de la déesse de la fortune Gad, ainsi que des dieux assyriens ^^DTïK , ^bD» , ^loj , sont sémi- tiques ou renferment au moins des éléments sémitiques. Il en faut dire autant du composant pïï (seigneur), qui entre dans plusieurs noms propres ptfh^ (cm Belus dominus e8t)\ etc. et peut-être même du nom de Sémiramîs. Enfin au deurième Ufre des Rois (c. xvui; cf. Isaïe, c. xxxvi) on voit un envoyé du roi Sanhérib, nommé Balichaké, entretenir une conversa- tion du bas des remparts de Jérusalem avec les habitants, et 70 HISTOIRB DES LANGUES SÉ^MITIQUES. le grand prêtre Eliakim le prier de ne pas parler héireu, mais araméen (n^p*iK), afin que le peuple ne puisse le ccHuprendre. Son nom même (n|?tf*3i) et celui de son coiapagnon (cniD*3n ) sont deux noms de dignités purement sémitiques. 9'' U semble assez naturel de supposer, d'après ce qui vient d'être dit , que sous Tune des trois sortes d'inscriptions cunéir formes se cache un idiome sémitique. C'est en effet une opi- nion généralement admise qu'il faut chercher dans les langues sémitiques l'explication des inscriptions de la seconde espèce, dites assyriemies et babyloniennes. Et cette opinion , il faut le dire, n'est pas seulement professée par les savants qui, avec plus de hardiesse et d'ardeur que de philologie et de méthode, se sont lancés dans l'interprétation de textes peut-être à jamais fermés pour la science; elle est celle des deux hommes les plus dignes de servir d'autorité sur ce sujet, et qui, après avoir fait faire à l'interprétation des inscriptions de la première espèce un pas décisif, ont eu le courage et la bonne foi de s^arrêter quand les moyens d'investigation leur ont manqué. M. Lassen est persuadé que, dans les inscriptions cunéiformes trilingues, l'un des textes doit être en araméen. M. Eugène Bumouf , d'un autre côté, après avoir consacré beaucoup de temps au déchif- frement des inscriptions assyriennes, sentit lui manquer les instruments qui l'avaient si bien servi dans le déchiffrem^it des inscriptions persanes, et s'arrêta devant la conviction que ces inscriptions couvraient une langue sémitique. Avec cette réserve scrupuleuse qu'il portait dans tous ses travaux , il ne voulut pas rester sur un terrain où il ne pouvait déployer toutes ses ressources, et, donnant un exemple tropxarement suivi, il aima mieux laisser inédites de vastes recherches , que d'aban- donner quelque chose au hasard et de traiter un sujet pour lequel il n'était pas spécialement préparé. LIVRE I, CHAPITRE IL 71 Quelle que soit la valeur de ces autorités, il est remar- le que les personnes qui ont fait des langues sémitiques une étude particulière sont en général peu disposées à voir une langue sémitique derrière l'écriture cunéiforme. La répugnance instinctive qu'elles éprouvent à cet égard tient à des raisons au ibnd très-^sérieuses. Les langues sémitiques en effet, dès la plus haute antiquité, ont eu leur alphabet propre, dont le type est l'alphabet phénicien ; à aucune époque, ni sur aucun point du monde, une langue sémitique ne s'est écrite avec un alphabet différent de celui-là ^ ; l'alphabet himyarite et l'al- phabet ghez eux-mêmes, qui semblaient d'abord isolés, en- trent aujourd'hui dans la famille des alphabets dérivés du phénicien : il y a donc un alphabet sémitique, inséparable des langues sémitiques. Que l'alphabet phénicien dans l'antiquité et l'alphabet arabe au moyen Age aient été adoptés par des peiqples qui jusque-ilè n'avaient point écrit; que l'écriture cu- néiforme se soit appliquée indistinctement à des langues qui n'avaient pas d'alphabet propre, comme les dialectes non-sémi- tiques de l'Assyrie , de la Perse et de la Médie , rien de plus simple ; mais qu'on ait écrit avec ces derniers caractères tfMMn0s,p. i55, 346. LIVRE I, CHAPITRE IL 73 prbré? Il est clair que toutes ces coDsidérations devraient cé- der devant un déchiffirement vraiment scientifique qui établirait que Tune des écritures cunéiformes recèle une langue sémi- tique. Mais jusqu'à ce que cette démonstration ait été fournie (et il faut avouer qu'elle ne Test pas encore) , on en sera ré- duit aux conjectures et aux opinions préjudicielles. Or je dois dire qu'avec le sentiment que je peux avoir du sémitisme, il me répugne d'admettre qu'une langue purement sémitique ait jamais été écrite dans cet alphabet. Je n'ignore pas que cette manière de voir est en opposition avec celle de la plupart des savants qui se sont occupés jus- qu'ici du déchiffrement des inscriptions de la deuxième espèce ; mais je dois dire qu'aucune de leurs tentatives, quelque ho- norables qu'elles soient pour leurs auteurs, n'a pu entratner ma pleine conviction. La langue isémitique qui résulte des lectures de M. Opp^ , par exemple , les plus autorisées de toutes, ne me satisfait pas. Cette langue ne ressemblerait à aucua des dialectes sémitiques actuellement existants ^ S'il en est ainsi , avec combien dft réserve ne doitH>n pas se laisser aller au dangereux penchant de supposer des formes et des mots inconnus dans une famille aussi homogène et aussi limi- tée que la fanûUe sémitique! Ghampollion déprécia parfois* sa méthode en créant , pour le besoin de ses explications , des mots dont le copte ne présente aucun vestige ; j'ose diiM , «u contraire, que Bumouf n'a jamais inventé une seule formf^ grammaticale sans y être invinciblement conduit par l'ana- logie. M. Oppert suppose que la langue des inscriptions de la deuxième espèce se rapproche de l'ehkili, du mahri, en un mot de la branche d'idiomes qui semble devoir porter le nom * Oppert , dans VÀlkaummJrwiçaii , a i ocl. 1 85A . lU HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. de cousekUe^, Je sois persuade du moins que si un dialecte de cette espèce a été parlé sur les bords du Tigre et de TEuphrate , cet idiome y était considéré comme distinct de Taraméen. Qu'une langue à demi sémitique, comme les idiomes cou- schites, ou mêlée de sémitique et d'arien , comme le pehlvi^ ait été écrite en caractères cunéiformes , il n'y a en cela rien d'impossible. La seule hypothèse qui répugne est celle d'un dialecte purement sémitique, comme serait l'araméen, avec ses formes simples, sa division ré^lière de la syllabe, ses arti- culations si nettement dassées , écrit dans un alphabet diffé- rent de celui que les Sémites eux-miêmes se créèrent pour leur usage personnel. Je m'abstiendrai , en conséquence , de faire usage , dans le cours de cet écrit, d'aucune interprétation des écritures cunéi- fonnes de la seconde et de la troisième espèce. En supposait que plusieurs des résultats annoncés arrivent un jour à une démonstration rigoureuse, mon essai se trouvera incomplet dans quelques-unes de ses parties, et l'on pourra me repro- cher de n'avoir pas tenu compte de travaux qui , si on leur ac- cordait une valeur pleinement scientifique, seraient sans doute de la plus haute importance pour l'histoire des langues sémi- tiques ; mais ce serait là un inconvénient moindre , à mes yeux , que celui d'accorder ici une place à des données sur lesquelles n'a point encore passé un contrôle assez sévère. S'il faut savoir gré aux personnes qui s'aventurent sur ces terres inconnues, * M. Bunsen développe une bypothèae analogue. {OutUnetf I, 198 et suiv. London, i85&.) * Plusieura savante, Uk que M. Holzmann (de Garisrnhe), croient que les inscriptions dites médifueg sont conçues dans un idiome mixte de cette espèce. (CL^^^eittehfL der dmUêchen morgeidànâisehm Gmlbeh^, t. V (i85i), p. i&5 et smv.) M. Ghwolsobn (DieSiobier, II, i&S et suiv.) est arrivé à la même con- clusion pour les textes assyro-bab^doniens. LIVRE I, CHAPITRE II. 75 en s'exposent & mifle chances cTeireur et de non-succès, la pins grande réserve est commandée en présence de résultats contradictoires y obtenus par une méthode incertaine, et quel- quefois présentés sans aucune démonstration. N'est-on pas ex- cusable de douter en pareille matière , quand on voit l'homme qui s'est fait le plus grand renom dans les études assyriennes, M. Rawlinson, soutenir que les Assyriens ne distinguaient pas les noms propres par le ion, mais par le êm$, et que, pour in- diquer le nom d'un roi, par exemple, il était permis d'em- ployer tous les synonymes qui rendaient à peu près la même idée; — que le nom tle chaque dieu est souvent représenté par des monogrammes différents les uns des autres et arbi- trairement choisis; — qu'un même caractère se lisait de plu- sieurs manières, et doit être considéré tour à tour comme idéo- graphique^ou phonétique, alphabétique ou syllabique, selon le besoin de l'interprétation; — quand on voit, dis-je, M. Raw^ linson avouer que plusieurs de ses lectures sont données uni- quement pour la commodité des identifications, que souvent il s'est permis de modifier la forme des caractères pour les rendre plus intelligibles^ ; -^ quand on le voit, enfin, b&tir sur ces frêles hypothèses une dbronologie et un panthéon chi- mériques de l'ancien empire d'Assyrie? Que penser des ins- criptions dites mOiques , qui seraient écrites , s'il fallait en croire le même savant , dans une langue oik la déclinaison se- rait turque , la structure générale du discours indo-européenne, le pronom sémitique , les adveibes indo-européens , la conju- gaison tartare et celtique , le vocabulaire turc , mêlé de per- san et de sémitique? A cette méthode, je préfère encore celle ' Voir les obflervatioitt de M. de Longpérier, Bâmtê arehéohgique , i5 août, iS6o, et de H. de Saulcy, AAênmumJrançaigj 98 mai, 1 1 juin, 17 septembre i853. 76 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. de M. Norris, qui, persuadé comme MM. Westergaard et de Saulcy que la langue des - inscriptious de la troisième espèce est scythique ou tartare , entreprend de les expliquer par Tos- tiak et le tchérémisse, et prétend nous donner, avec le secours des inscriptions, une grammaire scythique complète^. Il faut manquer bien profondément du sentiment de la philologie pour s'imaginer qu'en réunissant sur sa table quelques diction- naires on pourra résoudre le problème infiniment délicat, s'il n'est pas insoluble , d'une langue inconnue écrite dans un al* phabet en grande partie inconnu. Lors même que la langue des inscriptions serait parfaitement déterminée, ce ne serait que par une connaissance intime de tous les idiomes voisins qu'on pourrait arriver à donner avec certitude l'explication et l'interprétation grammaticale de ces textes obscurs. 1 0*" Vers l'époque de l'ère chrétienne , lis limites des langues sémitiques étaient, du côté de la Perse, à peu près ce qu'elles sont aujourd'hui; c'est-^à-^Ure qu'elles s'étendaient jusqu'aux montagnes qui limitent à l'orient le bassin du Tigre et du Zab. Deux mots de la langue de l'Âdiabène , qui nous ont été con- servés par Josèphe^, sont purement araméens. Les noms des rois de cette contrée sont, il est vrai, persans; mais je n'ose- rais conclure de là, avec M. Quatremère', que la langue du pays fût mêlée de persan et de syriaque : une dynastie étran- gère porte ses noms avec elle. L'histoire d'Arménie présente une foule de souverains avec des noms persans , sans que ja«- mais le persan ait été la langue de l'Arménie. La Mésène était aussi une province sémitique , comme le prouvent les noms * Journal of the royal ÀMiatie Society, vol. XV, pArt. i. ' De belloJud. 1. Y, c. xi, S b;Anti^, 1. XX, c. ii, S 3. * Mémoire $ur Im Nabaiémi, p. 68, i95, 196. — Giwolsohn, Diê I>379. LIVRE I, CHAPITRE IL 77 SkSfmnfpiyùÇy ^fiaj(jEi^ Af/ldpSiT^s y ASèvpfyaOy donnés par les textes historiques et les médailles ^ 11'' Sous les Sassanides, le commerce des langues sémi- tiques et iraniemies sur les bords du Tigre fut plus intime que jamais. C'est à cette époque qu'il faut rapporter le phénomène singulier de la formation du pehlvi ou huzwâresch^. Les ins- criptions et les médailles des Sassanides offrent le même ca- ractère que le pehlvi, je veux dire le mélange intime du sémi- tique et de l'iranien '. Le point de formation de cet idiome fut sans doute les provinces occidentales de la Perse ^ : tous les emprunts sémitiques qu'on y remarque se rapportent à l'araméen. M. Spiegel croit pouvoir désigner d'une manière plus précise la province nabatéenne de Sévad^; en effet, les particularités sémitiques du pehlvi rappellent beaucoup les idiotismes du dialecte mendaîte ou sabien, qui nous repré- sente le nabatéen. Ainsi , dans les mots empruntés par lepehlvi , toutes les gutturales se confondent en K : HOnb pour HJOnb , ' Saint-HarCin, Beeh. $ur la Métènê, p. 169 etsuiv. — Quatremèrâf iotini. dêi Sa», oct 1857, p. 699, 693, 63i. ' Spiegel, Âvêêta, trad. I, p. 18 et suiv. et 9* Excurs; le même, Grammatik iar Bmwàruehtpraehe , p. t6& Vienne, i856; Pour Tétymologie du moi pehki, voir deux passages importants du Sehah^nameh, p. .16, 90 (édit. Mohl), et le passage du Kitàb elfihnst sur les langues et les écritures d^ la Perse {Joum,t de$ Sflv. 18Â0, p. &1& et suiv.). ' Spiegel, Gramm. p. 166 et suiv. — Haug, Uéberdiê PeklewiSprachê, p. 5-6, 9$-a6; GcBttîngen, i85à. Lesdifférenees qae M. Westergaard {BMbheath fMber foUemau, prsf. Havniœ, i85i) a signalées entre le pehlvi et la langue des ins- criptions de Sapor F' ne sont pas bien essentielles. L'opinion qui voit dans le pdihi la langue des Parihes, remplacée à Tépoque tessanide par le parsi (Pott, hdogêrm. Sprachtiamm^ p. 5a et suiv. dans rÊncycl. d*Ersch et Gruber; Qua- tremère, Jarnn, dtê Sa», juin et juill. 18&0) , doit aussi être abandonnée. * Pott, EifmoL Foneh, I. Einl. p. xxii. — Mohl, Lb Uore dêi Rmt, I, préf. p. iiii-ur. — Haug, op. eti. p. 95 et suiv. ^ Gramm. der Hmm, p. 9& , 169 et suiv. 78 HISTOIRE DES LINGUES SÉMITIQUES. M'iDM pour HiDn^ comme cela a lieu dans le Talmnd el dans les idiomes populaires de l'Irak. Le pehlvi est sans contredit l'exemple le pins firappant qa on puisse citer d'un idiome métis. La pénétration de l'iranien et de l'araméen y est si profonde , sous le rapport lexicographique , et même sous le rapport grammatical» qu'on a pu se deman* der laquelle des deux familles doit étrç considérée comme la base, et laquelle comme l'accessoire^ Il ne paraît plus dou^ teux que le fond véritable ne soit l'iranien : cependant les pro- blèmes rdatifs à ce langage étrange sont loin d'être résolus. On a droit de se demander, par exemple, si un idiome qui contrarie d'une manière aussi violente toutes les lois de la phi- lologie comparée a jamais été une langue pariée. M. Spiegel n'y veut voir, avec toute raison, ce semble, qu'un genre de style convenu et prétentieux, analogue au persan moderne, où il est de bon ton de remplacer les mots persans par des mots arabes. Dans la plupart des cas, en effet, le mot sémi- tique et le mot iranien coexistent et peuvent être indifférem- ment employés, à peu près comme en anglais le mot roman et le mot anglo-saxon : il est remarquable que les mots sémi- tiques ainsi introduits sont justement les plus essentiels, tels que ciel, eau, pire, mère, etc. L'état de sécheresse et de pau- vreté grammaticale où était déjà réduit l'iranien a pu , à l'é- poque des Sassanides , comme à l'époque des dynasties musul- manes, favoriser cette intrusion^. Un curieux passage du KiM * W. loDes, dans les Asiaiié Rmeanhe» de la Société asiatique de Calcutta, t. n, p. 59. — J. MûUer, Mém. aurhpthkn, dans le Joomd asiatique, avril 1 889. — Leaseo, dans la Zeit$chr^fHr die Kunde dei Mcrg. VI, p. 667. — Spi^, dans la ZmUehr^fwr dk Wiu. d$r Spr. de Hcefer, t. I, p. 66 et suiv. ' Spiegel, Gramm, p. 1/1 et suiv. 169 et suiv. Àvêita-, traductien, I, p. 97. M. Haug (op. dt, p. 9 3 et suiv.) parait porté à exagérer le cAté sémitique du pebivi. LIVRE I, CHAPITRE II. 79 érJSwitî, traduit pour la première ibis par M. Quatremère^ semble appuyer bien fortement l'opinion de ceux qui regar- dent ridiome dont nous nous occupons comme un stjie arti- ficiel, et non comme une langue consacrée par Tusage du peuple dans Tune des provinces de l'empire persan. 8 IV. Il nous reste a discuter les frontières de la race sémitique du côté de Isthme de Sues, et & rechercher si la langue copte , qui nous représente avec une exactitude suffisante l'ancien égyptien, doit être rangée dans la même famille que l'hébreu, l'arabe et le syriaque. Les premiers savants qui s'occupèrent du copte, Barthélémy, de Guignes, Giorgi, de Rossi, Kopp, frqypës de quelques analogies extérieures, s'empressèrent de prodamer la ressemblance de cette langue avec l'hébreu. Re- naudot avait déjà aperçu le pei^ de solidité de ces rapproche- ments, et H. Quatremère, dans le savant mémoire où il établit pour la première fois le véritable caractère et l'importance de hi langue copte ^, n'hésita point à déclarer que cette langue constitue une langue mère et sans analogie avec aucun autre idiome connu. La méthode de la philologie comparée , éclose en Allemagne au commencement de ce siècle , a fait nattre une nouvelle sé- rie d'efforts pour classer la langue copte. M. Lepsius fit pa- raître en i836 deux opuscules^, où, par la comparaison des > Mém, ntr U§ NnkûL p. 187-138. Cf. on autre passage, ibià. p. 98. Peot-èire le MDgalier verset d^fiadras ( IV, 7 ) , où Ton supposé généralement une faute , s^ei- plique-l-il par le rapprochement des deux passages précités.- * Mm. «HT la Umguê et la Uttémlun de VÉgypiê (Paris, 1808), p. 16. ' Zmm gfrtiehHrgImehêndê ÂbkandiungtH , I. Vêbtr dk Ànordmgmd Vêrwandi- Mft^ de» SumHêthên, Imdiêehên, jEihiopiiehêny AUpêrtiêchêH md Âh-^EgypHêekett AlpkmhgU. II. Veber dm Urtpnmg und die VtrwwdUektfi dtr ZMwSrtêr m dm- 80 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. OOH» de nombre et des alphabets, il chercha i établir Tiden- tité originelle des trois fanges indo-européenne, sémitique et copte. Toutefois, il reconnaissait que le copte formait un ra- meau parfaitement distinct et presque aussi différent du ra- meau sémitique que celui-ci Test du rameau indo-européen. M. Schwartse a soutenu la même thèse ^. Le copte, suivant ce philologue, est analogue aux langues sémitiques par sa gram^ maire et aux langues indo-germaniques par ses racines , mais , en général, plus rapproché des langues sémitiques par son caractère de simplicité , par le manque de structure logique et par le degré de culture auquel il est parvenu. M. Théodore Benfey, dans une dissertation spéciale^, a re- pris le parallèle du copte et des langues sémitiques, et re- cueilli avec un soin minutieux tous les faits grammaticaux qui peuvent servir à cette comparaison. La conclusion de son livre, c'est que la famille sémitique doit se diviser en deux branches séparées par l'isthme de Suez : la branche asiatique, renfer- mant toutes les langues qu'on est convenu d'appeler sémi- tiques , et la branche africaine , renfermant le copte et toutes les langues de l'Afrique septentrionale jusqu'à l'Atlantique. Ces deux branches , s'étant séparées à une époque où elles possé- daient encore leur fécondité organique, se sont développées à part et en divergeant de plus en plus l'une de l'autre. Elles forment ainsi , dans la famille sémitique , une division analogue à celle que constituent, dans la famille indo-eurq>éenne, la hÊdo-g»rmani$ehen, SemUUehm und KoptUehen Spraeh$; Berlin, i856. Voir maà une lettre da même savant publiée par le D' Wiseman dans «es Gm^. tur ht rapfmrU mUr$ la icienee et la religion révélée, !*' dise. 9* part. ^ Dos alte ^gypten (Leips^, i8&3), s* part. p. .976, io33, aoo3 et sniv. ZopfiJM&tfGranimalfX; (Berlin, i85o), p. 6-7. * Ueber doê VerhàUniMâ der ^gyplû^en Sprachê zum SemitiÊchen Spruekêi Leipiig, tShh, LIVRE I, CHAPITRE IL 81 brandie celtique , la branche slave , la branche germanique , etc. lesquelles offrent tous les traits d'une évidente parenté, quoi- qu'elles aient suivi des lois de développement fort différentes , par suite d'une scission originelle. M. Bunsen^ a adopté ces conclusions. La langue' de l'Egypte représente pour lui une couche aaté-historique du , sémitisme ; il cherche à démontrer que les formes et les racines de l'ancien égyptien ne s'expliquent ni par l'arien ni par le sémitique isolés ^ mais par ces deux fa- milles à la fois y et qu'elles constituent en quelque^sirte la transi* tîon de l'une à l'autre. M. Ernest Mei«ir ^ et "M. Paul Bœtticher' ont soutenu la même thèse par des arguments empruntés à la comparaison des radicaux. Du même sentiment, enfin, semble se rapprocher M. deHougé^, quand il insiste sur les analogies du copte avec l'hébreu et cherche' à établir, que, plus on re- monte dans l'antiquité de la langue égyptienne , plus on y trouve des ressemblances, surtout quant à la syntaxe, avec les langues s^tiquesv Ajoutons, toutefois, que ceg divers tra^au]^ n'ont point passé sans contradictions. MM. Pott^, EwsJd^, Wenrich'^ ont protesté contre l'abus Je la méthode comparative appliquée à des langues ^ ^gfptmu StêOê m dsr WeUgt^hioMt, I*' iivre, p. xi, xiii, 338 et suiv. (Hambourg, i8â5); V* livre, ii*|MirC. p. 69 et8uiv.tliq=:«lûim ipie; B^^pOK =cttr te. Enfin , une entente atalogue de la phrase et une con- ception presque identique des rapports grammaticaux éta- blissent entre les deux systèmes de langues d'incontestables affinités. Mais ces affinités suffisent-elles pour ranger dans une même famille les langues entre lesquelles on les observe ? Sont-ce de simples ressemblances comme on en remarque entre toutes les langues , ou des analogies tenant à une commune origine ? C'est ici que le problème devient délicat et, à vrai dire, pres- que insoluble. Il implique une question de méthode sur la- quelle, dans l'état actuel de la linguistique, on ne peut rien dire de bien précis. L'histoire naturelle a des signes parfaite- ment déterminés pour établir les embranchements , les classes , LIVRE I, CHAPITRE IL S5 les genres et les espèces ; la linguistiijue n'en a pas : c'est une question de degré, sur laquelle l'appréciation individuelle de chaqpe linguiste pourra varier. Si Ton veut attribuer à la clas- sification des langues en familles un sens positif, on doit faire correspondre cette division à un fait réel et historique. E3le doit vouloir dire qu'à l'origine de l'humanité le langage ap- parut sous un ou plusieurs types qui ont produit, par leur développement, toutes les diversités actuelles. Or nous n'a- vons pas assez de lumières sur les temps primitifs pour abor- der ce difficile problème. Le naturaliste n'est pas obligé de décider si chaque genre représente une forme de création primordiale : il se contente de dire que les genres, dans l'é- tat actuel de notre planète, sont irréductibles. Le linguiste, dont les hypothèses impliquent, quoi qu'il fasse, une assertion historique, serait tenu à quelque chose de plus; et pourtant il ne possède qu'un seul critérium pour établir la distinction des familles , <;'est l'impossibilité d'expliquer conmient le sys- tème de l'une a pu sortir du système de l'autre par des trans- formations régulières. De là au fait primitif, qui seul pourrait offrir aux classifications linguistiques une base solide et claire- ment intelligible , il y a un abîme qu'aucun esprit sage ne se décidera jamais à franchir. Du moins, à la question ainsi posée : peut-on expliquer par un développement organique comment le système des langues sémitiques a pu engendrer le système de la langue copte, ou réci- proquement? il faut répondre sans hésiter d'une manière néga- tive. Des rapprochements comme ceux que l'on signale sont tout à fait insuffisants pour établir une parenté primitive. Un système grammatical va tout d'une pièce, et il est absurde de supposer que deux grouées de langues possèdent en commun une moitié de leur système grammatical sans se ressembler par 86 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. l'autre. Certes il nous est difficile d'expliquer l'identité d'élé- ments en apparence aussi accidentels que les pronoms et les noms de nombre. Quelle raison a pu déterminer les races di* verses à prendre le t pour caractéristique de la seconde personne du singulier, ¥n pour caractéristique de la première personne du pluriel ? Il serait puéril de le rechercher. Avouons pourtant que les premiers hommes ont pu se laisser guider en cela par des analogies qui nous échappent. La théorie du pronom tient d'une manière si intime à la constitution même de Tesprit hu- main, qu'elle appartient presque aux catégories de la logique, et doit, comme ces catégories, se retrouver partout la même. Les noms de nombre se rattacheraient de très-près aux pro- noms, s'il fallait ajouter foi aux vues ingénieuses que M. Lep- sius lui-même, dans la seconde des dissertations précitées, a émises sur ce sujet. Enfin, quelque étrange que puisse paraître un emprunt portant sur des éléments linguistiques aussi essen- tiels, on n'ose regarder un tel emprunt comme impossible, quand on voit le pehlvi (dont la réalité comme langue pariée n'est pas, il est vrai, bien certaine) offrir des pronoms, des noms dé nombre , des prépositions , des conjonctions sémitiques , à côté d'éléments non moins . fondamentaux appartenant aux idiomes iraniens. L'élément le plus essentiel sur lequel on puisse instituer la comparaison des langues, ce sont assurément les flexions du nom et du verbe; or c'est précisément par ce c6té que le système de la langue égyptienne diffère du système sémitique. La langue égyptienne mérite à peine de prendre rang parmi les langues à flexions. Plus on remonte vers son état primitif, plus on trouve une langue analogue au chinois, une langue monosyllabique , sans ciment , si j'ose le dire , exprimant les modalités par des exposants groupés, mais non ag^utinés LIVRE I, CHAPITRE II. 87 aatour de la racine. Ces exposants sont eux-mêmes des mots pleins, qui dépouillent accidentellement leur signification pour devenir des signes de grammaire. On ne peut voir un effet du hasard dans ce fait, que Técriture idéographique se ren- contre précisément appliquée aux deux langues qui , par leur structure, appelaient pour ainsi dire ce genre de notation. Une langue habituée à donner à chaque idée et à chaque rap- port son expression is(Aée devait être amenée à choisir un sys- tème graphique analogue, peignant les choses et leurs rapports par un signe indivis. Au contraire , on ne concevrait pas que les langues séiçitiques, avec leurs flexions délicates, se fussent créé un instrument aussi mal approprié à leur nature. L'écriture alphabétique , fondée sur l'emploi d'un petit nombre de carac- tères, est un des traits les plus essentiels des langues sémi- tiques. J'ajouterai à propos de l'Egypte ce que j'ai dit des civilisa- tions de l'Assyrie et de la Babylonie* La civilisation égyptienne, envisagée dans son ensemble , n'a rien de sémitique. La langue et l'esprit des Sémites nous apparaissent avec un si grand ca- ractère d'uniformité, qu'il répugne d'admettre, dans le sein de cette famille, des branches qui s'éloignent d'une manière es- sentielle du type général. Les traits physiques de la race égyp- tienne s'offrent aussi à nous comme tout à fait distincts ^ Si la langue et l'histoire de l'Egypte présentent des éléments sé- mitiques difficiles à méconnaître, il faut se rappeler que, du- rant plusieurs siècles, l'influence sémitique fut très-forte en Egypte*. L'Egypte n'était qu'une étroite vallée entourée de Sé- mites nomades, qui vivaient à côté de la population sédentaire , * Voy. NoU et GliddoQ, Indigetfout races ofihe Earth, p. loo et sujv. ' Movers, Dm Phœmz»ei\ I, 33 et suiv. — Joum, of the royal Asialk Sodety (t85/i),p. 198. 88 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. tantôt soumis, comme iKnis le voyons pour les Beni-kraèl, tantôt maîtres, comme dans le cas des Hyksos, mais toujours détestés ( Gm. tLn , 3&). L'étroite vallée du Nil portait seule le nom de Xv/x/ (terre noûre); le reste du pays s'appelait Aiâdr à l'ouest, Àpa6/aM'est. Cette seconde partie, où l'on ne voyait qu'un prolongement de l'Arabie, était occupée, alors comme de nos jours, par des Bédouins : on a remarqué que la terre de Goschen, habitée par les Israélites, était elle-même un dé- sert fort ressemblant à la région sémitique de l'Asie ^. Il faut donc former pour la langue et la civilisation de l'E- gypte une famille à part, qu'on appellera, si l'on veut, chami' tique. Au même groiqpe appartiennent sans doute les dialectes non-sémitiques de l'Abyssinie et de la Nubie : plusieurs mots de l'ancien égyptien s'expliquent, dit-H)n , par ces langues^. Des recherches ultérieures nous révéleront si , comme on l'a con- jecturé , les langues indigènes du nord de l'Afrique , le berber par exemjde , qui parait représenter le libyque et le numide anciens, doivent être rangées dans la même famille^. Il résulte, au moins , des dernières explorations dirigées vers le centre de l'Afrique , que le touareg se rapproche beaucoup du berber, et qu'une famille de langues et de peuples sui generis s'étend en Afrique , depuis les oasis de l'Egypte M même depuis la mer Bouge jusqu'au Sénégal , depuis la Méditerranée jusqu'au Nijger*. ^ Bertheau, Zw Ckich» der hratL p. a&&. — Gonf. (Tîm. eb. ilti. ' De Roug^, Imetipt, du Unribeau i'Âkihh, p. 1 84. ' Jodas, Etude démonstr, de la langue phéûc, et delà langue Hhy^ue, p. 9o5 et suiv. — /otim. aeiat, mai 18/17, P* ^^^* — Movers, Die PKœn, t. II, s* part p. 364 et suiv. Cest aiuÀ i'opînioa da D' Baiih {IVaveleanddiec, m north and cen- tral Âfnea , I , c x. ). Le gaila , selon M. Newman , se rattacherai t à la même famille. ^ De Slane, Appendice an tome IV de VBûU dee Berbèree d'Ibn-Khaldoun, p. 49 5 et saiv. — Faidherbe, dans le Butietin de la Société de géogr. fëvr. 1 854 , p. 35. — Reinand , Rapports sur les travaux de M. GesUn et de Bl. Hanoteav ( Moniieur des LIVRE I, CHAPITRE IL 89 Ce qa'il est également pennis d'afiirmer, contrairement à une opinion souvent émise ^, c'est que le berber n'appartient pas à la famille sémitique. Sa position à l'égard de cette famille est à peu près la même que celle du copte; tout en présentant avec l'hébreu de nombreuses aflKnités grammaticales » le berber en est complètement distinct pour le dictionnaire. Il a subi , d'ailleurs, une longue influence sémitique, par suite de ses rapports avec le carthaginois et l'arabe. Sans cesse envahie, en effet, depuis plus de mille ans avant l'ère chrétienne, par des populations chananéennes où arabes ^ l'Afrique septentrionde devint ré^eiaent une terre sémitique , non pas sans doute au même titre que l'Arabie ,' la Palestine , le bassin du Tigre et de l'Eupfarate, mais en ce sens qu'à une époque connue la race sémitique y a feit prédonnnér soh idiome. U est même remar- quable que l'arabe ne fut réellement conquérant que de ce côté. Ni au nord, ni à l'est, il ne réussit à reculer beaucoup là li- mite des langues sémitiques, et ne put forcer l'obstacle que lui opposèrent le peraan, FaiBiénien ef les didectes tàrtares. Vers l'ouest, au contraire, sur une ligne prodigieusement étendue, il devint k langue vulgaire des pays conquis par l'islamisme. Les traditions des Arabes sur leurs migrations anté-islamiques en Barbarie^, traditions qui semblent empruntées aux fables 7 et 8 août i856, et du.6 août 1857). — Vî^^ àe Saint-lfartin, Bévue contemp. i5 sept i855 , p. Â36 et suiv. — Latham, dans le Report of thê BriU Auoif.Jbr lk$ùi9mtmmmU0fteme0(tSti'j)y^, 919 et Boiv. 999 et siût. — J. fUchardson, matériaiix impnmés par le Foreign Office, non livrés au pidtlic (La bibliothèque de rinstitat en possède on tirage. ) ' Cf. Newman, dans la ZeUtchr^fSr die K. deeU. t.YI,p. 961, Sog-Sio, etc. M. de Slane croit avoir retrouvé en berber la trilitérité des racines, les formes des verbes et les particularités des verbes foibles et défectife. * Moven, t n, 9* part p. 61 9 et suiv. '^ ' Voir, sur ce sujet, une curieuse lettre d^Âbd-d-Kader au général Daumas (AMsd^inupJIbiidci, i5 février i856). 90 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITiqUES. des Juifs sur le passage des Qtananéeus en Âfirique, n'ont ^ans doute par elles-mêmes aucune valeur historique; elles répon- dent cependant à un fait réel , aux profondes racines que la race arabe a dans ce pays , devenu en quelque sorte le sanc- tuaire du sémitisme : on peut dire, en effet, que l'Afrique du nord, et en particulier le Maroc, est de nos jours le point du monde où l'esprit arabe s'est le mieux conservé , et semble le moins près de céder aux influences de l'étranger. Il semble, du reste, qu'une sorte de maîtrise intellectuelle et morale ait été confiée à la race sémitique sur l'Afrique tout entière. En religion , cet ascendant se trahit par les progrès de l'islamisme , qui s'accomplissent de nos jours avec tant de rapidité sur toute l'étendue du continent africain. Dans les langues, la propagande sémitique, si j'ose le dire, est plus frappante encore. Non-seulement presque tous les idiomes in- digènes ont admis une foule de mots sémitiques pour expri- mer les idées nouvelles que la race conquérante portait avec elle; mais plusieurs langues de l'Afrique centrde et. orientale, le galla, le somauli, le dankali, le harari (voy. ci-dessous, I. IV, c. I, S 6), paraissent avoir suivi la même ligne que le copte et le berber, et avoir puisé dans leur conmierce avec les langues sémitiques des éléments considérables de leur sys* tème. Les idiomes primitifs de l'Afrique nous apparaissent ainsi dans une sorte d'état mou et incomplet, qui attendait du con- tact d'idiomes supérieurs son plein développement Cette loi importante de philologie générale recevra sans doute un plus haut degré de précision quand les idiojnes de l'Afrique se- ront devenus pour la science européenne l'objet d'un examen suivi. LIVRE I, CHAPITRE III. 91 CHAPITRE III. ORIGINE DBS DIALECTES. HYPOTHESE D'UN^ LANGUE SEIUTIQUB PRIMITIVE. SI. Dès une haute antiquité nous trouvons les langues sémi- tique divisées en dialectes fort ressemblants Tun à Tautre , mais dont chacun néanmoins avait sa physionomie distincte. Quelle idée se former, du phénomène p^mitif qui produisit ces va- riétés ? Gomment expliquer Tongine des dialectes et l'apparition des propriétés qui les caractérisent? L'homogénéité si frappante de la famille sémitique prête un relief tout particulier è ce problème, et fournit pour le résoudre des données auxquelles ne conduirait pas également l'étude des autres familles, dont l'unité a été si profondément brisée. Ecartons d'abord toute idée d'une série ïmiaire, en vertu de laquelle l'une de ces langues serait mère et les autres déri- vées, en sorte que de la plus ancienne à la plus moderne il y eût filiation directe, conmie le voulait l'ancienne philologie. Les langues qui représentent de véritables individualités (je ne parie pas des idiomes de seconde et troisième formation, conune le français, lliindoustani, etc.) se produisent parallè- lement, et non comme les anneaux d'une même chatne; elles sont sœurs, et non filles les unes des autres. Nulle d'entre elles n'a le droit de réclamer la primogéniture , et s'il en est qui of- frent une physionomie plus ancienne, ce n'est pas qu'elles aient 92 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. sur les autres Pavantage d'une véritable priorité, mais c'est qu'elles ont été plus tôt arrêtées dans la série de leurs révolu- tions. L'hébreu, par exemple, peut, en un sens, être consi- déré comme plus ancien que l'arabe; non pas que chrono- logiquement la première île ces langues soit antérieure à la seconde, mais parce que la première, ayant moins vécu, s'est moins développée que la seconde, et présente ainsi avec plus de pureté le système primitif de la famille à laquelle elle ap- partient. Mais, s'il faut renoncer à chercher parmi les dialectes ac- tuellement eristants l'idiome sémitique primordial , ne peui-on pas, du moins, admettre que ces dialectes tirent leur origine d'une langue maintenant évanouie, qui serait le prototype commun de la famille et aurait renfermé en germe les procé- dés que les branches diverses se sont partagés? Des faits par- ticuliers aux langues sémitiques donnent, il faut l'avouer, à cette hypothèse un grand air de vraisemblance. Telle est la facilité avec laquelle 4e système des langues sémitiques se laisse ramener à un état plus simple qu'on est tenté de crdre à l'exis- tence historique et à la priorité de cet état, en vertu du prin- cipe, si souvent trompeur, que la simplicité est antérieure à la complexité. De bonne heure, cette idée se produisit parmi les savants voués à l'étude des langues sémitiques. EUe a été ad(^tée, au moins comme probable , par Michaelis, Adelung, Klaproth, Gesenius, Guillaume de Humboldt, et elle est de- venue de nos jours, en Allemagne, la base d'un système de philologie comparée dont nous aurons plus tard à apprécier la valeur ^ * J. D. MidiadiB, Sh^lem, ai Luc, htbr. p. 3&5 et i65a. — I. H. Micbaelis, DoteB au Traité de la poéiiedeêHébnux de LowÙi, leçon 3*. — Addong, MiUir. I, 3oi. — Kiaproth, Ohienatiom twr kê raeme$ dn {migtcet iénUtiçuei, i la suite LIVRE I, CHAPITRE III. 93 On sait cpie, dans Tétat actuel des langues sémitiques, toutes les racines verbales sont trilitères; le petit nombre de racines <{uadrilitères qui se rencontrent en liébreu, en sy- riaque et en arabe, ne sont pas des racines réelles: ce sont de» formes dérivées ou composées , qu'on s'est habitué à envisager cooune des mots primitifs et simples. Mais les racines trilitères ellèSHmémes ne sont pas le dernier degré auquel il soit donné d'atteindre. Parmi ces racines, «en effet, il est des classes en* tières qui ne sont trilitères que par une fiction grammaticale : tek sont les verbes dits . emeawê et giminii, qui restent bili- tères et monosyllabiques dans presque toute leur conjugaison. — f D'autres classes de verbes, quoique plus réellement trili- tères, se distinguent par la faiblesse d'une de leurs radicales qui, dans certains cas, tombe ^ devient voyelle ou cesse de se prononcer : tds sont les verbes dits faibles ou imparfaUs. Le rAle de la troisième radicale dans ces verbes est si peu impor^- tant qu'un thème bilitère, tel que 13, peut devenir trilitère de plusieurs manières sans dianger de signification ( iij , m , mi) , et que des verbes très-différents , tels que }û)2 et tT , identiques par deux de leurs radicales, s'empruntent souvent des temps l'un à l'autre. — Enfin , les verbes qui se montrent dfit IVwcygi de Merian , p. S09. — Geeemiis, Lekrgtbékide der htbr. Spr. p. 1 83 et soiv. G0êek, der heèr. Spr. p. i5, et préfece de son Dictionnaire (ëdiL alie- Buoide), p. A. — S. Lanatto, Prohgomem ad una gramm, ragianata dêOa Ungtka êbrÊka, p. 81 et soiv. — >G. de Hoinboldtj Ueber iiê VmxîIMmûmt dn mênidiU- ekm Sprûekbmm (introduct à VEêtai êur le ibmri, p. gocxzti-cccijtii). — J. Fûrat, Uromm «MriDr. «oneonL (Leipi. i84o), pnef. — Dditttch , Jeeurun, p. i58 et nâf.^ — Dietrich (de Marbourg), AbhatMmgenfir eenUtiMehe Wartfonèhung; Leîpdg, 18&&. — P. Bœttiebçr, WurzêYonfchwngen ; Halle, iSSs ^eiOnthe élu- ei/kÊÉim ^ •mitkrooU, appendice B an L II des Oulûmee de M. de BunBen. Le docteur (depmi caidinal) Wiaernan a dévdoppé d'excdlentes vues sur ce sujet dans Bon aeeond diacours sur Tétode comparée des langues, où des conséquences hasardées sont tirto de principes en général très-finement aperçus. 9& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. constamment sons la fonne trilitère ne sont pas , ponr cela , inattaquables à l'analyse. Panni leurs troi^ radicales, en effet, il en est presque toujours une plus faible que les autres et qui parait tenir moins essentiellement au fond de la signification ^ On est ainsi amené à se représenter chaque racine sémiti- que comme essentiellement composée de deux lettres radicales, auxquelles s*est ajoutée plus tard une troisième , qui ne fait que modifier par des nuances le sens principal, parfois même ne sert qu'à compléter le nombre ternaire. Les monosyllabes bilitères obtenus par cette analyse auraient servi, dans lliypo- dièse que nous exposons, de souche commune à des ^upes entiers de radicaux trilitères offrant tous un même fond de signification. Ce seraient là , en quelque sorte , les âéménts premiers et irréductibles des langues sémitiques. En effet, presque tous ces radicaux bilitères sont formés par onoma- topée, et, s'il est permis d'essayer quelques rapprochement entre la famiUe indo-européenne et la famille sémitique, c'est assurément dé ce cité qu'il faut les chercher. Aux deux lettres 13, par exemple, semble attachée l'idée de gratter, racler; nous les retrouvons dans lès verbes^ 3*13, m^, n*)a, na, Sia, Dia, bia, yu, •iia, kt'Iî, qui, tous, semblent offrir un sens identique. Aux deux lettres *id semble attachée l'idée de séparation , de rupture; on les retrouve dans toute la série : 11D, d*id, ^id, «fiB^ yiD, p'ir, T)D, D*)D, tDiD, yiD, mo; et, avec un adou- ^ ÂjoQtons que la trilitéritë n^exdat pas le monM^llabiame, grftœ à la ma- nière dont les langues anciennes envisa^t certains groupes d'articiilations. TV*, dans les inscriptions cunéiformes penanes, est mjptéBeaié par un seul signe; dans. le m^kpotm, ces deux lettres ne forment réellement qn^nne seule articula- tion. Prit, en sanscrit, n^est qu'un monosyllabe bilitère. Les liquides et les adirées ne sont que des deini-voyeUes, qui ne préjudicient point au monosyllabisme des racin6s. UVRE I, CHAPITRE IIL 95 eissement de h première radieale : Kns, nns, ^ns, e;*i3, nis, TO; et, par le changement du *i en siflSante : nsD, nSD, htty DSD, ySD, ^S3, yS3, 153, Kt3, PT3, 1T3, Vn3, •in3, Vi3, etc. De même en arabe : «^, o^' v.^^ (!;^> <^» Les deux articulaticms fondamentales yp , exprimant l'idée de couper, donnent : ysp, DDp, m, nn, du, 3^t:i, huy n?:, nn, lia, iip, ma, ï)na, na, ysn, 3sp, njp, »)xp, wp, isp, nD3, DP3, ni)3, nnn, nsn. Arabe : ks , c^^ts , ^, udas, J^, ^, M, 4>j, etc. Ainsi le sens nous apparaît partout attaché à deux articula- tions fondamentales, qui s'adoucissent, se fortifient, se com-^ plètent de mille manières , selon la nuance qu'il s'agit d'expri^ mer. ysp désigne l'idée de briser avec plus de force ^e m , et if^t ridée de séparation avec plus d'éclat que did ; maïs c'est toujoui^ une même idée , conmie c'est toujours un même son qui fait l'âme de ces diverses séries. On arrive ainsi à une langue monosyllabique, sans flexions, sans catégories gram-* maticales , exprimant les rapports des idées par la juxtaposi- tion ou l'agglutination des mots; à une langue, en un mot, assez analogue aux formes les plus anciennes de la langue chi- noise. Un tel système devrait sans doute être considéré comme logiquement antérieur à l'état actuel des langues sémitiques; mais est-on en droit de supposer qu'il ait réellement existé? Voilà sur quoi un esprit sage, persuadé qu'on ne saurait deviner a priori les voies infiniment multiples de l'esprit hu- main , hésitera toujours è se prononcer. Comment concevoir, en effet, le passage de l'état monosyl- labique à l'état trilitère? Quelle cause assigner à cette révo- lution? A quelle époque la placer? Serait-ce, comme le disaient naïvement les anciens linguistes, lorsque les idées se muiti- 96 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. plièrent et qu'on sentit le besoin d'exprimer plus de nuances, ou , comme Geseniiis inclinait à le croire ^ au moment de Tih- troduction de récriture? EstH)e par hasard ^ est-ce d'un eonunun accord que 9e fit cette innovation grammaticale? On ne pour- rait citer un seul exemple d'un pareil ckangemept. L'homme ne complète pas plus le langage, qu'il ne l'invente de propos délibéré. La raison réfléchie a bien peu de part dans la créar- tion et dans le développement des langues. Il n'y a pour elles ni conciles ni assemblées délibérantes; on ne les réforme pas conmie une constitution vicieuse. Les idiomes, les plus beaux, les plus riches, les plus profonds sont sortis, avec toutes leurs proportions, d'une élaboration silencieuse et qui s'ignorait eUe- méme. Au contraire , les langues maniées, tourmeiitées, faites de main d'honune, portent l'empreinte ineffaçable de cette ori- gine dans leur manque de flexibilité, leur construction pénible, leur défaut d'harmonie. L'homme primitif put, dans ses pre- mières années, construire sans travail l'édifice du langage; car les mots fqcHe et difficile n'ont pas de sens appliqués au spontané ; mais à la réflexion tout devient impossible : le génie spffît à peine aujourd'hui pour analyser ce que l'esprit de l'en- fant créa de toutes pièces et sans y songer* On ne saurait admettre dans les langues aucune révolution artificielle et sciemment exécutée. Or le passage de l'état mo- nosyllabique à l'état trililère est de ceux qui n'auraient pu se faire sans une très-grande réflexion. Les seules langues mono- syllabiques que nous connaissions , celles de l'est de l'Asie , ne sont jamais sorties de leur état. Rien n'autorise , par consé- quent, à transformer en fait historique l'hypothèse du mono- syllabisme primitif des langues sémitiques , l'hypothèse qui n'est au fond qu'une manière conoimode de se représenter les faits. ^ l£hrgi^>audêderkthr,SfT.^: i85 186. LIVRE I, CHAPITRE III. 97 Sans doute le thème fondamental de la racine , dans les langues sémitiques comme dans toutes les autres , fut généralement mo- nosyllabique, puisqu'il n'y a guère de motif, comme l'a dit G. de Humboldt\ pour désigner, tant que les mots simples suffisent aux besoins , un seul objet par plus d'une s^abe , et que d'ailleurs , en cherchant à reproduire l'impression du de- hors 9 impression rapide et instantanée , l'homme ne dut en saisir que la partie la plus saillante , laquelle est essentielle- ment monosyllabique. Mais dans la synthèse primitive de l'es- prit humain, l'accessoire ne se distinguait pas du principal; l'idée se produisait comme un tout, avec l'ensemble de ses circonstances. Le Sémite n'aura pas commencé à exprimer l'idée de briser par le monosyllabe it , d'où seraient dérivés posté- rieurement yiD, lis , etc. Toutes ces variantes du thème pri- mordial ont dû coexister dès l'origine , et nt n'est qu'une abstrac^ tion logique, un être de raison, fonnaat il est vrai l'essence des mots précités, mais n'ayant jamais eu d'existence isolée. De même pour la racine n^, j'imagine que chacun, à l'ori- gine, conjuguait ce verbe à sa manière, l'un sur le type nu , l'autre sur le type nn^ , un troisième sur le type nn^ , et ainsi la variété actuelle , loin d'être l'épanouissement de l'unité pri- mitive, n'est que la continuation peut-être amoindrie et res- treinte de la variété primitive. La formation des catégories grammaticales prête à des consi- dérations analogues à celles que nous venons de développer. En andysantles langues les plus anciennes, on voit peu à peu s'effacer .des limites de ces catégories, et l'on arrive à une ra- cine fondamentale qui n'est ni verbe, ni adjectif, ni substan- tif, mais qui est susceptible de revêtir ces différentes formes. ^ Veber die VenehiedênheU deê mensckl. Sprachb. (introd. à VEêtai but U kawi)^ p. Goasxzn et suiv. — LtUn à AheUBémmat, p. 86-85. '• 7 98 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Est-ce à dire que danâ l'état primitif il n y eût aucune division des parties du discours? Non, certes. La racine indivise, réu-- nissant en puissance les rôles divers que les progrès de la ré- flexion ont depuis séparés, n'a jamais existé à l'état abstrait. L'idée s'est exprimée tout d'abord avec son cortège de déter- minatifs et dans une parfaite unité. On ne peut donc envisager la supposition d'un état monoi» s^labique , biUtère et sans catégories grammaticales , dans les langues sémitiques, que comme une hypothèse artificielle, sa- tisfaisant à ce besoin de l'esprit qui nous porte k expliquer la complexité actuelle par la simplicité primitive. On se figure trop souvent que l'élément qui parait simple , relativement è nos procédés analytiques, a dû précéder chronolc^quement le tout dont il fait partie. C'est là un reste de la méthode des sco- lastiques, et de la tendance qui portait l'ancienne philosophie à substituer des conceptions logiques aux considérations his^ toriques et expérimentales. Loin de débuter par le simple , l'es- prit humain débute en réalité par le complexe et l^obscur; son premier acte renferme en germe les âépaents de la conscience la plus développée : tout y est entassé et sans distinction. L'a- nsdyse découvre ensuite des degrés dans cette évolution spon- tanée ; mais c'est une grave erreur de croire que le dernier degré, auquel nous arrivons par l'analyse, soit le premier dans l'ordre généalogique des faits. 8 II. La question des dialectes est résolue , à notre avis , par les observations qui précèdent. Il semble au premier coup d'œil que rien n'est plus naturel que de placer l'unité en tête des diversités , et de ise représenter les variétés dialectiques comme sorties d'un type unique et primitif. Mais des doutes graves LIVRE I, CHAPITRE III. 99 s'élèvent quand on voit les langues se morceler, avec Tétai sauvage ou barbare, de village à village, je dirais presque de famille à famille. Le Caucase et l'Abyssinie, par exemple, pré- sentent sur un petit espace une immense quantité de langues , entièreinent distinctes. Le nombre et la variété des dialectes de l'Amérique frappèrent d'étonnemeni M. de Humboldt. Et pour- tant ces diversités ne sont rien en comparaison de celles qui séparent en général les langues de l'Océanie : c'est là que l'é- tat sauvage a poussé jusqu'aux dernières limites ses effets de désunion et de morcellement. Chez les' races ainsi placées au plus bas degré de l'échelle humaine, le langage n'est plus guère qu'un procédé sans tradition , dont on a peine , au bout de quelques années, à reconnaître l'identité. Ces faits nous semblent suffisants pour prouver l'impossibilité d'une langue homogène > pariée sur une surface considérable, dans une société peu avancée. La civilisation peut seule étendre les langues par grandes masses; il n'a été donné qu'aux so- ciétés modernes de faire r^per un idiome sans dialectes sur tout un pays , et encore les langues arrivées ainsi à l'universalité sont-elles presque toujours des langues purement littéraires, comme la Imgua tomma, commune à tous les hommes instruits de l'Italie. Si la langue grecque, pariée par un peuple si heu- reusement doué de la natujfft, a compté presque autant de dialectes, que la Grèce comptait de peuplades différentes ' , peut-on croire que les prenHers hommes, qui se possédaient è peine eux--mémes et dont la raison était encore comme un songe, aient obtenu le résultat auquel les siècles les plus ré- 1 Sans doute cette ditersité n'existait pas au moment où les HéUènes, réunis en un seul corps de nation, pénétraient dans la Grèce; mais une troupe envahis- sante est d^ordinaire peu nombreuse, et du moment quVIle se fixp et se multi- plie, la diversité ne tarde pas à reprendre ses droits. 100 HISTOIRE DES LANGUES* SÉMITIQUES. fléchis ont eu peine à atteindre? Loin donc de placer l'unité à Torigine des langues, il faut envisager cette unité comme ie résultat lent et tardif d'une civilisation avancée. Au commen- cement il y avait autant de dialectes que de familles , de c, ivéyxa; fero, tuU; n]ji^ et nntf en hébreu ; 2r\] et ]n^ en araméen. Per- sonne ne croit sans doute que^ero, tuli soient les temps d'un même verbe. Ce sont deux verbes incomplets dans l'état actuel de la langue , et qui , après avoir vraisemblablement existé d'une manière indépendante , n'ont pu échapper à l'élimination des superfluités qu'en soutenant leurs débris l'un par Tautre , et formant un verbe factice , qui seul est arrivé à la consécration grammaticale. Ainsi un langage illimité, capricieux, indéfini, tel paraît avoir été l'idiome primitif de chaque race ; et si l'on convient d'appliquer aux variétés qui se produisaient alors le nom de dialectes , au lieu de placer avant les dialectes une langue unique et compacte , il faudra dire , au contraire , que cette unité n'est résultée que de l'extinction successive des variétés dialectiques. Est-ce à dire que tous les dialectes eurent dès l'origine leur existence individuelle, qu'il y en avait un qui était le syriaque, un autre qui étaitl'hâ>reu , un autre qui était l'arabe? Non , sans doute : c'est à une époque bien postérieure que certaines pro- priétés grammaticales sont devenues , en se groupant , le trait distinetif de tel et tel idiome. Ces propriétés existaient d'abord dans un mélange qu'on a pu prendre pour la synthèse , mais qui n'était que la confusion. L'esprit humain ne commence ni par la synthèse, ni par l'analyse, mais par le syncrétisme. Tout est dans ses premières créations, mais tout y est comme n'étant pas, parce que tout y est sans individualisation ni existence distincte des parties. Ce n'est qu'au second degré du dévelop- pement intellectuel que les individualités commencent à se des- 102 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. siner avec netteté , et cela , il faut l'avouer, aux dépens de l'u- nité, dont l'état primitif offirait au moins quelque apparence. Alors c'est la multiplicité qui domine , jusqu'à ce que la syn- thèse venant ressaisir les éléments isolés, qui ayant vécu à part ont désormais la conscience d^eux-mémes , les assimile de nouveau dans une unité supérieure. En un mot , — existence confuse et simultanée des variétés dialectiques, — existence in- dépendante des dialectes, — fusion de ces variétés dans une unité plus étendues tels sont les trois degrés qui correspondent dans la marche des langues aux trois phases de toute existence, soit individttdle, soit collective. La formation des dialectes de la langue grecque a soulevé des questions analogues à celles qui viennent d'être traitées pour les langues sémitiques , et les meilleurs grammairiens les ont résolues dans le sens que nous avons indiqué. Les poèmes homériques présentent simultanément employés des idiotismés qu'on donne pour del'éolien, du dorien, de l'attique. Si la dis- tinction des dialectes eût été parfaitement nette à l'époque de la composition de ces poèmes, un pareil mélange eût péché contre toutes les règles du bon sens. Il faut dohc admettre pour ces siècles reculés un état d'indécision où coexistaient les diverses particularités qui sont ensuite devenues la possession exclusive de tel ou tel dialecte ^ C'est ainsi que de vieux mots français tombés en désuétude dans la langue cultivée sont res- tés populaires dans quelques provinces, et que des mots d'usage commun dans l'ancien allemand ne sont plus employés de nos jours que dans les patois locaux. Plusieurs faits, dont il faudrait se garder, il est vrai, dVxa- * Gonf. Mattbûe, Gramm. raii, de la kngvê greeqm, L I, p. 9 et suiv. (Irad. Gail et Loagueviilc). — Am. Peyron , Or^ime dei tre iUuêtri dialetU greâ paragonata cûn quêUa deW êloquio tUtutre itaUano, (Mém. de TAc. de Tarin y W série , f . ) LIVRE I, CHAPITRE III. 103 gérer la signification» se réunissent aux inductions qui précè- dent pour établir la promiscuité primitive des dialectes sémi- tiques. Ainsi les noms propres les plus anciens des histoires hébraïques offirent beaucoup d'aramaismes : ex. mn , Trpn] , etc. Les fragments archaïques insérés dans la Genèse , les moichal de Balaam , le cantique de Débora , renferment aussi des traces nombreuses du mélange des dialectes. On a iqppliqué le même raisonnement au Livre de Job, et on a voulu conclure, des ara- bismes et des aramaismes dont ce livre est parsemé, qu^il a été composé avant tous les autres monuments de la littérature hébraïque, à une époque où les, divers idiomes sémitiques n'étaient pas encore distincts ^. Mais cette opinion ne saurait tenir devant la critique : une ligne de démarcation très-sen- sible sépare les aramaismes des morceaux archaïques , tels que le cantique de Débora, et les aramaismes des ouvrages qui ont été écrits sous l'influence chaldéenne. C'est en ce sens que H. Movons a pu soutenir ce principe , que lea aramaismes , dans un livre hébreu, sont la preuve d'une très-récente oud'une très-ancienne composition^.^ Quelques faits établissent, d'un autre cAté, la séparation des dialectes sémitiques à une époque fort reculée. Les noms des tribus arabes , mentionnés dans les parties les plus anciennes de la Genèse, sont quelquefois précédés de l'article el, et nous ofl^nt, par conséquent, un des traits caractéristiques de la langue arabe. Laban [Gen. xxxi, 67) nomme en araméen ir Knnnv le monument que Jacob a appelé en hébreu iy^3* €e n'est là sans doute qu'un thème étymologique sur le nom de Galaad, fait après coup, comme on en rencontre tant dans la / Gonf. J. H. Michaelis, notes au traité de la Pùéne sacrtk des Hébreux , de Lowth,leçoii8 3*et3d*. ' Zniêehr^fir Pfctl uni kathol 7A«ol. (Bonn) , XVI , 1 67. 10& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Genèse ; mais ce passage nous atteste au moins qu'à Tépeque où la tradition se fonna les deux dialectes étaient parfaitement distincts. Il faut donc comprendre les dialectes , en linguistique, de la même manière queFon entend , en histoire naturelle , les espèces constituées, c'est-à-dire comme un fait actuel et désonnais pennanent, sans rechercher si les diversités présentes exi^ taient ou non à Torigine. Chaque dialecte porte son caraetire naturel, qui suffit pour lui assurer une existence indépen- dante. Les langues toutefois, tenant intimement au* carac- tère variable et progressif des facultés humaines , n'ont pas la stabilité des espèces de la nature. Elles participent à toutes les révolutions de l'histoire et de l'esprit humain , et peuvent , en se combinant dans des proportions diverses» engendrer des idiomes nouveaux , qui sauront eux-mêmes , par l'originalité des lois du mélange, arriver à un cachet individuel. Ce sont ces révolutions que nous alloua exposer, en traçant le tableau des fortunes diverses par lesquelles ont passé les diverses langues sémitiques, depuis les temps historiques jusqu'à nos jours. f» LIVRE DEUXIÈME. PREMIÈRE ÉPOQUE DU DéVELOPPEMENT DES LANGUES SÉMITIQUES. PÉRIODE BiSBAÏQUE. CHAPITRE PREMIER. BBANCBB T^BACHITE (éÉBBBv). $ I. LlustQÎre^nérale.de&ilangaes sémitiques se divise, pour nous , en trois période^Mâtt distinctes. La première , représentée par YhAreu, s'étend à 'peu près jusqu'au vi* siècle avant notre ère, c'est-à-dire jusqu'au moment où la langue hébraïque cède à l'influence prépondérante de l'araméen. La seconde, que nous appellerons araméenne, et qui est, en quelque sorte, le moyen flge des langues sémitiques , s'étend depuis le vi* siècle avant notre ère jusqu'au vu* siècle après J. G. c'est-à-dire jus- qu'au moment où l'arabe prend une importance décisive en Orient Enfin la troisième période, durant laquelle Yarabe ab- soibe et fait oublier toutes s^ sœurs, s'étend depuis le siècle de l'hégire jusqu'à nos jours. Cette division correspond, comme on voit, à la division même des dialectes sémitiques en4rois familles : famille du nord ou araméenne, famille du milieu ou 106 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. chananémne, famille du sud ou arabe. G'edt qu'à vrai dire ces trois divisions sont moins celles de trois langues distinctes que de trois âges d'une même langue , de trois phases par lesquelles a passé le langage sémitique , sans jamais perdre le caractère primitif de son identité. Il importe d'ajouter que cette division, pour rester véritable , ne doit être prise que dans un sens général , et avec trois res- trictions importantes, i** Les idiomes l'emplacés par un autre, l'hébreu par l'araméen , le syriaque par l'arabe , ne disparais- sent pas pour cela entièrement : ils restent langue savante et sacrée, et, è ce titre, continuent d'être cultivés longtemps après avoir cessé d'être vulgaires. C'est ainsi qu'une partie très-importante de la littérature syriaque ne s'est produite que depuis l'hégire; c'est ainsi que des ouvrages essentiels du ca- non hébraïque n'ont été écrits qu'après la captivité, et que ces deux langues sont encore écrites de nos jours dans les reli- gions respectives qui les ont adoptées, a^ Cette succession des trois langues sémitiques ne peut signifier que chacune d'elles ait été parlée en même temps dans toute l'étendue des pays occupés par la race sémitique; elle signifie seulement que chacun de ces trois dialectes fut tour à tour dominant, et re- présenta , à son jour, le plus haut développement de l'esprit sémitique. Toute l'histoire intellectuelle des Sémites, en effet, se partage, comme l'histoire des langues sémitiques elles-mêmes, en trois phases : hébraïque , chaldéo^yriaque et arabe. 3^ Cette division enfin ne doit point être entendue d'une manière ab- solue, mais seulement par rapport à l'état de nos connaissances. Ainsi il paraît certain qu'il y a eu à Babylone un mouvement de littérature sémitique parallèle ou antérieur à celui des Israélites et des Chananéens ; mais ce mouvement, n'étant représenté par aucun texte qui soit parvenu jusqu'à nous dans sa langue ori- LIVRE II, CHAPITRE I. 107 ginale , est comme s'3 n'était pas relativement au genre de re- cherches qui doit nous occuper ici. Le pays de Ghanaan est donc le premier thé&tre sur lequel ta philologie peut étudier te développement des langues sé- mitiques. Autant qu'il est donné à la science de pénétrer le mystère des races primitives , ce pays nous apparaît comme re- couvert par trois couches successives de population : 1 "^ Des faces sauvages et sans doute non sémitiques , restées dans le souve- nir des Hébreux, comme autocfathones (pto onVu), sous les noms de Ne/Sm, Endm, Refam, Zousim, Zamzommim, Enakim, races gigantesques et titaniennes, objets de traditions fentas- tiques, et repréi^ntant, comme les habitants de Tlnde anté- rieurs à la race brahmanique , cette première humanité sauvage que partout les races civilisées paraissent avoir rencontrée sur leurs pas^. Ces races disparurent de bonne heure; car la table du X* chapitre de la Genèse , qui énumère dans un si grand détail toutes les tribus chananéennes , n'en fait aucune men- tion : on n'en trouve plus que des individus isolés du temps de David (II Sam. xxi, 16, 18). — 2. La race sémitique de Qumaan (Amorrhéens, Héthéens, Hévéens, Phérézéens, Ger- gézéens, Gébuséens), désignée par les Grecs sous le noib -âe Phémetens, mêlée, i^de restes de l'ancienne population , tels que les Enakim; 9* à l'orient et au sud, des tribus arabes el, par conséquent, sémitiques aussi (Amalékites, Dip ^33, ou Orien- Utux, les mêmes qui furent plus tard appelés Stiracènes, etc.*). — 3. Enfin l'émigration sémitique de Tharé, ^venue de la Ghaldée septentrionale, laquelle, à diverses époques, traversa ' Cf. BorOiean, Zm- GuckidUê d» iimwiiteii, p. i38 et suiv. — Ewald, 6f- ttkkht» dm VoUsm luxul, t. I, p. 97a et saiv. — Leogerke, K$nium, p. 178 eC toiv. — Mniik, PaUttine, p. 75 et suif. * Ewald, I, p. 996 et suiv. — Lengerke, p. 900 et suiv. |08 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. le pays, y ^laissa plusieurs de ses rameaux, comme les Edo- mites, les Ammonites, les Moabites^ et finit par s'y établir, quinze cents ans environ avant Tère chrétienne, sous le nom d'Israélites ou Beni-Israël, en s'assimilant ou en étouffant.les races antérieures. Dans ce dénombrement ne sont pas compris les Philistins, dont le classement ethnographique offire de grandes diffitultés, mais qui semblent se rapprocher des Ghananéens. Vhébreu nous est parvenu comme la langue particulière des B^nirlsraël. Mais on ne peut douter que cette langue n'ait été commune à beaucoup d'autres peuples, et spécialement à toute l'émigration de Tharé. Lé nom d^Hébreux [ceux d'au ^^là) dé- signa d'âd>ord toute la branche de cette émigration qui passa l'Euphrate. Nous voyons, il est vrai (Gen, xxxi, 67), Laban, qui appartenait à la même famille, mais qui n'avait pas passé l'Euphrate, donner à un monument un nom araméen, tandis que Jacob, Âbrabamide émigré, appelle le même monument d'un nom purement hébreu; mais il y a dans cet endroit une intention d'étymologie fictive et d'allitération qui empêche d'ac- cepter le fait comme une donnée historique. Si l'on considère , d'ailleurs, que le phénicien nous apparaît d'autant plus sem- blable à l'hébreu qu'on remonte plus haut vers l'antiquité, on est amené à envisager l'hébreu moins comme la langue parti- culière d'une tribu que comme l'expression commune du génie de la race sémitique à son premier &ge. C'est en hébreu que nous sont parvenues les archives primitives de cette race, de- venues par une remarquable destinée les archives du genre hu- main. C'est en % hébreu que nous sont parvenus ses premiers dires poétiques , ses proverbes les plus anciens. L'hébreu est ainsi , dans la race sémitique , ce qu'est le sanskrit dans la race indo-européenne, le type le plus pur, le plus complet de la famille , l'idiome qui renferme k clef de tous les autres , l'idiome LIVRE II, CHAPITRE I. 10^ des origines, en un mot, dépositaire des secrets historiques, linguistiques et religieux dç la race à laquelle il appartient. C'est un fiedit généralement admis que les Ghananéens , au moment de Fentrée des Beni-Israël dans leur pays, parlaient une langue fort analogue à lliâ)reu^ Isaîe (m, 18) appelle l'hébreu langue de Chanaan. Tous les anciens néms chananéens d'hommes et de villes, tels que Abmékk, Adoni-Bézek, Kiriat^ Sepher, Kmat-Iearùn sont purement hébreux , et d'une figure si caractérisée qu'il n'est pas permis de croire qu'on les ait tra- duits ou hébraîsés , d'après un procédé d'ailleurs très-familier aux Orientaux dans la transcription. des noms propres. On ne voit pas que les Hâ)reux et les Ghananéens aient jamais éprouvé la moindre difficulté pour s'entendre» Enfin plusieurs particu- larités, l'emploi de u] (la mer), par.exemjde, pour désigner l'occident, démontrent que la langue hébraïque n'a pu se for- mer que dans la région géographique oui , depuis un temps im- mémorial , nous la voyons pariée. Ge n'est pas sans quelque surprise qu'on arrive à ce résultat. Que deux branches aussi distinctes de la famille sémitique que l'étaient les Ghaûanéens et les Israélites^ se retrouvent, après avoir couru les aventures les plus diverses, pariant le même dialecte, c'est là certes un fait étrange, et l'on conçoit que les anciens critiques , tantôt aient soutenu que les Abrahamides , à leur entrée en Palestine, adoptèrent la langue du pays, tantôt aient nié hardiment , comme Herder ^, que l'hébreu fAt la langue de Chanaan. Ni l'une ni l'autre de ces deux opinions ne paraît acceptable. La difficulté tient peut-être à ce qu^on s'est exagéré l'opposition qui dut exister dans la haute antiquité entre les ' GoDf. GeKsmu.Guehùshta ékr h^. Spr. S 7. — Bochart, Oiamumy 1. H, r. 1. — Mank, Pàhitme, p. 86 et suiv. ' Pàétie dm HSiwx, àî^li. 110 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Israélites et les Chananëens. Sans admettre, avec MH. Hovers et LeagerkeS que les Héhreux et les Ghananéens aient en pen- dant longtemps nne religion à peu près identique, il faut avouer que ce n*est qu'à une époque relativement moderne que les premiers arrivèrent à cet esprit d'exdusiim qui carac- térise les institutions mosaïques. Une foule de données de la religion phénicienne se retrouvent dans l'ancien culte hébreu^. A l'époque patriarcale, on voit les Âbrahamides accepter pour sacrés tous les lieux que les Ghananéens prenaient comme tels , arbres, montagnes, sources, bétyles ou beA-el. Après la sortie des Israélites de l'Eg^>te , le ccmunerce des deux races devint encore bien plus profond. Ce fut, sans doute, dans-ee contact intime et prolongé de deux dialectes très^ressemblants que se f(Mrma l'hébreu'. S'il y eut toutefois dans cette génération un élément dominant, nous croyons que ce fut l'élément chana- néen : il est naturel, en effet, de supposer que le dialecte par- ticulier des Abrahamides, lorsqu'ils passèrent FEuphrate, se rapprochait davantage de Taraméen. Il faut dire de la littérature hébraïque ce que nous venons de dire de la langue hébraïque. Bien qu'elle nous soit par- venue c<»nme la propriété exclusive des Israélites , cette litté- rature est , à beaucoup d'égards , commune aux tribus voisines d'Israël. On est obligé de supposer qu'avant les Israélites d'autres * Moven, Die Vkœnmer^ I, p. 8-9, etc. — Lengerke, Kmaan, p. 987 et 8inv. *Maven,p.99, i39*iB3,95&, 986, 3 1 9-3 s 1,539-558. — Ewald,ii6A.tî6«r ^uphœn. Âmichten wm der WelUehcepJung ; Gœttingen , 1 85.i . — Bunsen , ^gyp- Uni Stêllê, V Bach, III Abth. Beaucoup de faits portent à croire que les Phéni- ciens eurent d*abord une Un monothéiste , analogue à celle des Hébreux (BovpA == n'^\r\ , Xovpfcotf^vAof sa 73 " ^Itdtf ). Les plus grandes précautions sont toutefois commandées dans ces rapprochements. Je suis persuadé, en effet, que les auteurs «ndens qui ont traité de la Phénide ont souvent présenté comme phéniciennes de» données hébraïques grossièrement altérées. ^ Berihean, 0p. ett.p. 179. LIVRE II, CHAPITRE L 111 nations sémitiques possédaient récritore et des écrits. Nulle part , en effet, si ce n'est dans des traditions modernes sans aucune Taleur, les Hébreux ne se donnent comme ayant inventé récri- ture : ils Tout donc ^npruntée à quelqu'un des peuples avec lesquels ils étaient en rapport, sans doute aux Phéniciens ^ De plus, quelques. fragments insérés dans les histoires hé- braïques semblent provenir des archives d'un peuple voisin : tels sont, par exemple, là généalogie si exacte des Edomites {Gen. XXXVI ), le récit de la guerre des rois iraniens contre les rois de la vallée de Siddim [Gen. xiv), où Abraham figure comme un étranger : Abram VHéhreu, qui habitait la chemaie de Mamhri ï Amorrhém (vers. i3), les curieux synchronismes établis (Nambr. xni, 9â) entre la fondation de l'Hébron et celle de Tanis en Egypte^. Quoique les renseignements qui nous ont été transmis sur l'ancienne littérature phénicienne soient vagues et parfois suspects', on ne peut croire, cependant, que l'écriture n'ait servi aux Phéniciens qu'à écrire sur le métal et la pierre, et l'on doit supposer que, dès une haute antiquité, ils avaient des annales et des cosmogonies^ qui auront péri lors de l'envahissement du pays par l'esprit grec. L'origine de l'écriture, chez les Sémites comme chez tous les peuples, se cache dans une profonde nuit. Ce n'est point ici qu'il convient de discuter les hypothèses qui ont été hasar- dées sur ce sujet. L'alphabet sémitique vient-il des hiéro^yphes de l'Egypte, comme le veulent MM. Hug, SeyfFarth, 01s- hausen , Lenormant , ou des caractères cunéiformes de l'Assyrie? ^ Geiemiis, Gueh. dêr htbr. Spr. und Schr^, S /ii, et Monmmenta phameia, i. I, c f. — Ewald, Gêich, dê§ VoQeéi lirtui, I, p. 67 et suiv. — Lengerke, £ir- , p. zuiii et suiv. * Ewald, I, 70-71. — Lengerke, p, xuiii et suiv. ^ Ifoven, Dk Phœnizier, I , p. 89 et suiv. 112 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Tient-il des uns et des autres , comme le soutiennent MM. Lep- sius, Lœwenstern? Sont-^e les Hyksos, ainëi que le suppose M. EwaldS qui firent passer Técriture égyptienne de l'état pkonétique k Tétat syllabique ou alphabétique , conmie les Ja- ponais et les Coréens Font fait pour l'écriture chinoise? Ce sont là autant de questions que nous ne voulons pas aborder, parce qu elles trouveront place plus conunodément dans le se- cond volume de cet écrit. Pour affirmer que Talphabet sémi- tique, tel que nous le connaissons, toujours semblable à lui- même , est réellement une création des Sémites, il n'est point nécessaire de soutenir que les Sémites, en le créant, ne se sont appuyés sur aucun essai antérieur^. Il suffit que l'idée de l'alphabétisme , cette merveilleuse décomposition de la voix hun»|)ne , leur appartienne en propre. Or ceci ne peut être mis en doute. L'alphabet sémitique correspond si parfaitement à l'échelle des articulations sémitiques, l'absence d'une nota- tion pour les voyelles tient si profondément au génie des langues en question , qu'il faut supposer que l'alphabet sémitique a été taillé sur le moide même des idiomes qu'il sert à peindre aux yeux. Les noms seuls des lettres, qui sont presque tous sémi- tiques , ne f oumissentr-ils point , à cet égard , la plus évidente démonstration'? Quel est le peuple sémitique auquel appartient cette inven- ^ Gadi, dm F. J. 1 1, p. &7A. — Gonf. Lengerke, op. ctl. p. 876. * Le fait, depuis longtemps observe, «pie la forme de chaque lettre représente dans les anâens alphabets sémitiques ce que le nom de la lettre signifie, est Tin- dice d^un procédé analogue à celui des écritures hiérogglyphiques; mais on ne sau- rait rigoureusement condure de là que Palphabet des Sémites soit le résultat de la simplification graduelle d^un système idéographique antérieur. Les ressemblances de nom et de forme qu^on a signalées entre certains caractères sémitiques et %yp- tiens sont, il est vrai, plus significatives. ' Bertheau, op. cii, p. 107. — Gesenius, Guek, dtr hebr. Spr, und Sehrft, LIVRE II, CHAPITRE 1. 113 iîon admirable? L'antiquité n'a qu'une voix pour en faire hon- neur à la Phëniçie. Hais leâ Phéniciens , ayant été les seuls intermédiaires entre la race sémitique et le reste du monde, ont dû pas^r bien souvent pour les inventeurs de ce qu'ils n'ont fait que transmettre. Les Phéniciens ne sont , en géné- ral, que les courtiers d'une civilisation qui a son centre à Ba- bylone. Tout porte à croire que Babylone, qui a donné au monde le système des poid&et des ïnesures^, a créé également l'alphabet de vingt-deux lettres. A Babylone s'en retrouvent les plus anciens spécimens^; l'antiquité associe souvent l'As- syrie à la Phéoicie dans le suprême honneur de cette inven- tion'. A Babylone enfin a été inventé, selon toute apparence, le système cunéiforme, de là transporté à Ninive, puis à Ec- batane^. Mais il répugnera toujours de croire que le système sémitique , avec sa belle économie , soit sorti de l'exubérance mal entendue des écritures cunéiformes. Il y a un abîme de l'un de ces systèmes à l'autre. L'écriture égyptienne, malgré tons ses {urogrès, n'a jamais dépouillé complètement la tache de son origine hiéro^yphique ; l'écriture cunéiforme la plus avancée, celle de Persépolis, est à une distance infinie du sys- tème sémitique. Comment, d'ailleurs, si l'aljphabet de vingt- deux lettres était sorti de l'écriture cunéiforme par un progrès continu, trouveraitron à Ninive et à Babylone les deux systèmes employés simultanément dès une assez haute antiquité? Le s &o. — ^Leprios , Utbtrdiê Anordmtng und VmvxmdUehafi dêêSêmitiicKen, Inditchen , MUuopÈMeKm, AUpenUehen und AU-jEgyptiêehën Alphabets; Berlin, i836. — Bmiseii, Omlmw, I, 95& etniiv. E, 1&-16. 1 Jhaàh^Mêtrologiêehêlkttnuehmgm; Berlin, i838. ' Voy. nipra» p* 7s* ' Diod. Sic V, Lxxiv, t. — Pline, VII, 56. — Bërose, dans les Fragm. Kiêt. grm€, de Ch. Ifoller, t II, p. Â97. * JêmTud MMl. joillet i8&5, p. Zh. » 1. 8 ilA HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. système plus compliqué, après avoir produit sa denûère sim- plification, n'aurait-il pas disparu, laissant la place à l'alpha- bet qui, dans le reste du monde, devenait l'écriture défini- tive et universelle du genre humain? sn. L'histoire de la langue hébraïque, en tant que langue vi- vante, peut se diviser en trois périodes : i^ période archaïque, antérieure à la rédaction définitive des écrits qui forment le canon hébreu; s"" période classique. Age d'or de la littérature hébraïque y durant laquelle la langue nous apparaît parfaite- ment formée et pure de fout mélange étranger; S"" période chaldéenne, durant laquelle la langue s'altère de plus en |dus par le mélange des idiomes araméeris, qui finissent par l'é- touffer. • n est difficile de déterminer avec précision jusqu'à quelle antiquité on peut suivre l'état de la langue hébraïque par des mmion paraît cependant établie i Tépoqne de Tère chrétienne. (Y«y. de Wette, t^.eiLÎ i63;) * Getenhis, Ge$ch, der hein: Spraehê vnd Schrift, S & i . — Winer, B^l. Ihal- wmrL art. Sekrmbkumt. — Ewald, Gêieh. d$ê Volk. Itr, I, 63 et suiv. — Lengerke, Kttmam, p. xixiii et suiv. — Hitsig, IXe Erfindung âêt Afyhabêts; Zurich, 1860. ^ Kopp, BiUer wid SekfiêH àtr Vbtmty t. II, S«mU Pulmogr. 8. 116 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. core qu'un objet où un fait associé à un autre d'une manière arbitraire. — Au sortir de TEgypte, cependant, nous trouvons les Israélites en possession de l'écriture , au moins de l'écriture solennelle, gravée sur la pierre. On ne peut douter q«e le journal des campements du désert, le décalogue et quelques antiques Thokdoth n'aient été dès lors fixés. Au Livre des Nom- bres (cb. XXI, V. i& et 37), nous voyons citer deux fragments de cbants populaires, extraits d'un Lwre des guerres de Jâovak, qui doit avoir été presque contemporain de Moïse. Beaucoup d'autres relations des temps mosaïques , où il est question de l'emploi de l'écriture , pourraient être considérées comme des anacbronismes du dernier rédacteur, attribuant, suivant l'u- sage des historiens naïfs , aux temps anciens des traits d*une époque plus moderne; néanmoins les faits précités semblent suffisants pour prouver que , dès lors , les Israélites possédaient l'alphabet. Certes , à les voir entrer en Egypte ne sachant point écrire et en sortir avec l'écriture , on est bien tenté de croire qu'ils durent cette révélation à l'Egypte elle-même. Néanmoins la différence radicale du système égyptien et de celui des Hé* breux, et plus encore l'évidente parenté de l'alphabet hébreu avec l'alphabet phénico-babylonien , opposent à cette induction des difficultés capitales. Il est douteux qu'aucune des hypo- thèses qui ont été ou seront imaginées pour expliquer ce sin- gulier phénomène historique réussisse jamais à satisfaire une critique exigeante et délicate. On a très-bien aperçu , dans ces dernières années , où il fal- lait chercher l'analogie des procédés qui ont présidé aux trans- formations successives des écritures historiques des Hébreux : c'est dans l'historiographie arabe. Lorsque l'on compare, en effet, les unes aux autres les diverses classes d'historiens mu- sulmans , on reconnaît que tous ne font guère que reproduire r LIVRE H, CHAPITRE I. 117 un fond identique , dont ia première rédaetion se trouve dans la Chronique de Tabari. L'ouvrage de Tabari n'est lui-même qu'un recueil de traditions juxtaposées, sans la moindre in- tention de critique, mentionnant avec prolixité les autorités sur lesquelles l'auteur s'appuie; plein de répétitions, de con- tradictions, de dérogations à l'ordre naturel des faits. — Da^s Dm-al-Athir, qui marque un degré de rédaction plus avancé, le récit est continu, les contradictions sont écartées, le nar^ rateur choisit une fois pour toutes la tradition qui lui paraît la plus probable et passe les autres sous silence. Des direê plus modernes sont insérés çà et là; mais au fond c'est toujours la ihéme histoire que dans Tabari, avec quelques variantes et aussi avec quelques contre-sens, lorsque le second rédacteur n'a pas parfaitement compris le texte qu'il avait sous les yeux. — Dans IbhrKhaldoun , enfin, la rédaction a passé, si j'ose le dire, une fois de plus au creuset* L'auteur mêle à son récit des vues personnelles; on voit percer ses opinions et le but qu'il se propose. Les interstices des documents sont remplis par une aorte de ciment fonné de rapprochements et de conjectures souvent arbitraires : c'est une histoire arrangée,, complétée, vue à travers le prisme des 'idées de l'écrivain. L'historiographie hébraïque a traversé des degrés analogues. Le Deutéronome nous présente l'histoire arrivée à sa dernière période , l'histoire remaniée dans une intention oratoire , où le narrateur ne se propose pas simplement de raconter, mais d'é- difier. Les quatre livres précédents laissent eux-mêmes aper- cevoir les sutures de fragments plus anciens , réunis , mais non assimilés dans un texte suivi. Cette hypothèse, présentée d'a- bord comme un hardi paradoxe au siècle dernier, est mainte- nant adoptée de tous les critiques éclairés en Allemagne ^ On ' Ewald, Gm^, in F. Im-mI* 1, 7 a et niiv. — ^Lengerke , XinMHM> p. xxxvi et soiv. 118 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. peut différer sur la dtrision des parties , sur le DMnbre et le caractère des rédactions successives ; on ne peut plus dooterifai procédé qui amena , au yiii* siècle avant notre ère , le Penta- teuque et le Livre de Josué à leur état définitif. Il est dair qu'un rédacteur y^&om(e (c'est-à-dîre employant dans sa nar- ration le nom de Jéhoyahy a donné la dernière forme à ce grand ouvrage historique , en prenant pour base un écrit Sahùte (c'est-à-dire où Dieu est désigné par le mot ÉMim)^ dont on pourrait encore aujourd'hui reconstruire les parties essen- tielles. Ceci n'enlève rien k la valeur des documents histori- ques contenus dans ce précieux écrit; mais on sent que^ pour Fhistoire de la langue, ce n'est pas à un livre ainsi rajeuni que Ton peut demander des témoignages d'une haute anti^ quité. La langue générale du Pentateuque, en effet, est l'hébreu classique , sans aucun caractère particulier d'archaïsme. Il se- rait singulier que de Moïse à Jérémie, c'est-à-dire pendant près de raille ans, l'idiome des Israélites n'eAt point prouvé de changement. Les deux ou trois particularités de style qu'on # relevées dans le Pentateuque : mn pour K^i, b^ pour n^ie, ifi employé pour les deux genres , n'offrent aucunement le carac- tère d'archaïsmes ^ : ce sont des faits isolés provenant des habi- tudes particulières de l'auteur; car, en soutenant que la kmgue du Pentateuque est identique à celle de tous les écrits hébreux de l'époque classique , on ne prétend pas nier que le style de p. Liai et suiv. — De Wette, Einkitimgf S i5o et suiv. — Stahelin, Kritiichê Vntenuehungin ûbm'den Ptntateueh; i8/î3. — Tuch, KonunetUarnberdiê GenatM, Eiid. — Moven, Hût, emumi» Frt. Tnî, Bredao; i8&s. — Monk, PaUttùie, p. i&«. ' Le premier de ces idiptismes ee retromve ailleurs que dans ie Pentateuque ( cf. Gesenius Theg, au mot K^H. Lehrgebeeude, p. 901. — Ewald, Kriliiche Gram- fNofifc, p. 1 76). Les rares expressions archaïques conservées dans le récit sont im- médiatement expliquées par des gloses ; voir, par exemple , Gm, xxxix ,30. LIVRE II, CHAPITRE I. 119 cet ouvrage (en y comprenant le Livre de Josaë) ne se distingue nettement de celui des autres livres historiques, des Livres des Rois, par exemple. 11 est mâme facile de trouver entre les pièces diverses qui le composent, et surtout ^itre les deux sé- ries de documents élohistes et jébovistes, de sensibles diffîé* rences dafis le chpix des expressions et le tour du récit^. Ce qu'il importe de maintenir, c'est l'unité grammaticale de la langue bébnâque, c'est ce fait qu'un même niveau a passé sur les monuments de provenances et d'Ages si divers qui sont en- trés dans les archives des Israélites. Sans doute il serait témé* raire d'affirmer avec M. Movers^ qu'une seule main a retouché presque tous les écrits du canon hébreu pour les réduire à une langue uniforme. Il faut reconnaître, toutefcûs, que peu de littératures se présentent avec ^nn caractère aussi impersonnel, et ont moins gardé le cachet particulier d'un auteur et d'une époque déterminée. Nous serions donc tout à fait privés de renseignements sur les temps anciens de la langue hébraïque, si des livres rédigés à une époque relativement moderne ne renfermaient des do- cuments textuels d'un^ bien plus haute antiquité. Le Penta- teuque et les livres historiques rapportent souvent, dans leur forme rhythmique, des dires populaires, dont le style a une physionomie très-ancienne. Le Livre des Psaumes , d'un autre c6té, contient quelques morceaux qui nous font atteindre jus- qu'aux origines de la nationalité israélite, de même que le Kitâb eUAgàni, rédigé seulement au x* siècle , nous a transmis avec une exactitude suffisante les plus vieux souvenirs de la poésie arabe anté-islamique. ^ De WeUe, EmkUung, p. «77 et suiv.— EwaM, Gtêch, en F. /jroei, I» 77-78- ' fhêL eanotm Fc(. Teti. p. 1 1 et çuiv. ISO HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Au premier rang de ces antiques firagments , il fiwt placer • les légendes paraboliques conservées dans la Genèse , remplies de jeux de mots, d'oppositions, d'ass : ^^, no», **Y)^^ [Gm. XLix, ii, ifl). Certains cantiques ou fragments de cantiques destinés à être appris par cœur^ nous ont aussi conservé les restes d'une langue plus ancienne que la prose des livres historiques. Sans doute la plupart des morceaux dont nous parions paraissent avoir été retouchés ou consignés par écrit à des époques rela- tivement modernes ;- mais leurs obscurités et la couleur abrupte de leur style suffisent pour les distinguer des poèmes qui ont été composés avec réflexion. Au nombre des monuments les plus anciens de cette poésie traditionnelle, il faut mettre le psaume Exmrgat Deus (ps. liviii), admirable série de frag- ments lyriques, portant tous un caractère marqué de circons- tance , tous relatifs à un même sujet , l'arche , sa marche dans le désert, le triomphe de Jéhovah et sa protection sur son peuple'. Tel est aussi un des morceaux les plus anciens de la * Comparez les recœib analogueB que possèdent les Arabes, et en partîciilier le RgAând-àlbéè (/rarn. «ttal. Jnin i853, trad. de M. Sanguinet(i). * Cf. Ewatd, Gê$eh. dêê K. Imrael, I, p. ût. ^ VtaMme obscurité de ce morceau et de toutes les piieea analogues vient , en grande partie, ce me semble, de la faute des copistes ou des rédacteurs fkas mo- / 133 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. littérature hébra!({ae, le cantique de Débora, dont i^tuthenti- «îlé a enlevé les suffrages des critiques les plu^ diffieilos. Tels sont enfin les masehal de Balaam et les firagments de chants populaires sur la prise d'Hésébon, rapportés au chapitre xu du Livre des Nombres (v. i&-i5 et ây-So). Quant au chanta connu de Moïse après. le. passage de la mer Rouge [Exod.v^^ il n'a pas la même physÎMiomie d'archaïsme : en supposant que le début de ce morceau soit antique, on ne peut douter qu'il n'ait été développé d'une façon oratoire à une époque rdative* ment moderne. Il en faut dire autant du cantique du Deuté- ronome (ch. uxii)» où l'emploi d'une certaine rhétorique et l'intention de réchauffer dans les Âmes le zèle du mosalsme sont plus sensibles encore. Enfin les noms propres , témoins si sûrs de l'état archaïque d'une langue, nous ont souvent conservé des formes et des mots hébreux tombés en désuétude. Ainsi l'aptitude à former des mots composés au moyen des formes construites en ^ et en 1 , aptitude que les langues^ sémitiques ont perdue de très-bonne heure, se montre dans les^noms propres hé- breux et phéniciens : Malki-^edek, Methursehaël, Han»i-baal, Azmrhaal. Les noms qui commencent par la préformante \ tels que pns\ 3py% etc. préformante qui n'est restée dans aucune langue sémitique pour les substantifs S niais qui, dans la conjugaison f indique l'attribution de l'action verbale à une personne, nous révèlent un des secrets les plus in- times de la formation des langues sémitiques. £t la preuve dero68 , qui , ne oomprepiant pas bien le texte archaïque qo^iis avaient sous les yeux , Testropiaient on y introduisaient des diaogements arhitcaiirea* ' Un certain nombre de noms de i*antiqnité arabe ^ S^T*^ ' t_tj^T oAl « ^^ sont formés de )a même manière ; mais il ae peol qoa les AkAm aient foq^ ces noms^ pour la plupart Mniieux , diaprés ranalofpe des noms hébreux qu'ils avaient adoptés. LIVRE II, CHAPLTAE L 133 que ces noms appartie&nent à une iMgue^foi n'était déjà plus comprise des Juifs, à l'époque de la rédaction (fe leurs ou- vrages historiques, c'est que la plupart d'entre eux servent de thème à des étymologies fictives. Dénués, comme tous les anei^is, du sentiment de l'étymologie scientifique, n'y cher- chant que des aUitérations et des jeux de mots^ les écrivains hébreux prirent à tâche d'expliquer tous ces noms antiques par la langue qui se pariait de leur temps : ainsi, HE ^^^ ^ de n^^, Vsa de V'ts, tsue*! de ^^^^^ nM*!, à peu près comme, dans le Cratgle de Platon, Oreste est tiré de Ùp$iv6§, et Âgamemnon de kyaarlbg éniftopp. De le , ces légendes étymologiques ratta- chées, dans la Genèse, & la naissance de tant de personna- ges^. Pour expliquer la double orthographe du nom d^ Abraham, l'auteur {Gen. xvii, 7) a recours à la glose D^^3 ]yon 2H. Pour rendre compte du nom chananéen de Maria [Gen. xxii, 8, 1 &), il joue sur le proverbe hébreu : ntni njnj "ina^. Quelquefois * M. h&tàk (SprachfhiL detÂUen , III , 1 1 3, 1 84, etc.) a rassemble dans Homère , Eschyle, etc. un grand nombre de ces ëtymologîes ou piatôt de ces calemboora. * D ne faudrait point toujours révoquer en doute la réalité historique de telles l^endes. ( Voir de curieux sujets de rapprochements dans le Mémoire mw U Soyr ion, de M. d^Escayrac de Lautare, p. &5-Â6.) ' Ce procédé de la légende étymologique est commun à tous Jm peuples de Tantiquité, et a donné naissance à une foule de mythes. Les anciens ne connais- saient généralement que leur propre kngue , et de cette langue ils ne connaissaient qnè k forme contemporaine: en présence d^un mot dont la signification était per- due 00 d^un mot étranger, ils ne pouvaient songer à en chercher Torigine ailleurs qne dans Tidiome qu^ils savaient L^anecdote naissait au besoin pour justifier Té- tjmoiogie ainsi imaginée. Soit le mot hyrëa, par exemple, dont Torigine est évi- demment sémitique (Kni^S, forteresse, nom de plusieurs villes de Syrie). Un Grec n^a pu chercher Tétymologie de ce mot que dans pùpaa* De là la nécessité d'une l^;ende on il entrât du ewr, et la fable de la peau de bœuf qui servit à dé- terminer Taire de la citadelle de Garifaage. On trouve ehei les Barmans une fable eiactement semblable sur le nom de la ville de Prome (voy. /otim. êêè SawmUt iS33, p. 91 -s 9). Les mytbologies de Tlnde, de la Grèce, des Scandinaves, des Kimris oflrent d'innombrables exemptes de ce procédé. iS& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. même ces explications sont empruntées aux langues vomnes de lliébreu. Ainsi le nom de la numne^ est tiré de ce que les Israélites, à la vue de cette substance, s*écrièrent : K)n*]0 «Qu'est-ce que cela?^ [Exod. xyi, i5, 3i.) Or le mot |D, qui sert de base à cette étymologie, ne se trouve pas en hé- breu 9 mais bien en araméen , et l'auteur 9 soin de Téclaircir par l'hébreu le^rrnp. Ces jeux étymologiques nous mettraient sur la voie d'archaïsmes importants, si l'on pouvait déterminer l'époque à laquelle ils sont entrés en circulation. Il est remar- quable qu'on y suppose presque toujours la bilitérité primitive des radicaux : ainsi p.E joue avec >nug [Gen. iv, 1), n^ avec Dn^ [Gen, v, s 9), etc. Quelques-unes de ces légendes nous ont également conservé des mots ou des acceptions de mots qui avaient vieilli. Ainsi (G«». xv, a) l'auteur voulant jouer sur le nom de pççi (Damas), patrie d'Eliézer, fait dire à Abraham ^rua ptfp*|3 , où se trouve le mot p^ , qui avait entière- ment perdu sa signification, et qu'il. est obligé d'expliquer par S m. Pour trouver des monuments de la langue hébraïque qui n'aient subi aucun remaniement postérieur, il faut descendre jusqu'à la fin de l'époque des Juges, au siècle de Samuel (xi* siècle avant l'ère chrétienne). Ce moment est celui où la nation israélite arrive à la réflexion , et où se constitue défini- tivement l'esprit nouveau qui dominera toute la période des Rois, esprit plus positif, plus étendu, plus ouvert aux idées étrangères , mais moins spontané , moins naïvement religieux , ^ La vraie origine de ce âom parait arabe : >lAiJt /><• «^don dn ciel'». (Yoy. le fismot», 8. h. v. — Niebuhr, Iktcr^t, de VArtAie, V* part cb. nv, art 3. — GeBenius, Winer, «. h. v,) * Cf. GeMoiuB Tkes. au mot ptfÇ — Tuch, KômmetUat'ùbnr die Gen, a. h. 1. LIVRE II, CHAPITRE I. 125 I moins poétique. Israël passe de l'état de tribu , pauvre , simple , ignorant l'idée de nuyesti, à l'état de royaume , avec un pou- voir constitué , aspirant à devenir héréditaire. On ne peut nier <{u'il n'y ait eu à cette époque en Judée un mouvement d'or- ganisation politique très-remarquable, provoqué en grande partie par l'imitation de l'étranger ^ L'activité intellectuelle s'en trouva fort excitée , et certes ce n'est pas un siècle ordi- naire qui a pu produire ce cari^ctère si complexe de David, le type le plus étonnant peui-étre et le plus achevé de la nature sémitique dans ses belles et ses mauvaises parties. Samuel écri- vit, et les chapitres du premier livre intitulé de son nom , où son rôle politique est exposé , portent un caractère si personnel , qu'on est tenté de croire qu'il en est lui-même l'auteur. Il est certain du moins qu'il grossit le dépAt des livres qu'on gardait dans l'arche. «Samuel, est-il dit, proclama devant le peuple b constitution du royaume (np^^pn CDi(fp), et l'écrivit dans le Uvre (iDpa), et la plaça devant la face de Jéhovah. » (I Sam. x, 95.) Là étaient aussi, sans doute, le livre du n^^^ (/o«» x, i3; II Sam. I, 18), anthologie d'anciens cantiques, premier noyau du livre des Psaumes ^; le livre des guerres de Jéhovah [Num. XXI, i&, 97), contenant les plus vieux souvenirs militaires d'Israël , et les plus anciennes formules de la Thora. Tout porte k croire , en effet , que dans la pensée du peuple hébreu , à cette époque, il n'y avait qu'tm setd Iwre, le Uvre de VaUiance, dé- posé dans l'arche, et qui représentait les archives, toujours ouvertes, de la nation'. L'écriture ne servait point encore à des usages privés ni à l'expression de la pensée individuelle. * I Smmuêly tiii,5, so. * EwaM, Diê DiekUr du AUm Bmdn, 1. 1, p. soi. La récente tenlilîve du docteur DodiMmid peur reconstitaer ce livre ne mérite pas d*étre discutée. ' A peu pris ce qu'était dans les couvents du moyen âge le missel, sur le» 126 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Ce n'est qu'à Tépoque de David et de Salomon t[u'on*voit app&rattre une littérature hébraïque , dans le sens spécial de ee mot. Toutes les traditions juives nous attestent les goèls poétiques de David, les goAts philosophiques de Salomon. Sans doute la liste de leurs écrits s'est grossie , pour le premier, "de toutes les compositions laques analogues au sieànes; pour le second, de tous les écrits scientifiques et philosophiques légués par l'antique sagesse des Sémites; mais ces légMdes mêmes, et plus ^ilore les œuvres authentiques qui portent le nom de David, les passages historiques qui mentionnent les nombreux écrits de Salomon , attestent la part importante qu'ils prirent l'un et l'autre au travail intellectuel de leur temps. Il semble du reste que toutes les tribus t^achites partici* paient, vers cette époque, à un même mouvement intellectuel, dont la Palestine était le centre , et qui formait un ensemble fittéraire qu'on pourrait appeler k siiele de Sahmon. ci Dieu ^ donna k Salomon une science et une sagesse extraordinaires , et un esprit aussi étendu que le sable des rivages de la mer. Et fe sfiience de Salomon surpassa celle de tous les Arabes et toute la science de l'Egypte. Il s'éleva en sagesse aunlessus de tous les hommes , au-dessus d'Ethan l'Ezrahide , de Héman ^, deCalcol, de Darda, fils de Mahol/^tson nom se répandit chez les nations environnantes. Et Salomon prononça trois mille marchai ( proverbes ou paraboles ) , et composa mille cinq schir (chants lyriques). Et il traita de tous les arbres, depuis le cèdre qui croît sur le Liban , jusqu'à Thysope qui pages blanches duqud on écrivait les contrats, les nouveaux rè^ements, tout ce qu^il importait de fixer A un endroit connu. Le curieux épisode du Lhre i& la Loi trouvé sous Josias (II Reg. xxii) ftous fait assister à une de ces intemMîOns. ^ Fifeg. V, 9(111 Rêg, lY, 99, selon la Vulgate). ' Gâèbres poètes et chanteurs, auxqueb on attribue quelques psaumes* (GonC. Ewald, Dm "Dithier dei ^. B. 1 1, p. ais et suiv.) UVRB II, CHAPITRE I. 127 • sort des murailles, et il tmta des quadrupèdes, des oisecrux, des reptiles et des poissons '. Et on venait de tous les pays entendre la science de Salomoii , de la part de tous les rois qui avaient ou! parler de sa sagesse. 9 La légende de la reine de Saba caractérise à merveille l'émulation et l'admiration que le pranier éveil de k sagesse sémitique excita dans tout rOrient \ L'Idumée surtout semble avoir contribué pour une grande part à ce mouvement de philosophie parabolique ; la science de Tbéman (tribu édomite) devint proverbiale'; le héros et les interlocuteurs du Livre de Job sont Arabes ou Iduméens. Ce livre lui-même est moins une production îsraé- Ëte qu'une œuvre purement sémitique : on n'y trouve pas une allusion au mosaîsme; dans les parties essentielles du poëme. Dieu n*est pas désigné une seule fois par le nom de J^ovah. Il est remarquable, du reste, que le développement pro- fane et philosophique qui caractérise Tépoque de Salomon n'eut guère de suite dans l'histoire intellectuelle du peuple hébreu. Salomon paratt avoir eu bira moins que David le sen* timent de la grande mission d'Israël. Le but d'Israël n'était ni la philosophie, ni la science, ni l'industrie, ni le commerce. * M. Ewald entend ftar là une coflmographie dana le goure de celle de Kaz- wini, on deecription de toutes les créatures, en commençant par \^ plus grandes et finissant par les plus petites. J'aime mieux croire qu'il s'agit de moraUté» tirées des ammanxet des plantes, analogues à celles que nous lisons dans les Proverbes (ch. XXX ), et à celles du Pkifiiologfu , qui fnretft n populaires au mofyen |ge. L'idée d'une science descriptive de la nature est toujours restée étrangère aux Sémites. (Voir cependant /o6,ch. xxxvii-xli.) * Inutile d'ajouter que les traditions des Arabes, des Abyssins, etc. sur Salo- mon , n'ont aucun fondement national et sont de purs emprunts faits aux contes des nâibtns. Mais, en un sens plus gMral , Salomon, pris comme représentant de la sagesw gnomique des Sémites, est bien l'ancêtre commun de toutes les philo- soplûflsderOrient ^ JMm, XLix, 7. — Obadia, g. — Barueh, m, aa-aS. 128 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. < En ouvrant toutes ces voies profanes, Salomon fit en un sens dévier son peuple de sa destinée toute religieuse. Les prophètes eurent sous son règne peu d'influence ; il arriva à une sorte de tolérance pour les cultes étrangers , directement contraire à l'idée vraiment Israélite : on vit sur le mont des Oliviers des autels à Molok et à Astarté ! Aussi ses ouvrages se perdirentnUs pour la plupart; sa mémoire resta douteuse; la largeur d'idées qu'il avait un moment inaugurée disparut devant la réaction pure- ment monothéiste des prophètes , qui seront désormais les vrais représentants de l'esprit d'Israël. A partir de David et de Salomon, la langue hébraïque nous apparaît irrévocablement fixée, et n'éprouve plus que d'insignifiantes modifications ^ Le fait d'une telle inunobilité dural|| près de cinq siècles est sans doute extraordinaire ; mais il n'a rien d'incroyable pour celui qui s'est fait une idée juste de la fixité des langues sémitiques. Ces langues, en effet, ne vivent pas comme les langues indo-européennes : elles sem- blent coulées dans un moule d'où il ne leur est pas donné de sortir. L'arabe des Maallakât ne difière en rien de celui qui s'écrit de nos jours. On peut supposer, d'ailleurs, qu'il s'établit de bonne heure dans la littérature hébraïque , comme dans toutes les littératures, une langue des livrée, chaque écrivain cherchant à mouler son style sur celui des textes autorisés. La langue parlée, en effet, se rapprochait de l'araméen, et c'est pour cela que nous voyons les prophètes qui sortent des rangs du peuple , Amos par exemple , employer beaucoup plus de formes araméennes ^. C'est pour cela aussi que les poésies qui portent un caractère familier, comme le Cantique des cantiques , sont pleines d'aramaismes. Il résulte de ces faits que la litté- 1 Ewald, AuêJuhrUchêi Lêhrhueh der A«6r. .^. p. 91 (6*édît.). * IhitL p. 90, note. LIVRE II, CHAPITRE I. 129 rature hébraïque, comme toutes les autres littératures, a eu son époque classique, durant laquelle les écrivains fixaient une langue qui, pour eux, était celle de leur temps , mais qui devait ensuite devenir un idiome littéraire. La lecture et Timi* tation des anciens sont sensibles chez les auteurs du temps de la captivité , et plus encore chez ceux qui ont écrit depuis la restauration des études en Judée par Esdras. Les deux siècles qui suivent le règne de Saiomon forment une sorte de lacune dans l'histoire de la littérature hébraïque. Les prophètes de Técole d^Elie et d'Elisée n'écrivent pas : leur érection sévère et absolue excluait toute culture en dehors de b religion de Jéhovah. Sous la dynastie de Jéhu, au con- traire , une grande révolution s'opère dans l'esprit du prophé- tisme ^. A l'ancien prophète, homme d'action, faisant et dépo- sant les rois au nom d'une inspiration supérieure , succède le prophète écrivain , ne cherchant sa force que dans la beauté de sa parole. La littérature hâ>raique , limitée jusque-là au récit historique, au cantique et à la parabole, s'enrichit ainsi d'un genre nouveau i intennédiaire entre la prose et la poésie , et auquel nul autre peuple n'a rien à comparer. Joël , vers 860, est le plus ancien de ces étonnants publicistes dont les ouvrages nous soient parvenus. Après lui viennent Amos et Osée , dont la manière originale et individuelle contraste singulièrement avec la physionomie si impersonnelle de l'ancien style hébreu. baie enfin (760-700) donna dans ses écrits le type de la plus haute perfection que la langue hâbralque ait jamais atteinte. Tout ce qui constitue les œuvres achevées, le goût, la mesure , la perfection de la forme, se rencontre dans Isaîe, et atteste chez lui un degré de culture littéraire inconnu aux psalmistes et aux voyants des Ages plus anciens. ' Ewald, Geieh, in F. îtr^i, ITT. 1** part. p. «76 et miW. 35 1 et suiv. •• 9 130 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Le ¥111* et le tii* siède avant notre ère nous apparaissent ainsi comme Tftge d'olr de la littérature hébraïque. Les réformes d'Ezéchias et de Josias , en relevant ou plutôt en animant d'un nouvel esprit le mosaisme , donnèrent à Técriture un élan in-* connu jusqae4à. A cette époque appartiennent la rédaction dé- finitive du Pentateuque et de la plupart des livres historiques, le recueil des Proverbes, le Deutéroilome , un grand nombre de psaumes^ et enfin les écrits de la plupart des prophètes. Jérémie et Ezéchiel terminent cette première période, et font la transition à la période suivante. Le style de Jérémie est bien moins pur que celui d'Isaie , et Ezéchiel , qui prophétisa durant l'exil , est le plus incorrect de tous les écrivains hébreux ^. Sa manière de concevoir, compai^e à celle des poètes de la bonne époque, représente une sorte de romantisme, et signale déjà le tour nouveau que l'imagination des Hébreux prit sous l'ac- tion du génie babylonien et persan. La langue des derniers écrivains de cette période se rap- proche beaucoup de celle des ouvrages composés après l'exil : claire, développée, sans force ni ressort, elle trahit l'influence chaldéenne par une tendance à la prolixité et par de nombreux aramaîsmes. Ce dernier critérium, toutefois, ne doit pas être em- ployé sans quelques précautions, lorsqu'il s'agit de déterminer l'âge des différents écrits de la littérature hébraïque. Nous avons déjà dit que les plus anciens firagments de la poésie des Hé- breux présentent des aramaîsmes. Trois ouvrages du plus grand caractère , le Livre de Job , le Kohéleth et le Cantique des can- tiques, offrent la contradiction singulière d'une pensée vraiment antique et d'un style qui appartient aux plus basses époques. Ces livres décèlent une inspiration vive et une liberté d'esprit presque incompatibles avec les idées étroites et les habitudes ' Geflenias, Gmdi, dtr kthr. Spr, p. 35 et tait. LIVRE II, CHAPITRE I. 131 d'imitation servile qui régnent chez les Juifs depuis la capti- vité. Je croirai difficilement, pour. ma part, qu'un poëme phi- losophique comme celui de Job, une idylle aussi passionnée que le Cantique des cantiques, une œuvre d'un scepticisme aussi hardi que le Kohâeth, aient pu être composés & une époque de décadence intellectuelle , où l'on voit déjà percer les peti- tesses de l'esprit rabbinique. Avec leur ton dégagé et nullement sacerdotal, leur sagesse toute profane, leur ouMi de Jéhovah, ces ouvrages sont, & mes yeux, des produits de l'époque de Salomon , moment si libre et si brillant dans l'histoire du gé- nie hébreu. Peut-être n'en possédons-nous qu'une rédaction moderne , où le style primitif aura été altéré. Le Livre de Job en particulier a subi plusieurs remaniements , et paratt avoir i été augmenté et complété à l'époque de l'exil. Pour les ou- vrages de cette nature, qui n'offraient pas une grande impor- tance religieuse, il y avait souvent presque autant de textes que de copies. C'est ainsi que le Livre de Judith, celui des Macchabées et certains psaumes nous sont parvenus sous ded formes très-diverses. — Quant au Cantique des cantiques , ^est, sous le rapport du style, un monument unique et tout h fait isolé : on doit croire qu'il se rapprochait de la langue . populaire , qui, dès une époque fort ancienne, avait beaucoup d'andogie avec l'araméen^ S IV. Si nous envisageons dans son ensemble le développement de l'esprit hébreu , nous sommes frappés de ce haut caractère de perfection absolue, qui donne è ses œuvres le droit d^tre ' M. Ewaid soppofie que cet ouvrage fut ëqît dam le ro^faume d^Israëi, peu aprde la séparation des dix tribus. ( Ge$ch. dn Y, Itr. t. lîl , i" partie, p. 1 73 et nriv.) 132 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. mnsagées comme doêtiques , au même sens que les productions de la Grèce, de Rome et des peuples latins. Seul, entre tous les peuples de l'Orient, Israël a eu le privilège d'écrire pour le monde entier. C'est certainement une admirable poésie que celle des Védas , et pourtant ce recueil des premiers chants de la race à laquelle nous appartenons ne remplacera jamais , dans l'eipression de nos sensations religieuses , les Psaumes , œuvres d'une race si différente de la nôtre. Les autres littératures é$ l'Orient ne sauraient être lues et appréciées que des savants; la littérature hébraïque est la Bible, le livre par excellence, la lecture universelle : des millions d'hommes répandus sur le monde entier ne connaissent pas d'autre poésie* Il faut faire, sans doute, dans cette étonnante destinée, la part des révolu- tions religieuses , qui, depuis le xvf siècle surtout , ont fait en- visager les livres hébreux comme la source de toute révélation ; mais on peut affirmer que si ces livres n'avaient pas renfenné quelque chose de profondément universel , ils ne fussent jamais arrivée à cette fortune. Israël eut, comme la Grèce, le don de dégager parfaitement son idée, de l'exprimer dans un cadre réduit et achevé; la proportion, la mesure, le goût furent en Orient le privilège exclusif du peuple hébreu, et c'est par là qu'il réussit à donner à la pensée et aux sentiments une forme générale et acceptable pour tout le genre humain. Bien que le développement intellectuel des Juifs à l'époque que nous venons de parcourir présente le caractère d'une ré- flexion assez avancée, il faudrait se garder d'y chercher quelque chose de scolastique ou de grammatical. Avant la captivité , on ne trouve chez les Juifs rien qui ressemble à une école ou à un enseignement organisé. La rhétorique , ou , en d'autres termes , la réflexion sur le st^e , qui apparaît en germe chez les Arabes aux époques les plus spontanées de leur génie , ne se montre LIVRE II, CHAPITRE I. 13$ pas chez les Juifs avant leur contact avec les Grecs , et quant à la grammaire, ils n'en eurent l'idée qu'au x* siècle de notre ère, à l'imitation des Arabes. Leur belle langue ne porte au- cune trace de législation réfléchie. A la vue d'ouvrages aussi imposants par leur masse , leur minutieuse exactitude et leur profonde méthode que la Grammaire critique d'Ewald ou le Sy^ tème raiêonni de Gesenius , on pourrait croire qu'il s'agit d'un idiome assujetti, dans ses moindres détails, à des lois inflexi- bles* Rien pourtant ne serait moins exact. Généralement les grammaires les plus prolixes sont celles des langues qui ont eu le moins de culture grammaticale : car alors les anomalies étouffent les règles. On trouve en hébreu , comme dans la plu- part des langues qui n'ont point subi de réforme artificielle , une foule de constructions en apparence peu logiques , des change- ments de genre , des phrases inachevées , sus{)endues , sans suite. U serait également superficiel d'envisager ces anomalies comme des fautes, puisque nul Hébreu n'avait l'idée d'y voir des trans- gressions de règles qui n'existaient pas, et de chercher des lois ri^ureuses où il n'y avait que choix instinctif. La vérité est que ces irrégularités, que les grammairiens croient expliquer par des anacoluthes, des ellipses de prépositions, etc. sont les inadvertances , ou plutAt les libertés d'une langue qui ne connaît qu'une seule règle : exprimer avec vivacité , au moyen de ses mécanismes naturels, ce qu'elle veut exprimer. « En ce qui concerne l'orthographe, par exemple, on peut dire que les Hébreux ne sont jamais arrivés à une parfaite détermination, et ne visent d'ordinaire qu'à représenter le soa par le signe le plus approchant. De là de nombreuses permutations entre les lettres équivalentes i ]bd = |Ç^ = ]M^ 19V = 1??9 n? ^ ^ii VI == PC? 9 ^^ fréquentes variétés dans la transcription des noms géographiques : fih^p = 1*7>et = )^p ; l'em- 13& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ploi plus ou moîiiB multiplié des lettres quiescentes aban- donné au caprice de l'écrivain ; la surabondance des formes du pronom ai&xe pour une même personne , i = m , etc. Il importe d'observer, du reste, <{U0 plus une langue est ancienne et pri- mitive, moins elle a d*orthograpbe ; car, possédant ses racines en elle-même, elle se trouve, pour ainsi dire, &ce k face avec l'articulation qu'il s'agit d'exprimer, sans avoir à se préoccupa d'aucune raison antérieure d'étymologie. L'orthographe ne de- vient une des parties les plus compliquées de la grammaire que pour les idiomes qui, comme les langues romanes, ne sont que des décompositions de langues plus anciennes, et ne por- tent point en elles-mêmes la raison de leurs procédés. Le même esprit d'indépendance préside à la syntaxe et à la construction générale de l'ancien hébreu. Les auteurs les plus cornets semblent se soucier assez peu que leur phrase rem- plisse UA cadre parfait et déterminé. Il en résulte, dans leur style, une naiveté tout enfantine et mille finesses de langage, qui seraient e£Pacées dans une période plus complète. On pour- rait citer pour exemple toutes les constructions que l'on ap- pelle/?ri^;fviafite»^. Ainsi, lorsque nous lisons au n* diapitre de la Genèse (v. d i) : ninnn nt^s iiJf)\=:Dteu firtna de la chair en sa place y notre langue scrupuleuse n'est point entièrement sa- tisfaite; et, cependant, combien ce tour n'estr-il pas plus ex- pressif que celuirci : Dieu ferma la place vide en y mettant de la chair. De même: Ils ont prof ané à terre ton sanetuaire (Ps. lxxiv, 7), est bien plus vif, mais moins logique que : Ils ont profané ton sanctuaire en le renversant à terre. Toutes les langues ofirent des exemples de ces sortes de constructions; mais je doute qu'aucune en présente d'aussi fréquents et d'aussi caractérisés que l'hébreu. ' Voir Gesenius, Lêhrg, der Ae&r. Spr. S aaa 6. LIVRE II, CHAPITRE I. 13S Il en faut dure autant de ces nombrenaes phrases sospcoi- dues y interrompues , doublées par ia r^rise d'une autre phrase , véritaMes né^gences , qm^ sans nuire à la clarté » ajoutent au naturel. Dans ce passage , par exemple : nnK i^ D^n^M ^*7~lDq^i (I Sam. X, 9) = Dieu bU changea toi autre cœur, il y a, pour ainsi dire, deux constructions superposées : et 9* nnx 3^ D^ri^K iVînn t L'auteur a commen€é sa phrase sur le premier type 9 et l'a achevée sur le second. — Autre exemple [Ps. xiu , 1 a ) : Jusquà quand, Jéhovah, mouhUeras^tu àjamais^ Il y a encore ici deux phrases qui enjambent l'une sur l'autre : 1** Josqa'à quand rJâiOYah, m'onblieras-tal a* L Jéhovah , m'oublleras-ta J à jamais ? Les caractères généraux de la langue hébraïque sont émi- nemment ceux de la famille sémitique , dont elle est le type le plus parfait, en ce sens qu'elle nous a conservé des traits de physionomie primitive que le temps a e£Pacés dans les idiomes congénères. Ainsi les racines monosyllabiques et bilitères y sont plus reconnaissables que partout ailleurs; la raison des mots y parait mieux à nu ,«t plusieurs des procédés grammaticaux qui , dans les autres dialectes, ont pris une extension considérable, ne s'y montrent qu'en genne'. Le mot nn, par exemple, qui d'interrogatif est.devenu négatif en syriaque et en arabe, se présente régulièrement en hébreu avec le premier sens, et semble parfois se rapprocher du second par des nuances in- sensibles. Plusieurs locutions elliptiques et défectives dans les ' On explique d'ordinaire le dernier mot de ce verset dans le sens de promu; maift il n'y a pas de raison de s'écarter ici de la signification constante dn mot nS3. ' Gesenius, GetcK, dtr hebr. Spr, S 1 6. 136 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. langues voisines , se trouvent en liébreu à Tétat complet. Enfin les significations des mots y sont, en général, moins avancées, c'est-à-dire qu'elles ont parcouru moins de chemin depuis la signification primitive. Ainsi n^i^ , en hébreu, signifie Mier; en araméen, Kntf a passé au sens à^habiter par toute une série de nuances intermédiaires : i*" délier; s"" délier, le soir, le fardeau des bétes de somme, quand on s'arrête en voyage; 3* s'arrêter dans une hôtellerie, divenari^; à? habiter. Il est vrai que sous d'autres rapports l'hébreu semble plus riche en formes et plus cultivé que f araméen ; mais c'est là un effet de la grossièreté de cette dernière langue : parlé par un peuple moins ingé- nieux, l'araméen a plus marché que l'hébreu , sans toutefois se perfectionner. Le mécanisme des temps composés , l'addition de la terminaison emphatique, la explication des particules, les locutions pléonastiques, qui caractérisent le chaldéen et le sy- riaque , sont évidemment les indices d'un plus long dévelop- pement, que la pesanteur de l'esprit national a empêché de devenir un progrès. Les hébraîsants se sont demandé si la langue hébraïque était une langue riche ou pauvre, et ont diversement répondu, en donnant chacun d'assez bonnes preuves en faveur de leur opi- nion. Toutes les langues, en effet, sont riches dans l'ordre d'i- dées qui leur est familier ; seulement cet ordre d'idées est plus ou moins étendu ou restreint. L'hébreu, malgré le petit nombre de monuments qui nous en restent, peut seipbler, à quelques égards, une langue d'une grande richesse. Il possède, pour les choses naturelles et religieuses, une ample moisson de syno^ nymes , qui offrent au poëte d'inépuisables ressources pour le pa- rallélisme. Il suffit de citer ce psaume alphabétique (A. giu)^ divisé en vingt-deux octaves ou cent soixante et seize versets , dont ' Cf. ^Xwjif, xaeraX^, xenéXvfia. LIVftE II, CHAPITRE L 137 chacun , saas en^cepter on seul , renferme TexpreMion toujours diversifiée ààlsikide Dieu. On a compté quatorze synonymes pour exprimer la confiance en Dieu; neuf pour exprimer le par-' dm des péehh; vingt-cinq pour Yobservation de la fet ^ Les sen- timents simples de l'âme , comme : 9$ réjouir, s attrister, espérer, Imr, mmer, craindre, ete. peuvent également se rendre d'une foule de manières, pour la plupart triM- délicates. Enfin les noms exprimant les objets et les phénom^es naturels pré- sentent, elles les Hébreux, une grande richesse de nuances. Le bœuf peut s'appeler ^\» , I^Vk , iW , ^p,3 • Le lion compte sept ou huit synonymes, suivant ces différents ftges : ^ik et nnK, ^?^ et K*»?^ , «f ^^ , Vnitf , i« , n^ç? , ces deux derniers pour le lionceau. Enfin il n'est pas d'espèce de phùe qui ne soit désignée par un nom particulier : nçD désigne la pluie en général , celle à laquelle on n'attache d'autre idée que d'arroser la terre; Via désigne des pluies continuelles et de saison; nni\ et peutr être nniD , les premières pluies , qui , en Palestine , tondimt en octobre; o^s^sn , les petites pluies, où les gouttes sont nom- breuses; Dn^3^tr , les ondées passagères ; D!^3 et 't^I*?!, des pluies fortes et s|ihites; V)ap, l'inondation, le déluge; Vç, la rosée ou pluie fine; i^lp^, la pluie du soir, qui tombe régulièrement au printemps ^. Les peuples ont généralement beaucoup de mots pour ce qui les intéresse le plus. Il est naturel que des hommes menant une existence pastorale ou agricole, vivant ftunilièrement avec la nature et les animaux, aient saisi et cherché à exprimer parie langage des nuances qui npus échap- pent parce qu'elles nous sont indifférentes. > Gesenii», Gêséu dsr Mfr% Spr» S lA. — Preiswerk, Grmun. Kébr, inirod. p. nu-mu. — Herdor, Dial, nur lapoddt dm Hébr^iuSf diaf. i. * Voya dans Zacharie (i, i) un passage où plusiean de ces syaonymes sont rapprochés avec înteQlioo. 138 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Ces exemples suffiflent pour prouver que» dans le cerde d'idées où se mouvait Tesprit des Juifs, leur langue était aussi riche qu'aucune autre; mais ce cercle, il faut l'avouer, ne s'é- tendait guère au delà des sensations et des idées morales ou religieuses. On n'aperçoit aucune trace de nomenclature phi- losophique ou scientifique, si ce n'est dans le Kohéleth, dont la rédaction parait Inen moderne. Du reste il est évident que tout jugement porté sur l'étendue de la langue hébraïque ne saurait être que relatif, puisqu'une grande partie des richesses de cette langue sont perdues pour nous^. On en peut juger par le nombre des éaraÇ elf>9iiiéva, et aussi par la quantité de racines essentielles qui se trouvent en araméen et en arabe, et qui manquent en hébreu. Leusden , avec sa patience presque masscH^tique , a fait le compte des mots qui figurent dans l'hébreu et le chaldéen de la Bible, et en a trouvé cinq mille six cent quarante-deux. On évalue le nombre des raeintt hé- braïques à cinq cents. On comprend que , nonobstant cette apparente pauvreté , la langue hébraïque ait été trèsHSuflSsante aux besoins du peuple qui la pariait, quand on songe combien le mécanisme des formes sémitiques est propre à suppléer au grand nombre des racines. 11 semble que les Sémites aient visé à l'économie des radicaux , et aspiré h tirer de chacun d'eux , au moyen de la dérivation , tout ce qu'il pouvait contenir. C'est en ce sens que M. Ewald a pu dire avec vérité que la dérivation des formes {BUdung) est le procédé dominant des langues sémitiques^. ' Sur les moyens qui nous restent, en dehors du texte bibfiqne, pour oom- pléler le dictionnaire hébreu , voy. Gesenius , Geteh. der hebr, Spr, S 1 4, et H«6r. und chM. Handwcnrtêrbuek, Vorr. Gf. A. Schultens, Ik defeeiAt»§ kodmnit Imr- gum h^aiem, et Valckenaer, ObêervoL ad Orig, grofcoê, obs. 96. ' Gramm.derhèbr.Spr. S it. LIVRE II, CHAPITRE I, 139 Voir, regarênr, mépriser, pourvoir à, éprouver, porche, se présen- ter, numtrer, faire iprowoer, sont autant d'idées qui, chez nous, exigent des mots différents, et qui, en hébreu, s'expriment par les formes verbales de k racine hk^ : prophète, vision , miroir, regard, forme, apparence, ressemblance, en seront des substantifis dérivés. — La racine on, marquant l'idée d'é* lévation , produira : monter, faire le puissant, âener, construire une maison, Uever des enfants, mettre à Vciri, donner la victoire, c&Arer, élever la voix, lever un trSmt, enlever, offrir un sacrifice, eenorgu^JUr, cotHns, tas, orgueU, sacrifice, présent. — D)p = slare exprime par ses différentes formes : se lever, exister, pa- reAtre, croître, demeurer, persévérer, ratifier, se bien porter, vivre, conserver vivant, vérifier, éteindre, construire, rebâtir, s'insurger, Aeoer, étaUûr, stature, hauteur, ddwut, substance, chose, lieu, de- meure, réveke, ennemi, moyen de résistance, adversaire. Quelle épargne de racines ne permettent pas à une langue des pro- cédés de dérivation si étendus I La langue hébraïque connut-eUe la variété des dialectes? On n'en peut guère douter à priori, quand on voit les langues les plus cultivées varier avec les moindres divisions du terri- toire, et se morcder, peur ainsi dire, sous la pression de l'or- gane populaire. Cependant presque tous les ouvrages hébreux qui nous restent ayant été écrits à Jérusalem et dans une langue regardée comme classique, aucun témoignage positif ne nous permet d'établir le nombre et le caractère de ces différents dialectes. Le fait rapporté au Livre des Juges (xii, 6) atteste chez les Ephraîmites une variété de prononciation relativement au r ; mais il est évident que ce n'est pas là une raison suffi- sante pour constituer un dialecte éphraimite. Les bases sur les- quelles on a voulu établir des dialectes danite, iduméen, ju- daïque (de la tribu de Juda), etc. ne sont pas plus solides. lAO HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Le passage de Néhémie (uo, ùi-ùk) ne prouve quune seule chose, c'est que la langue d'Asdod ou, eu d'autres tenues, celle des Philistins, différait de l'hébreu pur; ce qu'on savait d'ailleurs. Enfin, les tentatives des critiques pour retrouver dans le style de tel livre ou de tel auteur des provincialismes caractérisés ne paraissent avoir amené aucun résultat décisif^. On doit supposer que les tribus du nord, voisines de la Sy- rie, parlaient, dès le temps du royaume d'Israël, un dialecte plus rapproché de l'araméen : en effet, les noms des deux villes i^n^ et *»tf 3 nous offrent deux mots araméens et un duel de forme chaldéenne. Le samaritain , qui nous représente assez bien la langue vulgaire de ces contrées , appartient au groupe araméen plus qu'au groupe chananéen ou hébreu. En- fin, au commencement de l'ère chrétienne, nous trouvons en- core dans le nord de la Palestine un dialecte différent de celui de Jérusalem. Le n^élange de races étrangères avec les Israé^ lites, qui eut toujours lieu au nord de la Palestine (o^^an V^^a, le cercle des Gentils, Gàlilœa gentium)^ fut, sans doute, la cause de ces altérations. Il faut donc s'en tenir à ce fait, qu'au-dessous de la langue régulière, qui seule nous a été transmise, il existait une langue populaire, sentant le patois, chargée de provinciatismes, et variable suivant les cantons. Dialecte et meorrection sont deux idées bien voisines; le mot même de dialecte désignait, à son origine, le langage usuel, par opposition au langage écrit^. Quelque simple que soit le mécanisme de la langue hébraïque, on peut croire qu'il était enéore trop difficile pour le peuple, et que plusieurs fautes passées en usage constituaient çà et là ' Cf. Geseniufl, Gê$ûh, itr kebr, Spr, S i5. ' b xa9' •iiiiépav StéXexrof^ de StaXéya{uu ftdisooarir». G'esl encore )e mds du mol êtéXexTos dans Aristote. LIVRE II, CHAPITRE I. Ui des îdioUsmes locaux. C'est ainsi que dans Ezéchiel , Zacharie et les ouvrages dont le style est le moins pur, nous trouvons souvent des formes irrégulières : ^M pour le masculin , o^x pour le féminin, D^ntoi^ln pour D^nsç^ln , et déjà même la forme mApaliel, qui a pris beaucoup d'importance dans l'hébreu rab- bînique^ Les nombreuses confusions auxquelles donne lieu la conjugaison des verbes imparfaits doivent s'envisager également comme un reste de ces habitudes indisciplinables du peuple , toujours incapable de soumettre sa langue à un mécanisme constant. Un autre fait non moins digne de remarque , c'est l'analogie frappante qu'ont toutes ces irrégularités provinciales avec Taraméen. 11 semble que, même avant la captivité, le patois populaire se rapprochait beaucoup de cette langue, en sorte qu'il nous est maintenant impossible de séparer bien nette- ment, dans le style de certains écrits, ce qui appartient au dia- lecte populaire, ou au patois du royaume d'Isra^, ou à l'in- fluence des temps de la captivité. Nous pensons, du moins, qu'on ne saurait expKquer par cette dernière caa«e lee am- malsmes qui se trouvent, soit dans des pièces fort anciennes, telles que le cantique de Débora et les maschal de Balaam , soit dans des ouvrages qui semblent appartenir à la meilleure époque de la poésie hébraïque , comme le Cantique des can- tiques. Nous aimons mieux voir, avec M. Ewald , dans ces ara- maiames des locutions populaires ou provinciales^. Amos et Osée, qui appartiennent au commencement du vin* siècle et, par conséquent, à une époque oii il ne peut être question d'in- fluMice araméenne, offrent dans leur style beaucoup de parti- cularités semblables, sans doute parce que tous deux se rap- ^ Of. G^MoiiM, Gêêch, p. 56; Lfhrg. dtr htbr, Spr, S 71, A, Anmerk. * Cf. Ewild, KrUi$dtê Grmum. S 6; Gramm, tkr hebr. ^ S 5. Ui HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. prochent du style populaire , et peut-^tre aussi parce que le second était originaire du royaume d'IsraëP. Il est à remar- quer, du reste 9 que les langues sémitiques diffèrent moins dans la bouche du peuple que dans les livres. L'arabe vul- gaire , par exemple , se rapproche beaucoup plus de Thëbreu ou du syriaque que Tarabe littéral. On dirait que les méca- nismes plus ou moins savants qui distinguent entre eux les différents dialectes éont des superfétations de luxe , auxquelles n-a jamais atteint le vulgaire. Tant il- est vrai que , dans un sens général, il n'y a réellement qu'une seule langue sémi- tique ! S V. C'est vers l'époque de la captivité des Juifs à Babylone (vf siècle avant J. G.) qu'il faut placer l'extinction de l'hébreu comme langue vulgaire. Cette assertion toutefois , comme toutes celles qui sont relatives à l'apparition et à la £sparition des langues , ne doit être admise qu'avec beaucoup de restrictions. Et d'abord y il est hors de doute que, longtemps après la capti- vité , l'hébreu demeura , non-seulement la langue écrite des lettrés (ongb), mais la langue nobk de l'aristocratie restée fid^e k la vieille discipline de Juda. En second lieu , il n'est plus penms de croire, avec les anciens critiques se fondant sur l'autorité du Talmud, que la cause de oe changement d'idiome ut été le séjour de cinquante ou soixante ans que fit à Babylone une partie du peuple juif. La transportation n'atteignit qu'un très- * Eichbora To^t deB'^amofftanifmM dans œs particularités da slyle d'Anos «I d^Osée. Rien de mieux si Ton entend par »amaritam la Ungue, toujours fort anr matsée, du royaume d^Israél; mais Gesenius remarque avec raison que le nom de samtuitam ne s^empkie, dans Tosage, que pour désigner une tangue de forma- tion bien plus mod^it^. r LIVRE II, CHAPITRE I. 1&3 petit nombre des habitants de la Judée ^; elle frappa la tête de la nation , e'est4-dire la classe entière où résidaient la tra- dition religieuse et la culture de la langue sacrée. Tout ce qui resta devait se servir d'une langue déjà fort altérée. A quelcjues lieues de Jérusalem , sur les terres de l'ancien royaume d'Israël , on parlait araméen ou à peu près. Le fond de la population restée en Judée suivit donc de plus ai plus le penchant na- turel qui l'entraînait vers l'araméen ; mais ce ne fut pas Fin<- fluence de Babylone qui opéra ce changement. Il 'est douteux que l'idiome sémitique que l'on parlait à Babylone fAt l'ara** méen , tel qu'il nous est connu par le chaldéen biblique. Ce fut bien plutôt l'influence de la Syrie , qui , s'exercant par le nord et ayant conquis d'abord le royaume d'Israël, finit par envahir la Judée elle-même , affaiblie et dépouillée de ses institutîoiis conservatrices^. Aussi le chaldéen biblique n'est^il jamais ex- pressément présenté comme la langue de Babylone ; ce n'est qu*à l'époque- des Septante qu'on donne à cette langue le nom tout à fait fautif de ehaUim^. Quant à la langue vulgaire de la Palestine, elle est i^ouvent désignée dans le Talmud par le nom de syriaque (^d*)1d)^. Ce qui prouve bien que le passage de l*hébreu à l'araméen ' Voy. Winer, BAI Beahwrt. arL Exil — Bertheaa , Zur Guch, dtrjgr, p. 385 et suiv. ^ J. Font, Lthrgthœmiê der aranu Idiome, p. 1 1 et soiv. ' Ce mot, chei ks Grecs bdlâûstes , s^^pplique même i Th^rea biblique , sum doate parce qne, pea fiimiiien avec les choses orientales et ne jugeant des langues que par Falphabet, ils prenaient tout ce qui n^était pas grec ponr du chaidéen. (Voy. Gesenius, Geêck. der hên'. Spr. p. aSi. — Delitzsch, Jnunm, p. 65-66.) * Les mdmes observations s'apf^qaent au changement dViiphabet. Uopinion d'après laqudle les Jui£i auraient adopta â Babylone ^alphabet carré est mainte- nant abandonnée. Cet alphabet parait d'origine syrienne, et Tépoque oà les Jui6 font substitué à leur ancien caractère a été beaucoup trop reculée par les critiques de la vieille école. tA4 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. &*q)éra pour les Juifs en PalestÎBe et non en Babylonie , c*est que Tesprit et la langae de Jérusalem se conservèrent beau* coup mieui durant la captivité à Babylone qu'en Judée. Quel- ques-uns des morceaux les plus achevés de la littérature hé- braïque, les fragments réunis à la suite des 4»nvres dlsaie (ch. XL-Lxvi) , certains psaumes, ont été écrits sur les bords de TEuphrate. Babylone (ou, pour mieux dire, les petites villes groupées autour de cette grande cité) devint dès lors comme une seconde capitale du judaïsme , jusqu'au moment où, après la destruction de Jérusdlem par les Romains , elle en devint le centre principal. On peut même supposer avec M. Ewald', que les premières bases d'une culture savante de la langue hé*- bralque y furent posées dès une époque reculée : du moins vo|ons-nous les restaurateurs du mosalsme et des études an- ciennes en Palestine, comme Esdras, Néhémie, venir tous de l'Orient et s'indigner è leur arrivée de l'ignorance et de la corru^ion i)n> signifie l'hébreu classique* Ailleurs, il est vrai (II Roiê, xviii, 9&, 96), ce mot désigna la langue vul- gaire de Jérusalem à l'époque d'Ézéchias ; mais la signification des noms de langues change avec les langues elles-mêmes. Que d'idiomes divers n'ont pas représentés tour à tour les mots de lèigm ronum, Ungua gdlica, linguafrancica! Un autre passage de Néhémie (vin, 8), malheureusement assez obscur, semble appuyer l'hypothèse que nous défendons. nLes lévites lurent dans le livre de la loi de Dieu e^*^tD T hzt7 Dlt^i, et ils expliquèrent le texte qu'ils avaient lu. » Toute la difficulté roule sur les mots So^ nW) e^*;tD , que nous n'avons I. 10 1&6 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. pas traduits à dessein. Faut-il entendre par là une traduction en langue vulgaire, comme Ta voulu M. Hengstenberg , ou un simple cammmtaire explicatif, analogue à la glose que les Pères de l'Eglise faisaient sur les textes grecs et latins des Ecritures , et saint Ephrem sur la version syriaque? ou bien faut-il tra- duire S^'j&D par clairement, dUdnctement, fidèlement, comme le font les anciennes versions de la Bible ^ î Ce dernier sens paratt préférable. En effet on ne peut citer ni en bâ>reu ni dans au- cune langue sémitique un seul passage où le verbe e^ns ait le sens de traduire. Le mot invariablement employé pour cela dans toutes ces langues est onn, qui se lit déjà dans Esdras (rr, 7). Le verbe v^t exprime toujours la elarti, la dietinctioH [Nombr. XV, 3&; Lév. xxiv^ la). L'expression tf*iÇD ^ri^ se trouve dans la paraphrase d'Onkelos avec le sens d^écriture claire et dietinete [Exod. XXVIII ,11)^. Il est donrc difficile de tirer du mot lo^m au- cune induction solide relativement au sujet qui nous occupe ; mais les mots qu'ajoute l'historien Knj)iD3 ^rsn b^^ aW] prou- vent du moins avec certitude que la loi , à l'époque de Néhé- mie, avait besoin d'une ^ose (cf. Néhém. vin, 7, 9) pour être comprise; ce qui est au fond tout ce qu'il s'agit de démontrer. Les fragments chaldéens insérés dans le livre d'Esdras, frag- ments qui paraissent extraits d'un grand ouvrage historique écrit en cette langue ', ne sont-ils pas eux-mêmes la meilleure preuve de l'importance qu'avait prise parmi les Juifs l'idiome araméen dès les premiers temps de la domination persane? ' Gesenius, GeBch, der A«&r. Spr, p. AS. — S. Luzzatto, Prohg. ad una gramm, ragtonata délia Ungwi ebr, p. 9 5. * On troave dans le chaldëeo du livre d^Eedras (nr, 18) ce mot tf'IÇD avec le même sens que dans le passage de Néhémie que nous discutons; mais le sens du passage d^Esdras est moins déterminé encore, et le verset 7 du même chapitre, qui seul pourrait Teipliquer, parait avoir subi qudque altération. ' Ewald, Gmeh, deê V, lar. \ , 9&& ; III, 9* part. p. 9o5. LIVRE II, CHAPITRE I. 147 Quoi qu'il en soit, du moment que Ton envisage lliébreu et Taraméen moins comme deux langues que comme deux ftges d'une même langue , la discussion devient bien délicate , et le point de dissentiment presque insaisissable. C'est comme si l'on se demandait en quelle année finit le latin et commence le français. Les langues ne meurent pas à un jour donné ; elles se transforment par degrés insensibles , et on ne peut indiquer le point précis où elles doivent changer de nom. Sous Ezéchias, cent vingt ans environ avant la captivité, les deux langues nmn^ et n'^D'ik étaient encore parfaitement distinctes , et l'ara- méen n'était compris que des lettrés ^ Cependant nous avons . vu l'hébreu des derniers temps se charger, parmi le peuple et chez quelques écrivains, de locutions dialectiques qui se rap- prochaient de l'araméen. L'enlèvement et la transportation ii Bab^one de toute la partie éclairée de la nation durent accé- lérer cette révolution , et l'on peut croire qu'à l'époque du re- tour des exilés, sous Gyrus, la langue de la Palestine était tout à fait corrompue , c'est-à-dire aramaisée. Néanmoins , cpmme il n'y avait pas eu un moment précis où l'on eût quitté l'hébreu pour l'araméen, c'était encore l'hébreu, en un sens, et l'on pouvait avec vérité appeler cette langue nn^n*;. Les savants, d'ailleurs , se piquaient de parler purement l'ancienne langue , et cherchaient, sans pouvoir y réussir, à corriger l'accent vicieux et le patois du peuple. Déjà la lecture de la loi devait être ac- compagnée d'une glose ou demi-traduction. La corruption alla toujours croissant, jusqu'à ce que le contact de plus en plus répété des Juifs avec les nations de la Syrie achevât de donner à la langue une physionomie complètement araméenne. Ce qu'il importe au moins de maintenir, c'est que le chan* ^ La preuve en ett dans laaie (xxeti, ii^ i3, en II Raà, itiii, 96, a8). Les envoyés d^Éiédiiiis, gens savants, parmi Icsipiels figurent un scribe et un 10. 1&8 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. gement de langue qui se fit à cette époque chez les Juifs s'o- péra, non par Tadoption d'une langue étrangère, mais par la corruption successive de l'ancien idiome. Les Juifs eux-mêmes avaient certainement conscience de ce fait ; car nulle part on ne voit qu'ils aient appelé araméen la langue qu'ils parlaient de- puis la captivité. Au contraire , ils l'appelaient toujours hébreu {^iSpaï&llj rp éSpatSi Siakéxrù))^ ou la langue de leur$ pires ( >) igdhpiGs (pùwil) ^ , à peu près comme le grec du Bas-Empire pouvait encore s'appeler du grec , et comme les langues dérivées du latin au moyen âge continuèrent à porter le nom de romanes. L'araméen proprement dit semble présenté comme une langue étrangère {^Daniel, n, &). Il faut même avouer que , l'araméen antérieur à l'ère chrétienne ne nous étant connu que par les fragments d'Esdras, de Daniel et les Targums, nous n'avons aucun moyen de savoir si la langue de ces écrits est identique d'un côté à l'araméen pur et de l'autre au dialecte vulgaire des Juifs. Je doute fort, pour ma part, que le chaldéen du livre d'Esdras , ou même du livre de Daniel , nous représente plus exactement le dialecte propre des Juifs que les parties hébraï- ques de ces mêmes livres. L'Orient a si peu écrit en langue vulgaire, que les questions relatives aux idiomes parlés et à leurs rapports avec les idiomes écrits sont d'ordinaire inso- lubles. Que l'hébreu , du reste , ait continué , presque jusqu'à l'ère chrétienne , à être écrit par les Juifs , c'est ce qui est attesté par de nombreux ouvrages. Les livres d'Esdras, de Néhémie, historiographe, prient Rabsaké de parler en araméen, poar qu^ii ne soit pas com- pris du peuple qui les entoure. Rabsaké au contraire s^ohstine i parier yu^T- ' Maeeh, tu, 91 , 97; xii, 37. — Joh, t, 9 ; xtii, 90; xix, i3. — AeL m, &o;xxiT, 9; xxTi, i&. — Joseph. De beUo jud. prwem, 1; V, ti, 3;y, n, 9; VI, 11, 1; itnIiç.XVni, ▼!, 10. LIVRE II, CHAPITRE L 149 d'Esther , de Jonas , les Chroniques ou Paralipomènes , les pro- phéties d'Aggée, Zacharie^, Malachie, le Livre de Daniel, le Kohëleih \ plusieurs psaumes , appartiennent à cette période , et nous conduisent à peu près jusqu'à la fin du ii* siècle avant J. G. L'époque des Macchabées en particulier signale une sorte de renaissance de l'ancienne langue et de l'ancien esprit. Le Livre de Daniel est certainement contemporain d'Antiochus Epiphane^ Il n'est même pas impossible que quelques psaumes datent de cette époque^. Le Livré de l'Ec- clésiastique , de Jésus fils de Sirach , dont nous n'avons que la traduction grecque , mais dont l'original était certainement en langue juive ^, fut composé vers l'an 160 avant J. G. Le premier livre des Macchabées dut être écrit dans la même langue et sous le règne ou après la mort de Jean Hyrcan, vers l'an 100 avant J. G.^. Le Livre de Judith paratt bien ' M. Ewald semble avoir proufé que le Livre de Zacharie renferme des frag- ments de prophètes inconnus , antérieurs h Texil. (Dm Propk, <2m i4. B. 1. 1 , p. 3 1 8 et suiv. p. 389 et suiv.) * Voy. cependant ci-dessus , p. 1 3o-i 3 1 . Le Livre d^Esther , ainsi que les livres de Baruch et de Tobie, dont il ne reste que des traductions grecques, paraissent provenir des communautés juives dispersées dans le haut Orient (Ewald, Geêch. IQy a* part p. 167, 9 3o eisuiv.) ' Les chap. vii-xii sont pleins d^allusions aux diverses péripéties de la domi- nation grecque en Judée. La langue renferme plusieurs mots grecs (m, 5, 7, 10, i5). L'opinion des critiques indépendants est unanime i cet égard. * Ceii Topinion de Rosenmîdier , Bengd , Berthold , Hitsig^ Lengerke , Zunz , opinion condiattue par Gesenius, de VITette, Ewald, etc. et sujette à de graves difficultés. Elle a trouvé un récent et ingénieux défenseur dans M. P. de Jong, Dû- finnttb de PÉaknii Maeehabaieii; Lugd. Bat 1867. M. J. Olshausen (Die PlÊobnen irUôrl; Leipi. i853) a même osé rapporter Tensembie du Livre des Psaumes à Tépoque des Macchabées. * On trouve des fragments du texte hébreu dans le Tabnud. — Cf. Dukes , RMûmehê Bhunetdetê, p. %k , 67. — Ewald, Jahrb. der hAL Wiuimek. (iSSi), p. 139-160. * De Wctte, fmJn'lwiy, S Soo. 150 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. plus moderne encore et postérieur au christianisme ^ ; mais il est fort difficile de décider si ces écrits, dont il ne reste que la traduction grecque , furent composés primitivement en hér breu ou en chaldéen. Saint JérAme, qui dit en avoir vu les textes, a souvent pris des traductions ou des remaniements postérieurs pour les originaux ^. Les idiotismes des traductions grecques prouvent bien qu'elles proviennent d'un original sé- mitique, mais ne disent rien sur le dialecte. Un fiait bien re* marquable, c'est que les monnaies juives autonomes portent des légendes en hébreu pur jusqu'au temps de Barcochébas (187 après J. C.)^ Les écrits de ce second ftge de la littérature hébraïque ac- cusent en général un grand abaissement dans l'esprit juif. Le st]^e en est plat et sans relief, la pensée y est lourde, les idées religieuses plus étroites, la crédulité moins naïve, la poésie moins spontanée. Un genre nouveau de fiction, emprunté au symbolisme de la Ghaldée et de la Perse , fait invasion de toutes parts; une mythologie étrange, des visions apocalyptiques troublent l'imagination d'Israël , auparavant si sobre, si pure. D*autre part, quand on veut marcher sur les traces des anciens, tout se réduit à une imitation pâle et froide : les poètes se con- tentent de reproduire ou de combiner diversement les motifs poétiques des vieux psalmistes. Nous avons ainsi des psaumes A Volkmar, dans les TheoL Jahrb, de Tabingue; 1857. Le Talmud mentioiine encore qadqoes écrits hébreux de cette époque. (Dukes, Dm Spr, derMiêclmah, p. i-fl. — ¥nni, KvUm^undUteraiMrgetek^der JudeHin ÀMisn,]^, i/i-i5, s&-95.) La Mîsduia reitferme plusieurs frag;nients écrits en hébreu biblique, qui paraissent Clément de Tépoque des derniers Macchabées. Pespère montrer bieni6t, par as curieux exemple, que Tespérance de trouver dans le fatras de k littérature raU»- nique des ouvrages en hébreu pur écrits avant Tère chrétienne n'est pas chimérique. * DeWette, £Na0ttimf,$8o8,3ioa, 3i8, 393. ^ Bayer, De nummi» h^œfhsatnaritaniê , p. 3 1 . — Eckhel , Doetrma tmmmorum veterum, III « A 69. — De Saulcy, Eêch, sur la numiimaïUquêjudaiqw; t854. LIVRE 11, CHAPITRE L 151 qui ne sont guère que des centons , formés de fragment^ de psaumes plus anciens. On voit des lettrés, des hommes d'étude, qui, nourris des classiques et dénués d'originalité, ne savent composer qu'en groupant les souvenirs de leurs lectures. La littérature hébraïque, en un mot, devient une affaire d'éru- dits, un travail de docteurs, l'apanage exclusif d'une classe d'hommes séparés du peuple et parlant une langue différente de la langue populaire. Quelquefois pourtant ces imitations ne laissent pas d'être fort heureuses, et de rappeler les plus belles créations des anciens. Je ne parle pas seulement des œuvres admirables ins- pirées par la captivité elle-même à des honmies nourris dans l'ancienne école , telles que la seconde partie du Livre d'Isaîe (ch. XL-Lxvi), les psaumes de l'exil, les Lamentations, qui for- ment comme un brillant prolongement de la grande époque du génie hébreu. Parmi les auteurs appartenant décidément à la seconde période , il en est qui écrivent encore l'hébreu avec une grande. pureté ; tels sont Esdras, Néhémie, Malachie^ Souvent même , dans les pièces lyriques , les formes sont plus finies, l'expression plus travaillée, et c'est ainsi qu'une extrême élégance de style, une symétrie rigoureuse et réfléchie dans le parallélisme, une pensée calme et* régulière peuvent être, pour les psaumes , des marques d'une composition moderne. Le roman enfin (car la littérature hébraïque n'a pas échappé au sort commun qui semble condanmer toutes les littératures à finir par ce genre de compositions) produit les jolis récits de Tobie , de Susanne , curieux échantillons de la littérature po* pulaire de ce temps. Quant à la langue , si nous l'avona déjà trouvée empreinte de chaldaîsme dans les écrivains qui précèdent immédiatement ■ EwakI, Gêtek. III, 9* part. p. 9o5. 15Î HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. la captivité, cette tendance est natulreilement bien plus prcH noncée dans les écrits de la période qui nous occupe. On en vint bientôt à insérer de longs fragments chaldéens au mi- lieu d'ouvrages hébreux. Lies mots , les formes , les tours chal- déens se j^etrouvent presque à chaque ligne ^ ; en voici quelques exemples : i"* Mots empruntés au chaldéen : for, ten^», pour nv; ny2^ forteresse; y», lin, pour ttfttf; ifD^^^ fosse; ^lD,/n, pour VJ?; 13?[P, ûwiwe, pour ntrafÇ; Sgp, recevoir, pour np^. s"" Formes de noms imitées du chaldéen : multiplication des substantifs abstraits en n), fV, |^, r^)^^9, royaume, pour np^DD; n^:^*^, soin; |10^tf, domination. Emploi de la termi- naison féminine à la fin des substantifs : r}r\v\ , cause, pour T T 3^ Acceptions particulières imitées du chaldéen : *1Ç8 , dans le sens de délivrer. U"" Particularités d'orthographe : multiplication des quies- centes : ^i\p pour e^lp; terminaisons féminines en M^ pour n^. S"* Formes grammaticales et particularités de syntaxe : ^ et h^ pour ic^K et V ^«^K, analogues à Taraméen n et Sn ; em- ploi habituel de h comme marque d accusatif; tours analy- tiques et prolixes; système de conjonctions plus développé. Outre ces chaldalsmes, le style des ouvrages hébreux des basses époques offre encore des formes particulières dont la plupart se retrouvent dans le néo-hébreu. Le Kohéleth, sons ce rapport, fait classe à part et signale la transition entre Thé- breu ancien et la langue de la Mischna. i"* Mots nouveaux : nj'iyçn onV pour D^»n on^; açD, livre; C^lTO, commentaire; llWD, chanteur. a** Formes et orthographe nouvelles : Klai pour naan ; ' GeseniuB, Geich, der h^,Spr. S lo, 5. LIVRE II, CHAPITRE I. 153 :fVtil pour ^Wln^ (nom propre). Addition et suppression de Yh : SKttD.:f»ar Sio ; on^DH pour anwsf? ; ^^9 pour ^im* 3"* Acceptions nouvelles : wv devenu synonyme de D)p ; nls*i|e pour désigner le monde païen; si^rin dans le sens de faire des libéralités religieuses. b!" Locutions et phrases nouvelles : D^pef '»n'7K pour ri^MSS ; rv&H Ktr3, épouser une femme, pour ntfK np.^. 5° Admission de mots étrangers \ la famille sémitique y surtout persans et grecs ^ ' ^TÏ9 = vaLpdlisistitue des mots et une orthographe plus mo^ dernes à la leçon ancienne , ils sont innombrables. En général, la langue de cette seconde période est plus facile et plus claire que celle de la première , et il n'est pas surprenant que , dans la révision des textes anciens, on cherchât à leur donner le ^ Gêêch, der Mr.Spr. $ i a, 3. Cf. de Wette, Eûdmkmg, $ 190 h,e. — Moven, KriL Unienuehungen ûber die Qnromk; Bonn , 1 83&. * Gesenius, Thés, au mot ^DD?. D'autres, cependant, donnent la préférence à ia leçon des Par^ipomènes. (Winer ^ Bibl Reahotgri. 1 , 438.) LIVRE II, CHAPITRE I. 155 même caractère ^ Dès l'époque classique, du reste, nous avons vu les rédacteurs des livres historiques insérer et expliquer dans leur texte des dires anciens, dont ils ne comprenaient pas bien le sens ^ On est quelquefois surpris que les philologues modernes osent se permettre de corriger des interprétations ou des éty- mologies fournies par les Juifs eux-nnémes, ou de réformer les traductions qu'ils ont données de leurs propres livres à une époque où l'on avait à peine cessé de parler hébreu; mais Té- tonnement diminue quand on songe que la critique en gé- néral, la philologie, et surtout la science étymologique ne furent jamais le domaine de l'esprit antique '. Aucun hellé- niste ne peut assurément se vanter de savoir la langue grecque comme Platon, et pourtant quel est celui qui prend au sérieux les étymologies , ou , pour mieux dire , les calembours du Cro" tgU et du Phèdre? Quel est le latiniste qui se fait scrupule de corriger les étymologies de Varron, de Gicéron ^ d'Aulu-Gelle? Cette hardiesse doit moins étonner encore pour les langues orientales. Les peuples qui les parlent ont toujours eu si peu de philologie , que les Européens , tout en recevant d'eux des leçons pour l'usage routinier de la langue, les surpassent bien- tôt de beaucoup pour la science systématisée, et ne craignent pas de se mettre en pleine opposition avec eux pour l'inter- prétation de textes un peu anciens , composés dans leuf langue maternelle. ' Cette tendance k adopter de préférence la leçon la plus facile domine tous les travain exotiques des premières écoles joives. On la retrouve dans les Sep- tante, dans le texte samaritain, dans les htriê des Ifassorètes , etc. De là c^te règle de critique, qu^il bat toiqoars regarder comme pins authentique la leçon la plus difficile. ' Cf. Ewald, Gtieh. dê$ V. Itr, p* 78, note. ^ Cf. Lersch, Sj^aiikpliiiioêopkiê dur Akm, lU , 61 et suiv. 156 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. S VI. On a coutume de clore Thistoire de la langue hébraïque à la composition des derniers ouvrages hébreux écrits avant Tèrc chrétienne et insérés dans le Canon; mais une telle manière de voir nest pas suffisamment justifiée, puisque, d'une part, si Ton termine l'histoire de la langue hébraïque au moment où elle cesse d'être vulgaire, il faut s'arrêter beaucoup plus tôt, et que, de l'autre, si l'on donne place dans cette histoire a l'hébreu artificiel des rabbins , il faut descendre beaucoup plus bas , ou , pour mieux dire , il faut venir jusqu'à nos jours : à au- cune époque , en effet , on n'a entièrement cessé d'écrire en hébreu parmi les Juifs. Sans doute il y a eu dans cette longue série littéraire d'importantes lacunes; sans doute aussi le nou- vel hébreu, à l'usage des rabbins, diffère notablement de l'hé- breu biblique ; mais c'est toujours au fond la même langue , ce sont les mêmes formes grammaticales, c'est le même vocabu- laire quant à ses éléments essentiels. Ajoutons que les autres langues parlées et écrites par les Juifs durant la première moi- tié du moyen &ge , le chaldéen et l'arabe , avaient tant d'ana- logie avec cet hébreu aramaïsé que souvent , sans y penser, l'écrivain g^sse de l'un à l'autre, à peu près comme dans les sermonnaires du xiii* et du xiV siècle le latin et le roman se mêlent ifouvent dans une même phrase^ L'histoire de Yhéhren posUbiblique se divise en deux périodes tout à fait distinctes. Dans la première , qui s'étend depuis la clôture du Canon jusqu'au xii'' siècle de l'ère chrétienne, l'hé- breu est écrit encore , mais rarement et à de longs intervalles. Le chaldéen et l'arabe sont les langues ordinaires dont se ser^ vent les Juifs, même pour leurs ouvrages religieux. Dans la seconde , au contraire , depuis le xii'' siècle jusqu'à nos jours , LIVRE H, CHAPITRE I. 157 l'hébreu redevient la langue littéraire des Juifs. Nous sortirions de notre plan en suivant cette histoire dans tous ses détails; on ne trouvera ici que les divisions principales et les traits gé- néraux. La Mischna, rédigée à Tibériade au ii* siècle de notre ère, mais qui renferme des fragments beaucoup plus anciens \ est le monument essentiel et caractéristique de la première période. La langue de cette seconde Bible est, au fond, de Thé- Im^u , mais très-fortement ararïiaîsé , et mêlé* de formes étran- gères à Thébren biblique. Il est difficile de dire dans quelle relation était cette langue avec la langue vulgaire du temps. Les talmudistes identifient quelquefois la langue de la Mischna avec la iciMgtie de la Un, n")in \wh. D un autre côté , dans la Mischna elle -même » l'hébreu biblique est appelé exclusive- ment v^npn ]vahj la langue eainte, par opposition è Dinn ]W^ = ISmtSp yXSap3K , poire»; ^inn , moutarde; n?^l , ciirouUh, et une foule d'autres mots vulgaires"^. Sous ce rap- port, il faut reconnaître que l'hébreu mischnique a une très^ grande importance pour l'exégèse^. Plusieurs mots douteux de l'hébreu biblique trouvent dans la Mischna des explications satisfaisantes : Gesenius en a donné un curieux exemple pour le mot ^^Di {Exoi. ix, 3i), hoution (i^jZ^ur^ Souvent aussi les mots bibliques figurent dans la Mischna avec des significations fort différentes de celles qu'ils ont dans la Bible. Ainsi t\^H , avec le sens de fettre; ncrnj, signifiant ^intérieur de; nho^zdu^ rant, etc. Plus souvent encore les racmes bibliques fournis- sent des formes et des dérivés qui manquent dans l'ancien hébreu : mhnj précepte; pnftfD, réunis, de nH^jrère; «rVnun, partager en trois, etc. En général, lorsque la Mischna emprunte des mots au cfaal- déen , elle leur donne une forme hébraïque. — On trouve aussi dans la Mischna un |p*and nombre de mots latins et grecs : ' Cf. J. Th. Hartmanni SvppUmenta m Guemi Lexieon fc«6r. e Mischna peiUa , Rostodm, i8i3. — Gesemus, Gûêeh. der htbr» Spr. p. 73-76, et Wârtêrhueh dm- Wr. Spr, Voit. p. xnrn. — Preiflwerk, Gramm. hehr, Introd. p. un. — S. Lni- latto, Prolêgomem, p. 96 et suiv. * Dditxseh , lemrm , p. 89 et saiv. ' Thêiaurui et Lexie, mon. k ce mot. LIVRE II, CHAPITRE L 159 ce» mois sont même entré» assez profondément dans la iaagoe pûor donner lieu à des dérivés , tels que 3DnD J , esêuyé avec Tiponge, de jidd, ip(mge. L'orthographe de la Mischna diffère beaucoup de l'ortho- graphe biblique , et se rapproche du chaldéen ; elle tend gé- néralement à adoucir les consonnes dures et à contracter les mots [vhch^ pour k^ dkiVk ou k*? Ak; nnVxb pour iriK hï/h). Letr verbes défectifs de la troisième radicale se terminani ébKH ou en n , et en général les verbes dits imparfaits , tendent à se confondre. Les quadrilitères sont plus nombreux qu'en héh(reu : une forme nouvelle , dont on trouve quelques traces douteuses dans la BiUe , la forme nithpahel, prend une importance consi- dérable. Des temps composés et des formes analytiques s'intro- duisent, à l'imitation du chaldéen {:fiv >r^^n ^hKz=z8ifavai$ su); le futur s'exprime souvent par l'adjonction du mot n^nv (juAXaiv, ail. werdend) ; les relations des temps sont marquées avec plus de précision que dans l'ancienne langue ; de très-nombreuses particules, formées avec réflexion (^^?ç^3, à coûte de; "«6^3, vere, etc.), rendent possible l'expression des choses rationnelles et abstraites. Lé substantif revêt un nombre de formes plqs considérables; mais cette richesse est acquise au prix de l'é- légance. La physionomie générale du discours est celle du chal- déen^, et beaucoup de particularités rappellent l'arabe vulgaire. On sent partout l'action des principes qui 4)nt fait sortir du latin les langues néo^latines, mais entravée par la roideur qui a rendu impossible, dans les langues sémitiques, toute régé- nération des idiomes éteints. La langue des deux Talmuds (Gémares), rédigés, le pre-^ mier en Palestine au iv* siède, l'autre à Babylone au v% dif- fère notablement de celle de la Mischna. C'est décidément du ' Geiger, Idikrbueh t/wr Sprache der Miâchmah, p. 9 et siiîv. 160 HISTOIRE DES LANGUES SÉMiTIQUES. chaldéen , et tt ne peut en être question ici. Le ehaldéea e^t généralement à oette époque la langue écrite des Juifs. Néan- moins on ne cesse pas pour eela d'écrire en hébreu. De nom- breux fragments insérés dans'ie Talmud et les Miira$ehim rappellent la langue miscfanique, quelquefois même l'hébreu biblique. Les prières, les movceaux d'apparat^ les discours fu- nèbres^ sont en hébreu. Le livre letsira, dont la date- est in- cmntaine, il est vrai, mais qui paratt antérieur au x* siècle, est écrit en hébreu. Les Barateihoth, le Seder Ohm, les Halacoth Gtf^dobth et Ketatmoth, les Piyutim, etc. sont rédigés à peu près d^ns le style de la Mtschna. Il est, d'ailleurs, impossible de tracer des limites exactes au milieu du chaos des éléments sémitiques entre lesquels le judaïsme ne sut jamais faire un choix exclusif. Aucune des grandes compilations qui viennent d'être énumérées n'est écrite d'un stylo homogène. La Mischna , par exemple, à cêté de morceaux pi^esque chaldéens, en renferme d'autres en hébreu biblique a^ez pur, et sans doute écrits avant l'ère chrétienne. Privé de langue propre comme de patrie , le judaïsme, depuis la dispersion, ne cessa de flotter entre les différents idiomes qu'il trouvait derrière lui et autour de lui , sans en admettre décidément aucun. Il fit comme un honmie qui écrirait tour à tour et à la Ibis en latin , en français , en italien , en espagnol , se mouvant librement dans le domaine connu de ces quatre langues , sans s'arrêter franchement à l'un des dialectes. Ayant daiis son passé deux ou trois langues sacrées et classiques , cé- dant d'ailleurs à la tendance naturelle qu'ont les sectes isolées à séparer la langue écrite de la langue pariée, le judaïsme dé- ploya une immense activité inteltoctuelle, sans arriver è une * Cf. Dukes, Rahbiimêche BIvumnI»*^, p.'ii&7 et suiv. — S. Luzzatto, Prolegom. p. 100-101. — Geîgef, op. ciL p. s. LIVRE II, CHAPITRE 1. 161 fomie vraiment eommunicabie. Une sorte d'obscurité volontaire plana sur toute sa pensée; une langue barbare et factice cou- vrit d'un voile impénétrable pour les profanes sa curieuse lit- térature. L'extrême concision du style , jointe à des abréviations arbitraires et multipliées qui exigent une initiation particulière, Cadt presque de chaque phrase une énigme; d'innombrables allusions à des passages de la Bible changent le style en une mosaïque de phrases détournées de leur sens naturd. Aucun exemple n'est peut-être plus propre à faire comprendre ce que serait une langue artificielle, créée par des savants en dehors de l'usage vulgaire , et à montrer à quel degré d'obscurité des- cend le langage, quand il se sépare de ce qui est l'unique source delà vie des idiomes, je veux dire les besoins et les sentiments populaires. Lorsque les Juifs adoptèrent la culture arabe , au x* siècle , l'arabe, qui déjà devait être leur langue vulgaire dans les pays musulmans, devint aussi, en Orient et eîi Espagne, leur langue littéraire. De Saadia à Maimonide, ce fut surtout en arabe que s'exprima le travail intellectuel qui, à cette époque, changea si profondément l'esprit du judaistne. Cependant, même durant cett^ période et dans les pays musulmans, on ne cessa, pas complètement d'écrire en hébreu : les écrits de Menahem ben-Serouk, les hymnes de Salomon ben-Gabirol (Avicebron) et la Yadhazaka de Maimonide en sont la preuve. C'est aussi en hébreu rabbinique qu'écrivent Raschi , les Tosa- phiiUs, et en général les docteurs des écoles de Troyes, de Dampierre et de Ramrupt^ La renaissance de l'hébreu devint générale quand les Juifs de l*Espagne musulmane, chassés pur le fanatisme des Almohades , ' Ce nom biiarre, et jii8qu*ici inexpliqué, n'est antre, je crois, que celui de I- 11 162 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. . se réfugièrent dans l'Espagne chrétienne , en Provence , en Lan* guedoc. L arabe alors cessa de leur être familier, çt une nuée de patients traducteurs , à la tète desquels il faut nommer les Âben-Tibbon , de Lunel , «'attachent , durant tout le xiii* siècle , à faire passer en hébreu les ouvrages arabes de sciences /de philosophie , ie théologie , qui avaient servi aux études de l'âge précédent. Pouf conserver le caractère de ces ouvrages, le$ traducteurs se trouvèrent amenés à ajouter aux pto|Nriété8 de l'hébreu ancien une foule de formes et de mots empruntés à l'arabe, entre autres les mots techniques de science et de phi- losophie^. Les écrivains originaux du xui* et du xiv* siècle y in- troduisirent, de plus, presque tout le vocabulaire de laMischna et du Talmud. Telle est l'origine de la langue qu'on a nommée le rabbmcO'phUosophieum. Cette langue est restée jusqu'à nos^ jours la langue littéràii^e des Jui£s; on pourrait y distiller des variétés infinies , selon que les auteurs ont modelé leur style de préférence sur la Bible , la Mischna , la Gémare , selon qu'ils y ont mêlé plus ou mqi^s de mots étrangers. V^rs la fin du dernier siècle , et de notre temps , quelques Israélites , en Alle- magne et en Italie, ont essayé de revenir à l'hébreu biblique le plus pur, et ont composé dans cet idiome des pastiches in- génieux. ' ; • . * L'hébreu rabbinique est donc, à beaucoup d'égarda^. ce qu'on peut appeler une langue factice, et il justifie un té nom par ses difficultés et ses anomalies. Cette langue est, pour les formes grammaticales comme pour le dictionnaire, bien plus barbare que l'hébreu mischnique , et il serait difficile de soumettre à une classificatipn exacte les mots de toute prove- nance qu'on y rencontre. Lors même que les vocables sont de * GoDf. J. Goidenthal , Gffundxùge und Bmtrâge tu ememtpraduMrgL rahbmUeh- pkiioioph, Wârterhueh, dans les Mémoires de T Académie de Vienne, 1 1; i85o. LIVRE II, CHAPITRE I. 163 bon aloi , ils sont souvent détournés de leur aens et appliqués à des notions métaphysiques par les procédés les plus arbi* traires. Grâce à de nombreux barbarismes , les rabbins ont ainsi réussi à se former un vocabulaire scolastique assez com-: plet. Exemples : ^^a (corps) =:âubsianee, personne; '^^vn ( jtX^) = matiire; nç^D = preu&e syUogistique; 3SD = rétat; Vî^ la somme; riV^3 = runiversaUté ; v)isn = h eonsijueiU; ]]29 eliose, être; iK^n =: forme; ^KJn = condition (>KJn3 = condi' hoftne&mefU), de K^fî, donner , etc. Une foule de substantifs et d'adjectifs abstraits, dérivés des racines anciennes, complètent ce singulier langage : ts'MK) = heavJU; MC^i^K et ïWÛ^H = hu^ manki; nn'»*!^ = solitude; >}nTi = spirituel, etc. Ob voit à quel degré de barbarie devait mener le besoin d'exprimer des idées étrangères au génie de l'ancien hébreu, n en sera ainsi toutes les fois que l'on voudra étendre une langue morte au delà de ses limites naturelles et la développer artificiellement en dehors de sa portée primitive. Le latin n'a pas éprouvé un autre sort entre les mains dés scolasëques; la langue d'^bert le Grand ou de Duns Scot ne ressemble pas beaucoup plus à celle de Cicéron que la langue des raUiins à celle d'Isaîe on de David. Les révolutions de la langue savante des Karaîtes sont à peu près les mêmes que celles de la langue des Rabbanites. Ainsi nous les trouvons d'abord écrivant un chaldéen analogue à la langue du Talmud dl^ Jérusalem (Anan). Puis nous les voyons se servir, dans TAsie musulmane, de l'arabe (R. la- phet)^; dans l'empire grec et la Russie méridionale, d'une langue savante analogue è l'bébeeu mischnique ou au rabUnico- ' Gel renaeîgiiemeiiis proviennmit de la collection de maBuacrits kanûtea rap- portée d*É|gypte par M. Munk. (Voir la description aommaire qu'en a donnée ce savant orientaliste dans les /«ratiiliidb Amàim de Jost , 1 8& i , n^ i o , 1 1 , i s.) 11. 16& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. fiùloMffhiewn, mais encore plus mêlée d'arabismes (Aaron ben- Elia, de Nicomédie). Quant à la langue vulgaire , on peut dire que les Juifs ^ de- puis la captivité de Babylone, en ont adopté quatre princi- pales : le chaldéen, l'arabe, l'espagnol et Tallemand. L'arabe est encore parlé par les Juifs d'Afrique. L'espagnol et l'alle- mand devinrent réellement, au moyen Âge, des langues na- tionales pour deux grandes fractions du peuple juif, qui les portèrent avec eux dans leurs diverses migrations. Ainsi la plupart des Juifs de l'Europe centrale, étant originaires de l'Alsace et de l'Allemagne du sud, ont parlé, presque jusqu'à nos jours, un jargon allemand mêlé d'hébreu [JudenteiUsch)^ plein d'archaïsmes et même d'altérations artificielles ^ Au con- traire, la langue des Juifs de Gonstantinople , qui sont venus d'Espagne, est encore aujourd'hui l'espagnol du xv* siècle. Par un de ces caprices qui ne se rencontrent que dans l'histoire du peuple juif, les deux langues susdites sont devenues à leur tour pour les Israélites deux langues mortes et respectées. Ainsi, parmi les Israélites français qui n'ont pas reçu d'ins- truction , plusieurs savent encore , pour les avoir entendu ré- péter à leurs pères , quelques mot^ espagnols et allemands ; ces mots se présentant à eux comme des. souvenirs d'une langue nationale, ils les prennent pour de l'hébreu^. L'habitude où sont les Juifs allemands et polonais d'écrire ou d'imprimer le J.udeiUeiUseh en caractères hébreuit a donné lieu à une méprise ' Jost, dans TEncyd. d'Encb et Graber, art. Judenteutich, Les Karaîtes de la Rufliie méridionàde parient one langue tartare, et descendent sans doute des Khoian, nation du Dagh^tan, ^3n nnoD) l'invention des points-voyelles, par lesquels on essaya d'atteindre ce but. Mais il semble résulter de travaux récents que les premiers ponctuateurs doivent être distingués des Massorètes. La question sera traitée avec étendue dans notre second volume, quand nous ferons L'histoire comparée des pro- cédés de vocalisation employés par les Sémites. Il suffit de dire, pour le moment, que le système des points-voyelles dit nuuto-^ rétique paraît refnonter, dans ce qu'il a d'essentiel, au com- mencement du VI* siècle de notre ère , que les docteurs juife qui donnèrent à la philologie hébraïque ce puissant secours ^ Lud^D parie de Thébrea comme d^un jargon qui ne sert que pour {es en- chantements : Ô èè feâpés nvat âa^\uvç fStyy^iupot, ohi yépoan* dp tfyaUnf j^ ^tpiiutp{AleseanderieuPÉéudommtti$, S i3). * Gf.Dake8,nt;K ]2^ niIDDH OnO^lp, h$rmêêg9gtibmmUEmkU»mgUÊid Anmerkungmi (Tubingue, 1866)1 p< 99. ' Pirhe Abotk, cap. 1, init. LIVRE II, CHAPITRE L 169 prirent pour modèle la ponctuation syriaque , qu'ils habitaient plutAt la Babylonie que la Palestine,* qu'enfin ils apparte* naient à la catégorie des docteurs dits Saboréens ('^khsd) et non aux Massorètes. Il &ut reconnaître toutefois que la vocali- satioB n'était point, à cette époque, aussi complète et aussi régulière que dans les Bibles modernes : les grammairiens du X* et du XI* siècle paraissent étrangers aux subtilités qui ren- dent si compliquée dans nos grammaires la théorie des voyelles; on chercherait vainement dans leurs écrits la trace de certains signes qui font maintenant partie intégrante du système gra- phique de l'hébreu^. Enfin on a récemment trouvé entre les mains des Karâîtes de Grimée des manuscrits, dont l'un re- monte aux premières années du x* siècle , ponctués selon un système tout différent de celui qui est usité dans nos Bibles, bien que parti des mêmes commencements ^. Quant aux Massorètes, l'importance de leurs travaux est pIutAt critique que grammaticale. Les Massorètes, en effet, cherchent uniquement à assurer l'intégrité* du texte. Ils en comptent les mots et les lettres; ils comparent les manuscrits; ils multiplient les notations, pour marquer les moindres acci* dents de lecture ; mais ils s'occupent peu de f exégèse , et on ne trouve chez eux presque aucune trace de grammaire, dans le sens que nous attachons à ce mot. C'est au X* siècle qu'il faut placer la formation définitive de ' LiuiaUo, Prolegomeni, p. i s et suiv.^-Munk, Notiee êur AbouhoaUd, p. 3-/i, 39-/Î0, note. — Ewald, Jakrhûeher der btbl, Win, I, p. 160 et suiv. — Le même, Kriiiêekè Gramm.^ 36. — Ewald et Dukes, Beytràge zur Getch, der âUesîen Aiuk' gwg und Spra^erMârvng det A. 7*. p. i35, i35 , lâg-iSo^ iSy. ' Pnmer, Phtêpêetm der Ode$$aer Getelkchafi œU, hebr, md ehM. Manu- ecriplê; Odena , 1 8&5. -^ Ewald , Jakrbwcher^ I (1 8 A9) , p. 1 60 et suiv. — Geiger, Vredtr^ und 0eber9eizung der Bibel in ihrer Abhémgigkeiiwm der EttkoiMitng det Judenikunu ( Breslaii , 1 8 57 ) , p. /i 8 1 et sui v. 170 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. la gcaminaire hébraïque. Eile fut le firuit du grand mouvement littéraire de l'Académie des GuemUm, et de l'empressement avec lequel les Juifs adoptèrent la civflisation musulmane , bien plus analogue à leur génie que la civilisation européenne et' chré- tienne. Il était naturel qu'ils voalussent.appliquer à leur langue sacrée , si voisine de l'arabe spus le rapport grammatical , la culture que les musulmans pratiquaient sur leur idiome. On doit croire , néanmoins , qu'avstnt les travaux calqués sur ceux des Arabes, et dont le Goon Saadia al-Fayyoumi (mort en g&a) est regardé comme le fondateur» les JuiCs étaient en possession des éléments d'un enseignement grammatical. M. Ewald ^ a observé avec raison que , ehes les. grammairiens juifs de l'é* poque dont il va être ^question , la forme seule de l'enseigne- ment est arabe; la plupart des termes techniques dont ils se servent sont hébréo-chaldéens , et quelques-uns de ces termes ont subi des altérations si considérables , qu'on doit croire qu'ils avaient s^ourné longtemps dans les écoles avant de re- cevoir une conséération définitive. M» Munk, d'un autre c&té^, a savamment établi que les Karaîtes possédaie^it, avant Saadia , des notions ' grammaticales assez étendues; or, ces notions, ils ne les devaient pas aux Arabes, puisqu'ils- condamnaient l'é- tude de la grammaire arabe comme inutile et dangereuse ^. On est donc amené à supposer choz les Juifs l'existence d'une grammaire traditionneUe , antérieure aux travaux des granunai- riens formés à l'imitation des Arabes ; mais ce premier germe resta ^ans développement , et l'on ne saurait partir de là pour ejilever à Saadia ses droits au titre de fondateur de la gram- maire hébraïque. ^ Ewald et Dukes^ Bêjftrage zur Geêch. etc. p. 1 93- 1 ail . * iVoltoff sur AhwhDalid , p. 4- 1 o. ^ Ibid. p. 3g, note. LIVRE II,. CHAPITRE I. 171 Ce bit sartout dans le Mftgrob que le mouvement gramma- tical fondé par l'école juive d'Orient porta ses fruits. Menahem ben-Serouk, de Tortose^, et. Dounasch ben-Lébrât, de Fez, (960 ou 970)5 composèrent ies.pius anciens travaux de lexico- graphie hébraïque. Vers la même époque, Juda Hayyoudj, de Fez y en se rendant ie premier un compte exact de ia nature des racines défectives et de ia permutation des lettres faibles, posa la base de la saine philologie hébraïque.' Enfin Rabbi Jona ben-Gannach, de Gordoue, ou» comme il s'appelait en arabe, Aboul^Walid Menran Ibn-Djanah, dans la première moitié du xi* siècle, donna le chef-d'œuvre de cette école en lexicographie et en grammaire. Judaben-Kpreisch et Salomon ben-Gelnrol (l'Avicebron des scolastiques) marchèrent dans la même voie^ L'excellence de ces premiers essais a de quoi nous surprendre; on doit reconnaître qu'avant les travaux tout à fait*modemes, ceux de R. Jona n'ont pas été dépassés. Par un c6té surtout, les grammairiens dont nous venons de parler se montraient fort supérieurs à ceux qui les ont suivis, et préludaient aux plus belles t^tatjives do l'école moderne , je veux dire par leur connaissance de l'arabe , et par l'habitude qu'ils avaient de demander à cette langue et au syriaque l'ex- plication des obscurités de l'hébreu^. Les travaux de cette première école sont presque tous écrits en arabe. Lorsque, vers la fin du xii* siècle, cette langue cessa d'être l'orgaiie des Juifs, on se porta de préférence vers des ' Poor pIuB de détails, voir le Mémoire de M. Mank et l'ouvrage de MM. Dukes et Evald, précités; les ProUgamem de M. S. Lozzatto, et les divers travaux de MM. Dnkes, Zonz, Rappoport, sar ce premier âge de la grammaire hébraïque. ' Voir le fragment de R. Jona publié par M. Munk dans le Mémoire précité, p. 17 et soiv, et la lettre de Juda ben Koreisch aux Juifs de Fes , sur la corn- panîaon des divers idiomes bibliques, publiée par MM. Bai^gès et G^ldbei^; Puis, 1867. 17â HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. travaux écrits en hébrea, empruntés, pour le fond à ceux de Técole arabe , mais bien inférieurs pour ia scienc^ granunati- caie et l'esprit critique. Les Kimchi , de Narbonne , sont les repré- sentants les plus célèbres de cette nouvelle série de travaux : le Hbx de David Kimchi (composé vers Tan lâoo) passa durant tout le moyen ftge pour le chef-d'œuvre de la philo- logie juiVe. Ce ne fut ([u'au xvi* siècle, au moment où la science de l'hébreu allait passer entre les mains des chrétiens, qu'on vit la renommée des Kimchi effacée par celle d'Elias Levita (mort à Venise en i5&9), qui pwta la méthode rabbinique au dernier degré de perfection dont elle était susceptible, «t fut le maître d'un grand nombre d'hébraîsants chrétiens. Ainsi se continua jusqu'aux temps modernes la tradition de la science juive , à laquelle va succéder la science chrétienne , dont la critique rationnelle recueillera à son tour. l'héritage. Jusqu'ici, en effet, la science de l'hébreu a été k possession exclusive des Juifs. Le tr^s-petit nombre de chrétiens qui su-* rent l'hébreu durant le moyen ftge, comme Raymond Martini, Nicolas de Lyre , Paul de Burgos , étaient des Juifs convertis ou fils de convertis. La formule employée à cette époque à pro- pos de tous les savants hommes : a il savait le grec et l'hébreu », n'est pas d'ordinaire plus vraie pour la seconde de ces langues que pour la première ^ On accorde facilement aux autres une science qu'on n'a pas soi-même. D'ailleurs savoir l'hébreu au moyen âge , c'était savoir bien ou mal l'explication d'un certain nombre de mots conservés dans les versions de l'Ecri- ture ; or, pour cela , les Interpretalioneê vocum hebraicarum de * Roger Bacon, qui surpassa ses contemporains par te sentiment plûlologique comme par Tidée de ia vraie science expérimentale, mérite peut-être de faire exception. (Voy. Oput majuê, p. & i, sqq. et EpUt, ùe iaink S, ScripU ad Ckmê^- (em IV; edid. Jebb.) y LIVRE II, CHAPITRE I. 173 saint JërAme et autres ^ossaires de ée genre étaient suffi- sants^. Les efforts de Raymond LuUe et les décrets du cpncile de Vienne en 1 3 1 1 ne réussirent pôiiit & créer une étude sé- rieuse de rhébreu. Seul Tordre de saint Dominique , en vue des besoins de la polémique contre les Juifs , posséda quelques hommes initiés à la science des rabbins. La Renaissance , par l'activité universelle qu'elle excita dans les esprits , et la Réforme , par la valeur qu'elle attribua au texte de la Rible, furent les deux causes qui fondèrent les études hébraïques dans l'Europe chrétienne. Vers la fin du iv* siècle et au commencement du xvi*, un vif attrait de curiosité en- traîne de ce c6té toute l'opinion savante. L'Allemagne surtout se fit dès lors de la science de l'hébreu une sorte de domaine propre » dont eUe n'a pas été depuis dépossédée. Les Juifs fu- rent naturellement les maîtres de cette nouvelle génération d'hébraisants. Il fallait, à cette époque, pour savoir l'hébreu, faire de longs voyages, s'attacher à un rabbin dont on écoutait les paroles comme des oracles , et dont on achetait les leçons & prix d'or. Autant l'opinion généralement répandue sur la difficulté de l'hébreu est fausse de nos jours, autant elle était fondée au xvi* siècle, et quand les philologues de ce temps nous parient des efforts héroïques qu'ils ont dû faire pour acquérir la connaissance de là langue sainte, il n'y a là de leur part aucune exagération. L'homme dont le nom mérite le plus de rester attaché â cette révolution, qui devait avoir des conséquences si graves ' Ce point sera traite avec plus de développemeDto dans mon Mémoire tur Vétude iê la Itanguê grtequê dam Voeeidtnt de VEuhtpe, depmi la fin du f' sUcUjuiqu'à etXk dm xif'i couronné par TAcadiémie des inscriptions et beiles-iettres en 18&8. A rhistoire de fëtude de la kngae grecque, j'ai joint des renseignements sur Tétude de Thébrea et de Tarabe, ces trois langues ayant traversé à peu près les mêmes destinées dans les écoles du moyen Age. 17â HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. dans Hiistoirede l'esprit humain, c'est ReuchUn. Ses trois livres De ruiimeniis hehraicU (Pforzheim,* i5o6) furent la pre- mière grammaire hébraïque régulière , composée pour l'usage des chrétiens , et fixèrent lés termes techniques employés de- puis dans les écoles européennes. Trois ans avant lui , un jeune moine de Tûbingen, Conrad Pellicanus, avait publié à BAte un essai du même genre ; mais , privé die ressources , il ne pro- duisit qu'un livre très-imparfait, et se remit ensuite à l'école de Reuchlin. Buchsenstein, Alphonse de Zamora^ Sébastien Munster, Santés Pagnini, Gleynarts, Guillaume Postel, Jean Cinq-Arbres^ Bellarmin reprirent les mêmes travaux avec des mérites divers ; mais tous furent dépassés par les deux Buxtorf , dont les écrits, en y joignant ceux de Salomon Glass, sont le répertoire complet de la science hébraïque du xvi* et du xvif siècle. Cette première école est» du reste, fortement empreinte de l'esprit de ses maîtres : elle est toute rabbinique. En gram- maire, elle s'occupe presque uniquement de la dérivation des mots et des changements minutieux des points-voyelles , sans songer aux règles de la syntaxe. En critique et en heRuéneù- tique, elle suit aveuglément les interprétations des Juifs. Les deux Buxtorf, l'ancien surtout, sont plutôt des talmudistes que des philologues; mais c'était beaucoup d'avoir prouvé qu'en dehors du judaïsme on pouvait dépasser les Juifs eux-mêmes. Le système rabbinique acquiert en ces nouvelles mains une lu- cidité, un ordre systématique qu'il n'avait pas dans la plupart des ouvrages écrits en hébreu. Alting, Danz, Neumann tentèrent les premiers de marcher hors des voies tracées par les rabbins, mais n'aboutirent qu'à d'inutiles subtilités. Une autre école, bien plus hardie, mais ' Quelques-uns de ces hébraisanU ëtaienl des Jui£s baptisés. LIV«E II, CHAPITRE I. - 175 encore moins heureuse dans sa hardiesse » prétendit se débar- rasser entièrement des pointa-voyelles et de tout renseigne- ment des Juifs. Déjà dans la période précédente s'étaient ma- nifestés quelques symptômes de révolte. Elias Levita s'était attiré les anathèmes de la synagogue , en élevant des doutes sur l'ancienneté des points-voyelles, et Jean Forster, élève de Reuchlin , avait publié en 1 5 5 s , à Bâle , un dictionnaire ayant pour titre : Dictionarium hebraicum novum, non ex Rabbinorum eontmeiUk, née noitnUÙim doctorutn stuka imitatiane descriptum, 9ed ex ipsU theeauris S. Bibliorum depramptum. Louis Gappe^ reprit l'attaque , et , malgré la vive opposition de Buxtorf le jeune , réduisit la Masore à sa juste valeur. Malheureusement la sage réserve de Gappel ne fut point imitée par la plupart des hébralsanis français. Les ouvrages de cette école, repré- sentée par Maselef et Houbigant , sont restés superficiels et sans importance. Richard Simon mérite cependant de faire excep- tion , et on peut dire que Gappel parmi les protestants , Simon parmi les catholiques, eussent fondé en France la saine exé- gèse, plus d'un siècle ayant que l'Allemagne l'eût créée , si l'es- pni absolu des théologiens du xvii* siècle ne s'y f&t opposée Mais les travaux les plus importants de cette époque sont ceux qui se poursuivent dans les langues orientales voisines de l'hâl>reu. Postel, Erpenius, Pococke, Golius, pour l'arabe; Assemani, Amira, Sionita, Louis de Dieu, pour le syriaque; Ludolf , pour l'éthiopien , jetaient les fondements d'autant d'é- tudes , presque ignorées en Europe avant eux , et préparaient des ressources inattendues aux hébralsants. Déjà, dès la pre- mière moitié du xvu* siècle , on eut l'idée d'appliquer ces ré- sultats nouveaux à l'exégèse. Louis de Dieu, Hottinger, Sen- ' Voir k bonne étnde fur Louis Gappel , pablii^e par M. Midiel Nicolas dans la Revue de Théologie de M. Coiani, mai tSbh. 176 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. nert et Otho (de Marburg) composèrent des ouvrages où la langue hébraïque était enfin rapprochée de ses sœurs, et éclaircie dans ses obscurités par les autres langues séoiitiques. Les Bibles polyglottes , et spécialement celle de Walton , con- tribuèrent beaucoup à placer les esprits à ce point de vue, et provoquèrent le beau Lexique heptaglotte de Castel , où la mé- thode comparative était appliquée avec une remarquable fer- meté. 41 y avait dans cette innovation le germe d'un immense pro- grès. Les rabbins et leurs disciples, entre plusieurs défauts, étaient celui d'envisager la langue hébraïque isolément, et sans la comparer aux idiomes de la même famille. C'était pourtant cette comparaison qui avait fait ie mérite des plus anciens philologues juifs, Saadia, Rabbi Jona, Juda ben- Koreisch, qui, versés profondément dans la langue arabe, en avaient tiré de précieuses lumières pour éclairer les difficultés de l'hébreu^; mais quand les Juifs cessèrent d'étudier l'arabe, on retomba dans l'arbitraire des prétendues explications tra- ditionnelles, et toute espérance de progrès sembla fermée pour l'interprétation d'une langue morte depuis des siècles et dans laquelle on ne pouvait espérer de découvrir des textes nouveaux. Ce fiit le célèbre Albert Schultens qui remit en œuvre , au xvin* siècle, d'une maniée vraiment efficace, ce puissant moyen herméneutique. Il faisait partie de la grande école de philologie hollandaise, qui avait compté ou qui comptait en- core dans son sein Hemsterhuys , Yalckenaer, Lennep , Ruhn- kenius, Scheid, et dont le caractère était d'allier l'étude des langues orientales à celle des langues classiques. La philo- ^ Déj les Septante avaient pratique cette méthode, mais d'une manière gro6- sière, qui ne ies avait menés qu*à des erreurs. (Gonf. Gesenius, Gnch^ P* 7^*) Saint JérAme n^en eut de même qu'un vague sentiment (Prœf. m Librum Job.) LIVRE II, CHAPITRE I. 177 logie hébraïque doit à Schultens une étemelle reconnaissance pour la vigueur avec laquelle il réalisa son idée favorite : Té- claircissement de l'hébreu par Farabe ; néanmoins il faut re- connaître qu'il appliqua ce principe d'une manière beaucoup trop exclusive. Les parallélismes qu'il croit découvrir entre lés deux langues sont quelquefois subtils et forcés; il ne tient pas assez compte des autres idiomes sémitiques. Si l'arabe, en effet, fournit de grandes lumières pour l'intefligence de la syntaxe et de la structure générale de la langue hébraïque , il faut reconnaître que , pour la partie lexicographique , les ana- logies tirées de l'arabe sont fort trompeuses; Taraméen est ici un guide bien plus «ûr^ Schultens avait d'ailleurs h tort de négliger les autres moyens herméneutiques, tels que la tradi- tion juive et le secours des anciennes versions. Son plus il- lustre élèVe fut Schrœder, professeur à Groningue , qui porta la grammaire hébraïque au plus haut point de perfection qu^elle eût encore atteint. Jusqu'ici les travaux des hébraîAnts avaient été considérés comme un appendice de la théologie. I/école de Schultens, en suivant dans l'étude de la littérature hébraïque une mé- thode purement profane , «e plaça la première au point de Vue de la science impartiale et désintéressée ; mais ce fut l'école alle- mande qui ramena définitivement l'interprétation de la Bible à la condition de toute autre science. Dès lors la connaissance de l'hébreu rentra dans le domaine général de la philologie, et participa à tous les progrès de* la critique par les écrits des deux Michaëlis,'de Simonis, Storr, Eichhom, Va ter, Jahn, Rosenmûller, Bauer, Paulus , de Wette , Winer, et surtout par les admirables travaux de Gesenius et d'Ewald, après les- ^ R. Jona avait bien aperça-cette vérité. (Voir le fragment publié par M. Munk , iVolÎM fur AhoukoaUd, p. 178.) 1. la 178 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. quels on poorrait croire qa'il ne reste plus rien à faire dans le champ spécial de la littérature hébraïque^. Le trait caractéristique de la méthode nouvelle est un éclec- tisme éclairé, admettant et contrôlant l'un par Tautre tous les moyens que les écoles antérieures avaient appliqués isolé- ment et d'une manière exclusive. £lle ne reji^tte pas les points- voyelles, tomme Técole française du xvm* siècle; elle n'a point pour ces signes le respect superstitieux de l'école rabbinique. Elle ne suit pas aveuglément, comme Buxtorf , la tradition des Juifs; elle ne la dédaigne pas, ReUgiota ds VmUiquUéy t II, 3* partie, p. 8a3-833. LIVRE II, CHAPITRE IL 185 traires, selon les milieux divers où elles s'appliquent. La bas- sesse et l'avilissement de l'Arabe livré au commerce et aux métiers manuels dans les villes de Barbarie forment un sin- gulier contraste avec la fierté naturelle du véritable Arabe 9 de l'Arabe du désert. Quant à l'époque de l'émigration qui porta les Phéniciens sur les côtes de la Méditerranée » il est permis d'affirmer qu'elle fut antérieure à l'arrivée des Térachites en Palestine , puisque Abraham trouva partout dans ce dernier pays des établisse- ments chananéens. On peut donc placer l'événement qui nous occupe vers l'an 9000 avant J. G. au temps de la domination des Hyksos en Egypte. Plusieurs critiques , frappés de ce syn- chronisme , ont supposé que les Hyksos étaient la horde phé- nicienne elle-même, traversant l'Egypte et se fixant, après son expulsion delà vallée du Nil/ dans le pays de Ghanaan^ L'affi- nité que les Hébreux établissent entre Gham etGhanaan semble, du moins , signifier qu'à leurs yeuk les Ghananéens venaient du sud. Peut-être aussi le parti pris des Hébreux de faire de Ghanaan une race maudite a-t-il influé sur leur ethnographie , et les a-t-il portés, malgré l'évidente similitude du langage, à retirer les Phéniciens de la race élue de Sem , pour les rejeter dans la famille infidèle de Gham^. Ges haines de frères n'ont nulle part été plus fortes que dans la race juive, la plus mé- prisante et ia plus aristocratique de toutes. Bien plus tard , et jusqu'à nos jours , ne la vit-on pas renier toute fraternité avec ' Hamaker, MiBceUoMa Phcmeia (Leyde, i8a8),p. i7set suif, soutint le premier cette opinion , mais avec bien peu de critique et de philologie. * Cette intention se trahit naïvement dans un chant populaire.* ((réfi. 11, 95- 97. — Gonf. Toch , Kommeniar 4b«r die Genniê , p. 965. — Bertheau , Zur Gnch, dtr brmilitm, p. 179 et sniv.) M. de Lengerke suppose que le passage relatif à la malédiction de Ghanaan est une addition du dernier réacteur du Pentateuqne. ( Kêttaamy p. cm, note.) 186 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. les Samaritains , et traiter dédaigneusement de Cuthéens cette branche moins pure et moins noble , il est vrai , de la famille israélite? S IL Il est singulier que le peuple auquel Tantiquitë attribue Tinvention de Técriture , et qui certainement Ta transmise à tout le monde civilise , ne nous ait presque pas .laissé de litté- rature. L'écriture alphabétique, si merveilleusenient simple, ne fut pas , comme l'écriture hiéroglyphique , une invention de prêtres , mais une invention d'industriels et de marchands. Les relations éteûdues de Babylone et de la Phénicie réclamaient cet organe si commode et si clair. Sans doute les Phéniciens , comme les Carthaginois , possédèrent des livres écrits, dans leur langue originale^; mais il ne paraît pas que le travail intellec- tuel ait atteint chez ces deux peuples le degré d'élévation et de force qui fait vivre les œuvres de l'esprit. Leur littérature s'efr faça devant- celle des Grecs et des Latins : quelques fragments de Y HUtoire phénicienne de Sanchoniathon^, et le Périple d'Han- non', traduits en grec, échappèrent seuls à ce naufrage uni- versel. Les monuments épigraphiques viennent heureusement corn- Uer en partie cette lacune. Un grand nombre de médailles et * Muvées snr le sol de tous les pays où la Phé- nieie a en des colonies oa des comptoirs , en Chypre , à Malte , en Sicile, en Sardaigne , à Marseille , en Espagne, en Gyrénaîque-, sur toutes les c6tes barbaresques > attirèrent de bonne heure l'attention des savants ^ : plus Técemment » la précieuse inscrip- tion sépulcrale d'Ëschmunazar, roi de Sidon , maintenant placée au Musée du Louvre, nous a livré là première page authen-^ tiqaement écrite par des Phéniciens indigènes. Bien que l'in^ terprétation de ces curieux monuments laisse encore beaucoup à désirer, on peut regarder comme deux vérités scientifique- ment démontrées : i^ie caractère sémitique de la langue phé- nioe-punique; a^^Taifinité étroite de cette langue avec l'hébreu en particulier. Sans doute un grand ndmbre de passages des textes phéniciens ne trouvent pas leur explication dans l'hébreu iA que nous le connaissons; mais il faut se rappeler que cette dernière langue nous est parvenue d'une manière fort incom- plète. On doit supposer, d'ailleurs , qu'en se développant à part et chez des peuples opposés de caractère et de moeurs, les deux langues, bien qu'identiques à leur origine, devinrent avec le temps différentes Tune de l'autre , non pour la grammaire , mais pour la physionomie générde du discours. Le phénicien montrée en générad une tendance pronoiicée vers raramaïsme : cela peut tenir, il est vrai, à l'âge relativement moderne des inscriptions qui nous sont parvenues; mais cela tient aussi à un trait de physionêU»$ imeriptionê pumqu9$: Paru , 1 859. — Ewald , ErUx^ffkrung der mupuimchtn Imehr^Un, dans les Gœtt, gel, Anzngw (iSSa), p. I7i3*i7&5. ' Gonf. Gesenius, Mwum. pkan, p. 3&o et suiv. ' «Lingoa Pœnorum, quœ chaldœ» vel bebneie nmilis est et syne, non babet geniu neatram.ff (/tifitt. grammaiietf, 1. V, c. ii, p. 173 edit Krebl.) ' Voir \^AJriea ehntêima de Morcefli, II, 359 et saîv. / LIVRE il, CHAPITRE IL 197 inscriptions , et que j'^expiique par H12 DV^ ou niJ u^^ ^ Bona firtuna ou Bona fortuna ejm, par analogie avec Namphamo (voy. plus haut, p. 1 90). On trouve dans le Pœnulus le nom de nourrice Geddeneme, qui est le même renversé ^ Il est donc probable que la langue punique fut paiiëe jus- qu'à ^invasion musulmane. Peut-être la facilité avec laquelle l'arabe prit possession de ces contrées et la disparition com- plète du latin tenaient-elles à la présence de cette première couche sémitique. L'arabe , en effet , n'absorba que les dialectes qui lui étaient congénères , tels que le syriaque , le chaldéen , le samaritain. Partout ailleurs > il ne put effacer les idiomes établis. La langue punique semble être arrivée sur toute la côte d'Afrique à une haute importance et à un rôle en quelque 6orte universel ^. M. Movers a établi que l'usage de cet idiome s'étendit à la Numidie et à la Mauritanie '. Les villes du littoral étaient presque toutes phéniciennes, comme l'indiquent le nom de la ville de Çiràia, les noms de ports où entre la syllabe Rm (tVK"), cap) : Rutadir, Rusicade, Rusconia, Rusazia, Rmticur-- rum, etc. Les anciens , qui n'avaient en général que des notions vagues sur les langues étrangères , parient du punique avec pré- cision et l'envisagent comme la langue générale de l'Afrique. Il se peut toutefois que la grande extension des dialectes sémi- ' Voir Revue archêohgique , février i859 , et L. Renier, Mélangée d'épigrt^^kkie, p. 973 etsuiv. Gsnf. Revue arehéoL ( i85û ), p. &â6. — J. Fârst, Librorum Sacr, eéueoriemiiœ , p. 1298. — Movers, Die Fhœnkier, I, 636, et art Phem, p. 388, note. — Ewald, Zeiteehrifïf. d. K, d. M. t. VII, p. 89. * n suffit, pour 8*en convaincre, d'étudier la situation des localités où Ton a trouvé des inscriptions puniques (voy. Judas, Etude dénumetr. p. 1/19 et suiv.), on des inscriptions latines avec des noms puniques (voy. L. Renier, Ineaifit. rom, iê rAlgém^ surtout aux localit^p de Ghelina, Tubursicum, Auxia, Tlemcen, n*' 9771, 9773, 9966 etspiv. 36oo ^suiv.). ' Die Phœu, II, 11 , p. &39 et suiv. 198 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. tiques en Afrique ait porté à exagérer le rôle spécial de la langue carthaginoise. Longtemps avant la fondation de Gar- thage , l'influence de la race chananéenne s'exerça sur tout le nord de l'Afrique. Les formes diverses sous lesquelles l'alphabet sémitique se rencontre dans ces parages sont la preuve d'une action prolongée et souvent répétée ^ Les trois cents villes de Syriens détruites par les Pharusiens et les' Nigrites , dont parle Strabon , supposent d'un autre côté que les établissements sé- mitiques s'avançaient très-loin vers le sud^. Quant à la langue des Numides , nous croyons avec M. Qua- tremère et M. Movers*, contre Gesenius*, que c'était le berber. Les noms numides n'ont aucune analogie sémitique. La syllabe Mas, qui revient d'une façon caractéristique au commencement de ces noms: Massyliens, Massésy liens, Massmîssa, Massiva, Mas-- sugràda, etc. a la signification àejils en berber, et correspond aux mots (^\ eiy^y qui entrent dans la composition d'un si grand nombre de noms arabes ^. Or le berber, le touareg et la plupart des langues indigènes de l'Afrique septentrionale semblent appartenir à une grande famille de langues qu'on peut appeler chamitiques , et dont le copte serait l'idiome prin- cipal. Le mot Mas précité se retrouve en égyptien avec la même signification, et entre dans la composition de beaucoup de ^ Ewald , Jahrhùcher der bibl Wiis, 1(18^9), p. 191,1 9a . — Movera , Die Phm- niziêr, II, 11, p. ho6 et 8uiv. — Judas, dans le Jouraal aiiatiqw, octobre et no- vembre-décembre 18&6. ' Homboldt, Coêmoê, H, i55, UBg et suiv* trad. franc. ^ Quatremère , Jouhud du smanU , juillet 1 838. — Movers , Die Phem, II . a , p. 363 et suiv. — Gonf. Addung, Miihndate, III* partie, p. hS-h'j. — Hamaker, MiMcett. phem. p. 917. — De Siane, Hi$t deB Berbèree d^Ibn-Kbaldoun, L IV, ap- perid. p. 698 et suiv. 566 et suiv.. . * MommLpkentieiay p. 3&o. * Il est singulier qu'à cM des Massésyliens, etc. on retrouve en Numidie des Bamwœ ( Plin. V<» 1,17) et des Boifiovéai ( Pfdi. iV, 1 ) , Beni-Juba 1 LIVRE II, CHAPITRE IL 199 noms propres : Armons, Touth-mom, peutp-étre Mme^. Quant aux inâcriptions auxquelles on a donné à tort , depuis Gesenius , le nom de numidiqvi/et , elles forment en réalité une classe d'ins- ciiptions carthaginoises, en caractère cursif ^. Les vraies ins- criptions numidiques sont celles auxquelles on a donné le nom de Ubyques, celle de Thougga, par exemple, dont l'alphabet semble se retrouver eqcore chez les Touaregs'. On croit du reste que la langue des Libyens, comme celle des Numides, avait de grandes analogies avec le berber^. En général, Fethnographie du nord de l'Afirique paraît avoir peu changé. Un grand nombre de noms de peuplades berbères et touaregs se retrouvent dans l'antiquité : ainsi, les Zœinxeg, ë$vos Ai€utis^, sont les Zéwaga (a^Ij^); les (jétules paraissent être les GheschUndah (jJ^k^àS") ou plutôt les Gezoulah^^ifiji^ ou ^j^)' ' Lepnos, EtMtimg zur Ounmoïogie der ^gyptêr, I, p. 396, note. * Ewa]d, GœtLgeL Anz. (i85â), p. 1718 et sniv. > Joinard,daii8 le BuHd^laSoe. degéogr. t VI, 9*Bérie, p. 81 ; t. VIII, 3* sé- rie, p. 83, et Mém» d€ VAead. d«t ûimt. t. XVI, 1** part p. 6a etsuiv. — De Sauky, dans le /otmi. anal, févr. 1 863 , mars 18&9 ; dans les Aimalêi de VInutiM arehio- hgifuêl t XVn (18&5), p. 69; dans la Revuê archéologie , novembre i8&5, et dans les Mém. de VÂeadé dsi twcr. t. XVI, i** part p. 85 etsoiv. — Jadas, Étude démemtnUhe de la langue phénie. et de la langue Ubyque^ p. 9o5 et suiy. et Joum, ûekL mai 18&7. — Kovers, Dis PlkcnitMsr,!!, 11, p. 4o6-&o8. — Bai^, Jinim. oiiaL mars 18&7, et Revue de rOrient, février i853. — 0. Blau,dan8laZfilicAf^ der deuted^en morg. GeeeU, (i85i), p. 33o et saiv. — Annuaire de la Soc, archéol, de ConetemUine ( 1 856-1 855), p. m, 69 et suiv. — J. Bicfaardson, documents iné- dits à la Inbliothèqne de Tlnstitut. Il parait que toute espérance de trouver des livres écrits dans Falphabet touareg n^est pas perdne. {BuU. de la Soc. de géogr, juillet et novembre 1 856.) * Movers, op. c»t. Il, 11 , p. 369 et suiv. ^09, etc. La vieille hypothèse de Sau- maise, qui prenait pour du libyen les six vers inintdligibles placé&dans le Ponit»- iHf A la suite des dix vers puniques, ne mérite pas d^étre discutée. Ces six vers sont sans doute du carthaginois macaronique, comme le turc du Bourgme Gm-- iShomme, à Tusage des acteurs qui préféraient un texte borledque. * Dans Hécatée et Hérodote. G. MûUer, Fragm, hàU gr Qôatremèrd^ Mém, hi$U et géogr, sur VEgifpte, II, p. 3S. — Land, Joatuies Bisekof von Ephuoê , Atiban^ p. 1 7& et suiv. * Cf. Retnaad, Rapport inséré aif MÎMilettr, 6 août 1857. * \ 'Sur rorigineibéneiuie du suffiie ttmi , voy. Beudard , JVtiifitttnali^ttie ibérmne , p. 93 et auiv. Le même savant croit voir de frappantes ressemblances entre l^al- phabtt touareg et celui des Turdétans. LIVRE II, CHAPITRE IL 201 passa-t-il entre les langues sémitiques et les bngues chami- tiques et couschites qui en plusieurs endroits les précédèrent sur le sol de l'Afrique et de l'Asie? Quelques dialectes sémi-^ tiques » tels que ceux de l'Irak , de l'Yémen , de l'Abyssinie , n'oni-ils pas conservé des débris d'idiomes plus anciens? Voilà ce que nous ignorerons sans doute à jamais. Trois faits me pa- raissent seuls susceptibles d'être établis avec certitude : i* in- troduction d'un certain nombre de mots égyptiens dans les langues sémitiques , et en particulier dans celle des Beni-Isrjaël ; a"* passage d'un grand nombre de mots sémitiques aux langues de l'Occident , et particulièrement à la langue grecque , par suite du commerce des Phéniciens dans la Méditerranée; 3^ intro- duction d'un certain nombre de mots indiens dans les langues sémitiques, par suite du commei'ce avec Ophir. L M. Ewald pense que quelques-uns des mots égyptiens qu'on rencontre dans l'hébreu, tels que nym [f^)^ pyramide (Job, III, lA); nsn, arche, qu'on trouve dans d'autres langues sémitiques, remontent aux Hyksos ^ On ne peut douter, toute- fois, que la plupart de ces mots ne proviennent du séjour que les Beni-Israêl firent en Egypte. Presque tous, en effet, désignent des objets usuels, des mesures, des productions naturelles : tel^ sont nç^K et pn, noms de mesure; nÇK, coudée; )nK, jonc du Nil = ^^bï ^ ; ^Vc^ , jleuve, spécialement en parlant du Nil = I&>p0; iVu^p = Hixi ou xovxi; peut-être n^Dna, nom de l'hip- popotame^. Les traducteurs alexandrins, qui savaient l'égyptien, ont souvent aperçu ces identités et réformé , d'après la langue > G€$eh. de» V, Itr, II, p. 6, note; a* ëdit. * Le mot halam, par lequel planeurs langues sémitiques et indo-européennes désignent le roseau pour écrire ( Jl5 , xeUafxo^, eh^^)i parait aussi à M. Webcr d^originc égypUeniie. ^ Gesenius, Geëch. dtr hebr, Spr. $17,1 . — BœcUi, MeirologUche Unêenuchungen, p. 9&^ et suIt. — Bertheau , Zur Gêtch. (2n* /sr. p. 5i . — CbampoUion, Grammaire SOS HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. qui de parlait de leur temps , les archaïsmes des transcriptions hébraïques ^ Beaucoup de noms propres et de gloses égyp- tiennes conservés dans la Genèse, tels que les noms de on, de n^ne, les mots Xl^H, n^vs-n^DS ou ifovOofx^avrfxj le nom de Mùise ^, attestent la trace profonde que l'Egypte laissa dans la langue et les souvenirs des Beni-Israël » longtemps même après leur sortie de ce pays. Il est remarquable , du reste, que la plupart des mots ainsi adoptés sont transcrits de façon à montrer que l'auteur Israélite leur prétait une étymologie hébraïque et voulait leur assigner un sens dans sa propre langue, conformé- ment k une habitude très-commune chez les peuples étrangers à la philologie '. En revanche , on cite quelques mots empruntés par le copte aux langues sémitiques : !^&JUtO'>(^ = ^^} == xctfin^s; nOUJEp = ^ph ^V^' EiOnî>v =;= V;k, cerf^; XO^ = d;, la mer; Phike ou ÉléphanUne = b^B, nom sémitique de l'éléphant; sans parler des mots, tels que Jk^hrt = QÎP» etc. par lesquels on prétend prouver l'affinité primitive du copte et des langues sémitiques. Le nom de mesure fxvSy dont l'origine sémitique n'est pas douteuse , se trouvait aussi en Egypte ^. Le nom êiéauTig ou aSaats^ enfin, pourrait bien être identique à Waâi, et provenir ainsi des Sémites nomades qui habitaient le désert. II. Les mots empruntés anciennement par les langues indo- * égffpttefme, p. a8 ; le même , PtécU du tyêL Kiérogl I , p. 59 ; le même , L'Egypte «ouf lu Pharoom, l, 137; II, a38. ' Voir Gesenius, Lsx, Mon. s. y. T^DK. * Lepsius, J^mlinilKii^ 2fir Chronologie der ^gypier, I, 3 36, noie. — Ghampol- lion, UEgyptê $oum lu Pharaom, I, loA; Gramm, égypt. 56, i5a, etc. ' Gesenius, Lehrg^, der hebr^ Spr^ p. 5a 1. * Bœtticher, Wtwxeyonehungen^ p. 7. ^ Lepsius, Eùdeitiing zur Oironologie der /Egypter, p. a a 3. LIVRE II, CHAPITRE II. 303 européennes, et en particulier par le grec, aux langues sémi- tiques ^y sont : a. Des nom» de végétaux et de substances, venus pour la plupart de l'Orient en Occident : y^n = ^va6s{1)'j 3lîK = S^aùmos; Ùp2 = ^dkaaitov^ '^)&= (pwto$\ h\B = hvUa; y^3 :=z ^vcrax)s; D^JSn r=: lêevog; n^3^n = jçaXêdvtf {^gaWanum); }&3 = xôpLtPov] It^ = xi^rpos^ ^tt = xwdptcr(TOSj cupresms; np^ =: XiSavoSy XiSdtpùnés; O^ = XnSov, XrfSoofOv^ XdSavov; ID (forme araméenne iTjd) =± ^pp(i^\ ^v\\ =ivhpop; njp^ = xdlvva^ xdpvfly xdvfiy canna; T\^t\> = xoo-a/a; pD|]p = xlvvon fiOVy xiPvdfiùfpLOv; tVDJ>p =: (Tvxdpnvœ; \0 := pdvva\ \0VÛ == mSaov (mot peu ancien); '^y^ = vUepoL\ nst3^ = véTcairov^ le verbe rtSatêdorero^j dans Homère [Odyse. XIII, 106), paraît venir de tt^?T, par l'addition du redoublement ti; nçt^^ = /aa<7ris;.TB9 = a'd7r(petpos ; ri!?*i3 = (idpœySos^ crfiipœyS^s^ Sf^Sf^; TÇC^ = (7ft?pi5(?); 0^0 = fielkOti, maUhaÇi); peut- être Vbd = ft^XXoy '.M. Bertheau *, remarquant que la plu- part des mots précités sont étrangers à la langue homérique, en conclut qu'ils n'ont été introduits en Grèce par les Phéni- ' Geflemufl, Ge9ch.derh^. Spr,$ 18, 1; Monum,pK(m, p. 383-38^. — ^Movers, art. Piœtmien dans i^Encyd. d'Ërach et Gruber, p. 358. ' On remarquera que dans ees emprunte fort anciens les sons ou ei 0 corres- pondent à Yv grec. De même dans les noms propres : lv7 =3 Atî^oi; 0^3^7:^=3 Ai^veti -j^ = \Ma\ ^^^if = ktravpia; 1^2 =5Ti;po^, etc. conmie du grec au latin : yd( =» nox; a4 >bs tu. (Voir mes ÉelttirciêâemenU Uréi dei Umgua êé- wdtiquêÊ $wr qvdquet pomti de la protumàation grecque, p. 18-19.) ' M. Oppert propose ^[alement des étymologies sémitiques pour x^'^*^^ ^t X(?); pt^ = aAxMs\ n|B =|wiiiia(?); ^3: = viQ^y wiSXas; 1\^^ = xivvpa; ns^D = o-oftSuxiy; ]VQH = bOivtj, id6viov[f). Jubilare parait bien aussi se rattacher a VsV. Hâtons-nous d'ajouter que, pour quelques-uns des mots que nous venons de transcrire , la provenance est incertaine, et qu'ils peuvent aussi bien avoir été empruntés par les Sémites que prêtés par ceux-ci aux peuples ariens. On a supposé , non sans quelque raison, que le mot o|^tf , bouclier, était le mot. . ' Kohn» ZtU^hnJiJwr vtrgl, Sprad^. I, p. 191-1 gs. * Divers rapprochements proposés par M. Hitsig ( Zeittchr^ dsr d. m. G. (1 855) , p; 751, 75&, 759) sont trop bixaires pur être discutés id. L'essai estimable de M. Mup (GrieehenUmd und der Orîmif, Cologne, i856) renferme aussi beaucoup d*eiagérations dans le même sens. . LIVRE II, CHAPITRE IL 205 êkohi, ou ^hUd, introduit par les Scythes germains (Scolotes) lors de leur invasion parmi le^ Sémites , au tii* siècle avant notre ère^ Cependant il faut remarquer que la signification de bùUr. eUer attribuée à ce mot est assez douteuse, et qu'il figure dans des documents dont la rédaction semble antérieure au vu'* siècle. i. Quelques noms indiquant des situations sociales , tels que icfSAXi;^. Ce mot, qui âgnifie pirate dans la haute antiquité 'grecque', me parait venir de hbJû [prœda, prœdator)^ par un. redoublement analogue à celui de riOaiSoiacrù}] le son chuintant aura passé au son k, d'après une andogie très-fanîilière au sanscrit : on comprend du re^e que le nom des pirates et de la piraterie soit venu des Phéniciens. / €. Les noms des lettres, depuis Tal^A jusqu'au tau, ont passé des Sémites aux Grecs , avec lès lettres elles-mêmes . Le mot x^^^* qu'on trouve dans des documents grecs du v* siècle avant J. C,me paratt sémitique (o'in graver; onn stylet; Dtonn hiérogrammate). Tous les mots précités sont évidemment de ceux qui se trans- mettent facilement d'un peuple à Tautre par le commerce et les relations internationales. Les Phéniciens, auxquels les Grecs rap- portaient l'origine de tous les arts qu'ils avaient reçus de l'Orient*, en ont dû être les principaux et presque les seuls introducteurs. m. Les noms, empruntés par les langues sémitiques aux langues ariennes de l'Inde, par suite du commerce d'Ophir; c'estr-à-^dire des bouches de l'Indus et de la côte de Malabar, sont tous des noms de substances ou d'animaux amenés de ce pays; ainsi : □\^?^n, pams = fsjk^, prononcé selon les ha- bitudes du Dékhan; ^tp, singe = ^S^^ nUisos^ xiiSoç, xe!€^; ' BergmamiY Lu pn^Uê primU^ de la race de Ufite, p. 6a. ' * Voir finscription de Téoe, dans Bceckh, Got^i» mur, gnBe. n* 3oAA. * Egger et Didot, Sur le prix du papier dane Tdiififttiltf; Paris, 1857. * Athënëe, Deipn, lY, p. 176; XIV, p. 687. — Hesychius, ai> mot YotfiS^v. 206 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. les dialectes vulgaires, aghil, iy<ùiXq)(pv^ aloès; inj = «Tf^, vdpSos; nSl3 = ^^eXX/ov , correspondant à une fonne sanscrite madâlaka, selon M. hdissenjudûkhala, selon MM. Roth et Bœth-' lingk; D^p^a^K, mandai z=z ^lt^9 prononcé à la manière du Dé- khan; DD-i?, curcwma = ^f^;^^ ou>54X*aS = £|iM1\, xaàa-hepos^. On peut y ajouter D^anjt^, mnrê, composé de ]^, dent, et o^an, pour D^3Kn = ^, iléphmi [ik-^êpaç ^ ebur, égypt. eio), quoique cette étymologie, proposée par Benary et adoptée par Benfey et Gesenius, soit rejetée par Pott, Wel)er et Pictet ^, Quant aux mots empruntés par leâ Sémites aux Grecs avant Alexandre, le nombre en est très-peu considérable. Si Ton excepte le nom même des Grecs (]r, yl^^H! == tdFopes), à peine trouVe-t-on dans les monuments sémitiques antérieurs aux Séleucides un seid mot dont la grécité soit évidente. On a cité nn;p [Gen. xlix, 5) =: fâd^dipoty d'après le Talmud; Tisi) =± âyr. f| ^Q^^N^ = XofAiTûk; }ûM ou t^j^'B (chald. Mn]jb*^B) 1= ^dXXa^y ^aXXaxffy ^aXXaxis, ou, selon d'autres, pelleœ ^. Mais aucune de ces identités n'est démontrée. ^ Lassen, Indùehê AUerihumtkundêfly s5o, 989,^91, 530,538 etiuiv. — Â.Weber, Induehe Skizzen, p. 73 et suiv. — Hamboldt, GtMiiuw, II, p. i3i, 160, /Î76, 486-A87, 693-694. — A. Guraon^ clans le /aum. o/tkê royal asiat, Soeiety, vd. XYI, part. 1 (i85A), p. 197, note. — P. de Lagarde, RtUqukBJitm eod. imfi^. p. X, note.--Pictet, dans la Rmu de Pari», i** août 1857, p. 383-384. Il laut tenir compte des doutes de M. Weber sur plusieurs des explications précédentes. * Voir le travail de M. Pidet sur les noms de Tëléphant , dans le Joum, ostat. septembre-octobre, i8A3. -«- Cf. Lassen, op. cit. p. 3ii3-3t5. — M^eber, op, cU, p. 7A. : — Rcediger, Thei. p. 1 653 et suiv. — F. Bœttcher , dans hZ, dêrd, m. G, (1857), p. 539-560. ^ Goof. Gesenius, Geich, àer Mbr. Spr, S . 17, 6. M. P. de Lagarda («p. cU. p. XXVI, XXXVII,, xfiVii) a proposé d'autres rapprochements, mais qui sont pour la {dupart bien difficiles à admettre. LIVRE II, CHAPITRE II. 207 Un fait beaucoup plus important que tou3 ceux qui viennent d'être citëç est la transmission qui se fit, vers le vm"* siècle avant notre ère , dé Talphabet sémitique à tous les peuples du monde ancien, par l'action combinée de la Pfaénicie et de Ba- byione. Semé sur toutes les côtes de la Méditerranée jusqu'en Espagne ^ porté vers le midi jusqu'au fond de l'ÉtJiiopie, gagnant vers l'orient jusque dans l'Inde^, l'alphabet sémi- tique fut adopté spontanément par tous les peuples qui le con- nurent. Telle était la perfection avec laquelle les articulations de l'organe humain y étfiient analysées , que les langues içdo- .européennes purent se l'approprier avec de très-légères modi- fications, dont la plupart étaient en germe dans la forme primitive*. Distinguant plus nettement les voyelles et les con-* sonnes, les Grecs et les Italiotes furent amenés à dégager plei*^ nement la valeur de voyelles qui était en puissance dans les lettres aspirées de l'alphabet, sémitique. Ce changement même, ' L*âlpliabet phënidea était dcnrena , sous diverses formes, l^aJphabet comman de tous les peuples mëditerrsnéens, avant d^élre remplacé par Talphabet grec et par Faiphabet latin , c*est4-dire par deux transformations de lui-même. Dans le monument de Téos, déjà dté, Texpression rà ^itrixifîa (s. e. ^pc^ftara) désigne le laarte même de Finscription. (Cf. Frans, EUmenta epigr, gr. p. i5 , i lo.) * Les alphabets lend et pefalvi paraissent se rattacher aux alphabets araméens. (Spiegd, Gramm. der Huzmàr$$ehÊpraehe, p. a6 , 3/i et suiv. — Gesenius, Monum, phœn. p. 83 et suiv.) Quant au dévanigari, son origine sémitique, qui était restée douteuse malgré les efforts de M. Lepsius pour rétablir ( Paiœographûi àU Miu$l fir Hê Sprael^onchÊmgf Berfin, i83/i), a été Tobjet d'un récent travail de M. A. Vfther (Z. dsr. i<. m. G. L X , et Indiêehe Skùasen, p. ia5-^5o}, qui a donné à sa thèM un asset haut degré de probabilité. Cependant une bien grave difficulté contre cette opinion se tire des MàfdJkAyos , qui prouvent que Talphabet dévanâgari a dû exister dans Tlnde sous sa forme actuelle depuis une très-haute antiquité. (A. Ré- gnier, Prâtifdkk^a du RigMa^ c. i.) M. Barthâemy Saint-Hilaire a insisté avec beaucoup de justesse sur ce point; mais nous doutons que Thabile critique fasse jamais prévaloir sa thèse favorite, savoir : que c'est au contraire Talphabet phéni- cien qui aoK du dévanâgari (Zonni. iê$ Stm. janv. 1 857}. 208 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ils raccomplirent peu à peu, et on ne saurait dire s*il n^avait pas déjà commencé à s'opérer chez les Sémites. La lettre hé joue souvent, dans Tôrtliographe sémitique, le rôle de la voydle e. La lettre ayin, qui correspond à Vamicrùn de Talpha- bet grec, devient quiescente dflfns le diidecte punique. Le hetk, qui est Véta des Grecs , reste longtemps ujie aspiration chez les Attiques , et garde toujours ce rôle chez les Italiotes. Le vof^, qui devient de plus en plus voyelle chez les Sémites, se main- tient comme aspiration chez les Ëoliens, et devient F chez les Latins. Une foule d'autres analogies^ qu'il serait trop Idng .de développer ici , établiraient que les plus dâicates nuances, de l'alphabet dont nous nous servons aujourd'hui ont leur origine dan3 la manière dont les anciens Sémites comprirent la représentation graphique de la voix. LIVRE TROISIÈME. DEUXIÈME ÉPOQUE DU DÉVELOPPEMENT DES LANGUES SÉMITIQUES. PÉRIODE ARAMÉENNE. CHAPITRE PREMIER. L'ARAH^EN ENTRÉ LES MAINS DBS JUIFS. [cBALDiB^ BIBllQVS, TABGVMIQVB , TALMVDIQOE ; SYHO-CBAIDÂÏQVK; SAMARITAIN. ) S 1. C'est au vi* siècle avant Tère chrétienne que nous trouvons , dans le sein des langues sémitiques, la première révolution dont l'histoire ait le droit de s'occuper. L'araméen ^ ahsorhe > Le nom ê^Aram est reste presque inooimu aux Grecs et aux Romains. Strabon est le seul écrivain ancien qni Taj^lique clairement aux Syriens (p. a8 et 5/io,éd. Gasaubon). L^identîfication , déjà proposée par Strabon (i. I , p. a8; 1. XIII , p. A3 1 , éd. Casaub.), des Âraméens avec les Àp/fioi d^Homère (/I. B» 788) et d^Hésiode ( Théag* ZoU ) , et avec les Èpéii&H {Odyn, A , 84 ), est douteuse. Le nom d'Aram , vem Tépoque des Séleuddes, fut remplacé , même en Orient, par celui de Stip/ce, lequel n'est qu^une forme écourtée à^kaaupia^ mot vague sous lequel les Grecs dé- signaient toute TAûe antérieure. Le nom dMram ne se perdit pourtant pas entiè- rement; il continua de désigner, en Orient, ceux des Araméens qui n'adoptèrent pas le christianisme, tels que les Nabatéens et les habitants de Harran. C'est ainsi 210 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. toutes les langues sémitiques antérieures , larabe excepté, et devient, pour douze cents ans, Torgane principal de la pensée sémitique. Cette prépondérance décisive de la langue araméenne vint de l'importance politique que prit à cette époque, en Orient, le bassin du Tigre et de TEuphrate. Jusqu'au vni'' siècle avant notre ère , tous les noms propres de la région de Damas et de Soba, ntmn , îiti , ]rîn , ^'T'Vk, pD^a» , nnaa , jD^a , ^Kîn , p»n , sont purement hébreux. La conquête des* Assyriens, vers 7/10 (II Reg. XVI, 9; h. vin, &; x, 9; xvii, 1 et suiv.), semble avoir eu sur la Syrie proprement dite un effet décisif : à partir de ce moment, nous la voyons inféodée aux grands empires de TA ramée orientale {Is. ix, 1 1 ; II Rais, xxiv, s ; Jer. xxxv, 1 1 ) et suivant toutes leurs destinées. Nous nous sommes expliqué ailleurs (p. 67 et suiv.) sur les races qui paraissent s'être croisées pour produire la civili- sation assyrienne. Cette civilisation est pour nous le résultat du mélange des Chamites ou Couschites avec les Sémites et les Ariens , sur les bords du Tigre , comme la civilisation phé- nicienne est le résultat du mélange des Sémites et des Cha- mites sur les c6tes de la mer Rouge et de la Méditerranée. Il y a , en effet , dans ces deux civilisations , une foule de traits qui ne se laissent expliquer ni par le caractère sémitique ni par le caractère arien pris isolément. Nulle part nous ne voyons les Sémites arriver d'eux-mêmes à un développement d'art, de commerce, de vie politique. Le paganisme sémitique, qui a que le mot Jutof ) est devenu , pour les leiicogrephes syriens , synonyme de jnmh. (Gonf. Quatremère, Mémoire êw U$ Nabatéem, p. 70 et suiv. — Larsow, Dt dialêetorwn UngwB tyriacœ rêUquiii, p. 9 et suiv. — Knobd , Die VetUserU^ der Geneeii, p. 999, 93o. — Gbwolsohn, Die Seabier und der Sêobiêmu», I, p. ASg- A/18). LIVRE III, CHAPITRE I. 211 son siège à Babylone, se rattache en partie à la mythobgie, soit des Goaschites, soit de llran^. L'idée d'une grande mo- narchie absolue , se résumant en un seul homme servi par une vaste hiérarchie de. fonctionnaires , idée qui fut d'abord réa- lisée dans l'Asie occidentale par l'Assyrie, est profondément opposée à l'esprit des Sémites. La royauté ne s'établit chez les Juifs qu'à l'imitation des étrangers, et fut incessamment com* battue par les prophètes , vrais représentants de l'esprit sémi* tique , également hostiles à la royauté laïque , à la civilisation matérielle et aux influences de l'Assyrie. D'un autre côté, le caractère colossal, scientifique, industriel de la civilisation assyrienne ne convient pas aux Ariens, qui nous apparaissent, dans les temps anciens , comme peu constructeurs et peu portés vers l'étude .des sciences d'application. On est donc amené è placer sur le Tigre un premier fond de population analogue à celle de l'Egypte , puis une couche sémitique , qui fit de sa langue la langue vulgaire de ces contrées; puis enfin une classe pditi<{ue et guerrière , sans doute peu nombreuse et d'origine arienne. Ces derniers sont les vrais Chaldiens, dont le nom s'est appliqué à un pays et à une langue sémitiques, à peu près comme les noms de France, de Bourgogne, etc. d'origine ger- manique, désignent, de nos jours, des pays qui n'ont rien de germain. . Quelle que fût la race , et par conséquent la langue de la classe aristocratique qui portait le nom de Chaldème, on ne peut douter que l'immense majorité de la population de l'As- syrie ne parlât habituellement l'araméen. Cette langue, en * Gonf. Kunik, dans les HMmgw maUqim de F Académie de Saint-Pëter»- bouTg, L I, p. 5os et sniv. M. Moven Im-méme, qui a engéré Fétendae de la mytlioiogie sémiUqae, recanoalt les empraots qu'cdle a faits à TÉgypte et aax Ariens. (Dm Vkœn, I,p.ix, 57, 19/i, 3s3, etc.) 212 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. effet, représente partout la conquête assyrienne. L'araméen était la langue dés hauts fonctionnaires de la cour d'Assyrie envoyés par Sanhérib pour pariementer avec Ezéchias. (Il Reg. xvni , 9 6 ; /«. XXXVI , 1 1 . ) Plusieurs des briques trouvées dans les ruines de Babylone et méihe de Ninive portent des inscriptions en langue et en caractères sémitiques, à cAté des caractères cu- néiformes ^ Lorsque la domination des Perses eut remplacé celle des Assyriens, l'araméen garda toute son importance^. Il resta dans les provinces occidentales de Tempire achéménide la langue des édits et de la correspondance officielle, laquelle, pour les besoins de la chancellerie persane, devait être accom- pagnée dune traduction. [Esdras, vi, 7; vu, is.) Il ne reste aucun texte indigène de l'ancienne langue ara- méenne. Nous avons exprimé ailleurs nos doutes sur le carac^ tère araméen de la langue des inscriptions cunéiformes dites assyriennes. Les mots en caractères sémitiques trouvés sur les briques de Babylone sont trop insignifiants pour être envi- sagés comme de véritables spécimens d'une langue. Enfin les inscriptions et les papyrus araméens trouvés en Egypte ne sau- raient davantage être considérés comme des restes authentiques de l'ancien araméen. M. Béer a soutenu que ces curieux textes ^ Kopp, BUder und Sehriftm der Vorzeit, II, i5& et soiv. — Joum, tuiat. juin i853, p. 5 1 8-590; juillet i853, p. 77-78. — Layard, Diêconerieê m ih» ruttu rf Nmtvtk and Babykm (London, i853), p. 601, 606, etc. — Journal of the roifol nmatic Sodêty, t XVI , i** part. ( i856 ), p. 9 1 5 et siht. * Xéoophon {Cgrop. Vil, ▼, 3 1) et les auteurs grecs dëaignent ia langue de Babylone et de rAssyrie par Tadverbe avpiolL Les traducteurs^grecs de la Bible rendent également n^D*1K par avpiali; mais la dénomination de Syrie et, en gé- néral, les renseignements linguistiques des anciens sont trop vagues pour qu'il soit permis de tirer de lA quelque induction. L'hébreu aussi est pour eux du Myriaqu», (Cf. Hirsd, Hiob sHUdrt, ad cale). Dans le Talmud, ^0*710 désigne plus partien- lièrement le syriaque occidental et la langue de ia Palestine. (Winer, Grwnmatik de» hibL und iargum. CkaJdaiimuB, p. 3.) LIVRE III, CHAPITRE I. 213 sont d'origine juive et que la langue y est mêlée d'hébreu ^ L'inscription de Garpentras, relative au culte d'Osiris, et celle du vase rapporté du Sérapéum par M. Mariette, qui constate une offrande adressée à Sérapis ^, rendent ce sentiment diffi- cile à défendre ^ ; mais , en tout cas , il est impossible d'attri- buer à ces monuments une haute antiquité. Lanci et Gesenius rapportent celui de Garpentras au temps des derniers Ptolé- mées^; quant à l'inscription que nous devons à M. Mariette, bien qu'elle ait été trouvée parmi des monuments du temps de Darius , on ne peut rien conjecturer sur sa date ; car il ne pa- rait pas que le vase sur lequel elle est écrite ait été primitive- ment destiné à la recevoir. On doit avouer , d'ailleurs , que pour des inscriptions d'époque ou de [provenance incertaines , écrites.dans des idiomes imparfaitement connus, la distinction rigoureuse des dialectes est impossible , surtout dans une fa- mille où les traits secondaires sont aussi flottants que dans le groupe sémitique. S'il est un dialecte qui offre une analo- gie réelle avec le style des monuments susdits, c'est le sa- maritain. ' Gonf. E. F. F. Béer, Imcriptùmeê et papyri veUm nmitiei , fuotquot m Mg\fpU> rêperti timt, editi et mediti, rêceimti et ad origmêm h^frœo-judaicam reilati, parti- cuia I;Lip6ie, i833. * Je Tai démontré dans le Jounud analipte, avril-mai i856. M. Ewaid s'est depuis rangé au même sentiment {Jahrb. pour i856, p. i36, et GœtL gel, Anz, 1867 , p. 33o). M. Levy est arrivé i la même lecture sans avoir connu mon mé- moire (ZeUeckr^ dtr d. m. 0. 1867, p. 65 et sulv.) ' L'objection n'est pourtant pas décisive. On possède , en grec , des proscynèmes adressés par des Juifs à une divinité ^ptîenne, avec quelques réserves destinées à sattsfoire aux scrupules du uMuothéisme. ( Voir Letronne, Recueil de$ mêcriptioru greepm et latinêe de rÉg^fpie, t. II , pw aSs et suiv.) ^ Land,OMsriNiz«mtftilfrats(rîlMiM>/0mM^ Roma, i8a5. — Gesenius, Meemmeniaphœnieia, p. 69 ot suiv. 9a6 et suiv. — a. Barthélémy, Mém. de PAcad. deê tsueript et beUee^têree, i. XXXII, p. 787 et suiv. su HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. C'est donc aux Juifs que nous devons tout ce qu'il est pos- sible de savoir sur l'ancien idiome araméen. Sans renoncer à l'hébreu comme langue savante, les Juifs, dès l'époque de la captivité., composèrent en araméen des ouvrages importants , même sur des sujets sacrés ^ Déjà les livres hébreux écrits avant l'exil nous offrent deux très-courts fragments en cette langue : i*" dans la Genèse (xxxi, ^7), le nom de n^^V^, rendu en ara- méen par xnnntr ")r , traduction qu'il faudrait se garder de faire remonter jusqu'à l'âge patriarcal ^ et qui n'a de valeur que pour l'époque de la dernière rédaction du Pentateuque, c'est- à-dire pour le viu* siècle au plus tard; ù^ dans Jérémie (x, 11), un verset qui nous représenterait l'état de l'araméen vers l'an 600 ; mais la présence de ce verset araméen au milieu d'un ouvrage hébreu , sans que rien l'annonce ou l'exige , est si singulière, qu'on est tenté de croire que le targum a été par inadvertance substitué au texte pour ce verset^. La forme K^nK , pour My*]K , qu'on y trouve , est propre aux targumâ. Le dernier mot de ce passage , n^K , est hébreu , et semble avoir commencé un verset ; tout cet endroit porte la trace de quelque erreur du copiste. Le plus ancien texte suivi que nous ayons dans la langue à laquelle on est convenu de donner le nom très-fautif de chaliim bibUque, ce sont les fragments que l'on trouve dans le livre d'Ësdras (iv, 8 à vi , 1 8 , et vu , 1 a à va ,26). Quoique la ré- daction définitive de ce livre, comme celle des Paralipomènes , avec lesquels il fait corps , ne remonte pas du delà de l'époque d'Alexandre, les parties chaldéennes sont évidemment de celles ' Ewald, Geich. deê F. Itr, III , 9* partie, p. 9o5. * La disposition des manuscrits qui t'enferment le texte hébreu et le taigum explique bien cette erreur. Le targum y suit, verset par verset, ie teite hébreu, sans aucune distinction. LIVRE III, CHAPITRE I. 215 que le dernier rédacteur empruntait à des documents antérieurs et contemporains des faits rapportés^. Nous avons donc là bien réellement des spécimens de la langue araméenne au temps de Darius fils d'Hystaspe , de Xerxès et d'Artaxerxès Longue- Main , c'est-à-dire au commencement du v* siècle , ou même à la fin du vi'* siècle avant l'ère chrétienne. A partir de cette époque, durant un espace de trois cents ans eaviron , nous manquons de monuments araméens. Il faut arriver au Livre de Daniel, composé sous l'influence des persé- cutions d'Antiochus Epiphane (vers cent soixante ans avant l'ère chrétienne)^, pour en trouver de nouveaux spécimens. Aussi la langue des parties chaldéennes du Livre de Daniel est-elle beaucoup plus basse que celle des fragments chaldéens du Livre d'Esdras , et incUne-t^lte beaucoup plus vers la langue du Tal- mud. On y trouve des mots grecs (^^oXTj/piov, cviiÇùwia^ etc.), comme on trouve dans les fragments d'Esdras des mots per- sans. Plusieurs apocryphes furent sans doute écrits dans la même langue; mais les Juifs ayant confondu sous un. seul ncm (iêpcuàli) le chaldéen de cet âge et l'hébreu proprement dit, il est presque toujours impossible de décider, en l'absence du texte original , quels ouvrages ont été écrits en hébreu , et quels en chaldéen. . C'est une question fort délicate de savoir si la langue ara- méenne , telle que les Juifs nous l'ont transmise , doit être re- gardée comme parfaitement identique à l'idiome qui se par- lait en Aramée, ou bien comme un dialecte corrompu et chargé * Ewaid, Geteh. dê$ V. Itr, I, s&& etsuiv.— De WeUe, EnUeitung, S 196 a. * Aucnn doate ii^ost possible à cet égard. (Gonf. de Wette, Eûdeitung, S 955 et 957. — De Lengerke, Doê Buek Daniel verdêuiëcht und amgekgt; Kœnigabei^g, i835. — Hitxig, Doê Bueh Daniel; Leipsig, i85o. — Ewald, Die Prf^keten de» A. Btmdeê, II, 559 el niiv.) 216 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. d'hébraîsmes , à Tusage des Israélites. La véritë parait être entre ces deux opinions extrêmes^. On ne peut douter que les Juifs, en écrivant Taraméen , n^ aient porté les habitudes de leur orthographe (par exemple, emploi de n pour k dans une foule de cas), et introduit même des formes entièrement hébraïques , comme Yhophal, qui ne se trouve dans aucun disdecte araméen« Le système de vocalisation massorétique , en s^appliquant aux fragments d'Esdras et de Daniel, a achevé de les défigurer. Les auteurs de la ponctuation ont obéi à deux tendances éga- lement fâcheuses, en voidant : i^ rapproche^ les formes du chaldéen biblique du chaldéen des Targums, au moyen de ces innombrables keris qui chargent sans raison les jnarges du Livre de Daniel ; ù^ modeler la ponctuation du chaldéen sur celle de l'hébreu; exemples : ij^D pour "^^ç, didk pournitpK {Dan. v, 1 0 ) ; n^in pour T\\\n [Dan. ii , 3 1 ) , etc.^ mais on ne saurait cou* dure de 12i, avec M. Hupfeld^, que le chaldéen des Juifs ne soit qu'un reflet altéré de la vraie langue araméenne > pas plus qu'on n'est en droit de considérer, avec d'autres phildogues', les particularités précitées comme des propriétés grammaticales de l'ancien chaldéen. En l'absence d'un texte indigène qui puisse servir de ^point de comparaison , toute affirmation à cet égard ne saurgit être que gratuite ; disons seulement que l'opinion commune , d'après laquelle le chaldéen biblique serait un dia- lecte «raméen légèrement hébraîsé , nous parait plus conforme aux lois générales qui ont réglé les vicissitudes du langage parmi les Juifs. * Winer, Grammatik dei bibl, und tergtim. Oudd, p. 5 et suiv. — Fiirst, Lekrgeb, der aram. Idiome, p. 3 et suiv. * TheoL Studim undKritikm, III, 391 et suiv. — Gf. L. Hirzel, De ehaldaismi biiUci origine H ouvloritofe eriUca ; Lipsiœ , 1 8 3o. ^ P. Dietricfa, Ik9ermomt ehaldaici proprietaU ; Marisurg, t838. — Wicbel- haus, De N, 7*. vert, »yr, antiqna, p. Ai-âa. LIVRE III, CHAPITRE I. 217 Le manque de documents authentiques nous interdit égale- ment de rien prononcer sur la division et le caractère des dia- lectes araméens avant l'ère chrétienne ^ Strabon nous atteste , il est vrai, l'identité de deux dialectes parlés en deçà et au delà de l'Ëuphrate^; mais il faut avouer que les différences de ces deux dialectes devaient être trop délicates pour qu'un étranger pût en ôtre juge compétent. Si l'on fait abstraction de la vocali- sation , élément variable et peu important, le chaldéen biblique et le Syriaque diffèrent si peu l'un de l'autre , qu'il est presque superflu de leur appliquer des noms différents. M. Fûrst, d'un autre côté , semble avoir prouvé que c'est la langue de la Syrie , et non celle de Babylone , qui nous est représentée par le chaldéen biblique'. Cette dernière langue, en effet, est ex- pressément désignée dans la- Bible par le nom dWaméen; or la Babylonie n'a jamais été comprise par les Hébreux sous le nom é^Aram, L'araméen antérieur à l'ère chrétienne nous apparaît comme une langue relativement plus développée que l'hébreu, mais bien moins noble et moins parf aitu Les tours y sont plus clairs , plus déterminés ; le sens y est moins indécis ; mais le style est lâche, traînant, sans concision ni vivacité, encombré de mots parasites. On sent qu'une grande révolutioq s'est opérée dans l'esprit sémitique, qu'il a gagné en réflexion et en netteté, mais perdu en hauteur et en naïveté. Ce contraste est particulière- ment sensible en comparant les Targums, ou traductions chal- déennes de la Bible faites, vers l'époque de l'ère chrétienne, » > De WeUe, Emkitimgy S Sa. — Winer, B&l IMwœrL II, p. 558 , note a , et Grammatik in hibL und Uargum. Ckaliaitmut , p. 8-9. — Fûnt , Lehrg^, der mram. Idiome, p. 5 et miiv. > ÉdiL Casaub. p. 58. ^ Voir cî^essus, p. iÂ3. , f 218 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. au texte original. La langue des Targums , on ne peut le nier, serre la pensée de plus près que Thébreu, et dit mieux ce qu'elle veut dire ; beaucoup d'obscurités ont disparu ; une foule de passages ambigus dans le texte sont ici parfaitement arrêtés; mais y par combien de sacrifices a été acheté ce mince avan-* tage! que de nuances détruites! que de poésie effacée! Nulle part n'est plus sensible cette loi qui condankne les langues à perdre presque tous leurs caractères de beauté, à mesure qu'elles se prêtent davantage aux besoins pratiques et réfléchis de l'esprit humain. C'était une thèse généralement reçue dans la vieille école, que le chddéen est une langue plus ancienne que l'hébreu. On s'appuyait pour le prouver sur quelques particularités gramma- ticales , telles que le l conversif hébreu , que l'on tire du verbe atBméen Min ; sur la forme des noms propres archaïques men- tionnés dans la Genèse , lesquels se rapprochent parfois de l'a- raméen ; sur là pau^eté en formes grammaticales et sur le caractère monosyllabique qui distinguent le chaldéen et le syriaque ; enfin sur une tradition fort répandue chez les Juifs S les Arabes^, les Syriens' et les Pères de l'Eglise^, d'après la-^ quelle Taraméen ou le syriaque aurait été la langue du pre- mier homme. Cette tradition ne mérite pas d'être discutée : elle doit sans doute son origine aux rabbins, qui, voyant les faits les plus anciens de la Genèse se passer aux environs de l'Aramée et Abraham venir de la Chaldée , ont conclu que la * S. Luxatto, Prolegomeni, p. 86 , note. — Delitssch, Juunm, p. &6-A7. * Voir les tânoignages recueilli« par M. Qoatremère , Mémoire rar hi Nabatéeng , p. 1 93 et stiiv. ( Cf. Ghwolsohn, Die Sëobier, II, 699, 7/1 1 .) On peut y ajouter un pas- sage du DIS. 119, anc fonds (fol. 36), contenant an commentaire sur la Genèse. ^ Voir Assemani , BtbL orimt. t. III , 1 '* part. p. 3 1 â . — Quatremère , /. c. p. 9 1 et suiv. * Quatremère, L c. p. ith. LIVRE lil, CHAPITRE I. S19 langue primitive ne pouvait être que le chaidéen. Quant aux faits granunaticaux que Ton all^e , ils sont loin de renfermer la conséquence qu'on prétend en tirer. D'après le langage de la philologie moderne, l'ancienneté d'un idiome signifie simplement le degré de développement que présente cet idiome dans les plus anciens monuments qui nous en restent. Or la physionomie générale de l'araméen est évidemment celle d'une langue développée plus tard que l'hébreu et ayant plus lon- guement vécu ; ce qui n'empêche pas que l'araméen n'ait pu conserver des traits d^ancienneté qui manquent dans l'hébreu , à peu près comme le latin , postérieur au grec par son rôle historique et ses dernières transformations, est, en un sens, plus archaïque que le grec. SU. Suivons l'histoire du chaidéen chez les Juifs, puisque aucun monument ne reste pour nous attester l'état et les révolutions de cette langue en dehors du peuple hébreu. — Le chaidéen , tel que l'écrivaient les Juifs vers l'époque de l'ère chrétienne, nous est bien représenté par les Targums ou paraphrases de la Bible, dont les plus anciens sont ceux d'Onkelos^ et de Jona- than. Ces Targums paraissent avoir été écrits pour la plupart * On a cherché diffërenles explications de ce nom biiarre. J^inclinerais à croire que Dl7p21K (pour Dl7pD31K)e8t une abréviation de 6pofta xàAdv, traduction de 310 DC^, nom très-commun ches les Juifs. Afin de donner à ce nom one terminaison masdiline , on en aura fait ôvofMGutAo#, forme analogue à ôvofubcprrof et à (hofta- *XHf, On comprend que Vm soit tombée par Timpossibilité de la prononcer entre n et k : OmnUog = Onkloê; de mémo que eammeiUariuÊ a pu doTenir Dl'lO^lp ( J(bn- froi). Ce qoi confirme t»tte explication, c'est qu'il est question dans le Tahnud d*on OMoêfJiit de Cakmymê {Avodazaraf fol. 1 1, col. i ; Giitm, fol. 56 , coi. s). Or le nom de Galonyme (DlD^^wp), très-commun parmi les Juils du moyen âge, et qui est Téquivalent ÔBSehtm-tob ou ôtrofia xaAdtr, passait souvent de pore en fils sous la forme de Schem-tobyJUt de CalomfiM, 220 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. dans le siècle qui précéda et le siècle qui suivit la naissance de Jésus-Christ. Dès une époque fort ancienne , on sentit le be- soin d'accompagner la lecture du texte de la Bible d'une inter- prétation vulgaire , qui devenait parfois une glose explicative et tendait généralement à écarter les diflBcuUéis, à adoucir les endroits considérés comme obscènes, à favoriser certaines opi- nions, surtout les idées messianiques. Quelques exégètes ont cru voir un vestige de cet usage dans le Livre de Néhémie (viii, 8). On en trouve- des traces beaucoup plus certaines dans le* Nouveau Testament : le verset ËX} ii\) }reux une forme helléni- que, comme : Jomé:=:Jasm, Josq[fh=zHigé$ippe, iSau/=Pa«/^ prouvent l'engouement de la mode bien plutôt qu'une pratique usuelle de la langue grecque. Les dénominations bilingues des lieux publics, comme T^€Sa0&:s=:Atd6a1pano»y la triple inscription de la croix, l'usage du grec dans les décrets et les actes civils^, n'attestent également qu'un rôle officiel. Josèphe lui-même nous apprend que ceux de ses compatriotes qui faisaient cas des lettres helléniques étaient peu nombreux, et que lui-même avait toujours été enipêché , par l'habitude de sa langue maternelle, de bien saisir la prononciation du grec*. De nombreux témoignages établissent , du reste , que la Ga- lilée avait un langage fort différent de celui de Jérusalem^. * Il eet remarquable qae saint Mare seul (▼, Ai ; tii, 34 ; xv, 34) a ThabiUide de rapporter les paroles du Christ en syro-chaldaïque. Saint Màtllûeu (xxfii, &6) ne fait peut-être que suivre saint Marc. * Josèphe, Ântiq. XIV, x, 9; XIV, zn, 5. — Miscfana, GitUn, ti, 8. ^ Àntiq, XX, suh fine: T^v iè «tpi ti^v wpo^opàv oxp^ov «érptot iwiXvoê * Cf. Bnxtorf, Lexieon ekM, tabnud. et rM.9. v. ^^73 et col. 9616-7. — Ligfat- LIVRE III, CHAPITRE I. 225 Saint Pierre est reconnu à son accent pour Galiléen {^MatA. uYi, 73). Un passage, souvent cité, du traité tsdmudique Eru^ bin attribue à ia corruption du dialecte galiléen la défection religieuse ,de ce pays. Il est certain que le mouvement primitif du christianisme se produisit comme un mouvement provin- cial, et dans un dialecte qui paraissait grossier aux puritains de Jérusalem. En général, les premiers disciples du Christ étaient originaires de la Galilée et de Samarie , deux pays peu- plés en grande partie d'étrangers , et qui , sous le rapport de la langue comme de l'orthodoxie, étaient mal famés ^ Jérusalem. Toutes les particularités que nous connaissons du dialecte ga- liléen, la confusion des lettres de même organe (s^, P^l)? Télision des gutturales , la fusion de plusieurs mots en un seul, etc. rappellent le samaritain , le phénicien et les dialectes du Liban. Peutr-étre la langue de Jérusalem représentait-elle mieux le chaldéén proprement dit , tandis que celle de la Ga- lilée représentait le syriaque ou, pour mieux dire, le dialecte maronite avec ses habitudes de prononciation ouverte et mal accentuée. Assemani et M. Quatremère^ ont prouvé que le sy- riaque resta. la langue vulgaire de la Palestine jusqu'à une époque assez avancée de l'ère chrétienne. SIIL Après la destruction de Jérusalem, Babylone devint plus que jamais le centre du judaïsme^, et le chaldéen continua d'être la langue vulgaire des Juifs dispersés dans tout l'Orient. L'hébreu ^ si l'on peut donner ce nom au langage fortement foot , Harœ kehraieœ, p. 1 3 1 et soiv. — Funt^ LBhrgtb, der aram. Idiome , p. 1 5- 1 6. — Dnkes et Ewald , Bêitràge zur Ge$eh. der œlt. Auikgung, p. 1 â 1 . * BéL rnetU, I , p. 17 1 ; Uém, eur lee Nabot p. 1 3a et suiv. ' Cf. Fiirot, KuUur- und Litei^aturgeêchichte der Juden in Aêierif p. 1 et suiv. I. i5 336 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. aramaîsé de la Mischna, resta pourtant encore la langue de la théologie pour les ToMSmy ou docteurs mischniques, dont la série s'étend jusqu'au iii* siècle de l'ère chrétienne. Au contraire, ^idiome des AmcnAm, des Sâbara»m et des premim Gneonim, qui firent la gloire des écoles de Sora » de Néhardéa, de Poum- hedita, jusqu'au x* siècle de notre ère, est le chaldéen. Le Talmud de Jérusalem (n* siècle) et celui de Babylone (t* siècle) sont rédigés dans cette -dernière langue , si l'on peut donner le nom de langue à un mélange de tous les dialectes pariés par les Juifs aux différentes époques de leur histoire, ipélange chargé de mots et de formes dont la provenance est parfois très-difficile à expliquer. Les questions qui nous ont tenus en suspens à propos du chaldéen biblique et du chaldéen targumique se reproduisent è propos du dialdéen talmudique. La langue des deux Tal-- muds était-^e, pour les Juifs, un idiome savant ou un idiome vulgaire? et, dçois, cette seconde hypothèse, faut-il y voir la langue de la Babylqtf ie au n* et au V siècle , ou seulement un idiome particulier aux Juifs? Les Talmudistes eux-^émes dis- tinguent nettement la langue de la ht, ou l'hébreu ancien ( ytvh n*iin), la kmgue des savants (o^Dsn pe^^) et la langue vulgaire (t}inn ]iv^)^ Si l'on entend par la langue des sauaUs rhâ>reu mischnique, la langue vulgaire serait bien le chaldéen talmu- dique; mais il se peut aussi que la langue des savants soit le talmudique, et que les mots oinn {it^^ désignent l'idiome vul- gaire des pays divers habités par les Jui(s« Malgré tous ces doutes, nous croyons, avec M. Fûrst^, que c'est dans les deux Talmuds, bien plus que dans les Targums, qu'il faut chercher le dialecte vulgaire des Juifs d'Orient, durant les premiers ^ Voirci-de88iiB,p. 187. * l/Bhrgêbœude d^ arotn. Idiome » p • 1 7 • LIVBE m, CHAPITRE I. 387 mèàea de Tère chrétienne, antànl du moinfi qu^il est permis de conclnre d'an monument scolastique à un idiome vivant et popidaire. La différence sensible qui se remarque entre la langue du Tdmud de Babylone et celle du Talmud de Jérusalem porte à croire que ces deux textes nous représentent deux didectes différents du langage vulgaire des Juifs, le dialecte babylo- nien et le didecte palestinien. Cette distinction existe même dans la pensée des Talmudistes, qui appellent de préférence la langue de Babylone aram&n (^d*ik) et celle de la Palestine syriaque (^d^^id)'; mais il semble que si la langue du Talmud de Babylone était règlement l'idiome particulier des indigènes de l'Irak , la différence des deux dialectes tdmudiques serait beaucoup plus tranchée. H importe d'observer, d'ailleurs , que la langue du Talmud n'est nullement homogène : toutes les nuances de l'idiome des Juifs, depuis l'hébreu pur jusqu'au chaldéen le plus dtéré, s'y retrouvent : les compflateurs, en réunissant des fragments d'époques très-diverses, ne se don- naient pas la peine d'en changer la langue pour l'accommbdei^ au style générd de la composition. Le dépouillement lericograpWque et l'andyse grammatî- cde de la langue talmudique, d'après les principes de la phi- lologie moderne^ sont encore à faire. Certes l'étrange barbarie de ce langage et le mystère dont la position exceptionnelle des Israélites devdt l'entourer sont bien faits pour excuser la né^gence des savants. On ne peut nier, cependant, que l'é-^ tude de la langue des Talmuds n'dt une véritable importance. Cette langue remplit une lacune dans l'histoire des idiomes sémi- ' Dans le traité Nêdarim, 66, a , on fait naître un quiproquo entre on homme de Babylone et une femme de Jérusalem , parce qu^ils n^attacheni pas le même sens à un même mot i5. 228 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITI<}UES. tiques I et, lors méqie qu'on Tenvisagerait seidement comme un dialecte propre aux Juifs, la phflplogie pourrait en tirer de grandes lumières sur la langue indigène de la Babylonie. Il n'est même pas impossible que l'étude des inscriptions cu- néiformes assyriennes reçoive.de ce côté quelque secours; un grand nombre de radicaux que possède la langue talmndique, et qu'on ne trouve ni en hébreu ni en syriaque, paraissent avoir «appartenu en propre à l'Irak. Les caractères de la langue talmudique sont, au fond, ceux du chaldéen , mais exagérés et dégénérant en superfétation et en caprice. Une scolastique ténébreuse y multiplie les conjonc- tions composées ( l3:iVy*)K, quoique; 1 n>>K, farce que, etc.) et les substantifs abstraits. Le style, tantôt prolixe à l'excès, tantôt d'une brièveté désespérante, manque tout à fait, je ne dirai pas seulement d'harmonie et de beauté, mais, de règ^e et de mesure; la pensée, mal gouvernée, bu ne remplit pas son cadre ou le déborde. Une foule de mots étrangers, grecs, latins et d'origine incertaine, achèvent de faire de la langue talmudique un véritable chaos. Les particules surtout offrent de nombreuses singularités (k^iijsjk, à cauee de; DlKiniK, eù^ç^ £ abord; K3*iiK, aiu .mtraire, etc.). Quant aux formes grammaticales , quoique moins irrégulières , elles échap- pent souvent à toutes les analogies, et semblent justifier, jus- qu'à un certain point , le nom de langue artificielle, qui a été donné à la langue du Talmud , comme à la langue rabbinique ^ Ce mot ne peut signifier, toutefois , dans le cas présent , une 'angue factice ou créée pour un genre particulier de spécula^ tiens, cooune on en trouve quelques exemples dans les litté- ratures de l'Asie : la langue des Talmuds a évidemment ses racines dans la langue usuelle des Juiiîs de Palestine et de Ba- ^ Voir d-deasus, p. i6t. LIVRE m, CHAPITRE I. 239 'bylone; mais, toutes les fois quhine langue sort ainsi du grand eourant de lliumanitë pour devenir Tàpanage exclusif d'une secte ou d'une race dispersée , elle tombe fatalement dans l'ar- bitraire et l'obscurité. Les langues ont besoin du grand air pour se développer régulièrement. Ajoutons que les subtilités étranges auxquelles le chaldéen judaïque dut servir d'organe contribuèrent beaucoup à lui donner sa physionomie abrupte et barbare. Aucune langue n'aurait résisté k une pareille tor- ture ; coqibien znoins une langue sémitique, dont le génie se prétait si peu aux combinaisons réfléchies et au raisônneibent! Le chaldéen resta la langue écrite des Juifs jusqu'au x'isiècle de notre ère. La Masore est rédigée dans cette langue. Au 1* siècle , le chaldéen judaïque se vit dépossédé par l'arabe , et perdit toute existence, même littéraire. En effet, quand Tarabe cessa à son tour d'iêtre la langue des Juifs ^ au xiii* siècle, ceux-ci revinrent, pour leurs compositions savantes, non au chaldéen , mais à une langue t^alquée sur l'hébreu. Cependant on trouve encore quelques ouvrages écrits en chaldéen, par imitation de l'ancien style : tel est le Zohàr, dont la langue est à peu près la même que celle du Talmud , bien qu'on ne puisse en faire remonter la rédaction au delà du xin* siècle, comme le prouvent les mots romans qui s'y rencontrent, et qui semblent déceler une origine espagnole. Jusqu'ici notre exposé de l'histoire des langues sémitiques n'a guère embrassé que l'histoire de la langue des Juifs; et pourtant H nous reste encore à parler d^une autre branche de la famille israéUte, je veux dire des Samaritains. La physiono- mie plus araméenne qu'hébraSque de leur langue, jointe à l'ftge rdativement moderne des monuments qu'ils nous ont transmis , les excluait de la partie de cet ouvrage relative au premier âge des langues sémitiques. %iù HISTOIRE DBS LANGUES SÉMITIQUES. S IV. La langue et la religion des Samaritains représentent dans l'histoire Tesprit indîvidudi de la tribu d'Éphraim^ La Pales- tine a cela de commun avec la Grèce, la Toscane et tous les pays qui ont vu naître des civilisations originales » d'ofirir, dans Pespace de quelques lieues, les différences de caractère les plus tranchées* Chacune des vallées de la Grèce avait sa civilisation, ses mythes, son art, sa physionomie intellectuelle et morale. Une critique attentive trouverait peut4tre des diffé- rences non moins sensibles entre diacun des cantons de la Pa- lestine. La prépondérance tardive de la tribu de Juda n'effaça pas ces variétés locales. Ëphraim, avec sa montagne.de Gari- zim, rivale de Sion, sa ville sainte de Béthel, ses nombreux souvenirs de Tftge patriarcal, était, sans contredit, la pius considérable des individualités qui luttaient contre l'action absorbante de Jérusalem. La rivalité de ces deux fiamilles prin- cipales des Beni-Israël date des époques les plus reculées de leur histoire. Au, temps des Juges, Ephraim, >par le séjour de l'arche à Silo et par son importance territoriale, tint vrai- ment l'hégémonie de la nation. L'idée d'une monarchie israé- lite faillit un moïkient être réalisée par Ephraim^. Après la mort de Saûl, nous voyons cette tribu grouper autour d'elle toutes les tribus du Nord, opposer sans succès Isboseth à David, l'habile et heureux champion des prétentions de Juda; puis, après la mort de Salomon, faire enfin triompher se^ tendances séparatistes par le schisme du royaume d'Israël et ' Juynboil, CommaUar. in Atitor. gmtû êomaritanœ (Leyde, i8â6), p. 6, 1 9 , etc. '^ TentatiTes d*Abimëlek {Jt^, ix). LIVRE III, CHAPITRE L 231 ravénement d'une dynastie éphtaîmiie (976 avant J. G.)^ Samarie» bfttie par Omri, vers l'an 998 , devient le centre politique de la fraction disiddente, et lui donne son nom; mais Sichem (aujourd'hui Naploose) en resta toujours le centre religieux; et c'est encore |Hrès de là, au pied du mont Garizim , que se conservent les derniers restes de cette fraction du peuple d'Israël, qui, si elle n'a pas eu la brillante destinée de Juda,^ l'a -presque égalé par sa persévérance et sa foi. Il ne semble pas que le royaume d'Israël ait eu d'abord un dialecte distinct de celui de Juda; on peut croire seulement que le dialecte vulgaire y inclinait, plus, qu'en Judée, vers l'ara- méen^. Après la destruction du royaume d'Israël par l'Assyrie (790 avant J; G.), les colonies amenées de la haute Asie pour repeupler le pays y.apportèrent une langue et un cuHe com- plètement étrangers aux Israélites'. Il parait toutefois que ces barbareê se laissèrent promptement dominer par la supériorité des indigènes, et eurent bientôt adopté la religion de Jéhovah et la langue d'Israël. La permission de retour accordée par Gyrus s'appliqua aux dix tribus dissidentes. aussi bien qu'à la tribu de Juda; en sorte que les relations des populations de la Palestine se trouvèrent, après la captivité, à peu près ce qu'elle» étaient auparavant^. C'est dé là qu'on peut faire dater l'existence caractérisée du samaritain. Cette langue n'est, au fond». que l'hébreu moins pur des tribus du Nord, altéré par deux causes : 1^ l'influence de plus en plus croissante des langues araméennes; q"" le mélange des mots non sémitiques apportés par les colons étrangers. ^ Les propbifteB donaent aonvent au royaume dlsraâ ie nom d^Éphraim. (OiÀy nr, 17; V, 9;xu, 1 etBoiv. — If. TU, aelauiv.) . * YoÎTÔ-deaflas, p. i&o. ' B«rtlieau,ZNrG09dk.ilirlir. p.358etBiiiv. &ooct8utv. ^ Ewald, Getek. dm F. Jfr. t. HT, 9* part. p. 100 et «uiv. 333 HISTOIRE DES LANGUES SEMITIQUES. La culture littéraire du samaritain ne paraît avoir, été ni fort ancienne, ni fort brillante. M. Ewald^ suppose c[ue, sous la domination des Perses et sous celle des Grecs , il y eut une; série d'historiens samaritains dont on retrouverait des débris incohérents dans la Chronique d'Aboulfathet le Livre deJosué^, ouvrages composés en arabe par des Samaritains , à des époques relativement modernes ; mais il faut avouer que cette antique littérature aurait laissé bien peu de traces. La version du Pen- tateuque , le plus ancien des écrits samaritains qui nous restent, version que la plupart des critiques rapportent au i" siècle dé notre ère, et où se trahit l'influence du Targum d'OnkeIos^ présente de si nombreux arabismes, qu'on est forcé d'admettre qu'elle a subi des retouches après l'islamisme. Un savant a même osé soutenir, et non sans de bonnes raisons, qu'elle n'avait été composée que depuis cette époque^. Les hymnei^ publiés par Gesenius jçont plus modeme& encore, ei, pour la plupart, certainement postérieurs à Mahomet^. Les livres his- toriques que possédaient les Samaritains^ semblent être perdus ; * Ewald, Geich. de$ V, ïtr, t. III, 9' part. p. 366-967. * Ce livre n*a rien de commun avec Touvrage biblique du même nom. ^ Gesenics , De PwUUewshi tamaritani origine, indoU, aiÈctoritaU; Halas , 1 8 1 5 ; Winer, De vemonii P^tUat. êomant, indok; lipe* 18^17. D ne faut pas coofoudre cette versbn avec le texte hébreu du Pentateuque en caractères samaritains que possèdent aussi les Samaritains, Ils ont en outre une version arabe, faite par ' Abou>Saîd, au xi* ou xii* siède , d*après cdle de Saadia , et qu^ publie en ce moment M. Knenen (1" et 9' livr. Leyde, i85i-i85&). Enfin iUparaiwent avoir eu une versiop grecque laite au 11* siècle, en Egypte, et calquée sur celle des Septante. (Voir cependant de Wette, Einleitung,i$ kh et 63 a.) Toute Texégèse samari- taine, comme la religion samaritaine eUe-méme, n^est, on le voit, qu^une contre- façon de celle des Juifs. * Frankel, dans les Verhandlwngm dgr entan Vgrêomvmimig deutêeher OrimUO' Uiten (Leipzig, i865), p. 10. * . Gesenius, Carmma samarit (Lips. 1^96) , pnef.-^Juyoboll, CommÊiU, p. 61 . * JuynboU, iW. p. 55, 63, etc. LIVRE m, CHAPITRE I. 233 cependant il existe, dit^ sont iionnés comme synonymes pan les lexicographes syriens ^. Les mots nabatéens qui nous ont * ^identification des Nabatéens arec les n V33 des écrivains hébreux n^esk pas certaine. (Ghwolsolui) op. eit I, 698, 708.) * Qnatremère, Mémoire sur k$- NabaSéom, i"* et 9* sect. — Ghwolsolin, op. cU, 1 , 703 etsiÛT. M. Blan ( ZeUâ^tr^ dsr (L m. (?. 1 855 , p. adS et suiv. ) a prouvé qa^à Pétra ce nom sW appliqué â des populations de race arabe. ' Qoatremère, op, eU, p. 58 et sut. — diwolsohn, op. cit. I, p. 698 et suiv. U, i6d, 6o5, 780. ^ Quatremère, p. 91 , 1 o& et suiv. — Larsow, DediaheU Imguwmfriaeœreli^kiit ; Berlin , 1 84 1 , p. 7, 1 3 et SUIT. ^ Cf. Larsow, op, eti. p. 9-1 1 . Corriger les vues trop absolues de M. Larsow par celles de M. Ghwolsohn, I, 689 et suiv. /ï&5 et suiv. S38 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. été coâfiervés par les hbtoiieiiB arabes sont presqne ton» sy- riaques. Ce n'est pas sans étonnement qn'on tronvc^ dans le nombre cpielques mots grecs et latins ^ ; mais cette singulière confusion s'explique quand on voit que le nom de Nabatimu était devenu synonyme de piAens et â^ÈXXnvesK Les .mots na- batéens, réciproquement^ étaient parfois donnés pour des mots grecs '. De la vaste littérature nabatéenné, il ne nous reste qu'un seul écrit : c'est le traité intitulé iû^AAjJt àa^'^\ , ou VAgrieulr ture nabaiéentie, composé par Kouthami, et traduit en arabe par Ibn^Wahschiyyab jie Ghaldéen, l'an 9Q& de notre ère. Cet ou- vrage singulier, qui n'est guère connu jusqu'ici que par la no«- tice de M. Quatremère, mais dont M. Ghwolsohn promet de donner bientôt une édition, contient des renseignements sur des époques fort antérieures à sa rédaction et' sur les diverses branches de la littérature babylonienne. De ces renseigne- ments, combinés avec d'autres données fournies par les auteurs arabes, il résulte que les Nabatéens possédaient des ouvrages d'agriculture, de médecine, de botanique, de physique, d'astrologie ; des livres spéciaux sur les mystèresr, sur des peintures symboliques; un livre, en particulier, sur l'histoire fabuleuse de Tammuz ; des traités de magie ou d'enchan- tements ; des ouvrages xle polémique relatifs au culte des astres et au monothéisme ; de nombreux écrits attribués aux patriarches de l'Ancien Testament, Adam, Noé, etc. d'autres que l'on prétendait inspirés par le soleil et la lune ; de petits ^ Lanow, op, eU. i^. i9-i3, 15-17. * La même confusion existe en éthiopien, oùhlt'^ {aramém) signifie â la fois pmm et grée. (Cf. Ludolfi Lex. œtk. s. h. t.) G^est ainsi que, dans le centre de rAfricpie, le mot nsara (chrétiens) est devenu synonyme de nion-musulman ou d'idolâtre. ( Gf. d'Escayrac de Lauture , Mém. 9ur le Soudan, p. 1 63. ) ' Quatremère, op. eit, p. loS^ioG. LIVRE III, CHAPITRE IL 289 poèmes, en forme d*épigramme, sur des sujets de fantaisie ^ M. Ghwobohn affirme avoir trouvé, dans les frag;ments qui nous ont été conserfés de ces divers écrits, des spéculations de phi- losophie et d'histdre naturelle d'une grande élévation, et une législation politique et sociale fort remarquable. Il y est ques- tion de bibliothèques : toutes les branches de littérature re- ligieuse et profane, histoire, biographie, etc. y apparaissent comme fort développées K Tonte conjecture sur Tépoque de la composition de ce cu- rieux ouvrage doit encore, ce me semble, être réservée. Dans les parties que M; Quatremère examina, ce savant orientaliste ne rencontra aucune citation d'auteur grec, aucun nom de villes grecques, telles que Séleucie, Gtésiphon, etc. aucun trait re- latif au christianisme ; il y trouva , au contraire , de nombreuses mentions de Ninive et de Babylone comme encore existantes, des allusions aux plus anciennes religions de TOrient. M. Qua-> tremère en conclut la haute antiquité de Touvrage , et osa même le rapporter aux époques florissantes de l'ancienne monarchie assyrienne , à Pépoque de Nabuchodonosor ^. Gela peut para^ étrange; mais ce qui le paraîtra bien davantage, b'est que M. Ghwolsohn suppose à l'ouvrage dont nous parions une an- tiquité plus haute encore^. La place qu'occupent dans YAgri- eubure nahaXimnê les patriarches bibliques, qui ne furent à * Quttremère, op. eiL p. 108 et soîv. (Gonf. Ibi^AifrOceibia, Jftit. im mt- liMMif ,e. I, traduit par M. Sangumetti, dansie/oirNai atiatiqiÊêj mars-avril \fihh , p. a63.) * Je dois oea détails aux commanicatioiiB épiatoiairea de M. Ghwdaohn. * Op,eU,^, logriio. * Une grande discrétion m^est imposée suries communications de M. Ghwol- aobn rdatires à ce point capital. M. Ôiwolsohn , cependant « n^a pas craint d^énon- eer publiquement son opinion. (Cf. Die Siobiêr, 1, 706 et sniv. H, 910-91 1, et dans k ZsitociW^ ém-i.m.G. (1 887), p. 583 et suiv.— Ewald , Jakrb. pour 1 856, 2A0 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. la mode en Orient que dans les siècles qui précèdent immé- diatement l'ère chrétienne , et plusieurs traits qui rappellent Fépoque syncréfique de Bérose et de Sanchoniathon , consti- tuent, à mes yeux, une olijection bien grave contre cette opi- nion. Il est vrai que le rôle attribué à ces patriarches, Adam,^ Noé ou Hénok , Seth , est fort différent de celui qu'ils jouent dans la Bible; mais la même singularité se remarque dans V Histoire phémcienne de Sanchoniathon , où il est difficile de méconnaître ,une influence des traditions juives , bien que l'au- teur n'eût certainement pas lu la Bîble. J'hésiterai donc , jusqa'è ce que des preuves décisives aient été publiées , A embrasser le sentiment de M. Ghwolsohn, bien que j'^admette comme dé- montré que Y Agriculture nabatfynne a eu , en effets pour noyau un livre de l'ancienne Babylonie. Au premier coup d'oeil, c'est un- phénomène tout à fait extraordinaire qu'une littérature scientifique et industrielle se développant à une époque aussi reculée. Les Sémites purs et les Ariens auraient cru profaner l'écriture en l'appliquant à ces sortes de sujets. Avant l'école d'Alexandrie , aucune branche de la race arienne n'a eu d'ouvrages techniques (les poèmes dans le genre de ceux d'Hésiode, ni même les ouvrages des anciennes écoles de philosophie ne méritent ce nom); quant aux Sémites, si Ton excepte les Carthaginois et peut-être les Phéniciens, qui sortent à tant d'égards du type sémitique « ils ne sont arrivés à ce genre de littérature que vers le viii' siècle de notre ère : jusque-là il ne parait pas que ces peuples aient envisagé l'é- criture comme pouvant servir à autre chose qu'à la religion, à la poésie, à la philosophie, à l'histoire. Les Chinois, au con- • p. i53, 390-991.) La 8app06ition de M. Paul de Lagarde, d'après laquelle YAgri- cukvrÊ nabatéefme serait une traduction des GéopotUquêi grecques, est tout à fait etroaée, {tk Geop, ven, tyr. Berlin, i855, p. 18-19, ^^*) LIVRE in, CHAPITRE II. 24t traire, possèdent, depuis une époque reculée, dés écrits spé- ciaux, d'un caractère exact et pratique. II semble qu'il en fut de même pour Babylone , par un effet du caractère industriel et positif des peuples qui paraissent avoir fourni le premier fond de la^population de l'Irak. Les renseignements que les Grecs nous donnent sur la science chaidéenne répondent parfai- tement à ceux que les Arabes nous ont transmis sur la science nabaUenne, et semblent supposer à Babylone un centre spécial de travaux dirigés vers les mathématiques , l'astronomie et les applications usuelles , choses tout à fait antipathiques aux ins- tincts primitifs Ûes Sémites et des Ariens. M. Ghwolsobn a d'ail- leurs observé avec raison que ie caractère de Y Agriculture naba- téeme n'est auUement celui d'un livre profane^ : elle faisait sans doute partie d'une technique sacrée, analogue aux çt^a- fêêtra de l'Inde , où les différents arts étaient présentés comme une révélation et rapportés à une divinité^. Il faut attendre l'édition complète de Y Agriculture nabatimnc pour se prononcer sur tant de problèmes singuliers. Si les pro- messes de M. Ghwolsohn se vérifient, ce livre nous réserve sur l'histoire littéraire de la Babylonie des révélations surprenantes. Il est certain qu'au x* siècle de notre ère il y avait encore à Babylone des Nabatéens non convertis à l'islamisme et des restes d'une culture indigène^. Une autre veine, d'ailleurs, de l'ancien chaldaîsme est venue jusqu'à nous par une secte qui existe encore dans les environs de Wasith , de Howaîzah et de Bassora, je veux dire les Sabiens, Nasoréens, Mendaites ou Chrétiens de Saii^-Jean. Cette dernière assertion demande des développements particuliers. ' IKtf&a&Mr, etc. I,8s9. ' D^Bcksteiii, OhmC niot (Ênucaxiâq, dêipiuple$ iémit. p. 63 etsuiv. ' Chwoltohn, ap, cit. I , p. 891 et suiv. I. 16 2/Ï2 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. S IL Et d'abord , sou/s le rapport de la langue, le trait que les Arabes donnent comme caractérif$tique de la langue nabatéenne S la confusion des gutturales n et n , îc et :^ , est aussi* le fait do- minant de la langue des Mendaîtes. Sous le rapport htfaS* raire , le& ressemblances entre ce qù*on raconte des Nabatéens et ce que nous savons des livres mendaîtes sont bien plus frappantes encore. L'habitude d'attribuer des ouvrages à Adam et aux patriarches se retrouve des deux côtés ; le caractère as- trologique et magique de la littérature nabatéSnne convient à merveille aux ouvrages que nous possédons des sectaires de Bassora. Les noms d'auteurs nabatéens qui nous sont connus^ et qui semblent se rattacher, les uns au persan , les autres au sémitique, offrent en cela la plus grande analogie avec ceux des Mendaîtes. Il est vrai que les livres de ces derniers trahis- sent une rédaction postérieure à l'islamisme , et que , par leur extravagance, ils ne répondent guère à ce qu'on rapporte du caractère scientifique et positif de la littérature nabatéenne. Mais d'abord , il est certain que les livres m^idaltes que nous possédons ne sont qu'un remaniement de textes plus anciens et probablement plus sensés ; en outre , l'Orient associe parfois la science fantastique et la science véritable dans des proportions qui sont pour nous un mystère ; il n'est pas impossible qu'à uûe doctrine exacte et digne de la Grèce , les Nabatéens aient associé de folles imaginations lîomme celles qui remplissent le Livre d'Adam des Mendaîtes. Ce que les Grecs et les Latins nous rapportent de la science chaldéenne présente le même caractère de science tantôt réelle , ^ Quatremère, Mém. nir 2et Nabat. p. loo, io3. ' Id. ihid, p. 108, lia. LIVRE 111, CHAPITRE IL 243 tantôt ehimérique. Sans croire oubre mesure à la valeur d'un mot qui servit évidemment, vers Tépoque romaine, à cou- vrir le plus grossier charlatanisme, il semble difficile de ne pas admettre en Ghaldée un certain développement sérieux de sciences mathématiques et astronomiques^; les poids, les me- sures, peut-être les notions les plus essentielles de la supputa- tion des temps, sont d'origine babylonienne. Tout cela suppose une littérature , qui fut écrite sans doute en une langue sémi* tique. Or cette littérature, je l'identifie avec celle que les Arabes attribuent aux Nabatéens^. Les Uvres chaldéens cités par Bar- desane^, par Moïse de Khorène^, si vivement- réfutés par saint Ephrem ^, sont pour moi des livres nabatéens. Les sources chai- déennes où puisa Bérose ^ appartenaient sans doute à la même catégorie. Certes la critique doit accueillir avec défiance \eû compositions de l'époque grecque qui, sous les noms de Bé- rose, de Manéthon, de Sanchoniathon , prétendent nous re- présenter de vieilles littératures disparues; mais il est incon- testable , d'un autre côté , que ces littératures ont existé , et que les compilations dont nous venons de parier, malgré de nom- breux contre-sens et peut-être quelques impostures, renferment ^ L^astronomie et la médecine do Taimud ont leur source dans la science chai- éUemie, nabatSemie ou Mobiennê de la Babylonie, et fourniraient pour en reconstruire Tédifice de précieux renseignements. (Voy. Fûrst, KuUur- wid lÀteraturgeêchiehte der Juden in Aiien, p. ^0'5s.) * Gonf. Kunik , Mélangea luiatiquet de VAcadémie de SaintrPëter^urg , p. 679. ' Voir Gureton, Spietlegium tyriaeum (London, i855), p. ûti, et Journal oiiat avril i859, p. 396 et suiv. * Par exemple, LI, append«p. i35, trad. Levaillant.^^ général «_ cependant, Moïse dte les Chaldéens diaprés tes sources grecques. ^ Assem. BthL ori^fU. I, p. 199 et suiv. On trouve un grand nombre de traités eonlra Chaidœoi composés par des Syriens chrétiens. '^ * Ce nom est évidemment le nom persan Firouz; Uspcoti^ç, chet les Bysantîns; Bérme, chei les Arméniens. 16. 2&& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. des lambeaux encore reconnaissables des anciennes écritnres de la Ghaldée , de l'Egypte , de la Phénicie. Il faut se rappeler que , dès l'antiquité la plus reculée, on a écrit en Orient, et qu'à l'ex- ception peut-être de la Chine et de l'Inde , il n'est pas un seul pays de l'Asie pour lequel nous touchions la première assise du travail littéraire. Partout les plus anciens documents que nous pos- sédons en supposent d'autres plus anciens encore. Si de grandes précautions sont commandées dans l'œuvre difficile de recons- tituer la haute antiquité avec des restes dtérés et sauvent fal- sifiés , il serait tout à fait contraire à la bonne critique de pré- tendre que ces monuments, relativement modernes pour la forme , ne nous font point atteindre , pour le fond ; une époque antérieure à celle de leur composition. Pourquoi douter de l'exis- tence d'une li ttérature en Ghaldée , quand nous voyons jen Perse , sous les Arsacides et les Sassanides , un remarquable mouvement intellectuel ; quand nous voyons Moïse de Khorène , si crédule , mais si honnête , s'en référer à de vastes dépôts d'archives chai- déennes, syriaques, persanes^, et citer sans cesse des ouvrages écrits dans ces différentes langues longtemps avant lui? Enfin la religion établit entre les Nabatéens et les Mendaites actuels une frappante identité^. Les Nabatéens, en effet, sont généralement rattachés par les Arabes à la religion sabienne^. ' M. Layard a découvert, dans le palais de Koyoanjik , une isalie qu^il suppose, non sans raison, avoir été un dépôt d^archives. Rapproches les BdunAixoi St^ipeu consultées par Gtésias, et |^ passage du Livre d*Esther, ii , a 3. * Ce rapprochement n^a pas échappé à Tauteur du Kitâb eUFthriit : iu)L5C^ ZjJLlt Ja-A-Ut oi^tM Jj> MyJ\ *J[^ rAiajJ\ JU^Laytf j fjy^\ f^ai'j^ }iX^' ^^ Ait J^' 4>ij (Ms. suppl. arabe, i4oo', fol, ai& v.) — Ghwdsohn, op. cil. II, 5&A. ' Quatremère, op. dî, p. 63. LIVRE III, CHAPITRE II. 3ûS Or, depuis les travaux de M. Ghwoisohn^, il n'est guère per- mis de douter que les restes de la religion sabienne ne doivent être en grande partie cherchés dans les livres des Méndaîtes ^, Le sabisme lui-m6me , ainsi nommé à cause des fréquentes ablu- tions en usage dans la secte', ablutions qui furent peut-être Tongine de la faveur qu'obtint le baptême chez les Juifs à l'époque de Jean-Baptiste et du Christ, n'était qu'un débris de l'an- cienne religion chaldéenne, fortement altérée par le mélange des idées avestéennes ^. Cette religion paratt avoir joué un rôle important dans l'histoire du gnosticisme, et avoir même compté parmi les sectes gnostiques. Je pense, pour ma part, que les Elehamtes, sur lesquels les a nié cette identité, (/otcm. dm Sav. mars 1857, p. 1^3 et suiv.) 246 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Mahès et ie manichéisme '. PlUs tard, «ivn* siècle , nous voyons Mahomet fort préoccupé des Sabiens (^^j^j^\*ai\); le Coran (n, 59; T, 78; xiîî, 17) les place parmi les peuples qui ont une révélation , et qu il faut tolérer au même titre que les Juifs , les Chrétiens et les Mages ^. Les spéculations astrologiques et astronomiques , qui étaient en très-grande faveur parmi eux , les firent généralement envisager par les Arabes comme ado- rateurs des astres. Les Arabes, d'ailleurs, en vertu d'une idée préconçue et assez peu justifiée par les faits, s'imaginant que Tastrolâtrie avait dtf être la religion primitive du genre hu- main , répandirent l'opinion que le sabisme était la plus an- cienne des religions, et qu'il fut un temps où le genre humain tout entier était sabien '. Sabisme devint ainsi synonyme de paganigme dans l'usage des écrivains arabes et juifs , surtout de Schahristani et de Moïse Maimonide. Dans la traduction arabe du roman de Josaphat et Barlaam , le. mot ÈXXtives est rendu par ^jj^-ajUûJI *. Un fait singulier, et peut-être unique dans l'histoire de l'es- prit humain, vint ajouter encore à la confusion des sens du mot sabien. On sait que la ville de Harran ou Carrhes con- ' Le Kitâb eUFtkrittf^i lui-même ce rapprochement (fol. ai A v**). ' G^est par suite d^une opinioii analogue que les idolâtres appelaient les pre- miers musulmans Sobteru, (Cf. Gaussin de Perceval, Essai sur Vhist. des Arabes ^ III, p. S&3. — 5w'^ripet est souvent rendu par ■ ^^<»^^x^ , génies LIVRE m, CHAPITRE II. 247 serva, jusqu'à une époque très-avancée du moyen âge, la tra- dition du paganisme et de la science helléniques, ce qui la fit samommer ÈXXtfvofv iffôhs , JuSbJj^^ )j^JUfdd(la ville des païens). Or le khalife Mamoun, ayant fait, en l'an 83o, un voyage à Harran, fut surpris ^t mécontent de trouver dans cette ville une religion particulière, et demanda avec colère aux Harraniens s'ils étaient Juifs , Chrétiens ou sectateurs de quelque autre religion mentionnée dans le Coran. Les Harra- niens , dans l'embarras , se rattachèrent au sahisme , mot vague qui ne les compromettait pas, et qui était déjà devenu à peu près synonyme d^ hellénisme ou de paganisme^. Ces sortes de dé- guisements ne sont pas rares chez les sectes secrètes de l'Orient^ : les Mendaîtes eux-mêmes ayant eu besoin, à une certaine époque , de se faire passer pour Chrétiens , substituèrent des personnages de la Bible à ceux de leur mythologie '. - Ainsi apparaît dans l'histoire une nouvelle famille de Sa- biens , qui n'a de^ commun que le nom avec la véritable des- cendance des anciens Sabiens. L'influence que cette école à demi chaldéenne et à dgmi hellénique a exercée sur la science arabe, et par suite sur le développement général de l'esprit humain , n'a point été assez aperçue. J9 pense que les notions fabuleuses qu'on lit dans les auteurs musulmans, et, en parti- culier, dans Ibn-Abi-Oceibia et dans le Tarikh el-hokamâ, sur les origines mythologiques de la science et de la philosophie helléniques, notions dont on chercherait vainement la trace chez les auteurs grecs ^, sont d'origine sabienne ou harra- * Ghwolflohn,!, 139 cisuiv. 198, di6 etsuiv. ' On eo troure un curieux exemple dans Thisloire des Samarilains. (Voy. Pro- cope,Hâtoir»i0er^, xi, 7.) ^ Ghwobohn , 1 , laa. ^ Ces DolioDS influorcnl même sur le moyen â^jo et sur k rcuaissimco par une 2&8 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. nienne ^ Ibn-Abi-Oceibia cite expressément sur ce sujet, tantôt des ouvrages écrits en syriaque y tantôt les opinions des Chai- déen» et des Harramens '. Il faut supposer que la Chaldée fut , dans les premiers siècles de notre ère, le théâtre d'un vaste travail de fusion entre la science et les traditions de la Grèce , de la Judée et de Babylone, analogue à celui dont nous re- trouvons la trace dans Sanchoniathon. L'école de Harran ne fit sans doute que continuer cette discipline étrange longtemps après la disparition des écoles de l'Irak. S m. C'est donc chez les Mendaltes ou Nasoréens de Wàsith et de Bassora qu'il faut chercher les restes, sans doute misérable- ment altérés, de la vieille littérature chaldéenney ou nabatéenne, ou sabieime. Une critique habile et une philologie exacte, ap- pliquées aux monuments de cette ancienne s^cte , en tireraient de précieux résultats. Il est regrettable que, jusqu'ici, un pareil travail n'ait pas tenté quelque patient érudit. Les tra- vaux de Norberg sur le Livre d^Adam sont très-imparfaits; les autres livres mendaîtes, plus intéressants à quelques égards que le Livre d'Adam, ont été à peine examinés ; les inscriptions , enfin , qui semblent devoir être rattachées à la religion ou au dialecte des Mendaltes , comme celles des plats trouvés à Ba- série de compoeitions apocryphes d^origine arabe et juive. La physionomie chal- déenne que prennent les savants grecs sous le pinceau des artistes italiens du xv* et du ivi' siècle, qui s^înspiraient des idées de Técole de Padoue, tient au même cycle de légendes. * M. Ghwolsohn a opposé à ce sentiment des objections qui ne me paraissent pas décisives (I, 818; II, 865). * Journal asiat. aoill-septembrc i85/i, p. 181, 187-188 (trad. Sanguinetti ). LIVRE III, CHAPITRE II. 2&9 bylone ^ et surtout celle d'Abouschadr^, n*ont pas été jusqu'ici recherchées avec tout le soin qu'elles mériteraient. L'idiome des livres mendaîtes est un chaldéen fort corrompu et très-analogne au talmudique '. C'est à tort que M. Norberg a voulu le rapprocher, du syriaque : l'emploi du noun, comme préformante du futur, est la seule particularité syriaque qu'on y remarque. Les caractères essentiels du dialecte mendaîte sont : 1® l'emploi constant des trois lettres quiescentes comme voyelles, même connue voyelles brèves^: ces lettres s'attachent alors à la consonne, ce qui donne à l'écriture mendaîte une physionomie tout à fait à part dans la série des alphabets sé- mitiques; 3^ la confusion et l'élision fréquentes des gutturales, que les Mendaites prononcent toutes connue K : cette particu- larité , que nous avons retrouvée en Galilée et dans le Liban , semble avoir été spécialement propre à l'Irak; elle s'observe dans la langue du Talmud et sur les inscriptions des plats dé- couverts à Babylone par M. Layard ^ ; elle était caractéristique du dialecte nabatéen ^ ; 3^ le changement des lettres douces en fortes, et réciproquement; U^ des contractions nombreuses, ' Voir d-deasns, p. 79, note. * Cette inscription a été publiée et expliquée par M. F. Dietrich, dans Tappen- dice C des Ouâmeg de M, Bunsen. La manière dont lee lettres quiescentes y sont attachées aux consonnes me parait une raison tout à fait dédsive pour la rapporter au dialecte mendaîte. Il parait que les inscriptions de ce genre sont très-nom- breuses dans Tandenne Babjlonie. * Cette observation est de M. de Sacy, Journal da SavanU, nov. 181 9, p. 65o et suiv. (Conf. L.T. Burckbardt, Lê$ Naxoréem ou MmAaSt»,^» s 8 et suiv. Stras- bourg , 1860. — Norberg, Codex Ntuarauê , Lexidion ; Londini Goth. 1816). * Dkco9ene$, p. 5ii-^i9. Une confusion analogue avait lien chei plusieurs tribus arabes, chei les Témiroites, par exemple : c'est le défaut appelé mu^. ( Voy. Soyouthi, Muzhir, 1 1, fol. 1 99 , n" i3i6*, suppl. ar. — Hariri, dans S. de Sacy, Antkol. grammat. arabe, p. 1 1 o et soiv. et le Kamouë , à ce mot. ) ^ Voy. ri-dessus, p. 9A9. 250 HISTOIRE. DES LANGUES SÉMITIQUES. des agglutinations de mots, une tendance à n'écrire que ce qui est prononcé; 5* le redoublement des consonnes remplacé par remploi du noun, comme dans le chaldéen biblique; 6** une fouie d'irrégularités et d'anomalies d'orthographe , telles qu'on en trouve dans les dialectes qui n'ont pas reçu de culture gram- maticale. Toutes ces particularités, on le voit, présentent la plus grande analogie avec celles qui caractérisaient le galiléen. Parmi les dialectes écrits , le mendaîte est certainement le plus dégradé de la famille sémitique ; il représente , dans cette fa- mille, lepatml la langue abandonnée au caprice du peuple et ne suivant dans son orthographe que le témoignage de l'oreille, sans égard pour l'étymologie^ Tous les livres mendaltes que nous connaissons 8— Kopp, BtUer und Schr^ten der Voneit, IL — Gesenius, Monum, pheen, p. 80 et sqq. — M. deVog[ué, dans le BuU, arcKéol, de VAthen, franc, avril i855. . ^ Ad», hœr. 1. II, p. 639, édit Petau. * Flav. Vopiscus, m Vita AureL c. xxyii, xxx. LIVRE m, CHAPITRE III. 355 palmyréniennes , en effet , sont bilingues ; dans les textes grecs et syriaques on trouve plusieurs mots latins. ' Bardesane et son fils Harmonius (deuxième moitié du II* siècle) sont les plus anciens écrivains syriaques dont les noms nous soient connus. Il est certain que Bardesane com- posa en syriaque quelques-uns de ses ouvrages philosophiques ^ Lui et son fils écrivirent aussi des hymnes en syriaque , puis* que nous voyons saint Éphrem opposer à cette poésie hétéro- doxe des hymnes orthodoxes, composés sur le même rhythme^. Bardesane et Harmonius nous apparaissent ainsi comme les créateurs de la poésie syriaque, et il n^est pas impossible qu'imbus comme ils Tétaient de la langue et des idées grecques , ils aient emprunté à la Grèce le principe du rhythme qui est resté dans la littérature syriaque sous le nom de rhythme éphré- mien. Il est certain, du moins, qu'avant eux on ne trouve chez les Sémites aucune trace d'une métrique fondée sur des procédés réguliers, tels que la rime et le compte exact des sySabes. Moïse de Khorène cite, dans son Higtoire d'Arménie^, deux chroniques écrites en syriaque, l'une par Bardesane, l'autre par Lérubna , qu'on a regardé , non sans raison , comme un dis- ciple de Bardesane^. Rien n'empêche d'admettre l'authenticité de ces deux ouvrages. Une observation qui, ce me semble, n'est pas sans importance pour la critique , c'est que Bardesane se rattache directement à l'école chaldéenne, comme le prouvent ^ Goreton, Spialegivm êyriacum (i855), p. i?. (Gonf. A. Gallandi, BibUoth. groeo4aL vet. Paimm, I, p. 680 et suit.) s Afl6emaiii,Bî({.or»mt. I,p.&8,6o-5i,i39. — B»hn,Bard0$aiimfSyrùrum ' L. II, c. xuYi, LXfi. Cf. G. F. Néamann, Venueh emer Geich, der armm. lÀl€ratur,^.h; Leipiig, i836. * Uvigeric, JEifoi êwr Vicolt ehrétiennê d'Édesêe ( Paris, 1 85o ) , p. 36. 256 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ses écrits ^ et surtout les réfutations de saint Ephrem \ Ceci me confirme dans l'opinion qu'il faut chercher en Ghaldée l'origine de la littérature syriaque, et que cette littérature n'est autre chose que le prolongement chrétien de la littérature nabatéenne. Selon le Kitâb el-Fihrist^^ Manès aurait aussi com- posé en syriaque la plupart de ses livres. D'autres passages de Moïse de Khorène pourraient faire croire à l'existence d'une culture syriaque fort antérieure aux temps dont nous venons de parler. Moïse, en effet, cite, comme une des sources de son histoire, l'ouvrage d'un Sy- rien, Mar Ahbas Gatina, qui, vers Tan i5.o avant Jésus- Christ, aurait écrit en syriaque et en grec les Annales d'Ar- ménie^; mais, outre que les circonstances de ce récit sont tout à fait fabuleuses, le nom de Mar Abbas, que l'on voit porté par plusieurs évéques de Syrie, ne peut avoir appartenu qu'à ua chrétien^. Il est donc probable que le livre dont Moïse a fait un si fréquent usage était l'ouvrage antidaté de quelque Syrien de l'école d'Edesse. Il en faut dire autant des pièces que le même écrivain a tirées des archives d'Edesse, let qui, lorsqu'elles se rapportent à des époques antérieures au christianisme ou contemporaines 4u Christ, portent un caractère évidemment fabuleux^. Quant aux citations que fait Moïse des historiens chaldéens, il avoue lui-même qu'il les em- prunte aux iiuteurs grecs'' : elles ont, par conséquent, peu d'intérêt pour la question qui nous occupe ici. ^ Voy. Jowmd «ûit. avril i859 , p. 996 et sniv. ' Attemani , Bt^L orknL I, p. 199 et raiv. ' Cité par M. Reinaud, Géogra/phie d'Abau^éda^ inbrod. p. cccui. ^ L. I, ch. Tiiietn. ^ Gonf. Quatrem^ , Jùwnal d» Sawmta , jain 1 85p , p. 365. * L. n, CZfXXTI, XXTIU. ' L. I , c. II et V. Voyez cependant 1. 1 , append. sur Piouraab. LIVRE III, CHAPITRE IH. 257 SU. Le plus ancien monument que nous possédions de la lit- térature syriaque est la version de la Bible qu'on appelle Pé9dAt(o (simple), version faite sur l'hébreu pour l'Ancien Tes- tament, et sur le grec pour le Nouveau Testament. La date de cette version est fort incertaine; on la place ordinairement vers Tan 900,. et les derniers travaux dont elle a été l'objet tendent plutôtà reculer cette date qu'à l'abaissera M. Wichel- haus pense qu'elle a été écrite à Nisibe ou dans l'Adiabèoe, d'où elle aura été portée plus tard à Edesse et dans la Syrie occidentale. La langue de la Pesckùo n'est pas sensiblement différente' de cdle qui est devenue classique chez tous les écri- vains syriens. On y trouve cependant quelques archaïsmes, ou, pour mieux dire, quelques particularités du chaldéen biblique et targumique, qui ont disparu dans le syriaque mo- derne (Aw, par exemple, comme marque de l'accusatif); ce qui explique comment saint Ephrem , paraphrasant devant le peuple d'Edesse le texte de cette version , y trouvait des mots inconnus et qui exigeaient un commentaire. - \ Après la version Petchito, le plus ancien texte syriaque doté que nous possédions est la relation du martyre des saints Zé- bina , Lazare , Maruthas , etc. écrite par Isale d'Arzun , qui en fut témoin oculaire v^^ l'an Sao^. Saint Ephrem, vers le milieu du iv* siècle, nous apparaît comme le représentant éminent de ce premier âge de la littérature syriaque. Depuis ' Gonf. Wichdhaiu, De Ncvi Testamenti vermne tyriaca antiqua, quam Pê- ëckko voeant; Halis, i85o. — ^ùeman, HongêyrkcŒf p. io3. Il ne faut pas confondre avec ia Pèickito one ancienne version grecque, dont l*auteur est appelé par les Pères 6 liùpof, (Voy. de Wette, Endeituntg, S hk, note m, et S 6/1,. Botei. — Roath, /{«lîçiiùetMne, tl, p. ti8, 1/49.) ' Assem. Aibl.orimf. t. I,p. 17. j. 17 258 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. lors jusqu'au u* siècle , la Syrie est le théâtre d'un grand tra- vail littéraire , tout empreint d'hellénisme. La langue âe charge de mots grecs ; les abstractions péripatéticiennes en altèrent le véritable caractère , et y détruisent de plus en plus les traits essentiels du génie sémitique. Au Tin*' et au ix* siècle , le syriaque acquiert^ une véritable importance dans l'histoire de l'esprit humain , comme servant d'intermédiaire entre la science grecque et la science arabe, et opérant la transition de l'une à l'autre. J'ai cherché à établir ailleurs ^ que presque toutes les traductions d'auteurs grecs en arabe ont été faites par des Syriens et sur des versions sy- riaquea^* Les Nestoriens de Ghaldée nous apparaissent à cette époque Cbmme les continuateurs de ^ancienne culture naba- téenne , comme les initiateurs des Arabes , et par les Arabes de tout le monde musulman, à la philosophie. La médecine fut en Orient, jusqu'au i* siècle, l'apanage exclusif des Syriens; or la médecine étak, à «etté époque , le but suprême et le ré- sun^é de la science. L'école païenne de > Harran , de son côté , continuait la tradition des études syro-helléniques, surtout en astronomie. La langue des écrits de cette école était le pur sy- riaque^. ' Au X* siècle commence la décadence définitive de la culture syriaque. Les musulmans , instruits d'abord par les Syriens , deviennent bien supérieurs à leurs maîtres , «t , dès le xi* siècle , nous voyons les Syriens , à leur tour, se mettre à l'école des musulmans. Au xiii'' siècle, un homme vraiment supérieur, Grégoire BarhebraBus ( Aboulfaradj ) , par sa double érudition arabe et syriaque, rend un éclat momentané à la littérature ^ De philoêophiaptripatetieaapudSyroi; 1^9X18^ iSbû. * * Voy. ci-dessous, SA. Cf. Ghwoisohn, Diê S$Mir, p. i et Biâv. ai, &6 et suiv. LtVRE III, CHAPITRE III. 259 de son pays. Après lui, tout ne fait plus que déchoir; Tarabe envahit même les choses sacrées , «t désormais le syriaque ne sera plus guère qu'un idiome ecclésiastique, continuant sa chétive existence dans quelques communions de l'Orient. Vur- sage du caractère syriaque fut toutefois plus persistant que celui de la langue : les Maronites, en adoptant l'arabe, préférèrent, comme les Juifs, l'écrire avec leur alphabet national; on donne à l'arabe écrit de la sorte le nom de karschouni ( j^^l^), mot dont l'origine est tout à fait inconnue. Il est assez difficile de déterminer le moment précis où le syriaque disparut conmie langue vulgaire de la plus grande partie des pays où il avait régné. L'action des musulmans en Syrie et en Mésopotamie fut si puissante et si rapide , la résis- tance de la population indigène fut si faible , qu'on doit croire que l'arabe y conquit tout d'abord une jM*épondérance mar- quée, au moins dans les villes. L'an 853, le khalife Mote* wakkel fit un édit pour ordonner aux Jui£s et aux Chrétiens d'apprendre à leurs enfants l'hébreu et le syriaque , et pour leur interdire l'usage de l'arabe ^ Cet édit absurde, qui ne fut pas sans doute exécuté, prouve du moins l'empressement avec le- quel les Syriens étudiaient la langue de leurs vainqueurs. Dif- férents passages de Jacques de Vitry et de Brocard ^ établissent qu'au xin^ siècle lea différentes communions chrétiennes de la Syrie pariaient arabe, mais qu'elles se servaient pour la plupart de l'alphabet syriaque, exactement comme de dos jours. Il est vrai que le Juif Samuel ben-Hofni , chef de l'académie de Sora , au commencement du xi^ siècle , voulant engager les Juifs à ' Quairemère., Mém. nor h» NabaL p. lûa. * ApodBongan, Gêita Dei per Franeoê , p. 1089, 1090, 1099, 1096. — Mar- lène et Durand, ThsêOMnu novut Aneed. t. III, p. 976. — Basnage, Thesaurm monum. êcelenoêL t. IV, p. ss , A 3 9-4 33. 17. S60 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. cultiver avec soin la langue hébraïque , leur présente comme un modèle à suivre Teiemple des Syriens, c^qui, dit-il, n'ont pas abandonné leur langue et y persévèrent ^ y) Barhebrœus semble aussi parfois laisser croire que la langue syriaque était parlée de son temps ^; mais on peut supposer que les passages dont il s^agit impliquent seulement l'usage que les savants faisaient de Tancienne langue , soit dans leurs écrits , soit dans leurs relations les uns avec les autres. Plusieurs voyageurs modernes, entre autres Niebuhr', sou^ tiennent que le syriaque s'est conservé jusqu'à nos jours comme langue vulgaire dans quelques villages du mont Liban ; mais presque tous ceux qui l'ont affirmé ignoraient le syriaque , et il se peut que le patois qu'on leur a donné pour un reste de cet idiome ne fût que de l'arabe corrompu. Un prêtre de Damas, que j'ai vu à Paris, m'a nommé le village de ^^a^, à douze lieues de Damas , comme un de ceux où se maintiendrait encore l'usage du syriaque : déjà Brown^ et Volney^ avaient signalé le même fait pour la même localité. Burckbardt , malgré l'atten- tion qu'il donna à la question qui nous occupe , ne put décou- vrir rien de semblable; il trouva seulement quelques monas- tères où le syriaque était parlé avec assez de facilité , à peu près comme le latin devait l'être dans les couvents du moyen &ge ®. Le syriaque ne doit pas cependant être rangé parmi les * Muiik, Notie$ iur AbouhDaUd Mervan Vm-DjanaK, p. 1 67. * Hiit, Dyn, p. 16 ; Gramm, iyr. métro ephrœmeo (éd. Bertheau), proœm. ^ De$crtption de P Arabie , p. 81. On peut voir les aatoritës recueillies par Hoffmann , Gramm. jyr. prol. p. 3& , sqq. — M. Quatremère, Mém. eur îee Ntéat, p. 1 5o et suiv. — Balbi , AUae ethnogr, 3* tabl. — Fr. Uhlemann , Gramm. der eyr. Sffraehe , p. 11? et xn , s* édit. * Traveli m Afiriea, Egypi and Syria, p. /iû5-/io6. ^ Voi/agee en Syrie, 1. 1, p. 357 , 4* édit. ' Trav^inSyriaandiheholy Land{Lùnàoti^ tSui)^p,ûû. LIVRE III, CHAPITRE III. S61 langues mortes. Il se conserve à Tétat de patois chez les Nés- toriens des montagnes de Djulamerk , aux environs des lacs de Van et d'Ourmia , et chez quelques populations chrétiennes de la Mésopotamie ^ ; mais la langue de ces familles isolées et privées de culture s^est altérée à ce point que les livres litur- giques écrits dans le dialecte ancien ne sont plus compris des fidèles, ni même souvent des prêtres. Les missionnaires amé- ricains établis à Ourmia, obéissant à l'intelligente direction d'un de leurs confrères, le Rév. Perkins, dont le nom doit rester attaché à l'un des plus singuliers événements qu'offre l'histoire des langues sémitiques, ont essayé de rendre à ce patois quelque régularité en le réformant sur le modèle du syriaque pur, à peu près comme les Grecs modernes ont cher- ché à ennoblir leur langue eu la ramenant au modèle de la langue classique. On a donné le nom de néo-n/riaque à l'idiome ainsi amendé et 6ié par la typographie. Une grammaire de ce dialecte, qui possède déjà une assez riche littérature et des journaux , a été publiée par le Rév. Stoddard^. Un des résul- tats les plus énrieux de l'expérience philologique tentée par les missionnaires fut la facilité avec laquelle les Nestoriens for* mes à leur école apprirent l'hébreu : tant il est vrai que , même dans leurs rameaux les plus écartés, les langues sémitiques conservent toujours le sceau immuable de leur unité. $ m. La langue syriaque nous apparatt, dans son ensemble, comme ' Gonf. Rœdiger dans la ZeUi^r^fir dit Ktmdê du MorgenUmdêt , B. II, Heft 1 et 3; m, Heft 1 ; Zntichr^ der D. M. (jueUêelu^, t IV, p. 1 13; t VIT, p. 579-578; t VIII, p. 60s, 8&7-8&a. — CRitter, Brdkunds, t. IX, p. 681 et SUT. — Laad , Jommm Bûelu^wm Ephmoê , p. 98 et suiv. * Jounud rf thê miMncon OrimUd Soemiy , vol. V, numb. 1 . 26S HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. une langue plate, daire, prolixe, sans harmonie, chargée de mots étrangers. Elle n*a point cette simplicité , cette tendance à r^résenter toute chose par le côté sensible, qui font, en général , le charme des langues sémitiques. Les' relations des idées, si élégamment exprimées en hébreu par un petit nom- bre de flexions, s'expliquent longuement et lourdement en syriaque par l'emploi des particules et des périphrases. Les racines, qui en hébreu sont, pour ainsi dire, à fleur de terre, sont ici presque oblitérées ; la dérivation , si régulière en hébreu et en arabe, nest ici qu'un procédé incertain. On dirait par- fois un de ces idiomes qui, comme les langues néo-latines, ont perdu le sentiment de leur origine , et où chaque mot figure pour son propre compte, indépendamment de la racine d'où il est sorti. Quand on est habitué aux belles formes de l'hébreu , formes si parfaitement adaptées à ce qu'il s'agit d'exprimer que la pensée hébraïque traduite en une autre langue n'est plus cUe-méme , le syriaque fait l'efiet de ce latin barbare par le* quel les modernes cherchent à rendre des idées tout à fait étran- gères à l'ancienne latinité. L'homme de goût ttit avec regret une langue d'enfants chargée de mots pédantesques et assujettie à une discipline qui n'était pas faite pour elle. Par la richesse de ses procédés, l'arabe est parvenu à tout dire d'une manière suffisante ; mais le syriaque , renfermé dans une grammaire bien moins flexible, ne s'est élevé aux discussions intellectuelles que péniblement et par des emprunts contraires à son génie. Quoi de plus choquant, par exemple, que d'y trouver une foule de particules tirées du grec^ : ^a^= y dp; (f { = ipot; ^f -^.U; ^ -=: fjiév; yçl^Sùo = [laXXov; ' Le même emprunt a eu lieu en copte. ( Voy. les rëflexioiM de M. Bomen sur ce sujet, Outlimê, t. II, p. SS-Bg.) LIVRE m, CHAPITRE III. 363 pdki^ay tandis que la particule est d'ordinaire rélément du discours qui passe le moins d'une langue à une autre et tient le plus profondément au génie de chaque idiome ? L*Aramée , confinant de tous les côtés à la race indo-euro- péenne, semble avoir eu pour mission d'en propager l'in- fluence parmi les Sémites et d'inaugurer au sein de cette race la culture rationnelle et purement scientifique. La Ghaldée, d'une part, subit très-profondément l'action religieuse et phi- losophique de la Perse et de l'Inde. La Syrie, d'autre part, adopta le corps complet de l'encyclopédie hellénique. Malgré ces puissants secours , l'Aramée , il faut l'avouer, n'arriva point à des résultats bien . décisifs , et, si elle mérite une place dans l'histoire , c'est uniquement comme ayant transmis le flambeau des études grecques aux Arabes, et contribué ainsi à fonder des écoles qui ont joué un rôle si important dans les révolutions intellectuelles de l'humanité. Quand. on compare, en effet, la culture arabe à la cidture hébraïque , à côté de grandes ana- logies, on trouve, dans la plus moderne de <^es deux civi- lisations, quelques éléments qui manquent entièrement à la plus ancienne : des habitudes de dialectique et de discussion , un développement de science et de philosophie , un vaste sys- tème de grammaire. Or, dans toutes ces voies nouvelles, les Arabes furent précédés par les Syriens , qui , de leur côté , eurent presque toujours les Grecs pour initiateurs. En ce sens , il est vrai de dire que la conscience réfléchie chez les Sémites trouva en Grèce la cause indirecte et éloignée de son apparition. Pour ne parier ici que de la grammaire, on ne voit pas qu'avant la fondation de l'école d'Edesse il ait existé aucun travail de grammaire sémitique. Les premiers essais en ce genre furent le fruit de la culture hellénique , qui commença à se répandre en Syrie, au v* siècle, avec le nestorianisme. Quel- 26& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ques gramoiairiens syriens du yi' siède nous sont connus de nom^; mais leurs travaux ont été effacés par ceui de Jacques d'Ëdess^ (de 65o à 700)^. Or Jacques d'Édesse, dont la vie se passa à relever en Syrie les études grecques et à traduire des ouvrages de philosophie aristotélique , porta naturellement dans ce travail ses habitudes d'esprit. Toute la granunaire syriaque est calquée sur cdle des Grecs ; tous les termes tech«- niques sont transcrits du grec ou formés d'après l'analogie des termes grecs'. . Jacques d'Edesse nous apparaît ainsi comme le premier ré* gulateur de la langue syriaque. Ce fut par lui que le dialecte éiessim arriva à ce degré de perfection grammaticale qui en fit pour la Syrie ce que le dialecte attique était pour la Grèce. Ses différents écrits de grammaire nous le montrent comme un puriste, une sorte de Vau gelas, occupé à instruire le pro- cès des mots et à déterminer ceux qui devaient être maintenus ou rejetés. Enfin ce fut entre ses mains que le sy^ème des voyelles syriaques , consistant en points diversement groupés au-dessus et au-dessous de la ligne , prit un certain degré de régularité et de précision \ Peut-être ^'invasion musulmane, qui menaçait déjà de faire dominer Tarabe sur le syriaque, contribua-t-elle à engager Jacques d'Edesse dans cette voie de travail artificiel, qui ne conmience guère pour les langues que quand leur existence extérieure est déjà compromise. Quoi qu'il en soit, depuis Jacques d'Édesse jusqu'à nos jours, la série des grammairiens syriaques n'est plus interrompue ^. ' Aflsemani, Btbl orient, t. UI, i'*[>art.p» 956; d.ûnd. 199-193 et 1 11,607. ' Id. tbid. l , l^^b. ^ Gonf. Hofiraaon, Gramm. eyr, prol. p. 97 cl suiv. * AsseDi. BSbh wient, 1, 676, 678; II, 336-337. ' Hoflmann , op. cit. p. 99 et suiv. i LIVBE III. CHAPITRE IIL 365 Elle de Nisibe, au xi^ siècle ^, surpassa tous ses prédécesseurs, mais fut à son tour surpassé , au commenjcement du xiii' siècle , par Jean Barzugbi^, que Ton regarde comme Tauteur de la première grammaire complète de la langue syriaque. BaA^ brœus , enfin , porta la théorie dci cette langue au plus haut degré de perfection qu'elle pût atteindre entre les mains des indigènes ; mais il faut observer qu'en granunaire , comme en philosophie , les Syriens ne s'élevèrent au-dessus de la médio- crité que sous l'influence des Arabes , devenus leurs maîtres après avoir été leurs disciples; en sorte que leur grammaire, imitée d'abord de celle des Grecs, est, chez les derniers écri- vains que nous venons de nommer, modelée sur celle des Arabes. m S IV. La langue syriaque , bien que remarquable par son homo- généité , présentait néanmoins , dans 3a forme vulgaire , quel- ques différences locales. La trace de ces variétés , qui tenaient surtout à la prononciation des voyelles, est difficile à saisir dans lé style écrit; elle ne se retrouve guère que chez les glos- sateurs Bar-Ali et Bar-BahluP, qui , cherchant à imiter les lexi^ cographes grecs et en particulier Hésychius , se bornent presque à citer des expressions dialectiques. En classant les particulari- tés obtenues par le dépouillement de ces deux auteurs, M. Lar- sow est arrivé à reconnaître l'existence de trois dialectes prin- cipaux : dialecte araméen, c'est-à-dire nabatéen ou chaldéen (JLdofI JLu^); dialecteprotTincta/ ou rustique (JLH) Juu^); * Amdi. Ml orimO. t m, i'*parl. p. 966-967. > Id, ibid. t 0, A55; t lU, 1'* part. p. 3o7-3o8. ^ Voir sur ce sujet la savaate dissertation de M. Lanow , De diakelomm Unguœ •3frMc« rsliffinif ; Berlin , 1 8 1 . 266 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. dialecte des hauts pays ou des montagnes, probablement du Dailem (^^sfe^f |ju^); sans parler de variétés particulières aux villes d'Edesse,,de Mossoul, d'Antioche, et à la province defA\oJM\ J^kfÂ))), le plus corrompu, parlé dans les régions monta- gneuses de l'Assyrie et dans les bourgs de l'Irak. Cette divergence n'a rien qui doive surprendre; il est évi- dent qu'au milieu des nombreux patois locaux de l'Aramée il n'y avait que deux variétés bien caractérisées : je veux dire le syriaque occidental, ou syriaque proprement dit, et le syriaque oriental, ou cbaldéen. Barhebraeus, dans le texte de sa gram- maire métrique', ne distingue que ces deux dialectes : d'une part, «le syriaque proprement dit, ou dialecte d'Edesse'» : JLoi^o^ JLufoo ooi; ]Lj;^o ^ ji^âftM; de l'autre, le dialecte c( des Orientaux , descendants antiques des Ghaldéens y> : JL^iâf |j^^ jjjA j r^.1 ^v» ^; ^OM^l. On peut dire que les dialectes araméens, le mendaite excepté, ne dif- fèrent réellement entre eux que par la prononciation. La par- * Hitt. difn» p. 16-17 (édit Pococke). — Assem. Btbl oriitU. I, 476. — Ber- theau, ad Barh^rsei GrammaL tyr. métro ephrœineo,]^. 91 -9s* ' Cette dénomination est en contradiction avec cdle de JLoof | , par iaqoeile Bar-Bahlui et Bar-Ali désirent le clnldéen ; maiB il faut ae rappeler que le nom de jL*^f i désignait aiuai les Harranîens. { Voy. Ghwolsohn , Dm SmMt, I « 1 Bg, 3i5,â89,&A3. -^ Gramm. $yr. métro ephrœmeo, p. 3*^ (édit. Bertheau). LIVRE III, CHAPITRE III. 267 ticularité la plus essentielle Au syriaque proprement dit, rem*-* ploi du iiottii comoie préformante de la troisième personne du futur, est de peu de conséquence , et ne se rattache à aucune analogie vraiment étendue. Les différences dans le système des voyelles sont encore nioins importantes : elles tiennent à cer- taines habitudeis d'organe ei-h la diversité des moyens em- ployés pour la notation des sons vocaux. En somme, le chai- déen et le syriaque ne s'éloignent pas plus Tun de l'autre que le dorien de l'éolien , et Michaëlis a pu dire , sans trop d'exa- gération , que les chapitres chaldéens du Livre de Daniel pa- raîtraient écrits en syriaque , s'ils étaient lus par un Juif alle- mand ou polonais qui prononcerait le kametz comme o et le dwlem comme au^. Les Orientaux ont jugé assez diversement du mérite relatif et du degré de culture des différents dialectes syriaques. L'au- teur du Kitâb elr-Fihmt, s'appuyant de l'àutoirité de Théodore le conunentateur^ regarde le nabatéen comme le plus élégant des dialectes syriaques (ji;^! ^UJtt ^t)^. On a vu, d'tm autre côté , que Barhebrœus accorde la première place au dia- lecte édessien, et traite avec mépris le chaldéen ou nabatëen. Cette ccmtradiction nous oblige d'admettre que , dans les pas- sages précités, il ^t tantôt question du langage littéraire, tantôt du langage rustique de la Ghaldée; peutrétre même, sous le nom de nabatéen, a-1ron voulu désigïier le dialecte corrompu des Mendaites : en effet, le Kiiâh d-Fxhriêt, après le passage que nou^ venons de rappeler, ajoute que le naba- 1 Cf. Hupfeld , Stuèm tmd XràAm, III , p. 99 1 . — Wichelhaus .DeN.T. ven. $yr. antt^ua, p. 36-37* — Winer, Gramm, dm hibl, imd targ, Qtaldaitmui,^, 8-9. * L^anteur ainsi désigné parlbs Syriens est Théodore de Mopsueste. (Assem. BAI. omnL III , 1" part p. 3o). ' Ms. arabe , anc fonds , 876 , £. 1 3 v.-i &. Hadji KhaUa , en copiant ce passage . a la v^lsivMJt ^J^ ^^* ^fha» él^nt qae ie syriaque. n 268 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. téen que Ton parle dans les villages n'est cpi'un syriaque sans élégance, tandis que la langue des livres est identique à celle de la Syrie et de Harran^ Hadji Khalfa, en reproduisant l'as- sertion du Kitâb el-Fthrist, semble attribuer la corruption des patois de l'Irak à l'influence du persan^. Quant à Topinion de Barhebrœus sur l'infériorité du chaldéen , elle n'est pas exempte de partialité. A l'en croire , les Syriens orientaux auraient al- téré la prononciation ancienne, qui était, suivant lui, con- forme à celle des Syriens occidentaux ^. Or les plus fortes preuves établissent , au contraire , la priorité de la vocalisation des Ghaldéens. Cette vocalisation est bien plus conforme à celle du chaldéen biblique et aux transcripticms anciennes de mots syriens qui nous ont été conservées , soit par les écrivains du Nouveau Testament, soit par les auteurs grecs^. Barhebrseus cite, il est vrai, plusieurs particularités de l'orthographe chal- déenne qui accusent une tendance à modeler l'orthographe sur la prononciation vulgaire^; mais ce ne sont là que des fautes populaires , dont on ne retrouve pas la trace dans les manuscrits qui nous viennent des Syriens orientaux. Tout nous invite , par conséquent , à voir dans la jprononcia- tion lourde et grasse {tsfXoLvicjloixof) des Syriens occidentaux une altération provinciale. L'habitude de ne pas tenir compte de la réduplication des lettres, la suppression des pronoms suf- > Ms. cité, fol. tU : ^L^ jAi ijyJ\ Jbfcl a^ ^ tijJf JujJf ^^ ;^ly>^ ^j[^ J^' (^UU ^iily^^ K>FyJt^ (Cf. Lanow, Ik HaheL tinguœ <3fr. r^iquui, p. i3. — Quatremère, Mém. sur ki Nabot, p. 96.) ' léxicm hibUograph. I, p. 70-71 (edid. Fluegd). ^ Gramm. $yr, métro ephrcnneo, proœm. — Assem. BAL orimU. II, p. 407. ^ As86m. t&tJ. t. III, 3* part p. gqclzxtiii et.suiv. '-' Conf. Quatremère, JH^ mut let NabaL p. 1Â6 et Buiv. LIVRE III, CHAPITRE IlL 269 fixes dans la lecture, tandis qu'il est de toute évidence que ces pitNioms ont dû anciennement être prononces , sont autant de caractères d'une langue usée, qui se retrouvent également dans le mendaite. Quant à la prononciation de l'a comme o, elle semble avoir toujours été un trait spécial des patois de la Phénicie et du Liban. C'était celle des Galiléens : ^Ha^ù^paios = NaSapa?o$ ; TdSa>pa =: TdSapa, EX&i/=: >nbK, etc. C'était aussi celle des Phéniciens (voy. ci-dessus, p. 191) et des Sy- riens voisins de la Palestine, dès une assez haute antiquité : ^éXéii = laC^kAr 9 donné par Méléagre de Gadare comme l'é- quivalent de xoipe^. Le syriaque ayant d'abord été enseigné en Europe par les Maronites , on s'est habitué à envisager les particularités de leur prononciation^ comme des faids essentiels de ridiome de la Syrie en général. La distinction du syriaque occidental et du syriaque orien- tal ou chaldéen , qui domine toute l'histoire de la langue ara- méenne, bien qu'à vrai dire cette distinction repose sur des faits grammaticaux de peu d'importance, dure encore de nos jours. Le premier de ces deux dialectes s'est conservé à l'état de langue liturgique chez les Maronites et les Jacobites; le second , chez les Nestoriens , aux environs de Diarbékir et dans le Kurdistan'. Les derniers renseignements venus de l'Orient nous apprennent que la connaissance du syriaque oriental se perd de jour en jour, et que les prêtres chaldéens ne compren- nent plus leurs livres d'offices^. Les Maronites et les Jacobites ^ Voy. d-dessiia, p. 19&, note. * Gonf. Wicfaelhans, De N. 7. ven, tyr. onL p. /Î7, 69. ' Le nom de CkàldSmiê, appliqué à cette chrétienté, n*a qu'une valeur ecdé- ffiafltiqne et ne date que de Tépoque où une fraction des Nestoriens du Diari)ékir M réunit à P^se romaine. (Gonf. G. Ritter, Erdkunde, IX , p. 680-681 .) * Lettre de M. Oppert, dans la ZeitBchr^ dêr deuiêéhên morgmdœndàehên Gê- »eUêekaft,t Vn(i853), p. Â07. 270 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. laissent également Tarabe envahir le domaine de ieur langue sacrée; les Melchites, qui suivant le rite grec, ont entièrement abandonné le syriaque , et se sont fait une liturgie mêlée de grec et d'arabe^. Telle est 9 dans son ensemble > l'histoire des langues ara- méennes. Ce qui frappe au premier coup d'oeil dans ce groupe de langues , c'est son immobilité. En comparant le cbaldéen des fragments d'Esdras , qui nous représentent Faraméen du y* siècle avant l'ère chrétienne , au syriaque qui s'écrit encore de nos jours, à peine découvre-t-on , entre des textes composés à de si longs intervalles , quelques différences essentielles. Une légère tendance à l'analyse , l'emploi plus fréquent des prépo- sitions , un système plus riche de particules , un grand nombre de mots grecs introduits dans la langue, tels sont les seuls points sur lesquels des innovations se fassent remarquer. On peut dire que la langue araméenne , entre les deux limites que nous venons d'indiquer, ne diffère pas plus d'elle-même que la langue d'Ennius ne diffère de la langue de Gicéron. Même ressemblance entre les dialectes locaux^. On trouverait peu d'exemples d'une homogénéité comparable à celle qui, depuis les temps antiques jusqu'à l'invasion musulmane, caractérise les langues pariées dans le pays compris entre le Tigre et la cête orientale de la Méditerranée. La révolution que l'arabe a réalisée pour le monde sémitique , en absorbant les dialectes particuliers et en s'imposant comme langue savante à tous les peuples qui tombèrent dans sa sphère d'activité, l'araméen l'avait préparée , mais sur une échelle beaucoup moins vaste. * AflBem. BQfl, orient, t. III , 9* part. p. ggcluvii et suiv. * Il n'est pas qaestioii ici des idiomes qai , comme le Uimudique et le men- daîte, ont snbi des influences particulières, et se sont ainsi écartés diiJtype général de la famille à laquelle ils appartiennent. LIVRE m, CHAPITRE III. 271 Il représenta à son heure en Orient l'esprit sémiticpie. C'est à ce nouveau point de vue qu'il convient maintenant de nous placer. Le rayonnement df s langues sémitiques en Orient s'é- tant opéré jusqu'à Mahomet presque uniquement par l'ara- méen , nous en tirerons l'occasioA de traiter ici en général du rôle extérieur des langues sémitiques, des influences qu'elles ont exercées et de celles qu'elles ont suhies depuis le vi' siècle avant l'ère chrétienne jusqu'à l'apparition de l'islam. 373 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. CHAPITRE IV. DES INFLUENCES EXTERIEURES EXERGUES ET SUBIES PAR LES LANGUES SEMITIQUES DURANT LA PERIODE ARAmEeNNE. SI. On ne peat dire que 1 action extérieure des^ Sémites ait été en progrès durant la période que nous venons de parcourir. Le rôle colonisateur de la Phénicie finit au ix* siècle avant notre ère ^ , et , dès le vf siècle , l'importance commerciale et civilisatrice de ce pays a passé tout entière à la Grèce. Seuls les Carthaginois et les Juifs représentent encore la race sémi- tique hors des limites naturelles du sémitisme et sur presque tous les points de l'ancien monde. Bien qu'on manque de documents précis sur les Israélites qui ne profitèrent pas des édits de Gyrus et restèrent dans le haut Orient^, on ne peut douter que ces exilés ne s'y soient réunis en grolipes importants et qu'ils n'aient longtemps con- tinué d'y cultiver la langue sainte : Le livre de Tobie est le plus cui^î^^u monument de cette littérature juive des provinces ^ yoven, Dû Fhcm, L II, 9* part ch. m. * Les chimèras qui, à diverses époques, ont été imaginëes sur ie sort des dix tribus et leurs établissements au Tibet, en Chine, en Amérique (!), ne méritent pas d'être discutées. (Voy. Ewald, GstcA. dsê V, îtr, t. III, s* parL p. 99 et suiv.) Il en dut dire autant de la prétention qu'ont les Afghans de se rattacher aux Jui&. LIVRE III, CHAPITRE IV. 273 de la Médie et de la Perse. L'Egypte , l'Arabie , l'Abyssinie , l'Asie centrale, l'Inde même et la Chine \ virent également fleurir des communautés juives assez nombreuses, et quelque- fois presque indépendantes. Enfin , vers l'époque de Tère chré- tienne, les Juifs couvrent le monde entier et y exercent l'in- fluence la plus décisive^. Il ne paratt pas que les branches de l'émigration juive qui se dirigèrent vers TOccident aient long- temps gardé l'habitude du dialecte sémitique que parlaient leurs frères de Palestine et d'Orient : on doit croire cependant que les nombreux Syriens qui inondaient l'empire , et qui furent les plus ardents propagateurs du christianisme eh Grèce et en Italie, conservaient parfois quelque souvenir du syriaque^. Par la gnose , d'ailleurs , et par la liturgie chrétienne , mais surtout par les versions de la Bible , l'hébreu arriva è exercer une ac- tion sérieuse sur les langues de notre Occident. Il serait inté- ressant de rechercher les tours et les expressions d'origine hé^ brafque ^ qui sont entrés , par ces versyins et en particulier par > Yoy. de Sacy, Nodea et ExtnUU, t. IV, p. Sga , et Mém. de VAcad, dee mf- eripL et bellm-kUree, L XLVIU, p. 696 et sniv. — De Goignes, ibid. p. 763 et miv. — Volney, L'hébreu sm^[klifié, p. 169. — Ign. Kœ^er, Venueh emer Ge- âekiekte der Juden m Sma, Halle, i8o6. — Garmoly, Relation éPEIdad h Damte, p. 5i et fliiiv. Sur rinacription hébrëo-chinoise de Khaî-fong-foa, publiée à Sfaan- ffm en i85i, voyes /oum. ofthe ameriean Oriental Society, vol. lY, p. Uhk-Hhb; New-York, i85&. Sur les Juifs de Plnde, voir J. Hough, 3^ Hiêtory Aj = pehlvi ^Qt» persan i^. De même en talmudique : pno") voie publique =:iperseji Umm^^ L'Arménie subit, encore bien plus profondément que la Perse , l'influence de la Syrie durant les siècles qili s'écoulèrent depuis la fondation du christianisme jusqu'à l'invasion musul- mane. Là , comme en Perse , le syriaque représenta l'influence chrétienne , et joua quelque temps le rôle de langue sacrée. Les traductions arméniennes de la Bible et des principaux ou- vrages ecclésiastiques furent d'abord composées sur le syria- que^. A partir de Mesrob et de Moïse de Khorène, il est vrai, une réaction assez vive se fait sentir contre les Syriens'; dès lors la partie • la plus éclairée de l'Eglise d'Arménie se place sous le patronage de Gonstantinople et abandonne les études syriaques pour les études grecques. Néanmoins Moïse ^e Kho- rène reconnaît lui-même que l'origine de la culture arménienne doit être cherchée en Syrie, qu'Ëdesse fut le centre et le point de départ commun des deux Eglises , que les annales d'Arménie furent écrites d'abord par des Syriens. Même dans les siècles ' Mém. de M. Mûller surle peblvi, dans le Journal a$iaL avril 1889, p. 996 et Boiv. ZeUichnftJur die Kundê de» McrgenUmde$,i. lY, p. !i83-98&. — Spiegel , AvêiU, t I, a* Exçon, p. 979. — P. fioetticher, Suppkmenta kanâ aramaiei; BeroL 18&8. — Land, op, cit. p. la. ^— Hoffmann, Gramm* »yr, p. 18. * Cf. Wmrich, De amcL grœc. vmtiimdnu, etc. p. ^19 et suiv. — Qnatremère, Mém, êur ki Nabot, p. 1 89. — Ghaban de Girbied, Beeh, curieuiet mr rhùt. ane'. d» PAme, p. 971 et tuiv. ' Moïae de Kborène, Hiit, éPArm, t. III , c lxi?. S80 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. qui suivirent la réaction dont je viens de parler, Tinflaenee syriaqae , bien que moins puissante , ne cessa pas entièrement de s'exercer en Arménie ^ La conséquence linguistique de ces relations mutuelles fut Tintroduction d'un certain nombre de mots syriaques dans l'arménien , et aussi de quelques mots ar- méniens dans le syriaque^. I^'esprit de prosélytisme des Nestoriens et les persécutions qui les forcèrent à refluer vers la haute Asie propagèrent bien plus loin encore l'influence de la langue syriaque , et la por*- tèrent en Tartarie, dans le Tibet, dans l'Inde et jusqu'en Chine'. La navigation de l'océan Indien et la colonisation de l'Inde furent, dès le temps des Ptolémées, la propriété des Arabes et des Syriens; un courant d'émigration, sans cesse re- nouvelé, porta, depuis cette époque, les dialectes sémitiques sur les cAtes de l'Hindoustan : il en est résulté des patois gros- siers^, dont le vrai caractère n'est pas bien connu , mais qui semblent en général se rattacher à l'arabe. Les chrétientés sy- riennes et nestoriennes de l'Inde se conservèrent jusqu'à l'aT'* rivée des Portugais, et ne furent détruites que par de longues persécutions^. Aujourd'hui encore il existe dans le Malabar, à Travancore et Gochin, une chrétienté, la méipe peutrétre que ' Voir an passage de Samuel d'Aqi, se rapportant à Tan Sgo, que j^aidtë diaprés une eommunication de M. Dulaurier. (Journal anati^, noT. dée. i853, p. &3o.) * Yoy. Bcetticber, SuppL lex, aram. Cf. ZeiUèhr^ der deuUchen morgenL Gê- «eUt<;^,t.VII,p.3!i6. ' Assemani, BibUotheea onentdUê, t III, 9* partie, diapitreB u et x. — £#- eunl de voyageê et mémoire» publiée par la eocUté de géographie, .L IV, p. a5 et Buîv. * Adelong, Mitkrid, 1. 1, p. 61 a et suiv. — Balbi, AUae ethnographie, 3* ta- bleau. ^ J. Hougfa, The hieion/ of ckrUtiam^ m îndia (Jiondon, 1839), 1 1, p. 69 et suiv. — Ritter, Erdkunde, V, p. 601 cisuîv. LIVRE III, CHAPITRE IV. 281 vit Gosmas Indicopieiistès au vi* siècle ^ qui a eonservé dans la liturgie Tusage du syriaque ^. Quant à rétablissement des Nestoriens syriens en Chine , il ne saurait être désormais révoqué en doute» M. Reinaud a le premier signalé un passage du Kitâb d-Fihrist qui donne sur ce point les détails les plus précis^. Vers la fin du xui' siècle , Barbebneus nous parle encore d'un métropolitain de la Chine ^; Guillaume de Rubruk^ et Marco Polo^ trouvent une foule de Nestoriens en Mongolie et dans tout Tempire chinois. Quelques faits curieux, recueillis parM. Quatremère, établissent que la langue syriaque était à cette époque une sorte de langue savante en Tartarie'^; enfin Klaproth et Abel-Rémusat ont sup- posé que Talphabet ouîgour , dont les alphabets mongol , kal- mouk et mandchou sont dérivés , venait de l'estranghelo par rintermédiaire des Nestoriens^. M. Reinaud a montré que les Manichéens auraient autant de droits que les Nestoriens à pré- tendre à cet honneur : les Manichéens, en efiet, eurent beau- * MonlfaacoD, ColL wna Patrum grpBC, U, 178, 336. * Qaatremère, Mém. »wr le» Nabat, p. i4o. — Rîtter, op. ctt p. 966 et siiiv. ^ Géographie érAbouiyéda, introd. p. cdi et suiv. — Gonf. Assemani, l. e, — Renaadot, AMcimmei nUuùmi dm Inde$ et de la Gtine, p. aaS et auiv. — De Gmgiiea, dans les Mmiunre$ de r Académie dee imeriftiom et hdiee -lettrée, U XXX, p. 809. — F. Nève, Établiêeementet deetruetion de la prenUàre chrétierUé en (3ùne; Loavain, 18&6. * Aasemani, BibL or» t. U, p. 955, 957; t EU, 9* part p. dxxiu. M. de Sacy a décrit {Notieee et extr» t. XII, p. 977 et auiY.) une copie d^un manuacrit syriaque de la Bible, en caractères estrangbdo, trouvé en Qiine. ^ BeeuêU de la Société de géographie, t. lY, p. 3oi et suiv. * Ghap. czLTi et czuz de sa Relation. La forme syriaque du nom d^un de ces Nestoriens, Mareardûê (Mar Sergius), est encore reconnaissablei ^ MktLeurUeNaboL p. iik&-iA5. '* Kiaprotfa, Abhandhmg iiberdieSpraeheyadSckr^ der l^guren; Paris, 1890. — . Abel-Rémasat, BeAerchee eur lee lamguee tartaree, 1. 1 , p. 99 et suiv, Jowm. dee Sov.oct 1899, p. 597^598. 282 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. coup d'importance dans les provinces au delà de i'Oxos, et y portèrent avec eux un alphabet au moins en partie syriaque^. Dans cette dernière hypothèse, par conséquent, Torigine ara- méenne de l'alphabet en question ne serait pas moins certaine. La célèbre inscription syro-chinoise de Si-'gan-^ou serait, sans contredit, le plus curieux témoignage des lointaines péré-* grinations exécutées par les Syriens, si des objections graves ne rendaient encore assez douteuse l'authenticité de ce docu- ment. heÈ caractères syriaques qui se lisent sur les bords de la pierre ressemblent , il est vrai , à l'estranghelo du vin* siècle ; mais il est bien difficile de rapporter au même temps les ca- ractères chinois de l'inscription , qui paraissent beaucoup plus modernes ^ : or dans l'édition chinoise de l'inscription qui fut imprimée en i&kli par les soins des jésuites, et que possède la Bibliothèque impériale (nouveau fonds chinois, n"* 357), il est dit que, lorsqu'on découvrit l'inscription, elle parut écrite en anciens caractères tchouan '. Des textes très-curieux , recueillis par M. Julien , et dont un extrait a été publié dans la première édition de cet ouvrage, élèvent aussi des nuages sur la réalité même des faits contenus dans l'inscription , et détrui- ' Géogr, i^AbouJfféda , introd. p. cgclzi , ccclxt. — Spiegel , GnummùHik dèr Hwo- wàrMchipra^, p. 36. ' Cf. Neumann, dans la ZeitMchrift der deuUchen morgerdœnd, Gesdbehtfi, IV Band, p. 38 et suiv. (i85o). Papprends que telle est aosâ ropinion de M. Hoff- mann de Leyde. Le seul moyen d' Mém.derAcad. det Jmer. th,^. 966.— Reinaad, Géagr.éPÂb Voir ie passage du Kitâb êlr-FUmât cité par IMl. de Sacy. (Mém. de VAcad. dm mtcr. el beUei leUreBy t L, p. 955.) LIVRE III, CHAPITRE IV. 285 venons de parler fut f influence que ia langue grecque exerça sur les langues sémitiques, et en particulier sur les langues aramëennes , dans l'intervalle qui s'écoula entre la fondation de la monarchie séleucide et l'invasion musulmane. Durant|)rès de dix siècles , le génie sémitique souffrit là une sorte d'éclipsé et abdiqua son individualité, pour subir l'ascendant de la Grèce, jusqu'au moment où, par l'islamisme, il reprend sa revanche, et s'isole plus que jamais de toute influence indo- européenne. A l'exception de la littérature arabe, toutes les littératures de l*Asie occidentale , syriaque, arménienne , géor- gienne, éthiopienne, copte, portent l'empreinte de l'influence grecque , devenue inséparable de la religion chrétienne. L'idée même du travail intellectuel et de l'écriture ne vint à plu- sieurs des peuples de l'Orient que par leur contact avec l'hel- lénisme chrétien. Une religion porte une langue avec elle; Fécriture est d'ailleurs, chez les Orientaux, une institution re- ligieuse, et Ludolf a observé avec justesse que l'initiation d'un peuple barbare à une foi nouvelle est d'ordinaire suivie de l'introduction de l'alphabet ou d'un changement dans le carac- tère nationaP. De là ce fait remarquable, que le plus ancien monument de presque toutes les littératures chrétiennes de l'Asie est une version de la Bible , révérée presque à l'égal du texte sacré. Dès l'époque des Séleucides , la Grèce prit possession de la Syrie en deçà de l'Euphrate, et y réduisit la langue syriaque à un rang secondaire^. Les campagnes, les faubourgs de villes, ^ J7wt.0lJki.IV,ci,imt. * Gonf. Wenrich, De auetontm grœe, venùmSbuê et eowimentarui gyriaeit, etc. p. 6 et suh. — WicheUutus, De N» T, venùmê tyr. ont, p. 97 et sniv. 77 et suîv. — DroyMn, Gmchiekte deê HéUênitmîu, t. II (Hamboui^g» i8&3), p. 3i, 58 et siiiv. — Granier, De itudUi quœ veter» ad aUarum gentimn contitimni ImguaM (Sondùp, 18A&), c. T. -* Spîegel, Gramm, derHmw, p. 10 etsuiv. ^ SSe HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES, et quelques localités plus rapprochées de l'EaphrMe jDU moins atteintes par l'influence grecque, telles que Dauias, Palmyre, Bérée, conservèrent seuls le dialecte araméen ou l'usage simultané des deiix langues^ Sous la domination romaine«et byzantine, l'hellénisme pénétra de plus en plus la région de rOronte et du littoral. Antioche, Béryte eurent des écoles grecques rivales des plus célèbres de l'empire. La littérature grecque et l'Eglise grecque reçurent de la Syrie leurs plus illustres représentants. Cependant la langue syriaque ne dis- parut entièrement de ces contrées que dvts les siècles qui sui- virent la conquête musulmane. La Phénicie, la Palestiu aussi complètement envahie! des Antonins, on continua légendes phéniciennes. Dane syriaque resta, jusqu'en pU partie de la population; p même nés dans ces deux paj autre cAté, opposa à l'esprit ^ que le judaïsme alexandrin. Toutes les .ten^tives des Séleu- «ides, et en particulier d'Antiochus Epiphana, pour conquérir la Judée à l'hellénisme, vinrent se ' ' ténacité des vrais Israélites. Le parti n h Jérusalem en faveur des idées grec recrudescence d'esprit national repré Macchabées. Tandis que les Juifs d'Egypte «jrceptaient pleine- ment la langue et la culture helléniques, ceui de Palestine restèrent bien plus fidèles à l'héhraîsme; l'influence grecque ' Cf.Ainm.H(rcell.XlV,Tiii,fi. ' ' AMenMni.fiiil. trient. 1 1, p. 171. ' Il Moeth, chap. m, iv, r. LIVRE ni, CHAPITRE IV. 287 ne se fit jamais sentir chez eux que d'une manière indirecte; l'idiome sémitique resta toujours leur idiome habituel. Ceci ne doit pas s'appliquer, il est vrai, à certaines villes, telles que Gésarée, Scytbopolis, en grande partie peuplées d'étran- gers, ni aux communautés de Juifs dits heUénistes, lesquels parlaient grec ou du moins un jargon hellénique (idd^iVm), et faisaient usage de la version grecque des Ecritures , malgré l'anathème des rabbins plus sévères de Jérusalem'; mais on ne peut supposer que , même dans ces familles moins pures , les études grecques aient été bien florissantes ; les fondateurs du christianisme en particidier paraissent y être restés tout à fait étrangers^. La numismatique juive présente sous ce rapport le spectacle le plus instructif. On y voit l'hébreu reparaître avec toutes les victoires de la nationalité israélite et céder la place au ^rec toutes les fois que cette nationalité souffire quelque défaite : grecques sous les Séleucides , hébraïques sous les Asmonéens , grecques sous les princes d'Idumée , hébraïques durant la pre- mière révolte, grecques après la soumission de Jérusalem, hébraïques sous Barcochébas^, les monnaies juives présen- tent, en quelque sorte, le tableau des luttes de la Palestine pour son indépendance. Après la catastrophe qui mit fin à l'existence de la synagogue de Jérusalem , l'antipathie des Juifs • ' Voy. Tahnod de Jénualem, Soia, ai, a. Rabbi Levi bar Gheita s^indigne en entendant prier en keUémque à Gésarée : «Eb quoi! loi répond le chef de ia synagogue, veni-tu donc que ceux qui ne comprennent paa le ehaidéen ne prient en aucune langue? n (Gonf. Landau, Gêùt und Spraehe der Hebrœr, p. 69 et aoiv.) Sur Tacception du mot ehaidém dans le sens de héknu, foy. d-dessus, p. 1&3, note 8. * Làmi, De m'uiiiiomapoitolorum; Florentiœ, 1738, io-S*. ^ DeSadcy, Awii. MO'lamimtimialî^/iiiafi^ (Pa i85/i),p. ii5,i5i, 1 56, etc. — Zeitêchr^ dêr d, m. G. (1867), p. i55-i56. 288 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. d'Orient pour Hieliénisme devint de plus en plus déclarée ^ L'anathème fut prononcé contre celui qui enseignerait à son fils des lettres grecques (n*»:i^ nD3n)^ Cette étude ne fut per- mise qu'aux femmes, en guise de parure', et il ne resta d'autre trace de l'influence grecque et romaine en Judée qu'un certain nombre de mots grecs et latins engagés dans la langue de la Mischna et du Talmud ^. H est remarquable, du reste, que les mots introduits dans les langues orientales par l'effet de la conquête grecque sont transcrits, non suivant la prononciation de la langue clas- sique , mais suivant les analogies du dialecte macédonien , qui se rapprochait, comme on sait, des patois grossiers de la Béo- tie et de l'Ëolide^; ainsi ¥v y est toujours rendu par au : n^:ffeD)D = ovii(poûvla [Dan. m, 5, i5); as>aje^i*id =^ xtpSuPOfy comme âouyémpi xoSvBSy en éoHen et en béotien. La diphtbongue a est de même rendue par ùu : oj^il =s: kftopoL Or on sait que les Béotiens changeaient régulièrement oi en t/, et que cet v,,ils le prononçaient au; en sorte qu'ils disaient xoXti pour xoXo/, xcùJuç pour xoîkoU^ Les mêmes particularités * Cf. Ernesti, De Judœorym odio ad»enuê Utêras grœeas; lipsic, 1758, ih-k*. * Yoùr k cnneade Cible rapportée à ce nijet dans le Talmud, BtAa Kama^ Sa t a ; Soto» ^9, a ; Mênaehoih, 6& , a. » rh D>c;3n H^nv >aDD n^2v ma nn tdVV uivh 'inio. (Talmud de Jérusalem, iV«A, 3, 1.) * Gonf, Gdger, LBhHmek zmt Spraehe dêr Miiehnak, p. i& et suit. — Dukea, Diê Spraekê âîr Miê^mak, p. 5, 9. ^- Landau, Gmêt mi Sptaekê der JMrmer, p. 71 et auiv. * Voir, pour plus de développemeula, m»Eclairei$$emmU Mb det kmguet U- niùiquei sur quelfum pomiê de la pnmoneiation grecque (Paria, 1869), p. 19, a6 et soiv. et G. Seyffarthy De prommUaiione vocaUvm grœearvm veteribue Seriplurœ Saerœ interpretibuÊ ntttota, particula prima; lipsiœ, sine anno. * ApoUonius, De prtmomme, p. 95, 193, etc. (edid. Bekker) ; Kaw97. O/xo- p^iios, Hepl T^t yfUftias mpo^pSg rfiç èXXnp$xîit y^^wtme. Tfc. 6, xaÇ. ^, S 1; Saint-Péteraboui^, ]83o. LIVRE m, CHAPITRE IV. 289 se remarquent dans les mots grecs empruntés par le copte ^; ce n'est qu'à une époque plus moderne que la prononciation complètement iotaciste l'emporta dans les transcriptions de l'Orient». L'Euphrate peut être considéré comme la limite approxi- mative des progrès de la langue grecque en Orient. En Mé* sopotamie , en Arménie , en Perse même , les études helléni- ques furent souvent florissantes; mais, si l'on excepte les villes fondées par les Séleucides , jamais la langue grecque n'arriva , dans ces contrées , à l'importance qu'elle obtint dans la région plus rapprochée de la Méditerranée. Tandis que les inscriptions grecques abondent dans la Syrie en deçà de TEuphrate , à peine le recueil de MM. Bœckh et Franz' en fournit-il deux ou trois , et encore singulièrement barbares , pour la Mésopotamie. La langue araméenne demeura toujours la langue propre du pays. Au IV* et au V* siècle , le syriaque paraît avoir été seul en usage dans les écoles publiques^; saint Ephrem, la gloire de l'Église ^ Voy. Quatremère, J CorpHÊ huer^L grœe. voL III, p. «77. H est remarquable pourtant que plu> sieurs fleuves de Mésopotamie et d\Assyrie portent un double nom, grec et sy- riaque : ^^? ou Daùan ^ Zx/prof (Assem. BAL or. I, p. 119, 4ia, note); Zùb ta T/jfeuê; Zabats ss Qfnu. (Voy. ci-dessus, p. 69). Ces deni derniers noms paraiaseilt associés dans le mot KAIIPOZABAA MON d^une inscription de Trènres (E.Leblant, buer^î. diréL de la Gauk, I, p. 3a6).La région du Zab four- masaît A Tempire une foule de gens eierçant les petits métiers (j^rw), et dont la langue ordinaire était le grec Les Syriens établis en Gaule , dont parle Gr^ire de Tours (Vill, 1; X, 96), étaient sans doute des Orientaux pariant grec * Wiseman, Horm tyr. a* part S 5, note. — Wichelhaus, De N. T. ven. syr. ont, p. 81 et suiv. — Kopp, I^œf. ad Damaseîiim, «cpj kpxfiV' I. 19 290 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITEQUES. syrienne à cette époque, ignorait le grec^; Eusèbe d*Emèse, son contemporain , Tapprit dans une école particulière , comme une langue savante^. Les hommes les plus instruits de la Méso- potamie n'entendaient souvent que le syriaque'; la traduction des livres , surtout deâ livres esclésiastiques , était une fonc- tion attitrée dans l'église de Syrie ^. Au V* siècle, les études grecques prirent un développement tout nouveau en Mésopotamie , grâce à l'école d'Edesse » qui était devenue l'asile des Nestoriens'. Après la destruction de l'école nestorienne d'Edesse, en ^89, ces études passèrent aux Jaçobites ou Monophysites , et ne cessèrent de produire entre leurs mains d'assez beaux résultats durant les vi% vu* et viii^ siècles. L'initiation des Arabes à la science hellénique, qui se fait surtout au ix* siècle , est en grande partie Tœuvre des Syriens. Peu à p0u, cependant, la connaissance de la langue grecque allait en, déclinant chez ces derniers; à partir du xi* siècle, on ne trouve plus que quelques individus isolés qui la possèdent. Quant aux Arabes, j'ai essayé de prouver que jamais les études grecques n'ont été cultivées parmi eux , que presque toutes les traductions d'auteurs grecs en arabe ont été faites du syriaque , ou du moins par des Syriens, et qu'il n'y aurait pas beaucoup ' Aasemani, BibUothêea crienUiUê, t I, p. 39, 66, 68. La l^ende rapporte que, dans la vinte que fit saint Epbrem à saint Basile, les deux saints, par un mirade, se donnèrent réciproquement, Tun la focilitë de parler grec, Tautre celle de parler syriaque. * Ta ÉXXi^vwf mtuitfi&ûi «api TqSf mivuta^a iv t^ Èêé00ip; )ji^o = vélum; j\iAJ^ = centenarium^; mais alors la forme est, en général, très-altérée , et souvent même elle a traversé, sans qu'on s'en doute, le grec byzantin : ud\jolj] zi^Svvonfay etc.^ Orose, et peut-être quelques auteurs d'agro- nomie', sont les seuls écrivains latins qui aient été traduits dans les langues sémitiques , et encore ces traductions ont-elles été faites en Espagne. L'existence même de Rome est conmie un mytbe pour les Orientaux, et son nom {^Boum) désigne pour eux le monde byzantin. * Gonf. Wisemao , Horœ tyr, a* part. S 5 , note. — Jahn, Eleni, a$*a>n, Unguay Si8,iT. ' Hoflmann, Gram. lyr.p. a a. ' De Sacy, Relatim de l'Egypte par AbdaUaitf, p. A 96, 5oo. — Wenricb, De auet. grœe. ven. »yr, arab, etc. p. 99 et suiv. LIVRE QUATRIÈME. TROISIÈME ÉPOQUE DU DÉVELOPPEMENT DES LANGUES SÉMITIQUES.^ PÉRIODE ARARE. CHAPITRE PREMIER. BRANCHE MÉRIDIONALE, JOETANIDE OU SABÉBNNE. {hjmyaritb, imopiBu,) s I. Les cinq ou six premiers siècles de Tère chrétienne sont Té- poque de décadence d&ia race sémitique. Le judaïsme, chassé violemment de sa terre natale , devient de plus en plus cosmo- polite. Le christianisme, qui n*est un produit sémitique que par une seule de ses nombreuses racines, se fait de plus en plus grec et latin , et , ainsi transformé , revient envahir la Syrie. Les différents dialectes de la famille se chargeât de mots étran- gers; appliqués & un ordre d'idées qui n'a rien de sémitique, ils perdent leur grâce, leur flexibilité, leur richesse. L'Arabie elle-même, la seule région où la rie ancienne des Sémites se continuât encore , était pénétrée de jour en jour par les in- fluences du dehors. Au sud , TYémen était envahi par les Abys- 298 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. sins; au nord, les royaumes de Petra^ de Hira, de Ghassan se trouvaient entraînés dans le mouvement de la Syrie , et , comme elle, relevaient, soit de Tempire grec, soit des Sassanides; à l'ouest , le Bahrein était occupé par les Persans. En religion , même lutte de forces opposées et ayant leur point d'appui hors de l'Arabie. Les Juifs, d'un côté, exerçaient un prosély- tiiffiBe;actif et avaient converti des pays entiers à leur foi; les Syriens, les Grecs, les Abyssins, d'un autre côté, poussaient vivement au développement du christianisme, et bâtissaient des kalU (^êxHXvo-ia)* Le Kaysar et le Kesra étaient conmie deux suzerains auxquelles scheikhs arabes s'en référaient dans leurs dissentiments. On pouvait croire l'originalité sémitique éteinte à jamais, quand tout à coup cette originalité se réveille par l'apparition la plus étrange et la plus inattendue dont l'histoire ait gardé le souvenir. Jamais race, avant d'arriver à la conscience, ne dormit d'un sommeil si long et si profond que la race arabe. Jusqu'à ce mou- vement extraordinaire qui nous la montre tout à coup conqué- rante et créatrice , l'Arabie n'a aucune place dans l'histoire po- litique, intellectuelle, religieuse du mondes Elle n'a pas de haute antiquité; elle est si jeune dans l'histoire , que le vi* siècle est son âge héroïque, et que les premiers siècles de notre ère appartiennent pour elle aux ténèbres anté-historiques ^ Tout ce qu'elle raconte sur les origines, sauf peut-être quelques généalogies, elle l'a emprunté aux traditions juives, défigurées par des rapproeiiements arbitraires oti des erreurs évidentes^: ' LMrabie du nord doit être en tout ceci exceptée. Voir les indiietioiia que j*éi tirées det iiucriptions.de l-Auranitide (BnU^m orehéQh^ifuefrqHçmê, septembre i856), ' G^esl ainsi que BeUcû , le nom de la reine de Saba , est venu , par le clian- getnenl des points diacritiques, de J^ixavhs, nom que Josèphe donne à cette LIVRE IV, CHAPITRE L 299 une saine cridcjne n'en peut guère tenir compte, et il est surprenant que des savants di^ngués aient accordé une sé- rieuse confiance à des documents aussi défectueux. Il est plus surprenant encore que l'on ait présenté si longtemps la tra- dition arabe sur les patriarches comme parallèle à la tradition juive et lui servant de confirmation, tandis qu'il est indubitable que la tradition arabe n'est en cela qu'un écho altéf*é de la tradition juive ^. Les Arabes, en effet, n'ayant pas de vieux souvenirs écrits , et tKUvant à côté d'eux , dans les premiers siècles de notre ère , un peuple qui en avait , adoptèrent de confiance toutes les histoires des Juifs , et y relevèrent avec avi- dité les traitsqui de près* ou de loin se rattachaient à l'Arabie, par exemple ce qui est relatif à Ismaël , à Kéthura , aux Ama- lécites , i la reine de Saba. La célébrité des personnages bi- bliques, d'Abraham, de Job, de Salomon, ne date chez les Arabes que du v^ siècle. Les Juifs ( les gens du livre) avaient tenu jusque-là les archives* de la race sémitique, et les Arabes recon- naissaient leur supériorité en érudition. Le livre des Juifs par- lait des Arabes et leur attribuait une généalogie ; il n'en fallait pas davantage pour inspirer à ces derniers une foi entière : tel est le prestige do livre sur les peuples naïfs, toujours em- pressés de se rattacher aux origines écrites des peuples plus ci- vilisés. Les traditions bîbKques sont ainsi arrivées à une seconde cmisécration aux yeux de l'Orient. Si elles paraissent dans le * reine. (De Saç]^ ChreiUm- III, 53o4 Le nom de Caktm (jLu n'est sans doute que celai de loktau ^jJoaj « altéré de la même manière, et recueilli de la bouche d'un Juif, qui prononçait le k comme un h aspiré. ^ On commet la même faute quand on aecotde quelque valeur aui récits de Josèpbe sur les temps anciens de Thistoire du peuple juif. Cet auteur, en effet, n*avait entre les mains aucun document que nous n'ayons nous-mêmes, et quand il ajoute quelque chose au texte de la Bible, il le tire ou de l'opinion qui avait comv de son temps, ou de rapprochements fictifs, ou de sa propre imagination. 300 HISTOIRE DES LANGUES SÉMtTlOUES. Coran notablement différentes de ce qu'elles sont ehez les anciens Hébreux, c'est que leà Arabes s'en tenaient à dea ré- cits populaires , faits de vive voix et presque toujours apocryphes ; . d'où il est résulté que les histoire» du Coran ressemblent beau^- coup plus aux contes des rabbins qu'à la Bible. La critiqua ne saurait, en tout cas, accordiw une valeur considérable à la tra- dition orale chez des peuples qui n'ont cpnunencé à -^rire qu'à une époque très-moderne , surtout quand ces peuj^es étaient dominés par j'ascendant d'une race him plus riche en sou- venirs. L'islamisme ne fui pas la cause, eommé on lo réj^èle sou- vent, mais bien l'effet du réveil de la nation arabe. Ce réveil est antérieur au moins d'un siècle à Mahomet. Dès te vi* siècle, la langue arabe, qui n'avait été fixée judque-là par aùuA mo- nument écrit, nous apparaît tout à coup avec ses fofmes savantes et raffinées , dans des poésies frappées au coin d'une singulière originalité. Ce fut une vraie renaissance du sémitisme, une floraison inattendue de l'esprit ancien , par une tiranehe qui jusque-là était restée complètement stérile; et ce qu'il y ^ de remarquable, c'est que cette nouvelle littérature sâmilique, apparaissant ainsi dans l'arrière-saison , est peut-être la plus pure de toutes , je veux dire celle où se dessinent le phis net- tement les traits de la race, sans mélange d'aucun élément étranger. Nulle part n'apparaissent mieux cet extrême égoisme , ces passions indomptables, cette préoccupatioû exclusive de soi-même, qui forment le fond âxx caractère sémitique. L'Ar rabie offrait, pour me ^rvif de la belle image d'un poëte hé- breu S le spectacle d'un peuple qui na pamt été remuée destus sa Ue et a conservé totUe sa saveur. C'est que la vie du bédouin ^ ' Ce mot désigne f Arabe nomade y par ^^pponU^n à TArabe ciWtn, qai, dans LIVRE IV. CHA4>ITftË I. 301 est, par excellence» 4a vie du Séniite; toutes les fois que la race arabe* s'est renfermée dans la vie.«itadjne ^ elle y a perdu ses qufljités essentielles, sa fierté, sa grâce , sa sévère majesté, et ce n'est pas sans raison qu'aux yeux des Arabes le séjour au désert est le complément nécessaire de toute éducation dis- tinguée. L'islamisme lui-même, qu'estril autre chose qu'une réaction du monothéisme sémitique contre la doctrine de la Trinité et de l'Incarnation , par laquelle le christianisme cher- chait, en suivant des idées d'origine indo-européenne, à in- troduire en Dieu des rerations impliquant diversité et vie? Les traditions arabes sur la différence des idiomes cahtanique et iwiaiUqne, sur fadoption de la langue arabe par Yarob, sur la distinction des Àf^, Mautéarriba et Maustariba, sur la prio- rité du syriaque relotiio^ment à la langue arabe S répandent bien peu de lumières sur les obscurités qui enveloppent lliis^ toire primitive des langues de l'Arabie. Les vérités qu'on peut démâer au-dessous de ce tissu de fables et de contradictions, telles que la distinction des dialectes de l'Yémen (>a^ ^^^f^) et de l'Hedjai (iuâ:^! iUj^l, arabe pur); la prédominance que prit, verâ l'époque iie Fislamisme, le dialecte de l'Hedjaz; la primauté littéraire des Syriens sur* les Arabes , sont de celles que la science eût découvertes , lors même qu'elle n'eût pas eu poijr wt fixer h cet égard le témoignage des historiens mu- sulmans. L'absence complète de critique rend le témoignage de ceux -ci assez Kg^ quand il s'agit d'époques reculées et ropinion des Arabes, n'est qa*im Arabe dégénéré. (Voir sur ce point les réflexions ingénieuses d'Um-Skaldoun , dans ses Fîvlégomèneê , l. II , ch. i-tii.) ' Canssin de Bsreeval, ÊÊêâi mr rkûL in Arabe$ aifant rûlomtJtm, t. I, p. 7 et suiT. 5o, 56 etsoiv. — Fresnel, dans leJotmo/ atiatique, }uîn i838, p. 636 et SUIT. — Ibn-Khddoun , JM^gcmèneê , chapîlfc traduit par M. de Sacy, dans son anAê, f, hoB et suiv. 302 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. de faits qui, pour être bien observes, demandent un don par^ ticulier de finesse et de pénétration. C'est par la langue de ITémen que nous devons commencer l'histoire des langues de la péninsule arabe et de l'Âbyssinie. Les recherches de M. Fresnel sur les idiomes de TArabie mé* ridionale, la découverte d'un grand nombre d'inscriptions hi* myarites, l'analogie reconnue entre l'himyarite et l'éthiopien ou ghez ont, depuis quelques années, renouvelé ces études et ajouté , on peut le dire , une nouvelle branche à la famille sémitique. La profonde différence* qui sépare le dialecte hi* myarite de l'arabe suffirait, en effet, pour assigner une place distincte à la langue de l'Yémen :■ toutefois la science n'est pas assez avancée pour qu'il soit perpiis de créer une pareille ca- tégorie. Il suffit d'avertir ici qu'à côté des trois groupes, ara- méen, chananéen et arabe, une classificQtien rigoureuse des langues sémitiques en placerait peut-être un quatrième, le groupe méridional, quW appellera, si l'on veut, couschite ou sabéen, occupant les deux côtés du détroit de Bâb-el- Mandeb, et qui paraît avoir eu, depuis la plus haute anti- quité jusqu'à nos jours, son individualité distincte. Seulement ce groupe n'ayant pas dans l'histoire l'importance des trois autres , l'himyarite et l'éthiopien ne figureront longtemps en- core dans le tableau des langues sémitiques que comme ayant préparé l'avènement de Tarabe, c'est-à-dire du rameau sémi- tique qui se développa le dernier et arriva , en absorbant les dialectes congénères , à la domination universelle. « n. Tous les auteurs arabes s'accordent à dire que l'ancienne langue de ITémen ou Is^gue himyarite différait de l'arabe maaddique ou de Modhar, à tel point que ceux qui parlaient LIVRE IV, CHAPITRE I. 303 ces deux langues ne pouvaient souvent se comjHreadre ^ Le mot flsL^y employé généralement pour désigner un paiier barbare et inintelligible , s'applique spécialement à la langue de TAbyssinie et de ITémen ^. Les lexicographes et les bisto-* riens arabes nous ont, du reste, conservé un grand nombre de mots et tle phrases qui attestent cette différence '• Des inductions très-fortes avaient fait penser depuis long- temps aux savants versés dans Tétude des langues sémitiques que les restes de la langue himyarite devaient être cherchés dans le ghez ou l'éthiopien ; mais on ne croyait pas que la langue himyarite fût encore parlée de nos jours par plusieurs peuplades de l'Arabie méridionale. En 1837, M. Fulgence Fresnel, alors consul de France à Djedda, obtint, pour la pre* mière fois , une connaissance précise de l'idiome parlé entre le Hadramaut et l'Oman, surtout dans le pays de Mahrah, à Mirbat et à Zhéfar^. Cet idiome, qu'il nomma ehkiU ( JlX».!), ^ Pococke,5jxcMwgw hûL AnAmn, p. 1 55 et soiv. (édit. White). — DeSacy, AntkoL grammatieale arabe, p. At3. * Moallaka d'Antara, v. 95. — Conf. Freytag, L$x. arab, lot» 9, h, v. et de Sacy, Anthol. gramm. arabe, p. iJ^. ^ Aux expreanons déjà oo&dimb, on peut ajooter une phrate himyarite con- Berrée par Dm-Badroun, dans son Commentaire eur le pome d'BmrAbdoun (édit. de M. R. Doiy, Leyde, 1868), p. 10, et quelques expressions recueUjies par M. Tabbé Barges dans THistoire des Benî-Zeyan, par Mohammed ben Abdallah el*Ténaci (Jomnal aeiati^, octobre 18&9). * Jomnal osiat. juin «juillet et décembre 1 838. — Gonf. Gesenins , dans VAUgê- marne LUeraimr'Zeihmg, de Halle, juâlet 18&1, col. 869 et suiv. — Rasdiger, ZeHeekr^Jur die Ktmde dee Morgenlandm, t. III, p. 988 et suiv. Le D* Krapf et M. Carter ont donné, le premier dans la ZeUeekr^fir die Wieeeneelufi der Spraehe de Hcsfer, t I (18&6), p. Si 1 et suiv. le second dans le Journal of tKe Romr- hojf Bramek of the R, A. 5. juin 18&7, quelques spécimens de la même langue. La physionomie barbare de Tidiome de Mahnh avait du reste été remarquée par un grand nombre d^historiens et de géographes arabes. (Gonf. Ritter, ErdJmnde, i. XII, p. à^-hh.) 30& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. du nom de la race noble qui le parle , lui apparut comme un dialecte sémitique, notablement différent de l'arabe et se rap- prochant parfois de l'hébreu. Il se trouva également amené à y voir un reste de l'ancienne langue himyarite et k le rap- procher par conséquent de l'éthiopien. Vers le même temps, de nombreuses inscriptions, prove* nant des ruines qui couvrent le sol dans la région de Mareb et de Sana \ vinrent jeter un grand jour sur l'histoire de l'Yémen. Dès le conunencement de notre siècle, on connut quelques-unes de ces inscriptions par Seetzen ^. Le voyage de Weilsted et GiMittenden, entrepris en i83o pour explorer les cotes de l'Arabie, en augmenta beaucoup le nombre^. En i8&3, l'6iq)loratîon de M. Th. Jos. Arnaud, poussée jusqu'à Mareb avec un admirable dévouement , a fourni elle seule cin- quante-six textes nouveaux, dont quelques-uns d'une grande étendue ^. Il résulte de la relation du courageux voyageur, que la mine à exploiter sur ce point est en quelque sorte infinie, et que l'épigraphie himyarite est destinée à devenir une des branches les plus riches et les plus intéressantes des études de l'Orient» Malheureusement les préjugés bizarres des ha- ^ Les aaftenn arabes en parient fréquemment (Voy. de Sacy, Mén. de VAcad. deë imcr, t. L, p. a66 et saiv.) * FwndgnAtn dêê Orimutt , II « aSa et soiv. Niebuhr eut des renseignements sur Teiistence des inscriptions himyarites; mais quoiqu'il ait dû passer fort près de plusieurs d'entre elles, il n'en aperçut aucune. {De$efiption de V Arabie, p. 83.) > J. fié Wellsted, 7Wim& m Arahia (London, i838), a vol. Jaurmd of the R. Geogr. SoeiêÈy, vol. VOI, p. A 76; i838. * Ces inscriptions ont été publiées par M. Mohl et étudiées par M. Presnel. {Jomnal amatiqtiê, février-mars, avril-mai , sepL oct 1 8&5.) M. de Wrede a trouvé depuis une nouvelle inscription dans la vallée de Doan. {Jcumal 4t9iatiqu$, no- vembre 18&5, p. 396.) On peut en voir une autre dans h ZnUehinftfir dk Ktmdê dt$ Morgmiandet, t. Y (18&&), p. so5 et suiv. Le Journal of ihe Bambojf Branek oftkêR, A, S. (octobre t86&) contient aussi quelques textes d'un grand intérêt, dont on n'a pas tenu asseï de compte jusqu'ici. LIVRE IV, CHAPITRE I. • 305 bitants opposeront longtemps aux recherches des difficultés presque insuimontables, et seront peut-être plus funestes à la conservation des monuments que ne l'ont été jusqu'ici des siècles d'oubli. . Enfin deux manuscrits de la bibliothèque de Berlin ont fourni à M. Rœdiger ' des alphabets himyarites , dont }a con- formité avec le caractère des inscriptions n'est pas douteuse. Beaucoup d'autres manuscrits arabes et persans contiennent de ces sortes d'alphabets; mais les formes en sont si altérées, qu'il est difficile d'en tirer quelque secours^. Grâce à toutes ces découvertes, on peut désormais parler avec certitude de la langue et de la littérature ancienne de l'Yémen. Et d'abord , il faut admettre , ce semble , que l'ehkili ou mahri nous représente , dans une certaine mesure , la langue himyarite , expulsée d'une grande partie de son domaine par l'arabe koreischite, lorsque celui-ci fut devenu inséparable de la conquête musulmane. Édrisi' avait déjà identifié la langue du Mahrah avec l'himyarite. On comprend que la région de Mahrah, regardée par les Arabes de l'Hedjaz comme tout à fait barbare, et qui, jusqu'à ces dernières années, était restée ' ZêitiehnftfSr dm Ktmdê dn Morgêtdandei , 1 1, p. 339 et soiv. * îbid, t V, p. 9 1 1 et 8uiv.— Micheiangelo Land , Su gU Omirmd H hrofmne di Mcrwen trovatê ne* eodiei vaiieam ; Roma ,1890. — Fourmoot et Aasemani avaient pris poor des caracUres himyarites certaines formules de talismans qu'on trouTe en tète de quelques manuscrits arabes, par exemple du numéro 889 A de Tancien fonds de la Bibl. imp. et des numéros 7 9 7, 769 du Vatican. (Voir le catalogue publié par le card. Ifaî, dans la Scriptcrum veterum nova CoUeetio, i, IV, p. 608, 616.) Pai pu comparer ces formules dans les manuscrits de Rome et de Paris; j'en ai reconnu la parfaite identité; mais on chercherait vainement la moindre analogie entre les caractères qui les composent et ceux des inscriptions himyarites, tds qu'ils nous sont maintenant connus. Assemani a commis une erreur plus grave encore en voulant trouver le caractère himyarite dans un alphabet secret contenu dans le numéro 998 du Vatican. (Galal. cité, p. hh^hbo.) ' Géographie d'Edrûif trad. Jaubert, 1 1, p. i5o. • I. 0 90 306 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES, presque fermée à l'islamisme ', ail pu conserver, mieux qu'au- cun autre pays, des traces de la langue primitive de l'Arabie méridionale, depuis longtemps presque effacée dans l'Yémen. Toutefois, cette assertion ne doit pas être prise d'une manière trop absolue : H. Osiander a prouvé qu'un grand nombre do iapgues ont été parlées dans l'Arabie méridionale, et que le mahri n*a pas un droit exclusif aux titres de noblesse que lui a décernés M. Fresnel '. Les essais de grammaire donnés par M. Fresnel, joints au recueil de mots et de phrases que Ton doit à Af. Krapf et à lis hors de doute le caractère sémitique des ïh, de Mirbat et de Zhéfar. Ces dialectes, il t par moments se rapprocher du copte ^, et as porteraient à les ranger dans ia famille des laagiies chamitiques; mais de vagues soupçons ne sauraient évidemment balancée l'opinion des deux savants qui , seuls jus- qu'ici, ont connu le mahri , ni tenir devant les faits qu'ib citent. Les plus graves anomalies que présente le mahri , au point de vue de la grammaire sémitique, s'expliquent par la corruption inséparable d'un langage qui n'a jamais été écrit. Presque toutes les particularités d'organe et de prononciation qui caractéri- sent le mahri se retrouvent dans le ghez , sans que l'on songe pour cela à mettre en doute le caractère sémitique de cette der- nière langue. Ainsi le râle des voyelles est, en mahri et en ghez, fort différent de ce qu'il est dans les antres dialectes sé- mitiques, et l'on conçoit que les langues dont nous parions aient été amenées à se faire , pour In notation des voyelles , un > Jovmal atiat. juin 1 838 , p. 536. * Ziittchriftdtrd.n. G. (.856), p. So-Sa. ■ Voir Geseoiua, dans l'AUgiHtm Uttratmr-Zâitmg de Halle, juillet iSAt, ool. 373-374. LIVRE IV, CHAPITRE I. 307 système tout particulier et beaucoup plus compliqué que celui des autres idiomes de la même famille. Le mahri, comme le ghez, possède un certain nombre d'articulations qui lui sont propres 9 et d'où résultent , pour les mots et les formes sémi- tiques, des altérations qui ont beaucoup d'analogie avec celles que les peuples celtiques ont fait subir au latin. Ainsi l'arti- culation / devant une consonne se change en u : v^pour ««J^, i^^\ pour vjUt , comme en français paume pour palme ^ sans parler d'une foule d'élisions et de chutes de consonnes. La principale analogie du mahri avec l'éthiopien et aussi, il faut le dire , avec le copte est l'emploi du son k au lieu du son t aux adformantes de la seconde personne du prétérit : 1, D3 , ]3 , au lieu de n , on , in ^. Comme en éthiopien , le rap- port d'adnexion s'y exprime par t. Les seules formes du verbe que M. Fresnel ait pu reconnaître sont la deuxième et la hui-^ tième des Arabes, et une autre forme ayant pour caractéris- tique le V, forme dont on trouve quelques exemples en hébreu et en syriaque, mais qui a une importance capitale en copte. Le système de la conjugaison, dans son ensemble, est sé- mitique, avec quelques particularités qui se rapprochent de l'amharique et du copte. La troisième personne plurielle du prétérit a laissé tomber son adformante, comme cela a lieu en mendalte, et même en syriaque pour la prononciation. L'article a perdu complètement le lamed^. ' Cette parlîcalaritiS se remarquerait ëgalemènt, selon Gesenins (/. r.), en phé- nicien et en amharique. * Gesenins retrouve le même fait dans le patois maltais et dans le samarilaîn moderne. (Gonf. Gesenins, Carmina$amaritana, p. 63. — Uhlcmann, JmtiU Img, êtmuHrit. p. 38.) ' TeDc est du moins Tassertion de M. Fresnel. {Journal asiatique, juin i838, p. 5*7. ) D*autres faits, cités par M. Paul-Emile Botta {Beîation d'un voyage dam rYémm, p. i&i-i/ia; Paris, 18A1), établiraient que rarlicle se prononce oum ou em, pour on/, el. Un passao^e de Hariri (de Sacy, Anth, gramm, arabe, p. 110) et 90. 308 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. En général, on le voit, toutes ces analogies font rentrer le mahri dans la classe des dialectes vulgaires, tels que Taniha- rique, le maltais, le samaritain, le mendaite, qui n*ontpas été l'objet d'une culture grammaticale, et se sont altérés dans la bouche du peuple pendant de longs siècles, faute d'avoir été gardés par l'écriture ^ On peut dire que cette langue occupe à peu près , à l'égard du ghez , la place que le mendaîte occupe à l'égard du syriaque. Cependant quelques particularités, par exemple la présence du duel à toutes les personnes du verbe , l'emploi étendu du passif, formé, comme en arabe, par le simple changement des voyelles, rappellent les complications de la grammaire arabe. Un certain nombre de mots ou d'ac- ceptions de mots possédés en commun par le mahri et l'hébreu , comme ditd, jambe, qui se retrouve en phénicien^; aay, ai- mer, etc. rattachent d'ailleurs le dialecte dont nous parlons aux âges anciens des langues sémitiques et semblent le rap- procher de la famille du nord '. S m. Le déchiffrement des inscriptions himyarites n'est pas en- core assez avancé pour qu'il soit permis d'énoncer un jugement précis sur le caractère de la langue dans laquelle elles sont écrites. Il résulte pourtant des travaux de Rœdiger^, Gesenius^, d^autres autorités citées par M. Tabbé Barges (/oum. ottaf. octobre 18&9 , p. 3â6- 3&7) prouvent que telle était en effet la prononciation des Himyarites. ^ L^espérance de trouver des ouvrages écrits en mahri n^est pourtant pas com- plètement perdue. (Voy. Krapf, dans la Zet^Arj^de Hœfer, 1. 1, p. 3i5.) ^ Voy. drdessus, p. 190. — Cf. ZeiUehr^ de Hœfer, 1. 1, p. 3ii. ' Carter, dans le Jawrrud of the Bombay Bratteh oj ih» Rcyal A»iatie Sodêiy, juin 18&7, p. 365. ^ ZeiUekriJi Jvr die Kunde de$ Morgenlandsi (Gœttingue, 1837), p. 33a et suiv. Venueh ûber die Himjaritiichen Sehrifbnomimente ; Halle , 1 8& 1 . ^ AUg&meme Literatmr'ZêiUing de Halle, juillet i8/ki,col. 376 et suiv. LIVRE IV, CHAPITRE I. 309 FresnelS Ewald^, et surtout de la belle étude de M. Osiander^, que cette langue, comme on devait s'y attendre, est analogue à l'éthiopien et se rapproche en certains points de l'hébreu. Pococke avait déjà remarqué , d'après les renseignements four- nis par les auteurs arabes , que la langue himyarite s'éloignait moins que l'arabe proprement dit des dialectes sémitiques du Nord K Les noms propres surtout, tels que les rétablit M. Osian- der, ressemblent singulièrement aux noms hébreux ou phéni- ciens, et confirment l'induction qu'on était déjà porté à tirer des noms Xapi€a?/X et ÈXéaloç, fournis par le Périple attribué à Arrien^ L'himyarite possédait, comme l'arabe et l'éthiopien, le mécanisme des pluriels brisés ; comme l'hébreu , l'état cons- truit : on n'y a point constaté d'une manière certaine la pré- sence de l'article^. Le nom de Dieu y paraît sous la forme an- tique et monothéiste , Sk ''. La date des inscriptions himyarites que nous connaissons est encore incertaine^; mais on peut affirmer que le fait seul de leur existence suffit pour renverser l'opinion de M. de Sacy, qui supposait, d'après le témoignage des auteurs arabes, que l'écriture avait été introduite dans l'Yémen par* les Abyssins chrétiens^. C'est, au contraire, l'alphabet himyarite qui doit être considéré comme le prototype de l'alphabet du ghez, puis- * Journal atûUiçue, septembre-octobre i8&5, p. igS et suiv. - ZeUichrtftfir die Wiitetuehtfi dêrSpraeheàe Hœfer, 1. 1, p. 996 et suiv. — Cf. Bunsen, OutUnet, t. I, p. 9»s et suiv. ' ZeUêdur^ dêr d, m. G, (i856), p. 1 7 et suiv. ^ S^pmmmhùU ArobtfmyT^. 157. ' G. MûUer, G«ogr. gr.mm. L I, p. 97/i, 977. ^ Voy. cependant Levy , dans la ZnUehr^ dêr d, m. 6. (1867), p. 73-7 â. ^ Osîander, mém. cité, p. 60 et suiv. ** M. Bunsen {OutUnêt, t. I,p. 996-997) P^i*^^ ^^ exagi*rer beaucoup Panti- quilc. " Mém, de VAead. deê iruer. et beUe»-Ultrei , t. L, p. 288 et suiv. L'erreur 310 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. qae Talphabet hîmyarite procède de droite à gauche, comme tous les autres alphabets sémitiques \ et qu'on n'y trouve pas encore le mécanisme si délicat de voyelles qui caractérise Tal- phabet ghez. Quoi qu'il en soit, l'alphabet himyarite est cer- tainement celui que les historiens arabes désignent par le nom de muanad, bien que les notions qu'ils nous donnent à cet égard soient fort contradictoires , et que même le nom de mus- nad ait servi à désigner chez eux tous les caractères inconnus'. Il est probable , du reste , que le caractère syriaque estranghelo fut employé dans l'Yémen, conjointement avec le musnad, surtout par les Chrétiens '. Gesenius rattache l'alphabet himyarite à la souche conmiune de tous les alphabets sémitiques, à l'alphabet phénicien ^. L'alphabet himyarite-éthiopien présente, en effet, plusieurs traits d'analogie avec l'ensemble des alphabets sémitiques ; par exemple, la présence de 1'^ et du y, l'absence de voyelles iso- lées , sans parler de plusieurs formes de caractères tout à fait de M. de Sacy s'cxpliijue natureliement quand on songe qu^aucune inecription himyarite n^était connue à Tëpoquo où il écrivit son mémoire. 11 est remarquable, du reste, que, sans avoir vu aucun de ces monuments, Tillustre arabisant ait pu deviner Tidentité de Talpbabet himyarite ou musnad avec Talphabet ghex. {Mén. (le l'Acad. deê itiscr. etc. t. L, p. 376 et suiv.) ^ L^opinion contraire fut soutenue par M. de Sacy, et même d^abord par M. Fresnei. Roediger et Gesenius Tont réfutée. * Pococke, Spécimen hULÂrabumt p. 160 et suiv. (édit. White). — De Sacy , dans les MétiL, do VAcad. des imcr, et beUee-leUre» , t. L, p. s 56 et suiv. — Qua- tremère, Reeh. sur la langue et la lUt. de V Egypte , p. s 73. —Fresnei, dans te Jc^^mal aeiat, décembre i838,p. 556 et suiv. — Gaussin de Percevai, Essai sur VhÎBloire des Arche» avant Viêlamisme, 1. 1, p. 78, 8i. ' De Sacy, op. cit, p. s66, 386, 393 et suiv. * AUgem. lÂteratur-Zeitung , loc. cit. et dans VEneycL d^Ersch et Gruber, t. Il , p. 113. — Cf. Journal of the Bombay Branch oj the R, A, S, octobre 1 ShU , p. 66 (»t suiv. — M. Dillmann (Gramm. der œth, 5/w. p. 12 , note) élève pourtant des doutes graves sur la \aleiir des rapprochements tontes jusqu'ici. LIVRE IV, CHAPITRE I. 311 ressemblante::» à celles de Tancien phénicien ^ Si Téthiopien possède quelques lettres inconnues à toutes les autres langues sémitiques, il ne faut pas s'en étonner. Les Orientaux inventent avec une grande facilité des caractères nouveaux pour les sons qui ne leur paraissent pas suffisamment rendus par les carac- tères anciens : témoin Tambarique y qui a ajouté sept lettres à Talpbabet gbez pour exprimer des articulations qui lui appar- tiennent. Toutefois la ligne de démarcation qui existe entre le caractère bimyarite-étbiopien et les autres alpbabets sémi- tiques est si profonde, ces deux séries d'alpbabets ont suivi des lois de développement si différentes, qu'il faut supposer que la séparation , si elle a eu lieu en effet, remonte à une baute antiquité. Peut-4tre la tradition du séjour des Phéniciens en Arabie et sur les bords de la mer Rouge trouverait-elle en ceci quelque confirmation. Il faut avouer, au moins, que de singuliers rapports existent entre la position ethnographique , historique et linguistique de TYémen et celle de la Phénicie. De part et d'autre c'est un désaccord apparent entre la langue et la race : c'est, avec une langue évidemment sémitique, une civilisation qui ne parattpas purement sémitique. Ajoutons qu'on trouve chez les habitants de l'Yémen des articulations contraires à toutes les habitudes de la prononciation arabe ^, et une foule de mots dont l'origine sé- mitique ne se laisse pas apercevoir. Plusieurs particularités des dialectes du midi de l'Arabie se rapportent môme aux dialectes de la Phénicie et de l'Aramée : ainsi, la forme bar pour Jik, J^ pour maître, dans les acceptions de^^ ,^t , uai^Uo '; l'em* ' La conjeciare de Niebuhr, qui rattachait le caractère hîmyaritc aux iuscrip- tious cunëifomies (Deêcript, de P Arabie, p. 86), est maintenant abandonnée. * Niebuhr, Deia\ de V Arabie, p. 78. ^ Presnel , /oHma/ «irtl. sepl ocl. i865,p. 217. — La inOmc remarque avait 312 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. pioi d'une terminaison emphatique o, comme en syriaque ^ M. Fresnei et M. Osiander ont retrouvé dans les inscriptions rapportées par M. Arnaud le nom de la déesse phénicienne As- tarté^ Si Ton se rappelle , d'un côté , que l'ethnographie hébraïque place des Gouschites à côté des Joktanides, enfants de Sem, sur le sol de l'Arabie méridionale ' ; de l'autre , que le Péripk de la mer Rouge mentionne expressément dans l'Arabie des dialecteê légèrement divers et des langnee complètement dis- tinctes ^, on est assez porté à établir une division ethnographique entre l'Arabie proprement dite et ITéjnen. Le nom antique de Saba désignerait , dans cette hypothèse , la civilisation cou- schite de l'Arabie méridionale , qui devait former un contraste frappant avec celle des Arabes sémites et nomades. Tout ce que nous savons du caractère de la civilisation couschite ^ s'ac- corde parfaitement avec les restes encore subsistants de celle de l'Yémen ^. Les immenses ruines de Mareb, de Sana, ne répondent guère aux mœurs des Sémites. Le Sémite est peu constructeur; aussi ces vastes monuments n'offrent-ils aucun déjà été Mte par les lexicographes arabes. ( Voy. Freytag, Lbx, arab, lot, au mot Jb^ . — Gesenius, L$x. mon, au mot 7^3 .) ^ P. È.holià, Relation éTun wnfoge dani P Yémen, "p, 1 il i'iUù, * Journal oêiatiquê, sept oct i865, p. 199 et suiv. 396 etsuiv. — ZêiUchr^ dêrd.m. G. (i856),p.6s ,65. —Cf. EwaldLdansla ZoiUchr^àe Hœfer, t.I.p.3o6. ^ Goof. Tuch, Kommentar ûberdiê Genetâ, ch. x, v. 6-7. — Michaâis, SpicU. g9ogr. He&r. exterœ, 1. 1, p. i&3 et suir. * ^ténpopa Se iv orît^ Êdmt ntnoixehtu • rtvà fièp èvl isov^, rtpà iè xai reXsiùât t9 yXi&caïf StaXXdff9ov7a, (P. la , édit. Hudson.) — Gomp. le passage arabe rap- porté par M. Osiander, mém. cité, p. 3o-3i. * Voir sur ce sujet les conjectures parfois bien hardies, mais toujours ingé- nieuses et savantes de M. le baron d^Eckstein, dans VAthenœumJrançaû, a a avril, a 7 mai 1 85 A, le ioum. a$iat, août-sept. et déc. 1 855, et la Revuê archéologique , i5 oct. 1857. * Osiander, niéni. cilô, p. 18 el suiv. LIVRE IV, CHAPITRE I. 313 sens aux yeux de la population arabe qui habite maintenant panni leurs débris , et lui apparaissent-ils comme l'œuvre de la race gigantesque et impie des Adites. Il est probable que sous ce nom , devenu mythique , se cache le souvenir de Tan- cienne civilisation couschite. M. Gaussin de Perceval admet l'identité des Sabéens couschites et des Adites \ L'ehkili est aux yeux des indigènes l'ancienne langue d'Ad et de Thamoud : or M. Fresnel admet comme incontestable que l'ehkili et la langue du Mahrah sont un reste de la langue de Gousch^. M. Lassen a montré de singulières analogies entre la cons- titution du royaume sabéen et celle des Nârikas (non ariens) du Malabar'; il regarde comme vraisemblable qu'une émigra- tion de Malabar a formé un des- éléments de la population de l'Yémen , et y a porté le régime des castes , complètement in- connu à l'Arabie proprement dite. Les Somaulis de la côte voi- sine d'Afrique présentent la même organisation accompagnée de traits particuliers de ressemblance avec l'Inde ^. Une île qui joue dans l'océan Indien un rôle fort analogue à celui de Malte dans la Méditerranée, l'ile de Socotora [Dtba Sukhatara, pâli; Dioscoridis^)^ tour à tour phénicienne, grecque, syrienne, arabe, nous apparaît, dans la haute antiquité, comme tout indienne®. L'Yémen et la côte de Malabar sont y grâce aux phénomènes des moussons, deux côtes presque voisines. Les étymologîes sans- * EtBoiêw VhuUnre dm Arabes avant l*i$lanu$me, 1. 1, p. 65 , 66. ^ Journal asiatique, juin 1 838 , p. 5 1 1 , 533 , et jaillet 1 853 , p. Ao-63. " Indische AUerthumskmdê , II , 58o-58i. * Burton, Firsi fooUieps m East AJriea (London, i856), p. 33-36, doUs. ^ Peut-être le nom grédflë de Vin»ula Diodori (Perim) renferme-t-il aussi Je Diot indieo êSha, lie. * laÊèeaJndi$ehe,elc. — A. de Humboidt , Cosmos , H, p. 1 6 1 , 95a. — M. Hœfcr, d'après rexamen du vocabulaire de Socotora , fourni par Wellsled , rattache la langue actuelle de cette Ue au phénicien (Unio, piU. Iles de V Afrique y p. 1 57) ; mais la plupart des mois qu'il cite s'expliquent aussi bien par Tarabe ou le syriaque. ZIU HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. cri tes que M. de Bohien a voulu attribuer aux noms couschites n'ont sans doute aucun fondement; il résuite cependant des recherches de ce savant, Confirmant celles de Heeren, et con- firmées à leur tour par celles de M. Lasscn , que de très-anciens rapports ont dû exister entre l'Arabie et l'Inde ^ En admettant l'hypothèse de M. le baron d'Eckstein , qui voit des Couschites dans les Soudras ou race brune de l'Inde [Kaucika$)^ ces rap- ports s'expliqueraient d'eux-mêmes par les races couschites des deux pays , races qui , dans la haute antiquité , paraissent seules avoir été commerçantes et adonnées à la navigation. M. Weber, tout en repoussant l'identité des Gousdiites et des Kancikas, admet une population commune à l'Inde et à l'Arabie, et fonde même son opinion sur des arguments phUoiogiques : «|7T^= J^» uLh^9 Neypfltt;, iVégra^. M. Arnaud n'hésite pas à attri- buer une origine indienne aux Akhdam , qui sont en quelque sorte les Bohémiens de l'Arabie méridionale', et, bien qu'il soit difficile d'admettre avec ce courageux voyageur que les Akh- dam nous représentent l'ensemble de l'ancienne population himyarite, on est fort tenté d'y voir une caste de cette popula- tion, qui aura conservé, à travers les révolutions du pays, sa manière de vivre et l'exercice exclusif de certaines professions. Enfin les mœurs anciennes de l'Yémen n'ont rien de com- mun avec celles des Sémites. Le code des lois homérites , rédigé par Grégenlius, évSque de Zhéfar, nous présente des mœurs plus africaines qu'arabes , une grande perversion des rapports sexuels , une pénalité barbare et compliquée , des crimes et des ^ De Bohien, Die Genens (Kœnigsberg, i835), p. laS, ia5, lAo, àga et suiv. — Le même , Dos aUe Indien^ 1,69 et suiv. — Lassen , Induche AUerthumi- hmde. H, 58o et suiv. '^ ' Cf. d'Eckslein , Queêtiong relat. aux atU. de$ peupl. têm. p. 99. -^ Journal, oiiaL avril i85o, p. 376 et siifv. LIVRE IV, CHAPITRE I. 315 prescriptions inconnus aux Sémites. La circoncision, que l'on trouve dès la plus haute antiquité établie dans l'Yémen , divers autres usages païens qui s'y conservent encore de nos jours , pa- ^ raissent d origine couschite ^ Lokman , le représentant mythique de la sagesse adite, rappelle Esope, dont le nom a semblé à M. Welcker déceler une origine éthiopienne [Aîcramosj A/6/û^)^. Dans rinde aussi la littérature des contes et des apologues paraît provenir des Soudras. Peut-être ce mode de fiction , carac- térisé par le rôle qu'y joue l'animal ', nous représente-t-il un genre de littérature propre aux Gouschites. Ici se manifeste une contradiction dont nous ne pensons pas qu'il soit encore donné à la science de pénétrer le secret. D'un côté le linguiste , en voyant tous les pays désignés comme couschites , la Babylonie, l'Yémen , et surtout le pays de Gousch par excellence , l'Abyssinie , parler des dialectes sémitiques fort analogues entre eux et constituant dans la famille une classe à part, serait porté à faire des Gouschites une subdivision for^ tement accusée dans le groupe sémitique. Le témoignage de l'ethnographe hébreu [Gen. x, 6), qui rattache Gouâch à la race de Gham, ne saurait être invoqué contre' cette opinion, puisque Ghanaan , qui est notoirement sémitique , est pareille- ment rattaché à Qiam, et que, d'ailleurs, le mot de Cousch * Enobel, Die VœllierUfil dêr Genmf , p. aSA et suiv. ' Welcker, KleineSchriJten , II , p. 3 5o et suiv. — A. Wagener, Eisai iur k$ rap- porU entre ke t^Iogue$ de Plnde et ceux de la Grèce, p. Ai et suiv. (Extrait des Mém.deVAcad. de Belgique, sav. étraDgera, t. XXV.) — D'Herbelot avait déjà émis des conjectures analogues à celle de M. Welcker. (BibUoik, orient, art. Lokman,). — Quant au nom de Lokman, M. Derenbourg a ingénieusement démontre qu'il 1 icnt de celui de BaUutm. ( Fableê de Loqman le Sage; Berlin , 1 85o , introduction. ) Inutile d'ajouter que les apologues que nous possédons sous le nom de Lokman sont très-modernes. ^ Le culte et la préoccupation constante de Taninial sont un des traits les plus frappants des rares rouschites et africaines. 316 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. paraît n'avoir, dans le tableau du dixième chapitre de la Genèse , qu'un sens purement géographique ^ : il suffirait de supposer dans la famille sémitique une scission profonde et aitté-histo- rique , par suite de laquelle les deux branches auraient perdu le sentiment de leur unité. D'un autre côté , l'ethnographie et l'histoire porteraient à séparer profondément les Gouschites des Sémites. La métropole de Gousch parait avoir été bien plutôt l'Abyssinie que l'Yémen, à tel point que des exégètes de premier ordre, tels que Gesenius^, ont nié qu'on dût diercher des Gouschites ailleurs qu'en Afrique. Gousch est présenté par Je- rémie (xiii, a 3) comme un pays de noirs, et sans cesse mis en rapport avec l'Egypte (/i. xx, 3-5; xxxvii, 9). La civilisa- tion couschite se rattache d'ailleurs , par son caractère général , à celle de l'Egypte , et il est probable qu'une exploration plus complète des langues de l'Abyssinie et de l'Arabie méridio- nale fera apparaître des liens secrets entre les membres épars de cette grande famille , qui , étouffée en Asie par les peuples ariens et sémitiques, n'est arrivée qu'en Afrique à son plein développement. Dans cette hypothèse , ce serait par des émi- grations, relativement modernes, que la race joktanide (sémite) se serait superposée, en Arabie et en Afrique, à la race cou- schite, et nous aurions, dans l'himyarite et le mahri, non des langues couschites , mais des langues sémitiques altérées par une influence couschite. 11 est difficile assurément de démêler un réseau de complications aussi anciennes; les analogies des Gouschites avec les Sémites d'une part, et avec les Ghamîles de l'autre, fourniront toujours un semblant de preuve à ceux qui veulent, comme M. Lepsius ', chercher de ce côté le lien ^ Tuch, Kommentar ùber diê Gennia, p. 998. ^ Thesaunu , au inot Cf ^3- ^ Zwei sp'ochvergkiehende Abhandlungm, p. 78, 80. M. Lepsius a, d'ailleurs. LIVRE IV, CHAPITRE I. 317 des différents groupes , qu'une ethnographie plus sévère croit encore devoir tenir pour distincts. Ce fut l'islamisme qui porta le coup mortel à la langue et à la civilisation himyàrites. L'arabe des Koreischites , consacré par le Coran , absorba rapidement autour de lui les dialectes de l'Arabie, puis les autres idiomes sémitiques. Néanmoins, comme l'a fait observer M. Fresnel ^ cette conquête fut loin d'être absolue, et nnlle part peut-être l'envahissement de la langue et de la religion koreischites ne trouvant plus d'op- position que dans l'Arabie elle-même. Plusieurs tribus indé- pendantes ne furent jamais soumises que nominalement, et n'embrassèrent l'isiitinisme que d'une manière dérisoire. De nos jours, une grande partie de la population de l'Arabie ne comprend pas la langue à laquelle on donne exclusivement le nom â'drabe, et ce n'est que tout récemment, par suite de l'inva- sion du wahhabisme , que les habitants de certains cantons sont devenus musulmans. Un passage du Mouzkir, de Soyouthi^, prouve que la langue himyarite se parlait encore dans ITémen au XIV* siècle. S IV. Longtemps avant la découverte de la langue et des inscrip- tions himyarites, on avait remarqué que le ghez, ou langue savante de l'Abyssinie , est un reste vivant de l'antique langue de ITémen. L'Abyssinie, en effet, au point de vue de la lin- guistique et de l'ethnographie , est inséparable de l'Arabie mé- ridionale. Les monuments de la civilisation éthiopienne qui beaucoup inewté Mir le caractère originid de la langue et de la civilisation étbio- piennea. {Briêf$ au$ ABgypien, éthiopien, etc. p. a 18 et suiv. 967 ; Berlin , 1 85a.) ^ Journal OÊiaLyûn i838,p. 536. ' ÏM, ocL i8&9,p. 3&0 (art. de M. Barges). 318 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. se voient encore à Axum offrent la plas grande analogie avec les débris de la civilisation homérite qui se voient à Mareb. Les géographes grecs et les médailles accouplent sans cesse l'Abyssinie et ITémen , et présentent invariablement les kêeurf!- vol comme une population arabe ou sabéenne ^ Les voyageurs modernes sont unanimes aussi pour reconnaître le type arabe de celles des populations abyssiniennes qui ne se rattachent pas à la source africaine*. L'époque du passage des Sémites d'Arabie en Abyssinie est beaucoup plus difficile à établir que le fait même de leur émi- gration. Ludolf faisait remonter cet événement au temps de Josué. M. de Sacy concluait de la tradition de la reine de Saba , revendiquée également par les Himyàrites et les Abyssins, que rémigration n'avait pu avoir lieu qu'après Salomon. On est sur- pris qu'un argument aussi faible ait pu faire impression sur un savant tel que M. de Sacy. En effet, la légende de la reine de Saba , comme tous les autres récits bibliques , doit sa pq)n- brité dans l'Abyssinie et l'Yémen aux Juifs, et non à de pré- tendus souvenirs nationaux. L'histoire de l'Abyssinie ne remonte avec quelque certitude qu'à la première moitié du iv* siècle de notre ère, c'est-à-dire à l'époque où le christianisme y péné- tra'. Dès ce moment, TAbyssinie nous apparaît comme plus avancée dans le christianisme et mieux organisée que l'Yémen. ^ Luâolf, Efiêtoria wthhpiea, 1. 1, c. i, n*^ 5 efc soiv. et Commentarhu m Hùt. œtL p. 57 , aoâ et suiv. — Adelung^ Mithridate, 1 1, p. âos-6o3. — De Sacy, Mém, de VAcad, de$ in$cr, et heUee-lettreê , t. L, p. 378 et sniv. — Gcsenias, dans VEncycl. d^rsch et Gruber, art jEthiop, Sprache, etc. t. II, p. 111. * Ritter, Géogr. de VAJr, t. I, p. 298 (trad. française). ' Ludolf, Hiêt. igihiop. 1. III, c 11, et Comment, tn HieL œtk, ad b. 1. — DHI- mann, Zeiteehrtft der deuUehen morgetdœnd, GeêelUch^ (i853), t. VII, p. d/i5. , — Letronne , Matériaux pour rhùtoire du ekriëtianiefne en Egypte, en NMe et en Abyeemie; Paris, i839. LIVRE IV, CHAPITRE I. 319 Ed 5â5 , le fiedjaschi (ncgua ou roi) d'Âbyssinie envahit ITémeii avec ie secours des Grecs. Pendant cinquante ans , les Abyssins occupèrent ce pays, et essayèrent vainement d'y introduire le christianisme K Dans l'inscription grecque d'Axum^, le roi Aîza- nas (vers l'an 3&o après J. G.) s'intitide roi des Homérites, des Reidan^, des Ethiopiens , des Sabéens, etc. Dans les deux inscriptions éthiopiennes rapportées par Rûppell, le roi Tazéna (v* siècle) se donne exactement les mêmes titres^. Tous ces faits, évidemment postérieurs à l'entrée en Abyssinie de la race parlant ghez, obligeraient de reporter l'émigration au commencement de l'ère chrétienne; mais les longues listes de rois antérieurs à cette époque , listes qui sont , du reste , en partie fabuleuses, ne laissent aucune place pour un change- ment de race ou de dynastie , bien que deptrfs l'ère chrétienne les noms propres empruntés à l'Arabie méridionale y deviennent plus nombreux^. Pline, sur l'autorité de Juba, place déjà des Arabes en Ethiopie ^. Il est donc probable que le passage de la race sémitique sur le sol africain se fit par une inûltration lente depuis une haute antiquité , et non par une soudaine in- vasion. De là à l'hypothèse de Sait, adoptée par M. G. Ritter '', hypothèse d'après laquelle la race sémitique serait la race primitive de TAbyssinie, il n'y a qu'une nuance : il faut même reconnaître que la civilisation de l'Abyssinie a toujours eu un ' Gauasm de Pereeval, Etuu' $vr VhUu d$$ Arabes avant rûlam. 1. 1, p. i3i et suiv. — Johannsen, Bùtoria Jemanœ, p. 89 et suiv. Boaa, i8s8. * Frani, apùd Bœckh, Corpu» In$cr, grœe. t III, p. 5i5 et suiv. ' Habitants du canton de Réda , près de Sana, selon M. Arnaud. {Joum, atiat. aTril i85o, p. 38i.) — Gf. Osiander, mém. cité, p. 91, a 3 et suiv. 69 et suiv. « Diiimaiin, Zmtêekr^ ^ D. M. G. t VU, p. 356. — Osiander, p. O9. * DiUmann, t^ p. 3&o, 359. * HiêU maL 1. VI, e. xuii, n* 9. ' Sait, A Voyage to Ahyesmia (1816)» p. 458. — Ritter, Géogr. de VAfriqMe, 1. 1, p. 983, 3o3-3o6 (trad. franc.). 320 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. degré de supériorité sur celle de rVémen , et que le premier de ces deux pays réclama une sorte de suzeraineté sur l'autre , jusqu'au temps de Mahomet. L'étude de la langue éthiopienne ou ghez ^ confirme, de la manière la plus décisive, FaiEnité des Abyssins et des Himya- rites. On ne peut douter que, détachés en même temps de la souche prinlitive des langues sémitiques, l'arabe et le ghez n'aient suivi quelque temps une voie commune , et ne se soient séparés dès une haute antiquité ^ . Le ghez possède plusieurs des particularités qui distinguent l'arabe de toutes les autres langues de la même famille : les pluriels brisés, certaines formes du verbe, le germe du mécanisme des cas et des voyelles finales. Par sa physionomie extérieure, cependant, le ghez semble plutôt se rapprocher de l'hébreu. Il renferme un assez grand nombre de racines qui , appartenant également à lliébreu et à l'araméen , ne figurent pas dans le vocabulaire arabe. Enfin plusieurs caractères ilnportants lui assignent, dans le sein de la famille sémitique, une individusdité dis- tincte. Les formes du verbe s'y présentent avec un riche déve- loppement et une organisation savante. Les particules y offrent aussi des délicatesses inconnues aux autres idiomes de la famille : aucune langue sémitique ne se rapproche autant, sous ce rap* port, du génie des langues indo-européennes. Tout cela rattache le ghez à un état fort ancien des langues sémitiques, quoiqu'il présente aussi bien des traits qui le rapprochent de l'hébreu moderne et de l'araméen, tels que les formes abstraites, les ' Ce nom ^uH signifie à b fois Ubrê et énigré. Le premier sens parait préférable; les Siamois indépendants donnent à leur langue un nom analogue {Thai, libre). Les Abyssins s'appdlent eux-mêmes Ai^97J^'}=^Agv»ydn, ou h^T^nfCD^yi s=z Itff&pyamyân, par imitation du nom grec KlBlchiu. (Goaf. Lndolf, Ei$U œA. 1. 1, c i.) * DiUmann, Grammatik der œthiop. Spraehe (Leipiig, 1867), EiMt. LIVRE IV, CHAPITRE I. 321 concrétions extérieures , les tours développés : il semble que le ghez ait subi les révolutions des autres idiomes sémitiques , mais sans perdre pour cela ses anciens procédés. La pronon- ciation seule s'écarte des analogies sémitiques; quelques lettres, comme 4*» /O, X» M» et les voyelles du sixième ordre, sont fort dures et presque impossibles à prononcer pour tout autre qu'un Abyssin ^ Nous avons trouvé la même contradiction dans le mahri; on dirait de part et d'autre une langue sémitique arti- culée par un organe non sémitique. L'alphabet gfaez a longtemps embarrassé les savants et a donné lieu aux hypothèses les plus diverses. Cet alphabet diffère de tous les autres alphabets sémitiques par le nombre , l'oidre , la valeur, le nom et la forme des lettres, par la direction de l'écriture de gauche à droite , et surtout par le mode de nota- tion des voyelles. Chaque consonne renferme virtuellement un a bref, comme en sanscrit; les autres voyelles ne s'expriment ni par des quiescentes , ni par des points , mais par des appen- dices qui s'attachent à chaque consonne et en modifient quel- quefois la forme, d'où il résulte que c'est moins un alphabet qu'un syllabaire de deux cent deux signes , représentant chacun une syllabe ouverte, comme ba, bo, etc. Ludolf crut trouver des ressemblances entre cet alphabet et celui des Samaritains^. M. de Sacy essaya de démontrer que l'alphabet éthiopien dé- rivait de l'alphabet des Grecs, ou plutôt de celui des Coptes'. W. Jones ^ et M. Lepsius ^ voulurent le tirer du dévanftgari , et il faut avouer que le système des voyelles offre dans ces deux * Ludolf, BkU mtk. 1. 1, c. xr, n* 37 ; Gramn. aîk. 1. 1 , c. i , n* 6. > Hi$Uaik.irf, Cl. ' Ètém, d$ VAcad. d» micr, $t bdUt^Urei, t. L, p. a8a. Ce fut auasi d^abord Topinion de GeseniuB {Htbr, Hendwœrîm'buehf Voit. p. xxxv ). * ÂMtalie Re»earehe$, i, Ifl, p. 6. ^ Zwei sfniiekoergleiehênde AbhandUingeti, p. 76 et suiv. Berlin, i836. I. ai 32â HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. alphabets beaucoup de ressemblance. — La découverte des inscriptions himyarites de l'Yëmen a enfin résolu le problème. On ne peut plus douter aujourd'hui que l'alphabet éthiopien ne soit identique avec l'ancien alphabet himyarite ou mutnad^. Ce dernier alphabet se retrouve sur les monuments d'Axum ^ conune sur ceux de Mareb, et il offre d'ailleurs la plus par- faite similitude avec l'alphabet ghez, sauf en ce qui concerne la direction de l'écriture et le système des voyelles; mais le premier de ces deux points a peu d'importance en paléogra- phie , puisque les alphabets , à une haute antiquité , procé- daient presque indifféremment dans l'un ou l'autre sens. Quant au système de voyelles employé par les Abyssins, il semble d'invention assez moderne. M. Weber croit y découvrir une influence de l'Inde ^ ; mais M. Dillmann le croit sorti du génie même de l'Ethiopie ^. L'alphabet himyarite employait le méca- nisme des quiescentes comme les autres langues sémitiques, mais avec beaucoup de parcimonie ^. Ainsi l'dphabet ghez , en apparence si rebelle à toute clas- sification , rentre dans la série des «dphabets sémitiques , si , comme on est porté à le croire, le caractère himyarite n'est lui-même qu'une variante très -ancienne du phénicien. Les ressemblances que l'on a cru rencontrer entre l'alphabet ghez d'une part, et l'alphabet samaritain , ou même l'alphabet grec, de l'autre, se trouvent par là expliquées, puisque ces deux alphabets sont eux-mêmes des formes du phénicien^. Cette ' Hadji-Khalfa Tavait entrevu (t. III, p. i/ig, édit. Fluegel).^ ^ Voir, sur les deux inscriptions trouvées par Rûppeil , le travail de M. Rœdi- ger, dans VAUgememe lAteratur-Zeitung de Halle, juin iSSg, n*^ 105-107. ^ înàriich» Skkzen, p. 1&8. ' Gramm. der œth, Spr, p. 18 et suiv. 433 et suîv. ' Osiander, ZeiUekrifi dev D, M, G. (t856), p. 35-36. ^ Gesenius, dans VEneycL d^Ersch et Gniber, t. II, p. 1 19; le même, JHoim- LIVRE IV, CHAPITRE I. 323 vérité peut être d'un grand secours pour l'histoire de l'écri- ture. En la supposant démontrée , nous aurions dans l'alphabet ghez y ou plutôt himyarite , une forme détachée de la souche des alphahets sémitiques , à l'époque la plus ancienne de leur formation ^ Quant aux analogies du système dévan&gari et du système éthiopien^, elles s'expliquent d'elles-mêmes, si l'on admet l'hypothèse de M. Weber sur l'origine sémitique de l'al- phabet indien. L'alphabet éthiopien aurait été l'un des produits transportés en Orient par le commerce de la mer d'Oman, comme l'alphabet phénicien le fut en Occident par le commerce de la Méditerranée. L'écriture et la langue ghez apparaissent ainsi comme des restes d'un vieux monde disparu , de l'antique civilisation couschite, représentée dans les souvenirs des Hé- breux par les noms à demi fabuleux de Saba , de Havila et d'Ophir. S V. Il est certain du moins, contrairement à l'opinion de M. de Sacy, que l'écriture fut connue en Abyssinie avant l'introduc* tion du christianisme et même des lettres grecques en ce pays'. La seconde partie de l'inscription grecque d'Adulis, qui relate les hauts faits d'un roi d'Axum du ii"" siècle de l'ère chrétienne^, et qui est conçue dans le style de la mythologie hellénique {^apht menta phœmda, p. 8&-85. — Kopp, BUder und Schfriflm dêr Vcrzmt, II, SS 399 et saiv. — Hupfeld, Exercitaiioneê œthiopieœ (Lips. iSaS), p. x-h. * Sur Tantiquité de l'ordre actuel et du nom des lettres éthiopiennes, voir Dillmann, Granunatik, etc. p. i3 et suiv. ' Weber, IndUche Skkzm, p. iÂ5 et suiv. ^ Socrate {Bût. «celé», i. I, c. xiz) rapporte que Frumentius, TapMre de TA- byssinie, fut établi gardien des archives royales. M. de Sacy a révoqué en doute cette circonstance; mais il n'y a rien d'invraisemblable à ce qu'un Grec instruit ait été choisi pour présider i des écritures qui probablement étaient tenues en grec. * Franx, apnd Bœckh, Corpu» ïmer. grite. t. III, p. 5i 9 et suiv. 91. . I su HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. riv itéyta^op QtSp (iov Àpvv , 6e fte xaà iyéwiKn. .'. . . r^ Ait xa) T^ Apei xa\ r^ Ilooei JSâfvi ) , rinscription grecque trouvée à Axum par Sait, et dans laquelle le roi Auanas s'appelle égale- ment vlbs QreoS-dvixtfrov kpeafç \ sont la preuve de l'importance que la langue et les modes grecques avaient prise en Ethiopie , même avant la domination romaine ^. Le roi Zoskales [Za-Hakak), qui régnait à Axum à l'époque où écrivait l'auteur du PérifU de la mer Rouge, vers la fin du i* siècle^, est qualifié ypafxfc^- 7Câv éXhfPtxûip ëfiireipos. Selon Kircher ^ et M. de Sacy ^, l'al- phabet syriaque aurait été également employé en Abyssinie; mais Ludolf a réfuté sur ce point l'opinion de Kircher : en efiet, la chrétienté d'Abyssinie relève tout entière du patriarcat d'Alexandrie y et non de l'apostolat des Syriens. Quant aux deux inscriptions d'Axum écrites en caractères éthiopiens^, elles ne remontent pas au delà de la fin du v* siècle , et soni postérieures à l'établissement du christianisme , bien que la désignation deJiU de Mars, qui, probablement, n'a- vait pas grand sens pour les Ethiopiens, s'y retrouve encore. La ressemblance des titres que s'y donne le roi Tazéna avec ' FraDZ, ap. BoBckh, Corp, Itucr. gr. t III, p. 5i5 et suiv. Sur le même titre, dans rinacription de Silco , voy. Lelronne , /oum. «269 Sav. fév. 1 8s5, p. i oo et suiv. ' Letronne, Journal da Sav. mai, iSaS; le même, Mém. de VAcad, du iiucr. et beUeê'UUret, t. IX, p. 198 et suiv. et Matériaux pour Vhiêt. du ehrietiameme en Egypte, en Nubie et en Abymnie, p. &&-59. — Droysen, Geeekichte des HeUe- niemue (Hambourg, i8/i3), t. II, p. *jih et suiv. — Ritter, Geogr. de VAJr, (trad. française), 1 1, p. a6s et suiv. 3od et suiv. ^ G. MûUer, Geogr. gr. mm. t I , p. xcvii. * Prodromut Unguœ eopU c. m, p. 46 et suiv. ^ Mém. de VAead. de» mecr. etbeUe$4ettr€ê, t. L, p. 386. * Sur les autres inscriptions de moindre étendue , voir Dillmann , Gramm. der œth. Spr. p. 7. M. Lepsîus a Clément trouvé une inscription en caraclèm gbec à Méroé {Brùfe au» Mgypttn , /Ethiopim, etc. p. 330). Les renseignements don- nés par ce savant voyageur sur les inscriptions démotiques éthiopiennes ne font guère qu^exciter notre curiosité. {Ihid, p. 318 et suiv. 96/i.) LIVRE IV, CHAPITRE I. 325 ccui que prend dans Tinscription grecque le roi Aîzanas , la parfaite identité des pays énumérés dans les trois inscriptions comme tributaires du roi d'Axum, prouvent, du reste, que les inscriptions éthiopiennes doivent avoir été gravées fort peu de temps après l'inscription grecque ^ La langue y est la même que dans les plus anciens monuments de la littérature éthio- pienne, et Talpliabet y présente déjà les particularités qui dis- tinguent Talphabet ghez de Talphabet himyarite , je veux dire la direction de gauche à droite et la notation des voyelles; mais cette notation est loin d'être parvenue au degré de ré- gularité quelle atteignit plus tard; souvent même elle est omise , et Sait prétend avoir vu des inscriptions qui n'en of- fraient aucune trace ^. D'ingénieuses conjectures que l'on a proposées sur l'his- toire des Falâsyan, ou Juifs d'Abyssinie, tendraient à attribuer encore d'autres origines à l'écriture et au travail littéraire en Ethiopie. Dans un mémoire dont la publication a été malheu- reusement interrompue par la mort de l'aii^teur ', M. Philoxèno Luzzatto avait entrepris de prouver que les Falàsyân se ratta- chent à une colonie de Juifs hellénistes , qui auraient passé ' Rcediger, dans VAUgtmeine LUeratm^ZeUimg de Halle, juin iSSg, n*' io5- 107. — Dillmann, dans la Zeittekrift der deuUehen morg, GeêeU, t Vil, p. 356 et suiv. et Gramm, der œth, Spr. p. 7-8. La singulière ressemblance de Tinscrip- tion grecque et des deux inscriptions éthiopiennes, jointe à Panalogie des deui noms Abanoê et Ttaéna, pourrait faire croire à Tidentitë de ces deux person- nages. Cependant les listes des rois d^Éthiopie semblent s'y opposer. En effet, elles nous fournissent un Tacéna postérieur d'une centaine d'années à l'introduc- tion du christianisme en Abyssinie : or Aîzanas est très-probablement le roi sous lequel le christianisme pénëtra en ce pays. ' Gesenius, dans VEneycL d'Ersch et Gmber, t II, p. 119. '^ Mém, tur les Juifê d^Alnfuiniê ou Fakuhag, dans les Archioei itraéUtes, i8ôa et i8ô3. Contrôler les vues de M. Luzsatio par celles de M. Marcus, Mém, sur VétabUuemêtU des Juifs en Abffssmie , dans le Journal oeiaL juillet 1 899 , p. 5 1 . 336 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. d'Egypte en Abyssinie avant l'ère chrétienne. L'état des rites et de la liturgie de cette intéressante communauté religieuse , qui ne pQss^e ni le texte hébreu de la Bible, ni le Talmud, et qui fait usagé d'une version du Pentateuque en langue vulgaire, rend cette hypothèse vraisemblable; mais M. Luzzatto pensait de plus que la version éthiopienne due Pntateuque était l'ou- vrage des Fdâsyân; or, pour admettre une tj^èse aussi nou- velle, il faudrait des preuves bien démonstratives. On a tou- jours cru, jusqu'ici, que la traduction du Pentateuque en g^ez était une œuvre chrétienne que les Juifs auraient adoptée. Les Falâsyân, en effet, n'ont pas de scribes, et reçoivent tous leurs manuscrits des chrétiens ^ Il faut se rappeler, d'ailleurs, que la plupart des Juifs d'Abyssinie ne sont pas de race israélite ; ce sont des indigènes qui se convertirent au judaïsme , comme cela eut lieu, pour diverses peuplades de l'Arabie, dans les siècles qui précédèrent l'islamisme : leur langue, indo-euro- péenne (!) selon M. Luzzatto, et africaine selon le voyageur Gh. Beke ^^, n'a rien de sémitique. Dès lors , on s'explique com- ment les Falâsyân ont adopté si facilement la Bible en langue vulgaire, et aussi comment des états juifs indépendants ont subsisté presque jusqu'à nos jours en Abyssinie. On ne trouve, en effet, d'états juifs indépendants que parmi les prosélytes; jamais les Israélites dispersés n'ont cherché à se constituer en société politique. Nous admettrons donc que la littérature éthiopienne, telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous, est tout entière postérieure à l'établissement du christianisme dans l' Abyssinie. Le chris- tianisme s'est toujours montré inséparable d'une certaine cul- * Gesenius, dans VEne^fcL d^Ërsch et Gruber, t. Il, p. 1 13. * Dans Touvrage de MM. Nott el Gliddon, Types of Mankind (Philadelphie, i854), p. 199-133. LIVRE IV, CHAPITRE I. 327 ture inielleciuelie , mais en même temps destructeur des litté- ratures païennes qui l'avaient précédé. Voilà pourquoi tant de peuples en Orient semblent n'avoir eu de lettres que sous l'in- fluence chrétienne. Mais la preuve que le christianisme les trouva déjà en possession de l'écriture, c'est que ces peuples. Abyssins , Arméniens , Syriens , ont leur alphabet propre : *or toutes les nations qui ont reçu l'écriture du christianisme ont pris l'alphabet grec ou latin. En outre, à travers le remanie- ment chrétien de l'histoire de ces peuples, on aperçoit presque toujours les traces d'une culture nationale antérieure. Le plus ancien monument de la littérature éthiopienne, comme de presque toutes les littératures secondaires de l'O- rient, est une version de la Bible, devenue, en quelque sorte, le dépôt classique de la langue. La version des Abyssins porte la trace de plusieurs mains , et fut faite sur le texte alexandrin , probablement vers le temps même de la prédication chrétienne , c'estnà-dire dans le cours du iv* siècle ^ Aux siècles suivants appartient la traduction des nombreux livres apocryphes de l'Ancien et du Nouveau Testament, que possèdent les Ethio- piens, du Livre d'Hénoch, par exemple. On ne peut douter qu'il n'y ait eu à cette époque, en Abyssinie, un assez grand mou- vement littéraire. Le travail que dut subir l'alphabet ghez pour arriver définitivement à l'état ou nous le voyons , et surtout le haut degré de culture rationnelle que révèle la langue sacrée , en sont la preuve^. L'Abyssinie, d'ailleurs, protégée par la mer, ne fut point atteinte par l'islamisme, et, seule dans le monde sémitique , échappa à l'action absorbante de l'Arabie. Les côtes , il est vrai , furent envahies par diverses tribus arabes ; mais le 1 Lodoir, HÛL mik: 1. lU . ch. iv. * Ewald, dans la ZSaitoeftr^ ilir «initedbn morfgmJiœndiMcheH G^m^ktknfiy t. I, p. 1 1 ( 1 8&6). — Dillmann, Grommu, iir igth. Spr, p. 3, 5 , 7. 338 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Tigré opposa à toutes les invasions une résistance invincible. L'Abyssînie resta ainsi dans la dépendance de Té^ise byzan- tine : le code des lois homérites ou plutôt abyssiniennes , ré- digé par Grégentius pour le roi Abréha, au vi* siècle, est en grec. Le patriarche devait toujours ^tre étranger ^, et le grand nombre de mots grecs qui se retrouvent dans le ghez suffirait pour prouver Timportance que prit Thellénisme dans l'Abyssi- nie chrétienne : hhfb^ = Krapf , Oudm ofthe hsuaheU langtiage. -- Ewald, ZeiUehr^ der D. M. Gê- êétiêdu^, 1. 1 (1867), p. kU et suiv. — H. G. von der Gabdentx, t&ûL p. a38 el sttiv. — Pott, ibid. i, II (18/18), p. 1 et suiv. tag et suiv. — > Gf. Logan, op. ÔL oct. nov. déc. i85&, p. &si et suiv. — Journal ofthe ameriean Oriental Society, t. I, p. 961 et suiv. ^ A. de Gobineau , Eteai sur VmégaUté dee racée hunuûnee ^ 1 1 , p. &fl3 et suiv. LIVR£ IV, CHAPITRE IL 335 CHAPITRE IL BRANCHE ISMAI^UTE OU MAADDIQUE. [ababe.) SI. L'Arabie centrale , la vraie Arabie , n'a point encore figuré jusqu'ici dans l'histoire de l'Orient ; et pourtant c'est là que se maintient, avec la vie nomade, la vraie originalité de la race sémitique. Au vf siècle de notre ère, un monde infini d'activité, de poésie, de raffinement intellectuel, se révèle dans un pays qui n'avait donné jusque-là presque aucun signe de son existence. Sans antécédents ni préparation, on ren* contre tout à coup l'admirable cycle des Moallakât et du KitéA el^Agâm; une poésie baii)are pour le fond, et pour la forme d'une extrême délicatesse; une langue qui, dès son début, surpasse les finesses des idiomes les plus cultivés ; des subtilités de critique littéraire et de rhétorique comme on en trouve aux époques les plus fatiguées de réflexion ^ Et quand on voit ce singulier mouvement aboutir, en un siècle , à une religion nou- velle , à la conquête de la moitié du monde , puis , de nouveau , à l'oubli, n'est-on pas en droit de dire que l'Arabie est, de tous les pays, celui qui contrarie le plus toutes les lois qu'on * Voir des exemples dans V Essai sur Vhintoire dea Arabes avant Vislamismê de M. Caussin de Percevai , H , 609 et sniv. 336 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. pourrait être tenté d'assigner au développement de l'esprit hu- main? Parmi les phénomènes que présente xette apparition inat- tendue d'une conscience nouvelle dans l'humanité, le plus étrange et le plus inexplicable est peuirétre la langue arabe elle-même. Cette langue, auparavant inconnue, se montre à nous soudainement dans toute sa perfection, avec sa flexibilité, sa richesse infinie, tellement complète, en un mot, que depuis ce temps jusqu'à nos jours elle n'a subi aucune modification importante. Il n'y a pour elle ni enfance, ni vieillesse; une fois qu'on a signalé son apparition et ses prodigieuses con- quêtes , tout est dit sur son compte. Je ne sais si l'on trouve^ rait un autre exemple d'un idiome entrant dans le monde, comme celui-ci , sans état archaïque , sans degrés intermédiaires ni tâtonnements. Que dès la plus haute antiquité la langue arabe ait été en possession de son individualité , et ait constitué une branche distincte dans la série des langues sémitiques , c'est ce que la seule inspection de cette langue , à défaut de témoignages po- sitifs , suffirait pour prouver. L'arabe , en effet , possède des pro- cédés qui lui sont tout à fait propres , et dont on ne rencontre pas le germe dans les autres langages sémitiques : tel est le méca- nisme si remarquable des pluriels prisés, qui ne se retrouve que dans l'éthiopien ; telles sont les flexions casuelles , sans parier d'une série de formes verbales dont on chercherait en vain la trace dans l'hébreu et l'araméen. Tout cela suppose que l'arabe s'est séparé du tronc commun de la famille à une époque où celle-ci possédait encore ses vertus organiques. Une particularité beau- coup moins essentielle, il est vrai, mais pourtant digne de con- sidération » la présence du lam dans l'article al, se retrouve, dès une époque fort ancienne , comme signe caractéristique des dia- LIVRE IV, CHAPITRE IL 337 lectes arabes , dans les noms de tribus iiiD^K , ovm^ ( ^cwJaJt ), Q'»dk'? (|0^^I , les kXkvfxaiûkat de Ptolémée)\ peut-être nvi^K ( Gen. xx^ , A ) , qui figurent parmi les plus anciens souvenirs de géographie des Hébreux, et dans les noms de divinités AXin^a et kXtXdT^ conservés par Hérodote ^ Cette même forme d'article se retrouve, comme arabisme, dans quelques mots hébreux : DipVx z='*y^l; cr'»33*?K = ji*^*, et même dans quelques noms araméens ou nabatéens : erp^x , patrie du pro- phète Nahum, z= (j&yUI, ville près deMossoul; el''keroa{^j^)^ nom vulgaire que saint Jérôme donne comme l'équivalent sy- riaque et phénicien de l'hébreu {rp'^p^; â^x^fl^a/ = ^^^nJÈ / nom d'un hérésiarque nabatéen des premiers siècles. Les noms propres arabes de l'époque grecque et. romaine fournissent des preuves bien plus décisives encore. Les inscrip^ tions grecques de la province ^Arabie proprement dite (l'Au-^ ranitide) renferment un grand nombre de noms qui offrent les idiotismes arabes les plus caractérisés; par exemple l'emploi fréquent des diminutifs en oai, qu'on ne trouve pas dans les autres dialectes sémitiques ^ : il suffit de citer Ôveuvos = H(h neyn, XéXouSog = Koleyb^y îdfiXtxos =z lamUk, MoafiéStfs = * <]oqr. Jawrtu anat. aoûl i838, p. 317-918. Bapprochei encore le nom des Iles ÀAaAa/ov ( Arriani PeripL mar. Erythr. p. 3, éd. Hudson); les ÀAiAetiîM (Aga- Oiarchidis Peripl, p. 60, edid. Hudson. — Diod. Sic. III, 65); kX^aJèafioç, nom d^un Bcheikfa arabe (Strab. p. 5 18, edid. Gas.).— L'aedmilation du km s'eal faite dans les noms des kaaaSoi el des kamKXjaXTTM ((^aXmJ\^ habitant du mage) de Ptoiémée et de Marden d'Héraclée (Miller, SuppL aux petiu géogr. p. 1 AS). * Herodot liwf,I, i3t;IU,8. ^ Gesenius, LArgth. dêr hebr^ Spr. p. 198; Lex. mon, à ces mots. * Cf. Niebnhr, Daeriptiffn à» ÏArMèy i** part. chap. xx?, art 3. — Winer. 0t6t ÏMnogrU au mot fFiUMMotcm. » SiOJ^Cni arehéolfiram^ , sept. 1 856. * Ce nom se retronve comme celui d*nn scbeikh arabe dans le Aw^d'Arrien (Hudson, Geogr, gr, mm. p. i3). 338 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Mohammed, ÙaiOeXos r= Wâthil, etc. Il en faot dire autant da nom SKpiras («â»;l^ ) qn'on retrouve dès l'époque des Maccha- bées (II Maceh. y, 8; II Cor, \i. Sa), et qu'on voit porté par plusieurs rois de Pétra, ainsi que du nom d'ÉAvfMv (i^v^)) que prenait le magicien Barjesu (^AcL lui, 8) ^ Plusieurs des expressions données parle Talmud comme arabes se rapportent également à l'arabe koreischite; quelques-unes cependant sem- blent appartenir à l'himyarite ou à l'étUopien^. Les singulières inscriptions qui se lisent sur les rochers de certaines vallées du Sinaî, et dont le déchiffrement paraît assez avancé , grâce aux recherches de MM. Béer, Gredner et Tuch ', ont apporté des lumières inespérées au problème des origines de la langue arabe. Il résulte du beau travail de M. Tuch , que la langue de ces inscriptions n'est pas l'araméen (comme le suppo- sait M. Béer, qui les rapportait aux Nabatéens de Pétra), mais bien un dialecte arabe, légèrement infléchi vers l'araméen. Les mécanismes les plus (essentiels de l'arabe s'y retrouvent : ainsi les voyelles finales, qui formaient jusqu'ici un trait si exclusivement propre k l'idiome littéral, qu'on avait été tenté d'y voir une invention des grammairiens, sont notées, dans ces inscriptions, par des quiescentes, mais omises à l'état construit : nn :::= i^j , ww = J.3I , ^nbif vm< = M J-^I , mi*?» d^d = aNI joJ , etc. M. Tuch fait observer avec raison que la même * Rkpprochei aueû le nom des Bawtlofupéis (BenLJ) àasa Diod. Sic UI , 44. ' Delitziich, Je$urvn, p. 77-79, note. * E. F. F. Béer, hueripUoneê wterei UUeriê et Ungwi huetuqm meognUiÊ ad morUem Smai rnagfio numgro êertaUe. Fascic. I; LipsUe, i8âo. — Gredner, dans \m Heidelb. Jahrbueher (i84i), p. 908 et sniv. — F. Tuch, dans la Zeitêchr^ âer D. M. GêieUêehtfi, t III ( 1869), p. 199 et suiv. — Bunsen, Oudine», I, adi et suiv. — M. Lepaius {Denkmœler atu /Egypten und /Ethiopien, loscript. feuilles i4- 91), M. Lottin de Laval ( Voy, dan» lapénintule arabique du iSmot, planches) «t Je P. Porphyrius {L'Orient chrélien, en russe, Sainl-Pëtershoui^ , 18&7) ont publié un grand nombre de nouvelles inscriptions. LIVRE IV, CHAPITRE IL 389 particularité se remarque dans le nom propre arabe oe^â ou iDt^3, conservé dans lé Livre dé Néhémie (vi, i, 6). Ces faits, qui prouvent dans la langue arabe une si longue identité , sont de la plus haute importance, si, comme le supposent MM. Tiich et Gredner, les inscriptions dont il s'agit remontent aux pre- miers siècles de Tère chrétienne , ou si , comme le veut M. Bun- sen, elles appartiennent aux temps ptoléma!ques ^ On ne peut douter au moins de leur antiquité relative , puisque Gosmas Indicopleustès, qui les vit en 53 &, les représente comme écrites en caractères inconnus. L*étude des inscriptions de Pétra mène exactement au même résultat que celle des inscriptions sii^itiques. M. BlaU a dé- montré que la langue de ces inscriptions est Tarabe, et que les Nabatéens de Pétra, que M. Quatremère regardait coiume d'origine araméenne^/sont en réalité une population arabe ^ Les noms nabatéens W/aXixfls^y kpéras^ ZdêStiXas (j(1I ^j)j sont arabes : le dernier se retrouve sur les inscriptions de TAu- ranitîde (Bœckh, n« àliSS). L'arabe se distingue de tous les autres dialectes sémitiques par une délicatesse, une richesse de mots et de procédés gram- maticaux qui causent la plus grande surprime à cetix qui passent de l*hébreu et du syriaque à l'étude de l'idiome littéral. Les philologues arabes ont imaginé, poiir expliquer cette richesse, > Les iiucripUons gifcqnes qui sont mêlées aux inscriptioiis sémitiques (Bceckh , D* U66S-h66g; Lottki de Laval et Lepsins, loe, ât) renfennent des noms juifs et chrétiens {Mom, Samuel, Aiaron, Zaeharie, Coêmoê, etc;), â 66té de noms arabes (Afi^pof, XiAfiw, etc.) identiques à ceui des inscriptions sémitiques, et dont queique»4ms sont certainement païens, td^ que TapfUtXÇéX. * Mém. twr k$ NabaL p. 81-89. — G. Ritter, Erdkutidê, XII, p. 11 1 et suiv. ^ Zeitickrijï der D. M. G. (i855),p. aSo etsuiv. Cf. tlnd. p. 737-739. * Le Périple d'Arrien (Hudson, Geogr. gr. mm, p. i «), Hiilius (Ds MIo Alm. c. 1) et Dion Cassius (HiêL rom, xltiii ,61; xlix ,3s) donnent à ce npm îa ferme Makkus, aa. 3&0 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. une hypothèse peu acceptable assurément , d*après les principes de la philologie moderne, mais qui, cependant, mérite d'être prise en considération pour la part de vérité qii'elle renferme. La langue arabe, s'il fallait en croire Soyouthi ^ serait le résultat de la fusion de tous les dialectes, opérée par les Koreischites autour de la Mecque. Les Koreischites, d'après ce système, gardant la porte de la Gaaba et voyant affluer dans leur vallée les diverses tribus attirées par le pèlerinage et les institutions centrales de la nation , s'approprièrent leà finesses des dialectes qu'ils entendaient parler autour d'eui; en sorte que toutes les âégances de la langue arabe se trouvèrent réunies dans leur idiome. Les Koreisc]^ites , d'ailleurs , avaient , de temps im- mémorial , la réputation d'être ceux des Arabes qui parlaient le mieux (s>^' ^^' ) ' ^^^^ prononciation était la plus pure et la plus dégagée de provincialismes. Us étaient, par leur position au cœur de l'Arabie, à l'abri des influences extérieures de la Perse, de la Syrie, des Grecs, des Coptes, des Abyssins. Or, dans la pensée des Arabes, l'isolement est la meilleure garantie de la pureté d'un idiome , l'altération de la langue se présen- tant, toujours à eux comme un résultat du commerce avec les barbares^. €ette opinion de la pricellence du langage des Ko- reischites est tellement enracinée chez les grammairiens arabes, qu^ils n'ont pas hésité à établir, comme critérium de la noblesse ou de la corruption d'un dialecte , la plus ou moins grande dis- ^ Aàlll ift j y>dl oU^ ycb. IX (suppl. arab. n* i3i6*, 1. 1, p. 1 16 v% 117). Le passa^ entier de Soyouthi a é\è donné, dans la i'* édition de cet oa> vrage, comme un curieux spécimen des idées des Arabes sur la formation de leur propre langue. On croit pouvoir Tomettre ici. (Cf. Pococke, Spécimen hûu Arab. p. 1 57-168.) Ibn-Khaidoun développe des idées analc^es dans ses Prol^ùmànes. (De Sacy, Anthologie grammaticah arabe, p. Hv-liA, &09-410.) * G^est la théorie longuement développée par Ibn-Khaldoun. (De Sacy , op. cit. p. Ha et soiv. A09 et suiv. /1/16-/1&7.) LIVRE IV, CHAPITRE IL 341 tance qui sépare la tribu qui le parle du pays des Koreischites. Ik reconnaissent cependant que quelques autres tribus voisines des Koreischites, telles. que celles d'Asad, de Hodheil, de Te- mim, de Kénana, furent également admises à faire autorité dans Tœuvre constitutive de la langue classique; mais ils ex- cluent formellement de ce travail les tribus iSloignées , celles du Babreinj de l'Yémen, de Hira et de, Ghassan, dont le lan- gage avait été altéra par le contact avec les peuples étrangers. En écartant ce qu'il y a dans ce système d'idées artificielles et conçues h priori , il reste du moins établi que ce fut au centre de FArabie, dans THedjaz et le Nedjed, parmi les tribus res- tées les plus pures , que se forma la langue qui a depuis porté , à l'exclusion de tous les autres dialectes, le nom d^ arabe. Qu'il y eût là , parmi quelques tribus , une école d'atticisme , c'est ce qu'on ne saurait révoquer en doute. Que ce foyer de cul- ture se trouvât chez les tribus bédouines, et non chez des Arabes citadins, c'est ce qui e^t également incontestable. Les Arabes ont toujours cru que les Bédouins conservaient le dé- pôt du beau langage et des belles manières ; la langue des villes est à leurs yeux un idiome corrompu et indigne du nom d'iarabe^ Mais jusqu'à quel point le rôle capital qu'ils attri- buent aiix Koreischistes est-il conforme à la vérité historique? C'est ce qu'il est difficile de décider. On ne voit pas que l'im- portance littéraire des Koreischites ait été fort considérable avant l'islamisme. Les poètes les plus célèbres de cette époque appartiennent aux tribus de l'Arabie centrale , aux Kindiens , aux Békrites, aux Taglibites, aux Dhobyftn, aux Ghatàfan. Les ' Ibn-Khaldoun , ap. de Sacy, op. cit, p. & 1 6 et suiy. LeA schérifis de la Mecque eovoîeot leurs fib faire leur rhëbrique parmi les tribus bédouines. Aux époques florissantes de rislamisme, les familles «^lentes d* Afrique et d'Espagne faisaient également faire è leurs fils une sorte de voyage littéraire dans le désert. (Voy. Aman, Soiwan el^Mota, noL p. 998.) SAS HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Arabes eux-mêmes ont remarqué que les Koreischites n'eurent avant l'islamisme aucun poète distingué ^. C'est dans la rédac- tion du Coran que l'influence du dialecte koreisdiite fui déci- sive. H est possible que, pour obéir à des vues préconçues et faire de Koreisch une race privilégiée, destinée à donner à l'Arabie son prophète , on ait antidaté l'influence de cette tribu sur la formation de 1^ langue. La question pré^nte est, du reste, subordonnée à une autre bien plus grave : possédons- nous des textes arabes antérieurs à l'islamisme dont la forme soit assez siuthentique pour nous attester l'état de la langue avant ' la rédacition du Coran? Et celle-ci dépend, à son tour, de la solution d'un autre problème : à quelle époque commença-t-on à écrire dans l'Arabie centrale, et d'où venait le caractère qui y fut adopté? La dernière questionna été résolue d'une manière définitive par H. de Sacy , dans le mémoire spécial qu'il y a consacré \ Il résulte dés textes cités par pet illustre orientaliste, i^ que l'écriture n'a pas été connue des Arabes _de l'Hedjaz et du Nedjed plus d'un siècle avant l'hégire; a» que l'alphabet fat transmis aux Arabes par les Syriens; S'' que Técriture resta, avant l'islamisme, et même assez longtemps après, l'apanage presque exclusif des Juifs et des Chrétiens. L'opposition de l'^l {^iSicknSy indigène, qui ne sait pas écrire) et des v^' J^' [ki g^ng du livre, les gens qui lisent et écrivent, c'est-4-dire Kùdb ei'Âgàni, I , fol. 1 5 , 90 1 ( sappl. arab. i A 1 6). — Gonf. Gaosnn de Perœvai, £fMit, I^ 359 , 353. * JUi^ de PÀead. dêê imer, l. L. — Voir aussi Pococke, ^p«e. hàu Arab, p. 1 6 1 et auiv, — Geseuius, dans VEneycU d'Erach et Gruber, art. Arab. S^ir^ — Fres- nd, Joum. Oêiai. déc i838, p. bbh et auiv. — Gauasin de Percerai , Bnaiy t. i, p. 991 et auiv. M. de Sacy apporta quelques restrictions à son premier sentiment, dans le/oHnuiifet^avaiilf, août 1 895, et dans le ioum. oiùiC. avril 1897. LIVRE IV, CHAPITRE IL 343 les, Juifs et les Chrétiens)^ sui&sait à elle seule pour indiquer ces différents résultats. Une inscription du temps de Trajan, trouvée à Rome, mentionne, îl est vrai, un copiste pour l'é^ eriture arabe; mais M. de Sacy suppose, avec raison, qu'il s'agit là du caractère palmyrénien. — L'origine syriaque de l'alphabet arabe ne saurait non plus être révoquée en doute , soit que l'on compare les fongpies de l'ancien alphabet dit cou^ Jiqneh celles de Vestrangheh, A)it que l'on considère l'ordre pri- mitif des lettres de l'alphabet arabe, ordre qui est identique à celui des alphabets hébreux et syriaques; soit que l'on ana- lyse le nom du personnage que les Arabes donnent unanime- ment comme l'auteur de leur alphabet, Moramer, nom dans lequel on ne peut guère méconnaître le titre «*^, que portent tous les prêtres syriens^; soit enfin que l'on suive les pérégri- nations de ce Moramer, qu'on voit d'abord établi à Anbara, dans l'IraV, puis à Hira, où un Koreischite, d'autres disent un Kindien, apprend de lui l'écriture, et la transporte à la Mecque'. M. Fresnelét M. Caussin de Perceval ont démontré que c'est par erreur que les savants arabes ont voulu tirer le caractère arabe proprement dit, o^ djazm, du caractère musnad. L'opinion, très-répandue chez les Arabes, d'après la- quelle la langue et l'écriture syriaques sont la langue et l'écri- ture primitives, tient sans doute à ce fait^ que l'alphabet et la première culture littéraire leur sont venus des Syriens. L'al- phabet des inscriptions sinaïtiques, qui nous représente la plus ancienne écriture arabe connue , se rattache lui-même k l'es- tranghelo. 11 faut reconnaître, d'ailleurs, qu'avant l'emprunt fait à » * De Sacy, Hem,' de VAcod. deêimcr, t. L, p. 99&-395. * Cf. Land, Joa$meê Biêckofwm Epke90ê, p. i5. ^ Cf. Ibn-Khaldoun , dans la Ckrett, arabe de M. de Sacy, t. II, p. 809 et suiv. 3M HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Moramer, plusieurs alphabets étrangers étaient usités dans rHedja2. L'Arabie, à cette époque, offrait le spectacle singu- lier d'un pays où toute la culture intellectuelle était entre les mains d'étrangers. Les Jiiifs, les Syriens, les Himyarites, les Abyssins y écrivaient dans leur langue et dans leur alphabet : l'exemple de Grégentius, évéque de Zhéfar, prouve même que le grec était usité en Arabie. Quelques Arabes éclairés s'ins- truisaient auprès de ces étranger^, et appliquaient à la langue indigène les divers alphabets qu'ils voyaient pratiquer autour d'eux; mais ces applications n'avaient aucune régularité : les Arabes eux-ménies l'ont reconnu, et unanimement ils ont &it remonter l'origine de leur alphabet propre à l'école d'Anbara. Je ne citerai pour le prouver qu'un seul passage d'un poète kindien, dont j'emprunte la traduction à M. Fresnel : Ne méconnaissez pas le service, que vous a rendu Bischr'; car il fut pour vous un bon conseiller, un génie lumineux. Ce fut lui qui vous apporta le caractère djazm, à Taide duquel vous pouvez retenir ce qui était confusément éparpillé, Constater ce qui était perdu dans le vague , ressaisir' ce qui vous échap- pait et vous en assurer la poss^sion. Depuis lors, vous faites aUer et venir les. kalâmg, et vous avez des écrits dignes d'être opposés à ceux de Chosroès et de César*; Et vous pouvez' vous passer du Musnad de Himyar et de ce que les kalâms himyarites alignaient sur des feuillets. S IL L'origine de l'écriture arabe une fois constatée, nous pou- vons aborder la question plus difficile de l'authenticité et de l'intégrité des poèmes arabes antérieure au Coran. Cette ques- * Le Kindien qui apprit à écrire de Moramer. ' C'est-Â-dire des Pemns cl des Grecs. LIVRE IV, CHAPITRE IL 3&5 tioD y il faut le dire, a été tranchée jusqu^ici dans le sens affir- matif, sans aucune restriction. Les MùaUakât, les poésies du Hamâsa, du Kitâb el-Agâni, du Dwan des Hodheitites, ont été acceptées comme remontant réellement, pour le fond et pour la forme, à l'époque antérieure à Mahomet. Pour le fond, aucun doute n'est possible : ces poèmes nous représentent, comme un parfait miroir, la vie anté-islamic(ue ; ils se rap^por- tent certainement à des personnages et à des événements réek. Sous le rapport de la forme , on doit croire également qu'ils nous ont été conservés avec une fidéUté suffisante, et que les altérations, s'il y en a, n'affectent que les plus menus détails; mais le philologue a d'autres exigences que Thistorien et le littérateur. L'historien et le littérateur parlent sans hésiter d'un poète français du XII^ siècle , d'après un manuscrit du xiu* ou du XIV*; le philologue n'ose se permettre de dépasser, dans des conclusions , l'époque même du manuscrit et la province où il a été écrit. De même, tout en accordant aux poèmes anté- islamiques. une véritable authenticité, on peut encore se de- mander si ces curieuses compositions nous offrent réellement une langue antérieure à celle du Coran ; si l'on doit les prendre comme des textes écrits dès leur origine, et conservés tels qu'ils sortirent de la bouche de leurs auteurs. Ici la tâche du linguiste devient singulièrement délicate. La critique n'ayant guère été appliquée jusqu'ici à l'histoire de l'Arabie anté-isla-^ mique, ni même aux premiers temps de l'islam^, les plus grandes précautions sont nécessaires pour éviter à la fois une confiance excessive et un scepticisme exagéré. * H. Gaumn de Percevai tuj^'est |)ropo0é qae de recueillir et de grouper le» textes des écrivains arabes, et ce plaa il Ta réslisé avec une conscience parfaite; mais il déclare lui-même qu'il a écarté les questions de critique et ce qu'on ap- pelle philosophie de Phistoire. ( T. I , préf. p. xn. ) 346 * HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Et d'abord y il ne peut être question ni de ces prétendus poèmes arabes, contemporains de Moïse et de Salomon, que Scbultens acceptait encore S ni de cette ancienne littérature parabolique dont Lokman serait le représentant; encore moins de la singulière opinion qui a voulu attribuer au Livre de Job une origine arabe. Il est probable que, dès la plus haute an- tiquité, les Arabes, comme tous les peuples sémitiques, eu- rent des sages et une littérature de proverbes analogue à celle des Israélites. On peut même croire que les livres saptenti(nu$ de la Bible nous ont conservé une sorte de philosophie com- mune à toute la race sémitique, puisqu'on voit souvent men- tionnés avec honneur par les Hébreux des sages appartenant aux tribus arabes qui avoisinaient la Palestine au midi et à Test'-'; mais rien n'autorise à supposer, avec Schultens' et Seetzen^, l'existence d'une littérature arabe proprement dite t que les musulmans auraient détruite par haine du paganisme : une telle hypothèse est en contradiction avec ce résultat, dé- sormais établi , que l'écriture ne fut introduite parmi les Arabes qu'un siècle environ avant Mahomet. Il faut accorder un plus haut degré d'authenticité aux in- noAibrables petits discours en vers qu'on trouve dans les re- cueils d'histoire et de poésie anté-îslamiques. Tel est, en effet, le genre le plus ancien de la poésie arabe : une poésie toute personnelle , exprimant en quelques vers une situation de l'au- ' De S&cy, Mén. de VAcod. de$ wêcr. t L, p. 36 1 et suiv. — Wenrich, De poeieoê hebraieœ aique arabicœ origine , tndoUy muttiogiM coneenêu atque ditcrimme (Lipsie, i8&3)>p. 33el8uiv. * Voir ci-dGfl6U8, p. 1 96-1 97. On peut joindre à ces noms celui du roi Lenmét, qui figure en léte d^un fragment de poëme moral (Prw, xxxi, 1-9 ) , et que Roeen- niûUer et Gesenius regardent comme arabe. ' MonvmentavetuitieraArabiœ;h&yiàey 17&0. * Fundgruben dee OrienU , I , p. 1 1 7. LIVRE IV, CHAPITRE IL 3&7 teur, et se rattachant à uii fécit. C'est la forme primitive de la poésie sémitique , forme qucn trouve dans lés plus anciens monuments 4e Thistoire hébraïque, et presque dès les pre- mière jours du mon4e, dans la chanson de Lémek [Gen. nr, 93-a&)..Un ai^cien auteur arabe cité par Soyquthi, dans le curieux ouvrage intitulé Mouzhir, Ta très -bien remarqué : « Les anciens Arabes, dit-il , n'avaient d'autre poésie que les vers isolés que chacun prononçait à l'occasion^, v Soit que ces petits dis- cours poétiques présentent un mètre rigoureux, soit qu'ils affectent seulement la rime et un parallélisme analogue à celui des Hébreux^, il semble que les monuments de cette nature ne sont susceptibles que d'une demi-authenticité'. L'histoire politique et littéraire peut en tirer de précieuses lumières; l'histoire des langues ne peut s'en autoriser. Gomment suppo^ ser, ea effet, que des poésies de circonstance, antérieures quel- quefois de plusieurs siècles à Mahomet, aient été conservées tt une époque où l'écriture était rare ou inconnue t La tradition orale, d'ailleurs, est-elle un gardien assez fidèle pour nous attester dans ses moindres particularités le style de morceaux aussi peu arrêtés ? 11 est d'autant plus difficile de le croire , que , dès qu'il s'agit d'aventures antérieures à l'islamisme , lés conteurs arabes ne (ont guère parler leurs personnages autre- ment qu'en vers ou en prose rimée. Ce n'est donc que pour les poèmes réellement composés et d'une certaine étendue, pour les ka$ida$, qu'on peut agiter les questions d'authenticité , dans le sens' complet du mot. " ^^ j cW WyM ^l^Jft û(|^( ^ oyJ[ J,t^J( ^ f (Suppl. ar. i3i6', t. II, p. 3i&.) — Gf, Pococke, 5p«c. hût, Arab» p. 166. — - W. Ahlwardt, Vêber P^fm wid PoeOc der Araber (Greifiswald , 1 856), p. 7 et suiv. 1 Wcnridi, op. a(. p. ko cl suiv. * Gonf. de Sacy, Mém, de l'Aead. de» meer, el beUe§^Ure$, L L,'p. 353 et saiv. 368 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Tout nous atteste que ce genre de poésie n'est pas ancien chez les Arabes. On en attribue généralement l'invention à Mohalhel , qui vivait vers la fin du v* siècle , et qui parait avoir introduit dans la poésie arabe b^ucoup de raffinements ^ H est probable que cette invention coïncida avec l'établissement des concours poétiques de la foire d'Ocadh. Imroulkaîs, le plus ancien des auteurs de Moallakâi, naquit vers Tan âoo^. Tous les noms illustres de la poésie anté-islamique » ceux de Schan- ^ fara » de Taabbata-scharran , de Tarafa , d'Antara , de Hareth ben-Hillizé , de Zohey r, d^Amrou ben-Kelthoum , d'Ascha , de Nabéga Dhobyani,.de Lébid , s'échelonnent entre cette époque et le commencement de l'islamisme. Ce qu'il importe de re- marquer, c'est que les œuvres dont nous parlons ne sont plus dessers isolés, des quatrains de circonstance, des ariettes, comme ceux qui remplissent les anciens recueils de poésies arabes, mais des compositions régulières, portant un nom d'auteur, et ofirant les caractères^ extérieurs de l'authenticité la plus arrêtée. On ne peui nier cependant que la lecture de» ces poèmes ne fasse naitre quelques doutes, non sur leur origine première, mais sur leur intégrité et sur la nature des procédés par les- quels ils nous ont été transmis. La langue des Moallakflt, en effet, bien que renfermant beaucoup de tours et de mots tom- * Pooocke, he, ciL — De Saey, dans les Mém, de PAcad, d$ê tnicr. €t 6#?bifet> tre», t L , p. 35o et suiv. — Gaussin de Perceval, Essai, L II, pé 980. — De Hain- mer, lÀteraturgesehkhte der Araber^ 1. 1 , p. 96, 98 et raiv. — Ahlwardt , op. oC p. 9 et 8UÎV. M. Fresnel a souteoa, eependaat, les droits de priorité de Zoheyr ben- Djinab. {Premièn hUn sw rhàtùire dês Arabn avant Fislam, p. 76 ; Seconde UUn, p. 65 et smv.) ' Le poème d^Abou-Adina, qui serait de Tan 660 environ et dont M. de Sacy {op. cit. p. 371-379) et M. Wenrich {op. cit. p. /i9-/i3) ont admis i'aathenticitc , n^appartient pas à la catégorie des kasidas. LIVRE IV, CHAPITRE IL 349 bësen désuétude, n*esi pas dans son ensemble ce qu'on peut appeler une langue archaïque; sous le rapport de k gram- maire, cW parement et simplement de l'arabe littéral. Sans doute ces poèmes sont, depuis longtemps, devenus obscurs pour les Arabes les plus instruits ; ils sont toujours accompar gnés d'amples commentaires , et les meilleurs commentateurs , Zouzéni par exemple, proposent souvent deux ou trois expli-^ cations pour un même vei^. Mais, de ce que les marges de Sophocle ou d'Aristophane sont couvertes de scolies, en cori- clura-t-on que la langue de ces auteurs comparée à la langue classiqire offire un caractère d'archaïsme ? Il faut , ces me semble , distinguer soigneusement dans les vieux poèmes l'obscurité qui provient d'une langue fframmaticalemmt surannée , comme c'est le cas pour Homère , Ennius , etc. et celle qui provient de la manière ou dû style particulier à l'écrivain. Ajoutons qu'on trouve à peine dans les ouvrages dont nous parlons quelque3 vestiges d'idiotismes de tribus, et de ce qu'on appelle, dans les questions de littérature ancienne, proprietaê semnonis. Or il serait bien extraordinaire que des poèmes composés plus de cent cinquante ans avant que l'unité de l'Arabie fdt fondée, sur des points fort éloignés du terri*- toire arabe, chez les tribus les plus diverses, n'eussent conservé qu'une si faible trace de leur origine provinciale. Les Arabes eux- mêmes reconnaissent que l'unité de la langue ds^ssique n'a été fondée que par la pjépondérance des Koreischites et grâce & l'emploi exclusif du dialecte mekkois dans le Coran. Gom- ment donc supposer, longtemps avant Mahomet , une langue littéraire unique , s'étendant d'un bout à l'autre de l'Arabie , surtout .quand il est constaté que les Koreischites n'eurent qu'une faible part au mouvement de la poésie anté-isla- mique ? 350 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. L'apparition des kasidas coïncide à peu près » en Arabie , avec Tintroduction de récriture dans ce pays. Cependant les auteurs de Moallakftt n'apparaissent nullement comme des écrivains M récriture était sans doute» à cette époque, le monopole des Chrétiens et des Juifs dans THedjaz. La kasida, d'ailleurs, est par son essence un poëme récitatif; les Arabes, comme tous les peuples sémitiques ,. n'ont jamais connu le grand poëme nar- ratif, celui qui réclame le plus impérieusement l'écriture. Il est donc probable que les poésies anté-islamiques étaient gardées uniquement dans la mémoire, soit de leurs auteurs, soit de la tribu à laquelle elles appartenaient : en effet , la compilation des principaux Divans appartient au m* siècle de l'bégire ^. On comprend combien un pareil mode de transihission est de nature à exciter des scrupules, surtout quand on songe que les ouvrages dont il s'agit ont dû traverser, pour arriver à l'écri-* ture, une période de fanatisme et d'hostilité contre le passé, telle que fut l'époque de Mahomet. Certes nous sommes dis- posé à accorder à la mémoire arabe une ténacité exc^tion- nelle; mais la mémoire ne s'attache point à des particularités grammaticales. La tribu de Hodheil pouvait conserver de siècle en siècle la tradition de son vaste Divan , et ^ sans le vouloiir, en altérer insensiblement la langue» C'est là, du reste, une observation qui s'applique à toutes les collections de chante populaires faites par des littérateurs : ces chante peuvent ap* partenir pour le fond à une grande antiquité; mais, dans la forme, ils offrent rarement une langue antérieure à l'époque où ils ont été recueillis. ^ Taraia (v. 3 1 de sa MoaUaka) coiopare les joues de sa maltresse an papier (x^pTiif) de Damas, ^LtJ [ #j»^v^ ; mais ce Irait prouve du moins que le papier était une substance exotique et rare en Arabie , à Tépoque où le poëme fut compose. * Voy. Kosegarten, Thê Pùemê of the HutaiUê, 1. 1, préf. Londres, i854. UVRE IV, CHAPITRE II. ' 351 Les variantes qu'offrent,^ dans les diverses compilations, les poèmes anté-islamiques , prouvent bien qu'on ne petit les envisager comme des ouvrages écrits et fixés une fois pour toutes par leur auteur. Ces variantes, qui proviennent évidem- ment des infidélités de la mémoire, et qui raremen^t atteignent le fond de la pensée, sont, en un sens, des garanties de la tradition recueillie par les compilateurs; mais elles prouvent aussi que le linguiste n a pas le droit de tirer des conséquences trop rigoureuses de textes conservés par un procédé aussi incertain. La bouche est mauvaise gardienne du langage, et les pièces qui lui sont confiées se modifient à mesure que Ti- diome lui-même subit la loi du changement. L'examen du contenu des poèmes anté-islamiques confirme ces doutesi II n'y est pas fait une seule allusion aux anciens cultes de l'Arabie, si bien qu'en les lisant on serait tenté de oroire que l'Arabie , avant Mahomet , n'avait aucune religion. Quoique les poètes fussent, en général, des impies et des épi- curiens avoués, un tel silence serait inexplicable, si leurs ou- vrages n'avaient souffert, après la prédication musulmane, une épuration destinée à en faire disparaître toutes leis traces de paganisme. Les généalogies, qui auraient dâ, ce semble, être bien plus à l'abri de la censure , n'y échappèrent pas. Les familles qui s'étaient appelées Tem-AMt et Aus-Monât, s'appe- lèrent, après l'islamisme, Teimr'Anah et Aw-AUah, afin^ue le nom de fausses divinités ne souillât pas les généalogies arabes ^ On peut affirmer que les copistes se fussent refusés à écrire et 1 Jaif6eI.i4g(liit,I,lbl.939v*(8uppl.ar. ihih): éj^ <1I| Ju- --^' c^lr^Uiûfl ç^H Jt |^J jJLj c;>>^[ y£s>X (Gonf. Gauflfiin de Perceval, É$$ai, t. Il, p. 6/19. — Derenbourg, notefl sur les Sétmcm de Hariri , 9* édit. t. II , p. 1 95 .) 352 * HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. les grammairiens à commenter des passages empreints d*idées païennes. Or le puritanisme grammatical ne le cède guère, chez les Arabes, au puritanisme religieux; écrire un solécisme, ou du moins ce qu'il regarde comme tel, est un aussi grand sacrifice pour un bon grammairien arabe que d'écrire le nom d'une fausse divinité. Envisageant la langue arabe comme une sorte de révélation, créée tout d'une pièce, les grammairiens et les copistes ont effacé peut-être bien des archaïsmes qu'ils ont dû regarder comme des fautes. La philologie sans critique procède toujours de la sorte; manquant du sentiment des ré- volutions de la langue , elle étend sur tous les âges un niveau uniforme, et voudrait astreindre les écrivains tl^ siècles passés à des règles qui n'existaient pas de leur temps. Avouons toutefois que ces considérations, qui seraient dé- cisives pour toute autre littérature, ne le «ont pas autant quand il s'agit de l'arabe. D'une part, la fixité des langues sémitiques^ de l'autre, les miracles de mémoire dont les Arabes se sont montrés capables, surtout dans la conservation de leurs généalogies , commandent de n'appliquer qu'avec la plus grande réserve à la question présente les lois générales de la philo- logie comparée. La littérature hébraïque nous a déjà offert un phénomène analogue : là aussi nous avons été fraj^é de l'i- dentité grammaticale qui pourrait faire croire au premier coup d'œil qu'un même niveau a passé sur les monuments de cette littérature. 11 est certain que la langue arabe s'est fixée de très-bonne heure , et que le purisme a été de mode bien avant Mahomet. La métrique rigoureuse des anciennes poésies fournit une autre induction en faveur de leur intégrité. L'origine de la métrique arabe est, il est vrai, fort obscure. Les parties poé- tiques du Coran (les dernières surates) sont écrites dans le rhythme libre de l'ancienne poésie hébraïque, rhythme fondé LIVRE IV, CHAPITRE II. 353 « uniquement sur la coupe du discours , le parallélisme et l'as- sonance; d'anciennes poésies arabes sont écrites dans le même rhylhmeS qui est la véritable forme de la poésie sémitique; mais, quelque hypothèse que l'on adopte sur les causes qui portèr^t les Arabes à introduire dans leurs vers le mécanisme de la quantité, il est impossible que cette introduction soit postérieure à l'islamisme. On a donc là une garantie assez forte contre les retouches que les anciennes kasidas auraient pu subir. A vrai dire , nous pensons que les Arabes n'ont jamais altéré à dessein leurs anciens poèmes , et que les modifications qui s'y sont introduites sont de ceUes que ne peut éviter un texte transmis sans le secours de Fécriture. Dans toute la dis- cussion qui précède, nous n'avons voulu soulever qu'un pro- blème de linguistique, et ce problème, nous avons cherché à le poser plutôt qu'à le résoudre. Le linguiste, opérant slir les particularités les plus délicates de la langue, est obligé de porter une grande sévérité dans la discussion des sources; mais, au fond, les monuments de la poésie anté-islamique n'auraient rien perdu de leur valeur historique et littéraire, même dans l'hypothèse où il serait établi qu'ils ne peuvent être invoqués avec assurance en philologie comparée, et qu'on ne possède pour l'arabe aucun testo di Ungua absolument irré cusable antérieur à la rédaction du Coran.* S III. Le moment de la rédaction du Coran étant le moment ca- pital de l'histoire de la langue arabe , il importe de fixer d'une manière précise les degrés par lesquels ce livre arriva à une^ constitution définitive. Ecartons d'abord l'hypothèse d'un texte * Conf. Wenrich, Depoeieoa hebr, aique arab, origine , etc. p. ào-hi , a/j5. 1. s3 354 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. composé avec suite et régulièrement écrit. Les Arabes , k l'é* poque de Mahomet, n'avaient pas l'idée d'un ouvr:àge de longue haleine. Un homme singulier, antérieur d'une génération au Prophète, et qui parait avoir été fort supérieur à ses contem- porains sous le rapport intellectuel et religieux, Waraka, fils de Naufal , était arrivé , il est vrai , par ses rapports avec les Juifs et les Chrétiens, à un assez haut degré de littérature; il essaya même d'écrire la langue arabe avec le caractère hébreu et traduisit , dit-on , en arabe une partie des Evangiles ^ ; mais ce ne fut là qu'un phénomène isolé. La plupart des faits par lesquels on cherche à établir que les Koreischites, à l'époque de l'islamisme, employaient habituellement l'écriture^ sen- tent fort la légende , ou du moins n'établissent pas qu'ils écri- vissent des livres suivis. Mahomet lui-même savait-il écrire? Aucune raison ne porte à lé croire^. Le Goran„.daiis sa forme primitive, était une récitation plutôt qu'une kcHire, et c'est dans ce sens qu'il faut entendre lé verbe t/i , dans plusieurs des passages où on l'a traduit par lire (sur. xvi , v. i o o ; lixiii , v. ù o). Il n'est pas dou- teux que certaines parties du Coran n'aient été écrites du vivant même du Prophète, mais il est très-douteux qu'elles l'aient été par le Prophète lui-même. Le nom du plus célèbre de ses i Kitâb el-Agâni, I, fol. i6/i (suppl. arabe, lâi/i) : oU^I ojjo (jt^ oJJu (jt >Lâ U Jb^^l ^ JLA-jyJL (_>x£a3 3yJI. (Gonf. Gftussin de Perceval, Essai, I, aga^ 3aa.) L^exemplaire de Qotha, dont s^est servi M. de Hammer [Lkeraturgeschichte der Araber, I, p. 67), porté qoe Waraka traduiflit rÉvaiigile de Vhéhreu en arabe, ce qui pourrait inspirer des doutes sur la véracité du récit ; mais cette inexactitude s^expiique par la fausse opinion où sont les an- leurs arabes que la langue sacrée des cbri^tiens, à Tépoque de la prédication de Tislamisme, était Thébreu. ( Voy. le passage de Soyontbi publié p. 3s/i-ds6 , note, i/'édil.) * ^ De Sacy, Mém, de VAcad, des trwer. et beUcs4eUrc8, t. L, p. 3o5 et suiv. ^ tbid. p. a()5 et suiv. r LIVRE IV, CHAPITRE II. 3&5 secrétaires 9 Zeyd ben-Thabet, nous a été conservé, avec de curieuses anecdotes qui nous font assister, pour ainsi dire , à la rédaction même du livre révélée L'ambiguïté avec laquelle Mahomet s'exprime sur l'écriture (sur. xxix, lià^li']; lxviii, i; xcvi, 1-5) prouve qu'il n'était-pas fâché de laisser croire qu'il sWfBÎi étnre par une grâce divine, sans l'avoir appris. Un trècH curieux passage de la surate xxix* (v. AA-Ay) ne semble expli- cable que dans ce sens^. Peut-être, après son entrée dans la carrière prophétique , se fii-il enseigner, par quelque Chrétien ou quelque Juif , les premiers éléments de l'alphabet; mais il est certain, du moins, qu'U ne connut les traditions juives et chrétiennes que par des récits faits de vive voix. L'extrême in»> certitude avec laquelle il rapporte ce qu'il a ou! dire, le tour si libre qu'il y donne, la manière dont il estropie les noms pro- pres , montrent qu'il n'était gêné par l'autorité d'aucun texte. Bien que tout le fond des Evangiles apocryphes et des traditions rabbiniques se retrouve dans le Coran , il est impossible d'y dé- couvrir une seule citation textuelle d'un livre juif ou chrétien^. ' Tel est le rëdt suivant , tiré par M. de Sacy {Mémoire9 de l'Académie dee tMcr, et beUe$'hUre», t. L, p. 3o8) du commentaire sur VAkila : «Voici une preuve que l*on mettait par écrit, pour le Prophète lui-même, ses propres révélations. Quand Dieu loi eut révélé ce verset , Ceux dee croyanU qtd êeront demeurée chet eux pinar éoiier lee htuarde dee combate ne eerotU pae égaux aux outrée y Abdallah ben Djahasch et le fils d^Oum-Maktoum lui dirent : « Apôtre de Dieu , nous sommes «aveugles; n*y a-t-il pas pour nous une exception??) Alors Dieu révéla ces mots : A Fexeeption de ceux qui ont quelque infirmité. Aussitôt Mahomet dit, «Que Ton «m^pporte FomoplAte et Tencrier,» et Zeyd y ajouta ces mois par ordre du Pro- phète. «Il me semble, disait Zeyd en rapportant cela, voir encore Tendroit de «Tos où fut faite cette addition ; c*était près d^une fente qui se trouvait dans Tomo- V plate.» * De Sacy, iM. p. 996. ^ Gonf. G. Weil, BibUeche Legenden der Muedmànner; Francfort, iBUb, — Geiger, Wae kat Mohammed aue dem Judenthume axtfgenommenf Bonn, i833. — De Sacy, Journal de» Savante , mars 1 835. :a3. '356 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. La rédaction du Coran se présente ainsi à nous avec des caractères tout à fait particuliers, et dont on ne trouve Tana- logue dans aucune autre littérature. Ce n*est ni le livre écrit avec suite, ni le texte vague *et indéterminé arrivant peu à peu à une leçon définitive, ni la rédaction des enseignements du mattre faite tardivement d'après les souvenirs de ses disci- ples; c'est le recueil des prédications, et, si j'ose le dire, des ordres du jour de Mahomet, portant encore la date du lieu où ils parurent et la trace de la circonstance qui les provo- qua. Chacune de ces pièces était écrite, après la récitation du Prophète, sur des peaux, sur des omoplates de mouton, sur des os de chameau, des pierres unies, des feuilles de palmier, ou conservée de mémoire par les principaux disciples, que l'on appelait porteurs du Coran. Quelques zélés sectaires dé- sapprouvaient même les rédactions par écrit, pensant qu'elles feraient tort à la mémoire. Ce ne fut que sous le khalifat d'Abou-Bekr, après la bataille de Yemâma, où périrent un grand nombre de porteurs du Coran , que l'on songea à « réu- nir le Coran entre deux ais» et à mettre bout à bout les fragments détachés et souvent contradictoires des discours de l'apAtre de Dieu. Il est indubitable que cette compilation , à laquelle présida Zeyd ben-Thabet, le plus autorisé des se- crétaires de Mahomet, fut exécutée avec une parfaite bonne foi. Aucuh travail de coordination ou de conciliation ne fut tenté : on mit en tête les plus longs morceaux ; on réunit à la fin les plus courtes surates, qui n'avaient que quelques lignes, et l'exemplaire type fut confié à la garde de Hafsa , fille d'O- mar, l'une des veuves de Mahomet. Une seconde récension eut lieu sous le khalifat d'Othman. Quelques variantes d'ortho- graphe et de dialectes s'étant introduites dans les exemplaires des différentes provinces ; Othman nomma une commissian, LIVRE IV, CHAPITRE IL 357 toujours sous la présidence de Zeyd, pour constituer définiti- vement le texte d'après le dialecte koreischite ; puis , par un procédé très -caractéristique de la critique orientale, il fit re- cueillir et brAler les autres exemplaires, afin de couper court aux discussions. Les feuilles de Zeyd elles-mêmes furent brû- lées sous le khalifat de Merwan* C'est ainsi que le Coran est arrivé jusqu'à nous sans variantes bien essentielles ^. Certes, un tel mode de composition est fait pour inspirer quelques scrupules. L'intégrité d'un ouvrage longtemps confié à la mémoire nous semble assez mal gardée. Des altérations et des interpolations n'ont-elles pas pu se glisser dans les révisions successives? Quelques hérétiques musulmans ont prévenu, sur ce point, les soupçons de la critique moderne^. M. Weil, de nos jours, a soutenu que la récension d^pthman ne (ut pas purement grammaticale , comme le veulent les Arabes , et que la politique y eut sa part'. Toutefois le Coran se présente à nous avec si peu d'arrangement, dans un désordre si complet, ' De Sacy, dans les Noticeê €t êxtnûu, t VIII, p. 996 et niiv. — Gaiwin de Perceva!, Esêoi sur rhùt. de$ Arabn, t. UI, p. 378-379. — Th. Noeldeke, De origine et compoeitione Surùrum Qoranicarum ^muêque Qorani; GœttiDgue, 1 856. On possède des manuscrits dn Coran presque contemporains d^Othman; tel est, par exemple, ie Coran ooafiqae qai faisait partie de la collection de M. Marcel. ( Voy. Quatremère, Mim, sur le gvûi dee Uvree ehet lee Orientaux , p, 9 et suiv. — Belin , dans ie J&umal asiat. décembre i856,p. /igiet suiv.) En tout cas, il existe des exemplaires où Ton a cherché à se conformer, dans les pins menus détails , aux copies modèles faites par Tordre d'Othman. (Voy. de Sacy, Notieee et extr, t. IX, p. 76 et suiv.) La Biblidthèque impériale possède aussi de très-^mciens fragments , provenant d^Asseiin, dont la critique n*a pas encore fait un usage suffisant * Voiries curieux extraits, donnés par M. de Sacy, du commentaire sur le poëme ÀkHiL {Mém. de PAead. dse Mser. et beUee-htiree ^ t L, p. 399 et suivantes, et iVoliost et extnùu , t VIII, p. 333 et suiv.) ^ Mohammed der hrophei, eem Ltèen tmd teine Lehre; Stuttgard, i863. — HiêUfriiek'kritiichê EiMtmtg m den Koran; Bi<^fe1d, iSAA. — Geeckichte der (^l^en, t. I, p. f68; Manheim, 18A6. 358 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. avec des contradictions si flagrantes;' chacun des morceaux qui le composent porte une physionomie si tranchée , que rien ne saurait, dans un sens générai, en attaquer l'authenticité. Pour la question spéciale qui nous occupe, d'ailleurs, il suffit de savoir que la langue du Coran représente bien rigoureu- sement le dialecte koreischite de l'an 65 o environ de l'ère chrétienne. La tribu de Koreisch nous apparaît ainsi comme la tribu de Juda de l'Arabie , destinée à. réaliser l'unité de la nation et à élever son dialecte particulier au rang de langue sacrée. C'est ce dialecte, en effet, irrévocablement fixé, qui va devenir, par la conquête musulmane , la langue commune de l'Arabie et l'idiome religieux d'une fraction si importante du genre humain. Sous le rapport tlu style, le Coran parut, à son origine, une grande nouveauté , et l'on peut dire que ce livre fut le signe d'une révolution littéraire aussi bien- que d'une révolution religieuse. Le Coran représente, chez les Arabes, le passage du style versifié à la prose, de la poésie à l'éloquence, passage si important dans la vie intellectuelle d'un peuple. Au com- mencement du vii* siècle , la grande génération poétique de l'Arabie s'en allait; des traces de fatigue se manifestaient de toutes parts ; les idées de critique littéraire apparaissaient comme un symptôme de mauvais augure pour le génie. Antara, cette nature d'Arabe si franche, si inaltérée, commence sa Moallaka, presque comme ferait un poète de décadence : ce Quel sujet les poètes n'ont-ils pas chanté? » Un immense étonnement accueillit Mahomet, quand il parut, au milieu d'une littérature épuisée , avec ses vives et pressantes récUaiims. La première fois qu'Otba , fils de Bébia , entendit ce langage énergique , sonore , plein de rhylhme, quoique non versifié, il retourna vers les siens tout ébahi. «Qu'y a-t-il donc? lui demanda-t-on. — Ma LIVRE IV, CHAPITRE II. 359 fai, répondit-il, Mahomet m'a tenu un langage tel que je n'en ai jamais entendu : ce n'est ni de la poésie , ni de la prose , ni du langage magique, mais c'est quelque chose de pénétrant, n Mahomet, sans doute en qualité de Koreischite, n'aimait pas la prosodie rafiBnée de la poésie arabe ^ Il répète à tout propos qu'il n'est ni un magicien, ni un poëte, bien que son styie, rimé et sententieux, eût quelque ressemblance avec celui des magiciens^. Il faisait des fautes de quantité quand il citait des vers, et Dieu lui-même se chargea de l'en excuser dans le Coran : « Nous n'avons point appris la versification à notre Prophète ; elle ne lui convient pas : le Coran n'est qu'une prédication et une récitation éloquente ^. n Certes , il nous est impossible aujourd'hui de comprendre le charme si puissant de cette élo- quence. La lecture suivie du Coran (j'excepte les dernières surates) est, pour nous, à peu près insoutenable; mais il faut se rappeler que l'Arabie n'a jamais eu aucune idée des arts plastiques ni des grandes beautés de composition , et qu'elle fait consister exclusivement la perfection dans les détails du style. Les conversions les plus importantes , celle du poëte Lébid , par exemple, «'opèrent par l'effet de ^certains morceaux du Coran ^; et à ceux qui lui demandent un ^gne^^ Mahomet n'oppose d'autre réponse que la pureté parfaite de l'arabe qu'il parle et la fascination du genre nouveau dont il a le secret.^. ' Gausân de Perceval, Euai, t 1, p. 353; t. III, p. 969. ' « R îKrf. 1 1, p. 366. ^ Sur. nxTi, V. 69 : (jv^^ (;)rw9«y^^ Jlyb ^f. Le mot (^^^a^t quoii iraduil d^ordinaire par évidBnt, semble désigner dans le Coran Téloquenco en proee, conformément à Tanalogie du mot (^Lo. * Comparez le curieux récit de la conversion des Témimites. ( Caussin de Per- ceval, Etitti, t. m, p. 970 et soiv.) ^ Le mot ÎLi ! , qui désigne les versets du Coran , veut dire tigtie ou miracle. * Sur. XXVI, V. 195. 360 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. M. Weil a, du reste, observé avec raison que, sous le rap- port du style , le Coran se divise en deux parties bien distinctes : l'une, renfermant les dernières surates, est écrite dans un rhytbme fort analogue à celui des poètes et des parabolistes hébreux; l'autre, renfermant les premières surates, est d'une prose cadencée qui rappelle la manière des prophètes d'Israël, dans les moments où leur ton est le moins élevé. On peut supposer, avec M. Weil, que les morceaux, resplendissants de poésie, qui forment les dernières surates, sont l'œuvre de là première période de la vie du Prophète , période de conviction naïve et d'entraînement spontané; tandis que les surates pla- cées les premières, pleines de politique, chargées de disputes, de contradictions, d'injures, seraient de son ftge pratique et réfléchi, où la lutte et le sentiment des difficultés à vaincre avaient terni la délicatesse première de son inspiration. Le pas- sage de la poésie à la prose se serait ainsi opéré dans Tâme du Prophète, au moment où il s'opérait dans la conscience même de l'Arabie. Le Coran, en donnant à l'Arabie un texte autorisé et re- connu de tous, joua le rôle d'une véritable législation gram- maticale. Le Prophète a déclaré que le Coran est écrit dans l'arabe le plus pur ((j:h^ jtlfc ^^Uli^ sur. xvi, io6;xxTi,ig5). Chez un peuple aussi préoccupé du langage que l'est le peuple arabe, la langue du Coran devint comme une seconde re- ligion , une sorte de dogme inséparable de l'islamisme. Peu d'idiomes ont reçu, de leur vivant, une consécration aussi so- lennelle. L'arabe du Coran est, aux yeux du musulman, la langue d'Ismaël, révélée de nouveau au Prophète; c'est ia langue que Dieu parlera avec ses serviteurs au jour du juge- ment ^ ; seul , entre tous les idiomes , l'arabe est susceptible d'une * Pococke, .Sp«ci'men A»(. Atahum , p. 1 56. LIVRE IV, CHAPITRE IL 361 grammaire; toutes les autres langues ne sont que des patois grossiers , incapables de règle. Le scheikh Rifaa , dans la Rela- tion de son voyage en France, se donne beaucoup de peine pour détruire sur ce point le préjugé de ses compatriotes , et leur persuader que le français possède aussi des règles, des délicatesses et une académie. S IV. On peut dire que la rédaction du Coran termine l'histoire de la langue arabe, puisque, à partir de ce moment ( vers Tan 6 5 o), la langue n'a plus varié , au moins^ dans sa forme litté- raire et classique. L'arabe qu'écrivent de nos jours les bommes instruits de tous les pays musulmans ne difière en rien de ce- lui qui sortit de la récension d'Othman. Quelques opérations purement extérieures de fixation grammaticale, voilà ce qui reste à raconter pour acbever l'histoire des révolutions de l'i- diome littéral. L'imperfection de l'alphabet dans lequel était écrit le Co- ran exigea tout d'abord quelques réformes. On ne saurait dire si cet alphabet était le caractère depuis appelé cùufique, du nom de la ville de Coufa» où il se maintint plus longtemps qu'ail- leurs, ou s'il se rapprochait davantage du neskhi, qu'on a re^ présenté, bien à tort, comme une invention moderne ^ Quoi qu'il en soit, dérivé certainement de l'estranghelo, l'ancien al- phabet arabe avait le double défaut des alphabets fatigués par un long usage et appliqués artificiellement à une langue pour * Les médailles et quelques-uns des plus ancieus fragments d*ëcriture arabe que Ton possède, une pièee de Fan 4o de Th^re, deux pièces de Tan i33, les mon- naies d*Abd-el-Mélik, de Tan 76 environ, sont en neskhi. (Gonf. de Sacy, lowrnal anaL mai i8i3, aoàtidaS, aviil 1897 ; Jwmaldn SavanU, avril i8a5; Mém, de VÀeùd, dm imer, nouv. série, t IX , p. 66 et suiv.) Il en est de même des tes^* aères en verre d'Osama, fib de Zeyd, al-Tonoukhi , frappées vers Tan 97 de Thé- 362 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. laquelle ils ne furent pas créés. D'un coté, il représentait d'une manière incomplète les particularités de la langue qui l'avait adopté; de l'autre, beaucoup de lettres s'y ressemblaient et se confondaient entre elles. Ces défauts produisaient dans la lec- ture du Coran de grandes hésitations et des variantes qui ef- frayaient les puristes. On se trouva ainsi amené à créer, pour remédier à l'insuffisance de l'alphabet primitif, deux sortes d'appendices : i* des poinU diacritiques, servant à distinguer l'une de l'autre les lettres qui avaient la même figure, s* des painU-ffoyelles et* des signes orthographiques, destinés à mar- quer le son des voyelles variables et certains accidents de pro- nonciation. Les historiens arabes nous ont transmis des détails plus ou moins légendaires sur la manière dont se fit cette réforme , qu'on attribue généralement à Aboul-Aswed, mort l'an 69 de l'hé- gire (688 de notre ère)^ 11 est certain, du moins, que l'in- novation remonte au premier siècle de l'hégire^. Les exemplaires du Coran de la recension d'Othman ne portaient, dit-on, au- cun signe étranger aux lettres. Il parait même que les essais d'Aboul-Aswed furent d'abord blâmés par les musulmans ri- gides, et qu'il fallut le progrès toujours croissant des fautes de lecture pour qu'on s'arrêtât à ces expédients. L'opération, en effet , n'était pas sans importance pour le dogme et la politique, gire, el de celles d'Obeid^AUah , fils de Khabkhab, frappées au commencement du II' siède. (De Sacy,- M^. de VAead. de» nuer. t. IX, p. 79-73, note. y La. cu- rieuse pièce découverte par M. Élienne Barthélémy, et qui parait être roriginai même de la lettre que Mahomet adressa au vice-roi dxgypte. Tan 6 de Th^re, est plut6t en caractères coufiques. (hwmfdûtiaU décembre i85Â.) 1 De Sacy, dans les Mém. de VAead. de» macr. 9theUe»ieÊUt»y t L, p. 817 et saiv. et dans les Notiee» et extrait», t VIII , p. 990 et suiv. t. IX, p. 76 et suiv. * Dans les anciens manuscrits d'Asselin , dont qudques-ims paraissent appar- tenir au commencement du 11' siècle de Thégire, on trouve déjà des points dia- critiques sous la forme de traits linéaires. LIVRE IV, CHAPITRE II. 363 puisqu'elle obligeait les commentateurs et les lecteurs à adap- ter un sens fixe et déterminé, tandis que l'état primitif du livre leur laissait la liberté de choisir entre plusieurs manières de lire et d'entendre. Aussi essaya-t-on de satisfaire les scrupu* leux en écrivant les points* voyelles et les signes orthographi- ques avec une encre différente de celle du texte. Quant aux points diacritiques , on ne les distingue jamais par une cou- leur différente, parce qu'ib sont censés ne rien ajouter au texte, mais seulement en faciliter la lecture : ils ne sont em- ployés, d'ailleurs, que d'une manière fort irrégulière dans les manuscrits coufiques et même dans beaucoup de manuscrits cursifs jusqu'au XII* ou au xiii'' siècle. Malgré ces améliorations, l'alphabet arabe resta toujours un caractère fort imparfait^. En faut-il d'autre preuve que la néceissité où l'on se trouve, dans les dictionnaires géographi- ques, par exemple, d'épeler les mots, en spécifiant la voyelle, toutes les fois qu'on veut arriver à quelque rigueur? La trans- cription des noms propres étrangers, et, en particulier, des noms grecs , pour lesquels le copiste n'est point guidé par l'a- nalogie, est devenue, dans les manuscrits arabes, d'une telle inexactitude , qu'une foule de précieux renseignements , trans- mis par les musulmans sur les littératures et l'histoire de l'an- tiquité, sont pour nous lettre close. Les langues enfin qui ont adopté l'alphabet arabe , telles que le malay , ont subi le contre-coup de ces graves défauts , et l'on peut dire que l'al- phabet arabe. Je plus en plus défiguré par les caprices des scribes orientaux, est devenu, pour les langues de l'Asie, un véritable agent de destruction. * Sur les diverses modifications de Talphabet arabe, voy. de Sacy, Mém, de VAemi, eu nmir. et bêtttê-kUm, t L, p. 809 elsoiv. — Roeeninûller, InêiiL ad fwtdameiUa Imguœ aralnem, % if. 364 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Le momeot de l'introduction des points-voyelies dans l'écri- ture arabe coïncide avec l'introduction des mêmes signes chez les Syriens et les Hébreux. Cet essai pour améliorer l'écriture sémitique se régularise partout au vii* et au viii* siècle. Un tel synchronisme ne peut être fortuit, et les analogies des trois systèmes de vocalisation sémitique sont d'ailleurs trop pro- fondes pour qu'il n'y ait pas eu entre les trois inventions de nombreux points de contact. M. de Sacy, qui pensait que le système des Arabes était d'abord plus compliqué et plus res- semblant à celui des Hébreux qu'il ne l'est aujourd'hui , avait annoncé un travail où il éclaircirait ces deux vocalisations l'une par l'autre ^ ; mais il ne semble pas qu'U ait tenu sa promesse. Nous reviendrons sur ce sujet, en faisant, dans notre second volume, l'histoire des systèmes de points -voyelles dans les langues sémitiques. Il suffit, maintenant, d'avoir remarqué la tendance commune qui poussait les Sémites vers le perfection- nement artificiel de leur alphabet. Un autre mouvement bien plus remarquable se manifesta vers le même temps chez les divers peuples sémitiques; je veux parler de celui qui les porta à réfléchir sur leur langue * et à se créer une grammaire. C'est un instant solennel dans l'histoire d'une race , que celui où elle commence à étudier pour la première fois l'instrument dont elle s'est servie jusque-là d'une manière naïve et spontanée. Si la race sémitique aborda bien tard ce travail d'analyse, il faut l'attribuer sans doute à ce que l'aptitude grammaticale est toujours eti proportion rigoureuse avec l'esprit d'abstraction. Chez la race brahma-* nique, qui a poussé si loin toutes les études spéculatives, la grammaire apparaît, dès les époques mythologiques, comme ■ Mém, de VÀead. deêimer. et beU984eUr9i, t. L, p. 3/i8. — Conf. Geseaius, dans YEneycL d'Ernch cl Grubcr, t. V, p. 45. LIVRE IV, CHAPITRE II. 365 une annexe des Védas ^ Son origine est divine (Indra a été le premier grammairien); des fables sans nombre entourent son berceau. La Nirukti de Yaska, qu'on peut regarder comme le plus ancien essai de grammaire qui soit venu jusqu'à nous , doit être au moins du vu* ou du vni* siècle avant Fère chrétienne; or Yaska cite une foule de travaux qui supposent avant lui une longue série de grammairiens. Les Prâtiçâkhyas, doiit la com- pilation remonte au v* ou au vi* siècle avant notre ère , men- tionnent également une foule de sectes grammaticales et de mattres célèbres plus anciens ^. Enfin, vers le iv* siècle avant ]. G. cest-à-dire à une époque où nulle autre race ne pos- sédait d'institutions grammaticales, la grammaire indienne atteint, entre les mains du célèbre Panini, un degré de perfec- tion qui n'a pas été dépassé. La Grèce, dès l'époque des. so- phistes, et surtout par le travail de l'école d'Alexandrie , réussit à son tour à se créer une grammaire, moins profonde que celle des Hindous, mais témoignant un grand esprit d'analyse et d'observation. Les Sémites au contraire, dont l'infériorité philosophique relativement aux Ariens est trop évidente pour être contestée, n'ont teaté que fort tard de se faire une grammaire , et cela est d'autant plus remarquable que sur d'autres points ils sont ar- rivés de très-bonne heure à la réflexion. Pourquoi les Hébreux , par exemple , si merveilleusement doués en tout le reste , qui , mille ans avant J. G. avaient une admirable littérature, riche * "en ouvrages sur des sujets divers , n'ont-ils pas eu de gram- maire? Je le conçois, à la rigueur, pour la première époque de la littérature hébraïque (la période antérieure à la capti- vité), durant laquelle on n'aperçoit dans les écrits de ce peuple ' A. Weber, Akadtmiêehê Vorinungen, p. a A et suiv. 1 98 etsuiv. ' A. RegDitr, MtiçMya du Rig-Véda, t-*]oct. Paris, 1857. 366 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. aucune trace de rhétoricpie, où la langue a conservé toute sa naïveté , où le divorce entre l'idiome du peuple et celui des écrivains ne se fait guère sentir encore ; mais dans la seconde période, où lnlittérature est presque entièrement tombée entre les mains des lettrés de profession, où les traces de composi- tion artificielle sont manifestes , où les savants se servent d'une langue déjà morte , et dont le modèle ne se trouve que dans les livres anciens, n'est-il pas étrange que, malgré le soin extrême que mettaient les Hébreux à la conservation de leurs monuments nationaux, on ne vcne poindre chez eux aucune idée de grammaire? Et, quelques siècles plus tard, quand la fièvre du scrupule et de la subtUité s'empare de ce peuple , qu'il se met à compter les lettres de ses livres sacrés , à les en«- tourer de points, d'accents, d'un luxe de signes qu'aucune autre langue n'a connu, au milieu des puérilités de la Mas- sore, pas une trace de grammaire; ce n'est qu'au x"* siècle de noire ère, sous l'influence et à l'imitation des Arabes, qu'on voit paraître des traités réguliers de grammaire hébraïque. Les Syriens , vers le v* siècle , nous offrent , il est vrai , quel- ques essais de grammaire ; mais ce ne lut là qu'une tentative avortée, une imitation directe des Grecs qui resta sans consé-* quence. La grammaire sémitique ne se fonde réellement que vers la fin du vif siècle de notre ère , au moment où les Arabes, en possession d'un texte classique et sacré, se voient ■ obligés , pour en assurer l'intégrité , de l'entourer d'appareils conservateurs. En supposant que la langue du Coran, telle qu'elle résultait de la première compilation de Zeyd, faite vers 63&, représen- tât parfaitement la langue vulgaire du groupe de musulmans qui se serraient, après la mort de Mahomet, autour d'Abou- Bekr et d'Omar , il faut admettre que cette langue devint bien- LIVRE IV, CHAPITRE H. 367 tel presque étrangère pour les croyants plus ou moins convain- cus qui , dans les années suivantes , embrassèrent l'islamisme. En effet, douze ou quinze ans après , nous trouvons Zeyd à Tœuvre , en vue d'une réforme surtout grammaticale : il s'agit de couper court aux vamntes de dialectes et de conformer l'orthographe de tous les exemplaires au dialecte de Koreisch. A mesure que la foi nouvelle s'étendit à une plus grande diversité de tribus et de races, il devint d'autant plus difficile de maintenir la pureté de la langue sacrée. Les solécismes que faisaient les nouveaux croyants étaient, pour les Arabes de la vieille école, un sujet de perpétuelle affliction. Ibn-Khallican , dans la Vie d'Aboul- Aswed^, rapporte une foule de piquantes anecdotes, qui prou- vent l'impossibilité où se trouvaient les grossiers soldats des premiers khalifes d'observer les délicatesses du dialecte korei- schite et surtout le mécanisme des voyelles finales. Si ce mé- canisme faisait, comme on doit le croire, une partie essentielle du dialecte consacré par le Coran , il faut reconnattre , au moins , que la plupart des tribus arabes l'ignoraient, et qu'au vu* siè- cle, comme de nos jours, les flexions casuelles étaient négligées dans la langue commune. Les fautes que les lecteurs commet- taient allaient souvent jusqu'à changer le sens du texte. La grammaire fut le remède que Ton opposa aux incorrections qui menaçaient d'altérer la parole de Dieu ^. Soyouthi attribue à Aboul-Aswed quelques traités sur des questions spéciales de grammaire ; mais il est douteux que ce patriarche de la grammaire arabe ait écrit des ouvrages ex profesw; peut-être même dut-il à sa grande réputation de passer pour le chef du travail qui s'opéra dans les écoles de ^ Édit. de Slane, 1. 1, p. 3/io. * De Sacy, Mém. de VAcad. deê imer. t L, p. 3a& et suiv. 338 et saiv. — De Hainroer, UêÊrûturgeêchidUB der Amber, H, 197 et «liv. 368 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Basra et de Goufa, et qui nous apparaît, en général, comme anonyme. Sibawaih (vers 770), le plus ancien grammairien dont les écrits nous soient parvenus, résume déjà une doc- trine antérieure : on prétend même qu'il ne fit que dévelop- per et enrichir de quelques observations les traités d'Abou- Amrou Isa Thakéfi , fils d'On^ar, qui lui était antérieur d'une génération ^ Quoi qu'il en soit, dans l'ouvrage de Sibawaij^, et, par conséquent, dès la seconde moitié du viii* siècle, la grammaire arabe se montre à peu près complète. Les nom- breux grammairiens qui, depuis, se sont succédé, n'ont guère fait que remanier et commenter la doctrine de leurs devanciers. Des influences étrangères présidèrent-^lles à la création de la grammaire arabe? Les musulmans reçurent-ils des Syriens l'initiation grammaticale , comme plus tard ils reçurent d'eux l'initiation philosophique? Ou bien peut-on découvrir dans le travail des grammairiens arabes quelque imitation de la grammaire des Grecs? Il faut, ce semble, répondre négative- ment à ces diverses questions. Si des Syriens chrétiens avaient été les fondateurs de la discipline grammaticale chez le$ Arabes, il en resterait quelque souvenir. L'histoire httéraire des Arabes , en effet, est très-complète, sinon très-exacte, et il est bien certain qu'un fait de cette importance n'eût pas échappé aux chroniqueurs. D'ailleurs la création de la grammaire arabe semble avoir été une œuvre toute musulmane. La conser- vation de la langue du Coran est l'objet essentiel que se pro- posent les premiers grammairiens : ceux-ci sont en général, pour la religion aussi bien que pour la langue , des puritains , se rattachant à Ali et à l'ancienne culture de l'Hedjaz^. Il est ' De Sacy, AnthoL grammoL arabe , p. 60 , Ai. ' Aboul-Aswed passait pour avoir reçu les premières notions de grammaire d'Ali lui-même. (Voy. Fleischer, apnd Delitzsch, Jeturun, p. a&/i-3&5.) LIVRE IV, CHAPITRE H. 369 vrai que ies fonctions de kâtib ou àiécrwain étaient d'ordinaire remplies, dans les premiers siècles de Tislamisme, par des Sy- riens chrétiens ^ ; mais des Chrétiens n'auraient pas eu pour la langue sacrée de l'islamisme l'amour et l'espèce de culte qui ont inspiré les travaux de la granunaire arahe. Ce n'est que plus tard, sous les Abhasides, lorsque l'esprit arabe s'est fort affaibli dans l'Irak, que les Syriens deviennent les maîtres des musulmans, et cela uniquement pour des sciences positives, qui n'intéressaient ni la religion , ni la langue , ni la littéra- ture proprement dite. Les mêmes raisons s'opposent à ce qu'on admette une in- fluence de la granunaire des Grecs sur celle des Arabes. Avant l'époque des Abbasides, les Arabes demeurèrent étrangers aux études helléniques, et même, à l'époque où ces études fu- rent chez eux le plus eh vogue , on peut dire que très-peu de musulmans ont su le grec^. Toutes les études se faisaient sur des traductions, et ces traductions en général avaient pour auteurs des Syriens chrétiens. Enfin les Arabes ne connurent jamais la Grèce que par des ouvrages de science et de philo- sophie ; les écrits de littérature , d'histoire , de grammaire leur restèrent étrangers ; et comment des traités théoriques rela-^ tifs à une langue qui leur était inconnue eussent-ils pu avoir pour eux quelque sens et quelque intérêt? Il n'est pas impos- sible, sans doute, que certaines notions générales, telles que la division des trois parties du discours (nom , verbe et parti- cule), division qu'on attribue à Ali, ne soient venues origi- nairement de la Grèce , et que la grammaire arabe n'ait scJ>i de la sorte une influence éloignée du U$p) Èpfmifeias; mais tout cela se fit sans conscience distincte et sans emprunt direct. \. * Voy. JaurmdoiUU, nôv. dëc. i85i , pw ASs et suiv. * Voy. cHkamis, p. tgo-sçi. I. 9^ 370 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Pour les études que les Arabes ont empruntées aux Grecs par rintennédiaire des Syriens, telles que la logique, la métaphy- sique « l'astronomie , la médeeine , la trace de Torigine grecque est parfaitement sensible : une foule de mots grecs techniques sont transcrits ou traduits de façon à laisser deviner, au pre- mier coup d'œil, le mot original; le nom de la science est presque toujours grec; les divisions et les catégories sont toutes grecques. Rien de semblable dans la grammaire et la rhétorique musulmanes. Le nom de ces deux sciences, les termes techniques, les divisions, les conceptions générales sont arabes^. Enfin, pour les autres sciences, les Arabes re- connaissent qu'ils les doivent aux anciens Grecs {{ji^^ya), tandis qu'ils sont convaincus que la grammaire est un privilège que Dieu leur a réservé , et un des signes les plus certains de leur prééminence sur tous les peuples. Nous croyons qu'il faut réduire l'influence grecque chez les Arabes à celle qui s'exerça, au ix* siècle, pour la ]philo- sophie (iUL^U) et les sciences naturelles. Avant cette influence et en dehors de cette influence, les Arabes s'étaient créé, dès la fin du vu"" siècle , et surtout au viii% des branches de spécu- lations rationnelles tirées de leur propre génie , telles que la granunaire (>^)f la jurisprudence (luU), la théologie (p^) et toute la polémique des premières sectes musulmanes. C'est là, à proprement parler , le moment de l'apparition de Tesprit scolastique parmi les Sémites. Les Syriens n'étaient arrivés , an- térieurement , aux spéculations de la théologie qu'en embrassant l'hellénisme. Quant aux Juifs, s'il est vrai qu'en ceci, comme en toute chose , ils ont devancé leur race , et qu'ils ont donné ^ Je ne puis troaver déddlà les rapprochements tentés par M. Reinaud entre différentes particularités de la rhétorique arahe et de la riiëtoriqne grecque, (Voy. Séanceê de Hariri, a* édit. t. Il , p. ao5 et suiv.) LIVRE IV, CHAPITRE IL 871 dans iê Talmud le premier monuihent sémitique de style dis- cursif, il faut dire que la destinée de ce peuple , au moins à partir de l'époque du christianisme , est trop particulière pour qu'il soit permis de le prendre comme mesure des aptitudes et du développement de la famille à laquelle il appartient. Sans approcher de la perfection de la grammaire sanscrite, la grammaire arabe offre une analyse du langage fort digne d'occuper l'attention du philologue. Elle me semble au moins égale à la grammaire des Grecs, moins complète peut-être sous le rapport de la théorie des formes, mais certainement bien plus riche en considérations de syntaxe. Trèsnléfectueuse dans son ensemble, ou plutôt presque entièrement dépourvue d'oisemble et de plan , la grammaire arabe est spirituelle et subtUe dans les détails , pleine de petits faits bien observés et de vues ingénieuses jetées au hasard. Gomme tous les gram- mairiens anciens ^, soit de la Chrèce, soit de l'Inde, les gramr mairiens arabes ne savent que leur propre idiome, et, de cet idiome , ils ne connaissent que l'état moderne et classique. De là le tour absolu de leurs démonstrations , qui semblé supposer qu'il n'y a au monde qu'une seule langue. Guidés par la structure particulière des dialectes sémitiques, les grammai- riens ardbes ont compris, beaucoup mieux que les Grecs, la recherche du radical pur^ qui se cache sous la variété des formes dérivées; mais, dans cette recherche même, ils ont porté des habitudes de symétrie qui donnent entre lemumains l'air d'un paradoxe au plus grand principe de la lexicogi^phie sémitique, la frilitérité des racines. Leurs hypothèses les plus ingénieuses jpnt toujours quelque chose d'artificid et de con- ' Voir anr ce rajet un chapitre intéressant de M. Egger : ApoUomuê Ihfêcok' Eêêài air Vhiêloin de$ ihéoneê grtKmmatieakê daiu rmitiquitét c. ii, S i ; Paria, iS54. 372 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. traire à rorganisme vivant de ia parole humaine; jamais ils ne prennent la langue comme un tout qui se recompose et se dé- compose sans cesse par une sorte de végétation , et où chaque ^tat a sa raison dans un état antérieur; la méthode historique et comparative leur manque absolument. i V. De quelque manière qu'on l'envisage , l'avènement de l'arabe à la domination universelle en Orient est le signal d'une ré- volution capitale dans l'histoire des langues sémitiques. Ces langues , bornées autrefois à l'expression des sentiments et des faits, entrent maintenant dans le domaine de la penâé/e abs- traite et s'exercent dans les genres de littérature qui supposent le plus de réflexion : grammaire , jurisprudence , théologie sco- lastique, philosophie, histoire, sciences physiques et mathé- matiques, écrits techniques, bibliographie. De là des formes compliquées, un jeu de particules et des délicatesses de syn- taxe inconnus à l'hébreu et à l'araméen. Le style sémitique n'avait présenté jusqu'ici que deux formes : la forme rhyth- mique ou poétique , fondée sur le parallélisme ; ia forme pro- saïque, plus libre dans sa marche, mais assujettie elle-même à une certaine coupe, au verset. Le verset, jusqu'au Coran inclusivement, est la loi suprême du st^e sémitique. Or on conçoit combien cette forme , si commode pour le récit et la poésie, devenait impossible à maintenir du moment que l'on entrait dans la voie de la scolàstique. Un raisonnement est im- possible dans une langue morcelée de la^ sorte; aussi l'abandon du verset répond-il exactement à l'introduction des discuissions théologiques chez les Sémites. Le style de la prose arabe est aussi continu que celui des langues indo-européenùes hfs plus développées. La coupe symétrique des eommata ne fut con- r LIVRE IV, CHAPITRE IL 373 servée <{ae pour certains morceaux d'apparat, intermédiaires entre la prose et la poésie. La poésie elle-même subit une transformation analogue ; elle avait été jusque-là» chez les Sémites, purement rhythmique, ne se distinguant de la prose que par un arrangement de phrase plus artificiel, des jeux de mots et de lettres, et une certaine recherche de la rime. Destinée à exprimer des sentiments individuels et des situations passagères, elle flottait dans la tradition , sans arriver jamais à un texte arrêté syllabe par syl- labe. A partir du siècle qui précède l'islamisme , au contraire, la poésie devient savante , compliquée , assujettie à une proso- die fort éloignée dû génie primitif des langues sémitiques. Une singulière originalité d'inspiration soutient d'abord ces compositions un peu artificielles dans la forme ; mais , après l'islamisme, la poésie, négligée par le Prophète, privée des institutions qui en faisaient la vie , déchoit rapidement. Elle se continue encore dans le désert par deux ou trois généra- tions de poètes bédouins presque étrangers à l'islamisme; puis, les progrès de la religion nouvelle, les bouleversements politiques et l'abaissement de la race arabe en font presque disparaître les vestiges. Transportée du désert dans les cours de Syrie , de Perse , du Khorasan , du Maroc , de l'Espagne , la poésie arabe n'est, entre les mains de Moténabbi, d'Aboulalft et de leurs imitateurs, qu'un simple jeu d'esprit, et tombe de plus en plus, par suite de l'influence persane , dans l'affectation et le mauvais goût. Mais il faut se rappeler que le génie sémi- tique n'est pour rien dans ces misérables subtilités. Le goût sémitique est de lui-même sobre, grand et sévère, et n'a rien de commun avec ce style détestable qu'on s'est habitué à ap- peler oriental, tandis que les Persans et les Turcs devraient seuls en porter la responsabilité. 37& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Nous avons déjà remarcpi^ ce fait gënésal, que, dorant les premiers siècles de Thégire, toutes les langues sémitiques, les dialectes de rËthiopie exceptés 5 dii^rurent devant Tarabe. Pour expliquer la facilité avec laquelle les diverses branches de la famille sémitique abdiquèrent ainsi leur dialecte, il &ut sup^ poser qu'elles possédaient, à l'époque dont nous parlons, une conscience assez 4^veloppée de leur unité linguistique. Le sen- timent qu'ont les peuples de la/ parenté des idiomes est loin d'être aussi étendu que celui auqud on arrive par les données de la science. L'affinité du français, de l'sdlemand et du russe est évidente pour le savant; elle échappe complètement au peuple , et aucune circonstance ne p>>urrait amener la combi- naison de l'une de ces trois langues avec les autres. Il n'en est pas de même pour l'italien et le français : un Français et un Italien illettrés sentent qu'ils parlent au fond la même langue : si la France , l'Italie et l'Espagne étaient réunies dans un même corps politique, une langue commune ne tarderait pas à s'é- tablir. Les dialectes sémitiques ne différant pas beaucoup plus l'un de l'autre que les langues néo-latines ne eiiatiime itarpïêeip 09Uniebat=. a il passait sen temps à la chasse.» Dans rinde, l'arabe ^erça une action analogue, depuis l'invasion de Mahmoud le Ghaznévide ( premières années du II* siècle), surtout par l'intermédiaire du persan. Les nou- veaux conquérants de l'Inde ne parlaient que cette dernière langue ; puis -il ^e forma un mélange de l'hindoui et de la langue des musulmans , qui s'est ennobli peu è peu , et est ai^ rivé, de nos jours, à une^nde importance en Asie. On donne le nom ^tmii à un dialecte de l'hindoui où il y a déjà une assez forte proportion de mots sémitiques» Quant à Vhmdtms^ tant (urdu et dakhni), les trois quarts des mots de son voca- bulaire sont arabes et persans; la grammaire, au contraire, est indienne, légèrânent modifiée par le persan ^ Pour l'écri- ture, l'alphabet arabe l'a emporté sur le caractère dévanftgari; la métrique arabe a de même pris le dessus y en hindoustani comme en persan, sur la métrique indigène. ; Le turc offire un exemple plus frappant encore de combi- naison linguistique : tout en cons^vant la grammaire tartare, il a presque abandonné son vocabulaire prq)re , et Ta rem- placé par une masse de mots empruntée à l'arabe et au persan ; en sorte que souvent, dans une phrase, turque, sur dix mots, il n'y en a pas un de turc. De là le phénomène singidier d'une langue formée par le mélange de trois familles : indo-^uro^ péenne et sémitique par son dictionnaire , tartare par sa gram- maire. — La Msdaisie enfin participa à la. même influence : de même que, sous l'action des idées indiennes, elle s'était formé un langage mêlé de sanscrit et de javanais, le kawi; de même elle reçut, avec l'islamisme, l'alphabet arabe, et ad- ^ Gardn de Tassy, BudimenU de la kmguê JUndùtU, p. 9 et stdv. et Rudimentt de la la$tguê kmdouêtam, p. 7 et soiv. 38& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. mit ime partie du vocabulaire mêlé que les musulmans por* taient partout avec eux. Cette promiscuité de langues, qui, depuis le^xni* siècle, règne dans TAsie musulmane, surtout dsps les cours, est un fait dont l'histoire du langage n'offire peut-être pas un second exemple : d'une part, une langue savante et sacrée devenue partout l'idiome des choses religieuses et de lâchante littéra- ture; de l'autre, une, sorte d'usage commun de tous les voca- bulaires, les grammaires seules r«igtiiiit distinctes et consti- tuant l'individualité des langues* Ajnsi , quand on écrit en persan, on peut, à volonté, n'employer que des mots pertôns, comme le font quelques poètes puristes, ou bien n'employer à peu près que des mots arabes traités suivant ies habitudes de la grammaire persane ^ comme d'autres le font par pédantisme. En hindoustani , de même , on peut n'admettre que des mots d'origine indienne , ou les < remplacer par des mots presque exclusivement fiersans ^t arabes. Les bouleversements et les mélanges de peuples qui, depuis l'islamisme, ont eu lieu dans l'Asie occidentale, e}q)liquent cet étrange phénomène. En Eu- rope, chaque pays éprouve si impérieusement le besoin de parler une seule langue, que, peu de temps après une con- quête, l'unité ne tarde pas à s'éti|blir par l'extinction de l'idiome des vainqueurs ou des vaincus. L'Asie, au contraire, est natu- rellement poly^otte; il n'est pas rare d'y voir deux ou trois langues parlées sur le même soi. De cet usage simultané ré- sulte la nécessité d'une coimaissanee au moins superficielle des divers idiomes, et, de cette connaissance superficielle, le mélange des mots. Le peuple est toujours tenté de mêler les mots des diverses langues qu'il sait ; quant à la grammaire , au contraire , il est incapable d'en apprendre une autre que celle qu'il a apprise tout d'abord. LIVRE IV, CHAPITRE II. 385 En cela consiste, à vrai dire, la différence des révolutions linguistiques de l'Europe et de TAsie occidentale. Les combi- naisons de langues dans le genre de celles que nous venons de décrire sont restées à peu près inconnues en Europe ; Tin- troduction des mots français dans l'anglais, par suite de la conquête normande, et, plus tard, par une sorte d'affectation littéraire , présente seule quelque chose d'analogue. Les révo- lutions linguistiques de l'Europe se font par la grammaire ; un esprit nouveau s'introduit dans un idiome, le détruit et le recompose sur un autre plan. En Asie , au contraire , les révo- lutions se font par le dictionnaire , et la grammaire reste im* muable, comme une sorte de casier vide, où entrent tour à tour les vocables les plus divers. On peut dire , sans exagéra- tion , qu'il n'y a plus dans l'Orient musulman qu'un seul dic- tionnaire , composé d'arabe , dc/turc et de persan. Voilà pourquoi la forme des lexiques poly^ottes , comme celui de Meninski , est la seule avantageuse pour les idiomes modernes de l'Orient. Un dictionnaire persan, en effet, pour être complet, devrait renfermer tous les mots arabes vraiment usuels , et un diction- naire turc devrait renfermer presque tous les mots arabes et persans. En Afrique , les destinées de la langue arabe ne furent pas moins surprenantes. La race arabe trouvait en cette contrée un sol merveilleusement disposé pour la recevoir. Aussi , tandis qu'en Asie elle ne pouvait dépasser les limites de la Syrie et de l'Irak, la voyons-nous se répandre, comme par une sorte d'infil- tration, vers l'ouest, sur toutes les côtes barbaresques, dans le Sahara , le Soudan , jusqu'à l'océan Atlantique et la Guinée , et , vers le sud, jusqu'à la Gafrerie^ La pureté avec laquelle la ' A la fin du xt* siède, les Portugais trouvent les Arabes maîtres de presque tout le littoral de la mer des Indes, depuis Sofala. (Voy. Walckenaer, Hiêt, gêné- I. s5 386 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. langue , la religion et les mœurs des Bédouins se soût conservées dans ces contrées lointaines est un fait bien remarquable , et ia meilleure preuve que le désert est la vraie patrie de l'Arabe. Il paraît, du reste, que les Arabes passés en Afrique appar- tenaient à la tribu des Koreischites , et représentaient Tesprit de leur race dans ce qu'il a de plus pur ^ De nos jours encore l'islamisme et la kngue du Coran font de rapides progrès dans la partie orientale de l'Afrique \ du c6té de Mozambique et de Madagascar. Plusieurs pays du Soudan , tels que le Ouaday, paraissent avoir été récemment convertis ^, et la propagande arabe , cbez les noirs du Sénégal et de la Guinée , est de jour en jour plus active ^. L'islamisme est encore conquérant de ce côté , et l'on peut dire que l'apostolat parmi les races noires lui semble naturellement dévolu. La présence de la langue arabe est partout en Afrique, à l'heure qu'il est, le signe d'une cer- taine civilisation, et c'est grâce à l'arabe que l'Afrique possède quelque littérature ^ ; aussi cette langue a-t-elle exercé sur les idiomes indigènes une influence considérable : le berber , les raie de$ voyagea, tl,^. iso, is6, i8A, 953, s6o,etc.*— G. Ritter, ^/^t^m, traduct. franc. 1 1, p. soi, 917.) ^ D^Escayrae de Lautnre, Mém. «tir le Soudan, p. ho et euiv. Paris, i855. * Ewald et Krapf , danB la Zeitechrift der D. M. Geêelkehitft, 1 1 ( 1 8&6) , p. &4 et soit, t m, p. ài-i et soiv. et dana le Journal of the American OrmUd Sôeietjf, vol. lY, nnmb. 11 , p. UU^ei suiv. — D^Escayrac de Lauture, Le Déeert et le 5oti- dan, p. 3/17-3/18, 465 et suiv. ^ Perron , Voyage au Ouaday par le eheeyhh Mohammed eIrTounei, p. 7 1 et sniv. * Bulletin de la Société de géographie, mars et avril i854, p. 371 et suiv. *— Ci. Ritter, Afrique, trad. franc. 1. 1, p. /^ 4 9 et suiv. ' M. Gherbonneàu a révélé un curieux mouvement littéraire aral>e à Tombouc- ton. {Jottm. aeiatique, janvier i853, p. gd et suiv. — Annuaire de la Soc, ar^ ehéoL de Conetantine, 1 856-55, p. 1 et suiv.) La différence des alphabets du Soudait oriental et du Soudan occidental prouve, du reste, que la première ré- gion fut initiée à la culture arabe par TOrient, et la seconde par le Magreb, où s^tait formé cx>mme un second centre d^arabisme, aussi actif que celui d^Orient. LIVRE IV, CHAPITRE II. 387 langues du Soudan, du Sénégal, celles de la Guinée elles- mêmes \ y ont emprunté un assez grand nombre de mots. En- fin Talphabet arabe est devenu celui des langues de TAfrique qui ont tenté de se fixer par. l'écriture, telles que le berber, le madécasse. L'Europe n'échappa point à cette action universelle de la langue arabe. On sait combien de mots de toute espèce les Espagnols et les Portugais ont empruntés à l'idiome de leurs voisins musulmans ^. Les autres langues romanes contiennent aussi un assez grand nombre de mots arabes , désignant pres- que tous des choses scientifiques ou des objets manufacturés ', et attestant combien, pour la science et l'industrie , les peuples chrétiens du moyen âge restèrent au-dessous des musulmans. Quant aux influences littéraires et morales, elles ont été fort exagérées; ni la poésie provençale, ni la chevalerie ne doivent rien aux musulmans. Un abîme sépare la forme et l'esprit de la poésie romane de la forme et de l'esprit de la poésie arabe; rien ne prouve que les poètes chrétiens aient connu l'existence d'une poésie arabe , et l'on peut aflGirmer que , s'ils l'eussent connue, ils eussent été incapables dVn comprendre la langue et l'esprit *. ^ G. RHter, AJnqw, trad. franc, t. I; p. 653. — Kœlie, PolyghUa tifi-icana, Londvi», i85 ; le même', V$i Umguage (Londrea, i854), p. 5 et soiv. le même, « Bomu htnguage (Loadres, i8^), p. 3 et suiv. * Voy. Veêtigioê da lingoa arabica «m Portugal, ou Lexicon êtymologieo doi pa- k»raê ê tiome$ portuguetet que tem origem arabica, por J. de Sousa, annolada por J. de Sanlo-Antonio Monra ; lisboa , 1 83o , ill•Â^ ^ Voy. A. P. Pihan , Glo$$airê dêi moUfrançaù tirée de Varabe, du pir$an et du turc; Paris, 18/17. Certains mots, tels que mâmerie (makomerie, et, par suite, pratique païenne et superstitieuse), auauin {hasckàchm, buveurs de haschisch) , mesquin (de ^j^du», un pauvre, mesehiM) , ont suivi des voies fort détournées poar arriver au sens que nous leur donnons. * Gonf. R. Doiy, Bech. sur Vhist. politique et littéraire de VEspagne pendant le moyen âge, t. I, p. 609 et suiv. aS. 388 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. I svn. Nous n'avons jusqu* ici embrassé dans nos recherches que l'arabe littéral , c'est-à-dire l'arabe tel qu'on le trouve dans les monuments écrits; il nous reste maintenant à envisager l'arabe dans la bouche du peuple , et d'abord à nous faire une idée exacte de la différence qui sépare les deux idiomes et des cir- constances historiques dans lesquelles cette distinction s'est produite. L'arabe vulgaire n'est ^ au fond , que l'arabe littéral dépouillé de sa grammaire savante et de son riche entourage de voyelles. Toutes les inflexions finales exprimant, soit les cas des subs- tantifs, soit les modes des veii^es, sont supprimées. Aux mé- canismes délicate de la syntaxe littérale, l'arabe vulgaire en substitue d'autres, beaucoup plus simples et plus analytiques. Des préfixes et des mots isolés marquent les nuances que l'arabe littéral exprime par le jeu des voyelles finales; les temps du verbe sont déterminés par des mots que l'on joint aux aoristes pour en préciser la signification. Sous le rapport lexicogra- phique , l'arabe vulgaire a laissé tomber également cette sura- bondance de mots qui encombrent plutôt qu'ils n'enrichissent Farabe littéral. Il ne connaît que le fonds courant des vocables sémitiques , parfois légèrement détournés de leur signification ancienne. Quelques mots étrangers, différents selon les diffé- rentes prpvinces, et turcs pour la plupart, altèrent seuls le caractère parfaitement sémitique de cet idiome, parlé encore de nos jours sur une immense étendue de pays. On aperçoit déjà un fait remarquable, c'est que l'arabe vulgaire est resté bien plus rapproché que l'arabe littéral de l'hébreu et du type essentiel des langues sémitiques. Les pro- cédés grammaticaux et les mots que l'arabe littéral ajoute LIVRE IV, CHAPITRE IL 389 au trésor commun de la famille, et dont le caractère sémi- tique est douteux , l'arabe vulgaire en est dépourvu. Si Ton se rappelle que la plupart des flexions de Tarabe littéral s'omet- tent dans récriture et ne tiennent pas au syistème essentiel de l'orthographe , on comprendra que ce n'est pas sans d'ap- parentes raisons que plusieurs orientalistes ont envisagé l'arabe vulgaire comme le véritable idiome arabe, tandis que l'arabe littéral ne serait qu'une langue factice , inventée par les lettrés et employée par eux seuls. Les personnes qui adoptent cette opinion envisagent les mécanismes de l'arabe littéral comme une tentative malheureuse pour assujettir la langue arabe à des règles étrangères , et supposent que les grammairiens arabes , séduits par la richesse de la langue grecque et prenant pour maîtres les grammairiens de cette dernière langue, auraient cherché à suppléer, par des imitations et des emprunts, à ce qu'ils croyaient manquer à la leur^ Certes il y^ a dans cette hypothèse prise à la lettre quelque chose d'inadmissible , et , pour la réfuter, il nous suffirait d'en appeler aux observations par lesquelles nous croyons avoir établi que les prétendus rapports des grammairiens ai^abes avec les Grecs n'ont aucune réalité ^. On ne peut nier cepen- dant que, dans un sens plus large, l'arabe littéral ne se présente à nous à peu près comme le sanscrit, je veux dire comme une de ces langues aristocratiques qui , dès leur plus haute antiquité , semblent confinées entre les mains des gram^ mairiens , et pour lesquelles on est tenté de se poser la ques- * Gonf. Adelang, Miihr, 1 1, p. 38&. — Wahl , Gesehiehte der orientai Spraehen, p. 697. D^autres ont prétendu trouver fanalogie des flexions arabes dansTétat emphatique des Syriens. (Voy. Tychsen, dans les Commentatùmet Societati» Reg, GoUmgeniii reeetUiorei , t. III, p. 983.) ' Voy. ci-dessus , p. 368-370. 390 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. tioa : Ont-elles jamais été pariées dans la forme où nous les voyons écrites? Les plus anciens monuments de la langue vulgaire de l'Inde, monuments contemporains d'Alexandre, sont déjà en pâli. De graves inductions amèneraient de même k regarder l'arabe vulgaire comme antérieur, au moins dans l'usage , à l'arabe littéral. Il est difficile de se figurer comment une langue aussi savante que le sanscrit a pu être vulgaire, et l'on se demande si jamais , dans l'usage , les Arabes ont fait sentir ces flexions légères, qui ne sont guère que des indices de rapports grammaticaux. Dans l'un et l'autre cas, nous pen- sons qu'il faut faire une part à l'artifice. Jamais, sans doute, la langue des commentaires de Kulluka-Bhatta n'a été une langue de conversation; jamais aucun Arabe, en pariant, ne s'est astreint à observer toutes les nuances de l'arabe littéral. On peut dire que la langue de Gicéron était aussi fort diffé- rente de celle qui se pariait dans les rues de Rome , sans que l'on songe pour cela à distinguer deux langues latines. Chaque homme ^ suivant sa portée intellectuelle , se taille , en quelque sorte , dans la matière commune du discours , un vêtement à sa mesure. Bien des personnes n'ont jamais fait usage de certains procédés de syntaxe que possède la langue française , uniquement parce que ces procédés s'appliquent à un ordre d'idées qui est au-dessus d'elles. Chaque langue contient ainsi en puissance une foule de richesses grammaticales , dont l'i- diome ordinaire ne peut donner une idée , et qui ne se dévoi- lent que par le travail des lettrés. De là ce fait général dans toute l'antiquité, que la langue savante, telle qu'elle nous a été transmise par les livres, n^est jamais conforme à la langue vulgaire, telle qu'elle nous est révélée par les inscriptions et les langues dérivées. En supposant que les grammairiens arabes aient poussé un LIVRE IV, CHAPITRE IL 891 peu loin la subtilité et la tendance à ériger en règle des pro- cédés dont le peuple, n'amt qu'une demi-conscience , on ne saurait admettre que leur réforme ait été jusqu'à toucher à la constitution même de la langue et à y introduire des méca- nismes qu elle ignorait auparavant. Une pareille tentative se- rait absolument inouïe dans l'histoire des langues. Jamais les grammairiens n'ont réussi à douer un idiome de propriétés étrangères à sa nature. Des faits nombreux prouvent, d'ail- ieurs, que les procédés caractéristiques de l'arabe littéral étaient partiellement usités dans l'ancienne langue ^ i"" Plu- sieurs de ces mécanismes tiennent aux consonnes elles-mêmes , et, par conséquent, n'ont pu être introduits dans la langue avec les points-voyelles : par exemple, la marque de l'accu- satif ^ les différences des cas au pluriel et au duel , la termi- naison particulière du duel , etc. — a"* Les flexions de l'arabe littéral sont nécessaires pour expliquer la métrique des an- ciennes poésies, métrique dont l'invention ne saurait dans au- cune hypothèse être regardée comme postérieure au mouvement des écoles de Basra et de Goufa. — 3° Dans quelques mots fort usités, comme j^l, jr'»>^K j.^^^» «i» ^9 etc. les flâxions ca- suelles s'expriment par des lettres quiescentes et s'observent même dans la conversation. — IC* L'éthiopien et l'ambarique offrent ces mêmes flexions, seulement employées différemment^. — 5^ Les renseignements que nous possédons sur les premiers grammairiens, nous les montrent constatant les procédés de la langue, mais ne cherchant nullement à l'enrichir ni à la ré- ^ Goûf. de Sacy , Gramm, arabe, 1. 1, p. 3o5, note, et p. A08 , note; 1'* édit — Gesenins, dans VEneycL d^Ersch et Gniber, t. V, p. 45. — Derenbourg, dans le Jowmal otiat, août 18&A , p. 909 et suiv. * Gesenios, dans VEncycL dTrech et Gniber, t. II, p. 1 13. — Ludolf, Gram- matka œtk, 1. 111, c. th. — Dillmann, Gramm. der ath. Spr. p. s5i et suiv. 393 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. fonner. — - &* Quelques passages d'Aboulféda ^ et de Djeu- hari^ prouvent clairement que Ton faisait parfois sentir les voyelles finales dans la langue de la conversation. — 7"^ On dit qu^aujourd'hui encore, dans THedjaz, quelques Ara]>es ob- servent les flexions ; mais il faudrait vérifier si le fait est exact et si cela n'a pas lieu par afiectation grammaticale. Dans le Maroc, on emploie aussi quelques voyelles fnales, en parti- culier des kesra '. — 8^ Enfin l'ancienneté des flexions ca- suelles a reçu, dans ces dernières années, une confirmation inattendue du déchiffrement des inscriptions qu'on lit sur les rochers du mont Sina! ^ déchiffrement que l'on doit à la saga- cité de M. Tuch ^. Les flexions finales du nominatif et du gé- nitif sont marquées dans ces inscriptions par les lettres quies- centes 1 , 1 . M. Tuch a ingénieusement fait observer qu'on trouve une trace de cet usage dans le nom arabe oe^s ou )DCf a , cité dans le Livre de Néhémie (vi , 6), et que je regarde comme identique au nom de «câi^ , fréquent dans TArabie anté-islar mique. La même particularité semble se retrouver dans le nom Ksbn» nbn> fréquent dans le Talmud, et qui est le nom arabe XdXêas (Bœckh, 4668; papyrul^ grec du Louvre, n"* 48), ainsi que dans le nom édessien o^âd (Guretoa, Spicil..9yr. p. 91) = nDS (I Chron. viii, 38) = "iDn sur une monnaie de Pétra (F. Lenormant, Cabinet du baron Belir, n" 826)*. ^ Aumaksmoslemiei, 1. 1, p. /i3a, /i3&. M ' Sihahf au mot Ji£ . — De Sacy, Gramm. arabe y 1. 1, p. &o8 , note (i" édi^). ' Gauflsio de Perceval, Gramm, arabe vulgaire, p. 19-90. — Cf. P. E. Botta, Relation d'un voyage dam VYémen , p. 1 & 1 . « ZeiUchrifi der D. M. G. U III (18&9), p. iSg. (Voy. cinlesaus, p. 338-339.) — Cf. Ewald, Aurf, Lehrb, p. &5o , note. ^ Peut-être les formes Dâ^Ç et D3^P du nom de ^/^t divînikë des Ammo- nites, qui , selon M. Ewald , se prononçait MiUk , impliquent-elles une sorte de mm nation. LIVRE IV, CHAPITRE II. 393 On est ainsi amené à envisager les désisences finales comme une particularité antique de l'arabe , qui arriva probablement assez tard à une législation régulière et fiit toujours négligée de la plupart des tribus ^ Les anecdotes racontées par Ibn- Khallican, dans la Vie d'Aboul-Aswed^, prouvent que les gens sans instruction ne se dirigeaient dans le choix de ces finales que d'après une routine assez grossière. Quand on connaît la fluidité de la voyelle chez les Arabes , on ne s'étonne pas que les voyelles de jonction fussent sujettes à de grandes incerti- tudes, et que, dans beaucoup de cas, les puristes aient pris sur eux de décider si c'était dhamma^fatha ou hetra qu'il fallait employer. En tranchant ces prononciations douteuses, ils durent souvent attribuer à des voyelles euphoniques, qui n'avaient d'abord pour objet que d'éviter les collisions de consonnes , des significations grammaticales dont le peuple n'avait qu'un sentiment très-vague. Le choix de la voyelle resta ainsi une sorte de délicatesse et de recherche; au lieu de faire sentir nettement un a ^ un i ou un o, la plupart des tribus conti- nuèrent à faire entendre un e indistinct , sorte de voyelle com- mune que les langues sémitiques emploient pour presque tous les sons variables dont la nature n'est pas clairement indiquée par une quiescente. Il est certain , du moins, que les voyelles finales de l'arabe n'ont jamais eu la valeur de véritables dé- clinaisons : en efiet , elles ne varient pas selon la forme des noms; elles ne s'écrivent pas comme les flexions essentielles qui marquent le genre, le nombre; elles ont quelque chose de superficiel et d'inorganique. Il n'y a pas, dans la théorie ' De mèttie, en italien , rasa(|re de fiiire sentir on d^omettre les voyelles findes (/ors ma far, eammmo ou eommm, etc.) dépend des provinces, de la mode ou du caprice de chacun. * De Sacy , Mém» de PAend. en imer, et bêUê»4eUn$i%. L, p. 39 A et suiv. 39& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. générale des langues, de mot pour exprimer ce genre parti- culier d'accident grammatical. Le mot vLh^I » p^i* lequel les Arabes le désignent, signifie exfUcaùon ^ parce qu'en réalité ces voyelles légères ne sont que de simples exposants du rôle que le mot joue dans la phrase : c^ est si vrai, que, d'après l'opinion des Arabes, le verbe est, comme le nom, susceptible d'être décliné, c'est-à-dire de recevoir un exposant de rapport. La flexion finale de l'accusatif lofait seule exception au ca- ractère de faiblesse que présentent , en général , les désinences arabes. On la trouve employée, en arabe vulgaire, comme ter- minaison adverbiale. L'hébreu en présente aussi des traces non équivoques, soit dans le n paragogique et locatif, ns*)K, ven la terre; HD^DCf, vers le ciel; soit dans la terminaison o , d des adverbes : DDI^ , Dân , oHn , DlsfVcf ^ ; soit même , comme l'a supposé M. Munk, dans quelques substantifs, où la termi- naison D aurait été prise à tort pour 4in affixe '. Ainsi , sans attribuer aux grammairiens l'invention des mé- canismes de l'arabe littéral , nous reconnaissons qu'il y a dans ces mécanismes une part de convention , en ce sens que de pro- cédés flottants, indécis ou ne convenant qu'à certains mots, ies puristes ont fait des procédés fixes et réguliers. Pour le dictionnaire, de même, ils ont sanctionné l'intrusion d'une foule de mots de toute provenance, que le peuple n'employa jamais , et qui ont fait de l'arabe une sorte de langue artificielle , * De Sacy, Gramm, arabe, L I, p. ago, /ii6. * Derenbourg, /otim. anat, août i8/iâ,p. ai/i.Le germe de cette fine obser- vation était déjà dans Aboniwalid. (Voy. Mank, Notice tw Aboulmalid Merwan Ibn-Djanah, p. ii3-ii&, note.) M. Ëwaid {Auefihrl Lehrbueh, p. 655, note) rejette pourtant cette explication. Sur O^Û^p , voy. aussi Rœdiger, Geeenii The$, 8. h. V. ' Munk, /. e. Aux exemples cités par M. Munk, j^ajoutem fe mot DnB {Néhdm. v, i & ) , où l^on peut voir un arabisme caractérisé. LIVRE IV, CHAPITRE IL 395 dans le genre de l'italien académique dn xvii* et du xYni' siècle. La distinction de l'arabe littéral et de l'arabe vulgaire n'a pas d'autre origine. Après une refonte grammaticale, la langue du peuple se trouve toujours étie différente de celle des lettrés^ Alors seulement Ton conunence à parier Tidiome vulgaire , par opposition à Tidiome «avant. Le développement de la langue est, en quelque sorte, jcindé, et se continue désormais suivant deux lignes de plus en plus divergentes, Tidiome vulgaire suc- cédant par un progrès de corruption à l'idiome primitif, comme ridiome savant y a succédé par un progrès de culture. Là nous semble être le point de conciliation des deux hypothèses qu'on a proposées pour expliquer les rapports de l'arabe vul- gaire et de l'arabe littéral. L'arabe littéral n'est pas , comme le veulent quelques philologues, un idiome factice; l'arabe vulgaire, d'un autre c6té, n*est pas uniquement né , cbnune d'antres l'ont prétendu, de la corruption de l'idiome littéral; mais il a existé une langue ancienne , plus riche et plus syn- thétique que l'idiome vulgaire , moins réglée que l'idiome sa- vant, et dont les deux idiomes sont sortis par des voies oppo- sées. On peut comparer l'arabe primitif à ce que devait être la langue latine avant le travail grammaticsd qui la régularisa , vers l'époque des Scipions; l'arabe littéral, à la langue latine telle que nous la trouvons dans les monuments du siècle d'Au- guste; l'arabe vulgaire, au latin simplifié que l'on parlait vers le vi* siècle, et qui, à bien des égards, ressemblait plus au latin archaïque qu'à celui de Virgile ou de Cicéron. Quelques circonstances, je ne l'ignore pas, semblent attribuer an fait générateur de l'arabe vulgaire la physionomie d'une véritable dissolution. Les historiens arabes donnent pour mo- tif aux institutions grammaticales qui apparaissent dès la fin du vil* siècle la nécessité d'opposer une barrière à la corrup^ 396 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. tion toujours croissante de Tidiome classique. Les fautes qui désolaient Âboul-Aswed étaient des fautes contre les règles de l'arabe littéral ^. Il se passa chez les Arabes, au i* siècle de rhégîre, ce qui s'est vu toutes les fois qu'une grande masse de populations diverses se trouve tout à coup assujettie à un langage trop savant pour elle; le peuple, qui ne cherche qu'à se faire entendre, se crée un idiome plus simple, plus analytique, moins chargé de flexions grammaticales. L'arabe ne sut pas échapper complètement à la tendance qui porte toutes les langues à se dissoudre , par suite de l'incapacité où sont les descendants de renfermer leur pensée dans les formes synthétiques du langage de leurs pères ; mais ce qu'il importe de maintenir, c'est que le nouvd idiome n'arriva jamais à se faire considérer comme une langue distincte. Les Arabes n'en- visagent pas l'arabe littéral et l'arahe vulgaire comme deux langues, mais bien comme deux formes. L'une grammaticde, l'autre non grammaticale , de la même langue. Il y a d'ailleurs de l'une à l'autre tant de degrés intermédiaires qu'on ne peut dire où commence l'arabe vulgaire , où finit l'arabe littéral. Dans la conversation , il est vrai , l'idiome vulgaire a assez d'uniformité : il est de mauvais goût d'y employer les flexions de l'arabe littéral, et beaucoup d'anecdotes prouvent l'antipathie des Arabes pour ce genre de pédantisme ; mais dans le style écrit , chacun , selon qu'il a plus ou moins de littérature , se rapproche de l'arabe littéral par le choix des mots et l'observation des règles de la grammaire ; à peu près comme les Grecs du moyen âge , dès qu'ils prenaient la plume , cherchaient à se conformer à la langue classique : c'est ainsi qu'en France, au x* siècle, on ^ Voir sa Vie par ftn-KhaHican. (Gonf. de Sacy , Mém. de VAçad. in huer, et BeUeB'LeUreê , t L, p. 39â-3s5. — Q>n-IChaldoun, dans de Sacy, Anihol. gram- mat, arabe y p. &i6 el suiv. kh6 etsuiv.) •LIVRE IV, CHAPITRE IL 397 n^avait pas Tidëe que l'idiome vulgaire fût susceptible d*étre écrit. On peut dire que la distinction de l'arabe littéral et de l'arabe vulgaire n'est rigoureuse que dans la langue parlée ^ Le style écrit flotte , par une infinité de nuances , entre l'arabe le plus pur et l'arabe le plus corrompu : il y & le style tout à fait négligé des correspondances entre gens illettrés, qui lie diffère presque pas du langage vulgaire; il y a le style des correspondances soignées, des chansons, des contes, qui n'est pas encore l'arabe parfait, et cependant n'est pas non plus l'arabe de la conversation ; il y a enfin le style tout à fait gram*- matical , qu'un petit nombre d'hommes dsgis les pays musul* mans sont aujourd'hui capables d'écrire avec correction. Au fond , la principale différence des deux langues consistant dans la manière de mettre les voyelles , un même texte peut être considéré comiae de l'arabe littéral ou de l'arabe vulgaire, selon qu'on le prononce avec ou sËms les désinences. Il n'y a pas , ce me semble , dans l'histoire des langues , d'autre exemple d'un idiome pouvant ainsi être lu de deux façons , sans que cela influe sur l'orthographe essentielle du discours écrit. On voit donc qu'il n'y a nulle ressemblance entre le chan- gement qui y de l'arabe littéral , a tiré l'arabe vulgaire , et le changement qui, du latin, a tiré les langues néo-latines. Dans ce dernier cas, il y a eu décomposition de la langue ancienne et apparition d'un idiome nouveau. Dans l'arabe, au contraire, aucune décomposition analytique n'a eu lieu. L'arabe vulgaire n'est pas de l'arabe littéral désarticulé, si on peut le dire, puis reconstruit sur un nouveau modèle; c'est une forme de la langue arabe plus simple , plus facile et plus antique en un sens , qui seule est restée vulgaire , tandis que la forme litté- raire est devenue de plus en plus l'apanage des savants. Nulle * GauMiii de Percefal, Gramm. arabe iw%. préf. p. fin. 398 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. vie, nulle végétation n'a marqué le passage de Tune de ces langues à lautre^ et voilà pourquoi, tandis que les langues issues du latin soiii arrivées à leur tour à la culture littéraire , l'arabe vulgaire n'a pas eu cette fortune. 11 n'a pas été écrit, par la raison qu'il se présentait comme une variété non gram- maticale de la langue commune; or, dès que Ton écrit, on trouve tout simple de le faire selon les règles. C'est une des particularités de la Is^gue arabe d'admettre ainsi des degrés dans la grammaire , et de permettre de se soustraire à une partie de ses prescriptions. Ibn-Khaldoun s'attache à prouver que l'on peut, sans observer les désinences, parler un arabe correct et tout à fait différent du langage vulgaire des Arabes domiciliés; il cite, par exemple, les Bédouins de son temps, qui, sans observer les désinences^ parlent au fond l'idiome pur de Modbar ^ m 8 Vin. L'arabe littéral ou l'arabe écrit, comme toutes les langues savantes, est sans dialectes; l'arabe vulgaire, c'est-à-dire l'arabe de la conversation , parié depuis le Tigre jusqu'au cap Blanc , ne pouvait manquer d'en avoir. Chaque province a ses expressions préférées , ses tours familiers , ses habitudes parti- culières de prononciation. Les divergences, néanmoins , sont assez peu considérables, et il faut avouer qu'une langue vul-* gaire pariée sur une si vaste étendue de pays, et offrant un si grand caractère d'unité, constitue un phénomène surpre-* nant. C'est là la meilleure preuve que l'arabe vulgaire n'eât pas , comme on a pu le croire , le résultat d'une décomposition de l'arabe littéral arrivée vers le xiv* siècle : car si l'idiome populaire s'était formé à une époque où la race arabe couvrait ' De Sacy, AnthoL grammat. arabêt p. âii, Aid, ete. LIVRE IV, CHAPITRE II. 399 toute la surface de TAsie occidentale et de l'Afrique , il est im- possible que les diverses provinces eussent altéré le type pri- mitif avec autant d'uniformité; les dialectes du Maroc, du Soudan , de l'Egypte eu$sent présenté des différences bien plus profondes. Il faut donc supposer que la langue commune des Arabes s'était établie avant la conquête qui suivit de si près la prédication de l'islam. Nous n'avons qtie des renseignements de seconde main sur les dialectes primitifs de l'Arabie. Les traits qui sont donités par les historiens et les grammairiens comme caractéristiques de chaque tribu, tels que Yanana de Témim, le teltéla dé Behra, le keskésa de Bekr, etc. ^ ne sont, pour la plupart, que des fautes provinciales. La tradition relative à la forma- tion du dialecte koreischite, déjà rapportée (p. 339-3&i), prouve , toutefois , que l'arabe était loin d'avoir atteint avant Mahomet l'unité qu'il présenta plus tard. Les circonstances de la rédaction du Coran (p. 3 5 6-3 5 7) sont plus frappantes encore et établissent clairement que la langue, yen h milieu du VII* siècle, n'avait pas d'orthographe universellement acceptée. Les lexicographes arabes et les commentateurs des poésies anté-islamiques fourniraient beaucoup de données sur les dia- lectes des tribus , et l'aspect seul des dictionnaires arabes in- dique suffisamment que des éléments de provenance fort di- verse y sont recueillis. En tout cas , ces variétés primitives n'ont tracé aucune division dans }a langue que les musulmans por- tèrent avec eux jusqu'aux extrémités du monde, et les partie cnlarités qui séparent de nos jours les dialectes arabes n'ont guère de relation avec les anciens idiomes de l'Arabie. Les dialectes d'Arabie, de Syrie, d'Egypte n'offrent entre ' Voir le passage de Soyouthi , publié p. 3 3 4-3 a 6 de la i** édition, note, et le fragment de Hariri , publié par M. de Sacy, Anikol gramm. arabe, p. 6 1 o-& 1 1 . -^ 400 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. eux aucune différence grammaticale ; un petit nombre de locu«* tiens employées communément dans telle province , et inusitées , quoique le plus souvent comprises dans une autre , forment presque la seule nuance qui les sépare. Le dialecte de l'Ara- bie est le plus pur de tous. A la cour de Sana dans ITémen, et parmi les Bédouins du désert (^If^^ ^J^)^ ^^ parle, dit-on, une langue fort rapprochée de l'arabe littéral. Nous avons déjà insisté plus d'une fois s[ur ce rôle , conservateur en quelque sorte, que joue le disert à l'égard de la race arabe. M. d'Es- cayrac de Lauture a été frappé de trouver au Soudan l'isla- misme bien moins altéré de superstitions et l'arabe parié avec plus de pureté que dans les villes de l'Orient ^ La vie nomade prête singulièrement aux raffinements de la parole, et fait accorder un grand prix à l'éloquence et à la beauté du discours. Le dialecte de Barbarie présente des particularitésplus carac- térisées, mais qui ne vont pas jusqu'à le rendre inintelligible pour les habitants de l'Arabie , de la Syrie ou de l'Egypte. Il est remarquable, du reste, que ces différences proviennent non de modifications intérieures et organiques, mais de concrétions purement extérieures. Ainsi en Syrie et en Egypte, on ajoute à l'aoriste un v ou ^ui r ^ t^^«bfy «,aaCu« En Barbarie, le présent se marque par un J , fa.»3sSy, ou par la particule I; , suivie de l'affixe, «^«Jàis! ftl;^; en Orient, par l'addition du mot 1^. Le rapport d'annexion ou de possession se rend en Bar- barie par ^Uu ou Jl|!d ; en Orient par J^^ ou JU, En dehors des quatre types que nous venons de nommer. Voir aussi, dans le ms. arabe 56o (anc fonds), fol. i ta , le traite sur les fautes provindaies que Ton commet en lisant le Coran. 1 LeDé$êrietUSaudan,T^.^oU,26Z,ZUi. ^ Yoy. A. P. Pihan, Éynmts d9 la langue algérienne (Paris, i85i), p. &o4i. LIVRE IV, CHAPITRE IL ftOl cA^qui, si Vôn excepte celui de Barbarie, méritent à peine le nom de dialectes , il n*y a dans là langue arabe que des va- riétés locales. L'étude de ces variétés hors de l'Arabie n'aur- rait, ce semble, que peu d'intérêt. L'arabe a conservé partout une sorte pL'ÎDeorruptibilité; nulle part il n'a formé de pa- tois proprement dit : le peuple, en Orient, s'exprime avec correction, et ne parie point, conqne les gens de nos cam- pagnes, un jargon composé de barbarismes ^ Les mots pro- vitaciaux étrangers à la langue mère sont du moins purement arabes dans la forme ^. Quelques mots turcs , francs ou ber- bers troubleSk>t seuls la pureté de l'idiome primitif. Si l'in- fluence française, s'eierçant en Asie par les livres et les termes scientifiques , en Afrique par la conquête , semble devoir porter un coup plus grave à l'intégrité de l'arabe, ce préjudice sera amplement compensé par la renaissance qui, dans les pays musulmans^ semble s'opérer sous les auspices de la France. La France rendant aux nations arabes une culture intellec- tuelle, les ramenant à' leur propre grammaire, qu'elles avaient presque oubliée , leur imprimant des journaux et des livres , voilà certes un fait qui figurera dans l'histoire des langues sémiti<^ ques , et dont l'importance ne nous ébhappe que parce qu'il est encore trop ^approché de nous. L'Angleterre , d'un autre côté, fait beaucoup pour l'étude de l'arabe dans ses possessions de l'Hindoustan^, et ce n'est pas un des traits- -ièd moins pro- pres à mettre en relief la destinée singulière de l'Arabie , que de voir l'idiome de Koreisch revivre, eiitre des mains euro- péennes , à Alger et à Calcutta ! ^ Caotûi de Perce^-al, GramuL wrabe vulg, préf. p. in^iin, * Voy. Cheriwnneaa , l)raité méikêii^ de la cm^ugaUon (Paris, 186A), et dans le Journal atiaUque (dée. i855 ), p. 5^9 et suiv. ' n parait cependant <)ne, même avant la dernière insurrection , la Compagnie des Indes était entrée dana mie voie restrictive à cet égard. j. 96 &0â HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. L'arabe , qui exerça une action si profonde sur la langue des peuples assujettis à Tislamisme , a très-peu *subi, en géné- ral , l'influence des langues indigènes dans les pays qu'il con- quit, La race arabe, si ce n'est en Espagne, ne se mêla guère aux peuples vaincus. A peine citerait-on un ou deux exemples de dialectes arabes tout à fait défigurés par le mélange d'é- léments barbares. La physionomie assez distincte du dialecte ^mapouk, sur la côte de Malabar, vient de ce que l'émigration sémitique sur ce point eut lieu à des époques très-diverses^. S'il se produisit ailleurs des altérations caractérisées, ce fut tou- jours par le fait des races étrangères qui avaient adopté l'isla- misme , et non par le fait de la race arabe elle-même. Ainsi , dans l'Espagne méridionale, la langue arabe, étant devenue celle de la population chrétienne., se corrompit .et forma le moiarabe, qui a, dit-on, survécu jusqu'au dernier siècle dans les montagnes de Grenade et de Sierra-M orena. Le maltais offre un autre exemple de ces patois mélangés. Le grand nombre de langues qui se sont croisées sur le sol de rtle de Malte a pu donner le vertige aux anciens linguistes qui ont voulu tour h tour retrouver dans le maltais la langue des différents possesseurs de l'île , et , en particulier, le phéni- cien. C'est le sort de ces petites terres isolées, *6q>èces d'hôtel- leries, qui ne sont pas des patries, de changer de langage suivant les hôtes qui s'y succèdent, et dont chacun y laisse des traces de son passage. Que le phénicien et le carthaginois aient été longtemps parlés à Malte , c'est ce que les nombreux monuments phéniciens trouvés sur le sol de Tile suffiraient à prouver; mais le patois auquel on donne de noâ jours, le nom de maltais, éï qui n'est plus parlé que dans les campagnes > Gônf. Adelung, MithriitUe, I, &i!i. -- Balbi, Atku 0ihnographiq^, 3*tabi. Voy . ci-dessus , p. a 8 o-a 8 1 . ^ t LIVRE IV, CHAPITRE IL ^ 403 (dans les villes on parle anglais ou italien), nW que de Ta- rabe mêlé d'itdlien , d'allemand , de provençal. Il se rapproche par ses idiotismes spéciaux de l'arabe du nord de l'Afrique ^ Ainsi l'habitude de prononcer l'itiong comme un t (^ ^ v^) vient certainement de Yimàlé, si familier aux Mogrebins^. L'em- ploi de l'diphabet italien et l'adoption de mots étrangers ont fait du maltais un jargon très-barbare. Des mots comme Ubé- rana, «délivre-nous»; ieruinah (futur avec préfixe arabe du verbe rutnare)^ sont des monstres tels qu'on en chercherait vai- nement dans les dialectes dont nous avons parcouru l'histoire. Le maltais est, avec quelques langues de l'Âbyssinie, le seul exemple qu'on puisse citer d'un dialecte sémitique tout à fait Altéré, et ayant admis dans son sein une grande masse d'é- léments hétérogènes : le caractère propre des langues sémi- tiques est, en général, de recevoir très-peu de ehose des autres langues et de rester presque fermées aux influences du dehors. ^ Gonf. MichelantonioVassaili , Grammatiea deUa Ungua maUen; Malte, 1 897. — G«semQ8, Venueh ûber die MaU^ehê Spracke. Bmtrag vw aralnichm DtakkUy- hgi» (Ldpng, 1810), et dBmYJEnofcL d'Ersch et Gruber, t V, p. /Î7 et sulv» -^ De Sacy, Journal dès Savantf , avril 1899. ' De Sacy, Gramm, arabe, k l ,.p. &tf note (9* ëdit ). 96. LIVRE CINQUIÈME. CONCLUSIONS. CHAPITRE PREMIER. LOIS GENJ^RALES DU DEVELOPPEMENT DES LANGUES SEMITIQUES. SI. Les langaes sémitiques ont, ati point de vue de la philo- logie comparée , l'avantage d'ofirir à Fobservation un dévelop- pement complet et définitivement achevé. Les langues indo- européennes continuent encore leur vie de nos jours , sur tons les points du globe , comme par le passé ; les langues sémitiques , au contraire, ont parcouru le cercle entier de leur existence. On peut dire qu'à partir du xiv* siècle , depuis la disparition du syriaque et du ghez, et les dernières cont[uétes de l'arabe en Orient, les langues sémitiques n'ont plus d'histoire. Il y a dans le mouvement général de ces langues une tendance secrète vers l'unité. Nous avons déjà vu l'araméen, dans les siècles qui précèdent l'ère chrétienne, absorber les dialectes antérieurs et réaliser l'unité de la famiUe sémitique , l'Arabie à06 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. exceptée. A l'époque de la conquête musutmeuie, il n*y avait plus gahre que deux langues sémitiques, l'araméen et Tarabe : l'arabe , à son tour, absorbe les dialectes de l'Âramée et reste ainsi l'unique représentant du sémitisme. De là ce fait» abso- lument unique en philologie, d'une famille de langues^ se ré-, duisant avec le temps à un seul idiome , qui en est y en quelque sorte, le résumé et l'expression la plus parfaite* A l'heure qu'il est, tout ce qui s'écrit de sémitique dans le monde s'écrit sans la plus légère nuance de dialecte : les idiomes }>ar2& eux-mêmes diffèrent assez médiocrement l'un de l'autre. C'est là, dis-je, un fait étrange et qui ne pouvait se produire que dans une famille aussi résistante que la famille sémitique. Si les langues sémitiques avaient eu, comme les langues indo- européennes, la facilité de former des langues analogues aux langues néo-latines, une telle absorption n'eût pas été pos- sible, ou du moins l'arabe se fût altéré dans la bouche de ceux qui l'avaient adopté, et la variété eût reparu dans les dialectes dérivés; mais la famille ^mitique devait conserver jusqu'au bout ce caractère de roideur métallique , si j'ose le dire , qui ,a empêché dans son sein toute vie intérieure déve- loppée. Quand on compare les idiomes sémitiques, indépendam- ment de l'ordre successif dans lequel ils nous apparaissent , on est frappé de l'étroite harmonie qui règne entre leur physio- nomie respective et là situation géographique des peuples qui les ont parlés. La différence que produisent à cet égard quel- ques degrés de latitude est vraiment surprenante. Varamien, paiié au nord , est pauvre , sans harmonie , sans formes multi- pliées , lourd dans ses constructions , dénué d'aptitude pour la poésie, qui, en effet, s'est à peine fait entendre dans ce rude idiome. V arabe, au contraire, placé à l'autre extrémité, se LIVRE V, CHAPITRE I. 407 distingae par une incroyable richesse, à tel point que l'on se- rait tenté de voir quelque surabondance dans l'étendue presque indéfinie de son dictionnaire et le labyrinthe de ses flexions grammaticales. Vhébreu enfin , placé entre ces deux extrêmes , tient également le milieu entre leurs qualités opposées^ : il a le nécessaire, mais rien de superflu; il est limpide et facile, mais sans atteindre à la merveilleuse flexibilité de l'arabe. Les voyelles y sont disposées dans une juste proportion , et s'en- tremettent avec mesure pour éviter les articulations trop ru- des , tandis que Taraméen , recherchant généralement la forme monosyllabique, ne fait rien pour éviter les chocs de con- sonnes, et qu'en arabe, au contraire, les mots semblent, à la lettre, nager dans un fleuve de voyelles, qui les déborde de toutes parts, les suit, les précède, les unit, sans permettre aucune de ces rencontres que tolèrent les langues d'ailleurs 1er plus harmonieuses. Le verbe, par exemple, monoi^ylla- bîque en araméen [ktal)^ dissyllabique en hébreu (Jcatal) de- vient irissyllabique en arabe [kataîa). Enfin, il est une foule de procédés grammaticaux qui n'existent pas dans l!araméen , sont en germe dans l'hébreu, et ont acquis dans l'arabe tout leur développement. Si Ton s'étonne de rencontrer de si fortes variétés de caractère entre les idiomes parlés dans une région géographique aussi peu étendue, qu'on se rappdle les dia- lectes grecs, qui, sur un espace bien plus restreint encore, présentaient des différences non moins profondes; la dureté et la grossièreté du dorien à côté de la mollesse ionienne, voilà les contrastes qu'on trouvait à quelques lieues de di&r tance chez un peuple éminemment doué du sentiment des diversités. ^ Conf. Ewald, AutJuhrUehet Lekrbueh der Kehr. Sprache, p. 3i el suiv. — Getenius, Ge$ck.dêr htbr. Spraehê, S ï6» 608 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. C'est dans les circonstances historiques, en effet, bien plus encore que dans oeUes du climat, qu'il faut chercher les causes efficaces de la variété des langues. Si, d'un cAté, les ca* ractères de famiUe sont immuables , s'il est vrai , par exemple , qu'une langue sémitique ne pourra jamais, par aucune série de développements, atteindre les procédés essentiels des lan- gues indo-européennes , d'un autre côté , dans l'intérieur des familles, tout est flottant, sans moule an^été, sans limites ab- solues. Les familles de langues se montrent à nous comme des types nettement définis et réduits à disparaître ou à rester ce qu'ils sont; au contraire, chacun des individus qui les com- posent a la faculté de développer les germes qu'il porte en lui , et , sans sortir du système général auquel il appartient , d'admettre les modifications que le temps, le climat, le» évé- nements politiques , les révolutions intellectuelles et religieuses peuvent exiger. C'est pourquoi , tout en établissant dans les grandes familles , surtout dans la famille indo^uropéenne et dans les rameaux les plus compréhensifs de cette famille , des groupes naturels et réellement distincts^ il faut renoncer à chercher dans les dialectes secondaires des individualités ca- ractérisé-es et permanentes. Pour ne parler que de la famille sémitique, combien ne serait-il pas inexact d'envisager les langues qui la composent comme des êtres identiques à eux- mêmes pendant toute la durée de leur existence , lorsque nous voyons ces idiomes, depuis leur origine jusqu'à nos jours, s'ac- commoder par une série de combinaisons infinies à l'état in- tellectuel des peuples qui les ont paiiés! Je ne fais pas de doute que l'ancien arabe ne ressemblât beaucoup plus, par sa physionomie générale, à l'hébreu qu'à l'arabe littérsd. Il existe un certain nombre de dialectes flottants, si j'ose le dire, tels que le phénicien, le samaritain, le syro-chaldaique , le LIVRE V, CHAPITRE I. 409 palmyrëaieo , le nahatëea, les diverses formes de l'idiome rab- binique, qui, suivant les époques > se rapprochent de Para- mëen, de Thébreu, de Tarabe même, et que l'on peut presque à volonté ranger dans rtine ou l'autre de ces catégories. Toute la famille sémitique ressemble à un tableau mouvant, où les masses de couleurs, se fondant l'une dans l'autre, se nuan- ceraient, s'absorberaient, s'étendraient, se limiteraient par un jeu continu. C'est une action et une réaction réciproques, un échange de parties communes , une végétation sur un tronc commun, où chacun des rameaux. isolés s'assimile tour à tour les parties qui ont servi à la vie de l'ensemble , s'accrott , fleu- rit, se dessèche, meurt, selon que des causes extérieures favo- risent ou arrêtent son développement. Dresser une fois pour toutes la statistique d'une famille de langues, en assignant d'une manière absolue à chacun des idiomes qui la composent son individualité distincte , est donc une méthode aussi peu philosophique que si , pour écrire i!bis^ toire universelle , on faisait successivement l'histoire de France , d'Italie, d'Espagne, et qu'on prétendit trouver dans ces an- nales , prises à part , des ensembles complets et parfaitement homogènes. La création et l'extinction des idiomes ne se fait pas à un moment précis ni par un acte unique , mais par d'in- sensibles changements , au milieu desquels le point de tran- sition est insaisissable. Sans doute il y a un certain moule imposé, d'où une langue, quelles que soient ses transforma- tions, ne peut jamais sortir; mais ce moule n'est autre que le type de la famille à laquelle la langue appartient, et dont au- cun effort ne saurait l'affranchir. Qu'après toutes ses trans- formations , on dise que la langue est différente ou qu'elle est la même, ce n'est là qu'une question de mots, dépendant de la manière plus ou moins étroite dont on entend l'identité : AlO HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. l'être vivant qui^ par un intime renouvellement, a changé plusieurs fois d'atomes élémentaires, est eneore le même être, parce qu'une même forme a toujours présidé à la réunion de ses parties. Les vues de Geoffroy Saint-Hilaire sur la dégradation des types sont encore plus applicables à la linguistique qu'à l'histoire na- turelle. De même que , dans le règne animal , l'on voit un or- gane très-développé chez. une espèce diminuer insensiblement chez les espèces voisines et arriver à n'être plus qu'un rudi- ment méconnaissable , qui finit par disparaître à son tour dans l'échelle des êtres ; de même la |)hilologie démontre que les procédés grammaticaux ont leur région linguistique et s'éva- nouissent d'une langue à l'autre par des dégradations suc* cessives. Tel mécanisme qui dans un idiome donné offre un développement considérable , perdant peu à peu de son impor- tance, arrivera dans d'autres langues de la même famille à n'être plus qu'un germe insignifiant. Souvent même ce germe rudimentaire devra être cherché , non pas dans les organes qui semblent parallèles, mais en suivant des analogies plus se- crêtes. La main, instrument de préhension chez l'homnie, de- vient pied chez le quadrupède, aile chez le cheiroptère, tandis que chez l'oiseau et le poisson elle est réduite à peu de chose ou défigurée; le bras, au contraire , devient aile chez l'oiseau, nageoire chez le poisson. Les fonctions subissent souvent dans les langues des interversions non moins bizarres. Ainsi les formes du verbe sémitique, qui semblent analogues aux voix des verbes grecs et latins , n'y r^ondent pas en réalité , mais bien à des procédés qui , dans les langues indo-européennes , n'ont qu'une importance secondaire, tels que l'itératif, le fiie- titif,etc. L'expression des temps et des modes, pour laquelle les langues ariennes déploient tant de ressources, ne se fait LIVRE V, CHAPITRE I. 411 qu'indirectement dans les langues sémitiques par l'emploi des deux aoristes et par les terminaisons finales de Taoriste second. La variété des moyens par lesquels les races diverses ont résolu le problème du langage, et la souplesse avec laquelle elles ont tiré parti des mécanismes les. moins ressemblants entre eux pour rendre les mêmes catégories , sont le perpétuel ob- jet de l'admiration du linguiste, et la meilleure preuve de l'unité psychologique de l'espèce humaine; ou, pour mieux dire, du caractère nécessaire et absolu des notions fondamen- tales de l'esprit humain. * S n. Les langues doivent donc être comparées aux êtres vivants de la nature , et non à ce règne immuable où la matière et la forme participent au même caractère de stabilité, où l'ac- croissement se fait par agglomération extérieure, et non par intussusception ; leur vie , comme celle de l'homme et de l'hu- manité , est un acte d'assimilation intérieure , une circulation non interrompue du dehors au dedans et du dedans au dehors, un jCert perpétuel. Quant aux formules mêmes de leur déve- loppement, rien n'est plus difficile que de prononcer à' cet égard des aphorismes absolus. Les lois qui ont présidé aux révolutions d'une famille de langues ne se vérifient pas tou- jours dans les autres, et l'on tenterait vainement de retrouver dans l'histoire des langues sémitiques la plupart des principes les mieux établis par l'étude des langues indo-européennes. Sur une foule de points , les langues sémitiques paraissent avoir suivi une ligne tout opposée ; c'est ici un fait très-important pour l'histoire de l'esprit humain , et qui réclame de nous une attention particulière. Une des lois qui s'observent le plus généralement dans âl3 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. . les diverses familles de langues, et surtout dans tes taogues ariennes, est celle qui place h l'origiDe la synthèse et la com- plexité^. Bien loin de se représenter l'état actuel conune le développement d'un genne primitif moins complet et plus simple que l'état qui a suivi , loe plus profonds liagnistes sont unanimes pour plac esprit humain des lan- gues synthétiques , ol es , si compliquées même que c'est le besoin d acile qui a porté les gé- nérations, postérieai la langue savante des ancêtres. Il serait possible, en prenant l'une après l'autre les langues de presque tous les pays oit l'humanité a une histoire , d'y vérifier cette marche constante de la synthèse à l'analyse. Partout une langue ancienne a fait place à une langue vul- gaire, qui ne constitue pas, à vrai dire, un idiome nouveau, mais plutôt une transformation de celle qui l'a précédée : celle- ci , plus savante , chargée de flexions pour exprimer les rapports infiniment déUcats de la pensée, plus riche même dans son ordre d'idées, bien que cet ordre fût comparativement moins étendu, image, en un mot, de la spontanéité primitive, oà l'esprit accumulait les élémmts dans une confuse unité, et perdait dans le tout la vue analytique des parties; le dialecte moderne, au contraire, correspondant à un progrès d'analyse, plus clair, plus explicite, séparant ce que les anciens assem- blaient, brisant les mécanismes de l'ancienne langue pour donner 6 chaque idée et k chaque relation son expresûon isolée. Peut-on dire que cette loi, qui s'observe d'une manière si frappante dans la succession du pâli, de l'hindoui et des dia- lectes modernes de l'Inde au sanscrit, du néo-persan au send, de l'annénien et du géorgien modernes à l'arménien et au ' J'ai plus loDgueinenldéTelappéceci Aant num eteai aur VOrigint du Imgimt , S n ; a' édiU Pam, i858. LIVRE V, CHAPITRE I. 413 géorgien antiques, du grec moderne au grec ancien, des lan- gues nëo*Iatines au latin , soit universelle , absolue , et domine également toutes les familles d'idiomes? «En l^it de langues, dit Guillaume de Humboldt, il faut se garder d'assertions générales. » L'axiome que nous venons d'énoncer souffire de graves exceptions, reconnues par ceux mêmes qui l'ont for- mulé. Fr. Schlegel n'ose l'appliquer à certaines langues res- tées à un degré inférieur de culture; Abel-Rémusat et G. de Humboldt en ont également excepté la langue chinoise ^ Nous croyons que , sous plusieur% rapports , les langues sémitiques doivent participer à la même exception. En effet, loin que chez elles la complication soit primitive , plus on remonte vers leur origine, plus elles nous apparaissent avec un caractère de simplicité; an contraire, plus on s'éloigne de leur berceau, plus elles se complètent et s'enrichissent. Ceci n'est point une hypothèse relative à des t^nps antéJiistoriques , et dont la dé- monstration doive être cherchée en dehors des faits actuels de la langue. Je ne parle point de ces inductions hardies au moyen desquelles on cherche, avec plus ou moins de prohabilité, à remonter de l'état des langues sémitiques qui nous est donné par les plus anciens monuments à un état antérieur plus simple encore. La comparaison des langues sémitiques, telles que nous les connaissons, prouve : i^ qu'elles sont fort inéga-^ lement développées, s^ que celles-là le sont davantage qui ont vécu plus longtemps et ont pu recueillir les acquisitions d'un plus grand nombre de siècles. L'arabe, qui est en quelque sorte le trésor commun des richesses de la famille , n'est pas , comme l'ont cru plusieurs philologues^, le sanscrit des langues ' Schlegel , Philotapki$eh$ VorUmngm imhênmden vbér PkUoêophit àw Spraehe { Vienne i83o), p. 67. — Humboldt, Letin à Abêl-Eémuêal, p. 73 et suiv. ' M. Weber, par exemple, lÀttrariêchei CentrdhlaU, i« janvier i856. &1& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. sémitiques : ce titre de langue primitive et parfaite appartient à, l'hébreu. Lliébreu serait indubitablement arrivé à ime ri- chesse comparable à celle de l'arabe , s'il eût fourni une aussi longue cailrière et traversé d'aussi favorables circonstances. L'hébreu dit rahbinique en est la preuve; seulement le déve- loppement, au Heu d'être un progrès^ est devenu, dans cette langue artificielle et exclue de l'usage vivant du peuplg, un véritable chaos. L'hébreu ancien possède en germe presque tous les procédés qui font la richesse de l'arabe ^ La plupart, il est vrai, de ces procédés maqquent dans l'araméen, qui pourtant a plus vécu que l'hébreu, mais dont la pauvreté doit être attribuée à d'autres causes , comme il a été ci^essus dé- montré ^ Une comparaison attentive des formes grammaticales dans les diverses langues sémitiques prouverait que toutes les fonc- tions organiques de ces langues, qui n'ent pas subi d'atrophie au moment même de la formation des dialectes, ont toujours été se développant et acquérant plus d'importance.. 'Les formes du verbe, au nombre de trois en araméen, sont ^ au nombre de cinq .en hébreu et au nombre de neuf en arabe, parce que l'araméen, dès son origine, semble s'être coupé la voie du progrès dans ce sens et s'être rigoureusement limité aux formes essentiel|^s (^kd, pihel et hiphil)] mais les mécanismes qu'il a conservés , il les a poussés bien au delà de l'hébreu : ainsi l'At^ApoA^/ ( cinquième forme des Arabes), qui ne joue en hébreu et en arabe qu'un rôle secondaire , a pris une prodigieuse * Gonf. Gesenius, LehrgdxBude , Voit. p. tii. ^ L. n,e. i,$ 1 et cm, S %; L V, e. i,$ i. ' On en admet ordinairement treize, et quelquefois quinze, mais en faisant figurer dans ia liste les formes particulières ou anomales, qui, si on les comptait en hébreu et en araméen , porteraient le nombre des formes dans ces deux dernières langues à un chidre plus élevé que celui que Ton fixe d^ordinaire. LIVRE V, CHAPITRE I. 415 extension dans l'araméen. Le procédé (pii consiste à donner an passif à chaque forme par le simple changement des voyelles , procédé qui, en arabe, s'applique à toutes les formes, n'ap- partient qu'à deux de celles de l'hébreu, et est inconnu à l'a- raméen , qui , du reste , emploie un procédé qu'on peut regar- der comme plus avancé et plus complet que celui de rhâ>reu. Le mécanisme du fvAur J^ré, qui offre en arabe tant de ri- chesse et de variété, et supplée presque à l'absence des modes, se retrouve à l'état rudimentaire dans les futurs apocopes et paragogiques de l'hébreu , et manque en araméen. Les temps composés , dont l'hébreu offre quelque trace dans l'emploi du wkv amvernfoxk du verbe n^i , forment un procédé régulièrement développé en araméen et en arabe. 11 en est de même de la formation du présent araméen avec n'^K, mot qui se retrouve dans le er^ des Hébreux. Le nombre duel, qui se rencontre à peine dans le syriaque S a déjà en hébreu une certaine im- portance : il est employé dans les substantifs , mais ne s'ap- plique ni aux verbes , ni aux adjectifs , ni aux pronoms , et , parmi les substantifs mêmes, ceux-là seuls en sont susceptibles qui ex- priment des idées duelles; en arabe, au contraire, il a tout son développement et se retrouve dans le pronom , l'adjectif, le verbe. L'état emphatique,, d'un autre, côté, si important en ara- méen, n'a qu'un rôle insignifiant en hébreu, et se confond, en arabe , avec les flexions casuelles. L'emploi du féminin pour remplacer le neutre et le pluriel inanimé , la construction des termes circonstanciels et inchoatifs , toute la théorie des com- pléments du verbe envisagés comme régimes directs, le mé- ' Le syriaque D*a que deux ou trois moto qui prennent le dud. Quant aux duels du chaldéen biblique, comme iJs ne sont indiques que par les pointa-voyelles, on pourrait croire qu*ici, comme dans beaucoup d'autres cas, les Massorètes ont cfaerohë à modeler le chaldéen sur Thébreu. 416 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. canisme da tna^dar, Temploi de eertaines conjonctions avec des régîmes et des affixes, toutes propriétés caractéristiques de l'arabe , se retrouvent en hébreu y mais seulement à Fétat rudi- mentaire. Les substantifs formés à Taide de terminaisons finales exprimant des nuances abstraites sont assez rares en hébreu et très-communs en araméen et en arabe. Enfin , grâce à une fécondité exceptionnelle, Tarabe a ajouté au fonds commun de la grammaire sémitique une série de procédés qui lui sont propres, et que les langues ses sœurs ont toujours ignorés» copune les cas, le comparatif, les formes particulières des noms d'unité, d'individualité, de spécification, d'abondance, les pluriels de paucité, les formes d'adjectife ou de verbes pour exprimer les qualités accidentelles ou habituelles , les défauts corporels, les couleurs, le désir, l'affectation, la demande, Pintensité , les professions , etc. et une foule d'autres relations délicates que nos langues ne savent exprimer qu'indirecte- ment. Aucune langue ne l'égale en ce genre de richesses; c'est, par excellence, la langue à^ mécanismes réglés et des formes constantes. A ce progrès de richesse et de développement il faut aussi ajouter^ dans les langues sémitiques, un progrès d'adoucis^ sèment et d'harmonie. Les langues, en général, usent peu à peu leurs aspérités; Gicéron, dont l'instinct philologique était parfois assez délicat, a fort bien établi cette vérité pour la langue latine [OraU ch. xlvii)^ ; toute la dérivation des lan- gues romanes repose sur le même principe. On ne peut pas dire que dans les langues sémitiques cette loi ait la même im- portance que dans les autres familles, ni qu'elle y ait produit des changements comparables à ceux qui ont signalé le pas- sage du latin à l'italien , du sanscrit au pftli ; elle s'y vérifie ' Voir aussi Dudos, CbmiMntoèv d$ la Granuà, da Port'Rotfdy i '* part. chap. i. LIVRE V, CHAPITRE I. 417 pourtant sur de nombreux exemples. L'hébreu de la captivité a déjà des formes plus douces que l'ancien hébreu; le chai- déen de la même époque et des époques postérieures affai- blit encore davantage les articulations, et enfin larabe ar- rive par la suite du temps an plus haut degré ^harmonie. Les sifflantes, par exemple, ont une tendance manifeste à sV doucir : le s se change en t^ ou en t : pris devient pn& ou pm ; pys devient pvT ; y^sr devient ih:f. Il en est de même des gutturales : le n des anciens Hébreux s'est changé en K dans un grand nombre de formes et de. mots appartenant à l'hé- breu des dernières époques, au chaldéen ou à l'arabe, par exemple dans les formes htphil, hophal et hithpahel, dans l'ar- ticle , dans l'orthographe de plusieurs mots : pDK pour ]\Dn (Jérém^uiy i5). Le n se change en n, le y en K : Qa2r = Q:iM; '73 p^ur ^^1 , forme babylonienne de '7ya ; |n:i hébreu , en sy- riaque \0^^9 etc. Lés gutturales sont la partie la plus faible d'une langue et celle qui tombe le plus vite; aussi les langues renferment d'autant plus de gutturales qu'elles sont plus primi- tives. La prononciation forte et pleine des peuples anciens s'affaiblit dans des bouches qui s'ouvrent à peine et dévorent toutes les articulations vives; la langue grecque, qui à son état parfait possède si peu d'ai^irations, en avait beaucoup plus à l'originel Le petit nombre de dialectes sémitiques qu'on peut envisager comme des patois populaire?, le sama- ritain, le galiléen, le mendaîte, ont pour trait caractéristique de neiger les différences des gutturales et de les confondre toutes en un son uniforme et adouci. S m. A l'inverse des langues indo-européennes , les langues sé- ' Matthi» , Gramm. rtmontié» de (a ku^ue grecque, t. I , p. hS (Irad. franc. ). I. 9 7 \ 418 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. mitiques se sont enrichies et perfectionnées en vieillissant* La synthèse n'est pas pour elles à Torigine , et ce n'est qu'avec le temps et par de longs efforts qu'elles sont arrivées à donner une expression complète aux opérations logiques de la pensée. Les latigues sémitiques, envisagées dans leur ensemble, sont des langues essentiellement analytiques. Au lieu de rendre dans son unité l'élément complexe du discours, elles préfèrent le disséquer et l'exprimer terme k terme. E31es ignorent l'art d'établir entre les membres de la phraae cette réciprocité qui fait de la période comme un corps dont les parties sont connexes, dentelle sorte que l'intelligence de l'un des membres n'est possible qu'avec la vue collective, du tout. Elles n'ont point eu à secou^ i% joug que la pensée <^ompréhensive des pères de la race arienne imposa à l'esprit de leurs descendants. La clarté merveilleuse avec laquelle la race sémitique apeiçut tout d'abord la distinction du moi, du monde et de Dieu , ex- cluait cette intuition vaste et simultanée des rapports. La j^irase hébral€[ue est un chef-d'œuvre d'analyse logique, et l'on est surpris d'y trouver k chaque pas les tours explicites, les gnUî- cismes, si j'ose le dire, qui semblent le partagées langues les plus positives et les plus réfléchies. C'est parce que les langues sémitiques furent analytiques dès le premier jour qu'on ne remarque pas chez elles, d'uAe manière à beaucoup près aussi sensible que dans les langues indo-européennes , la tendance k remplacer les flexions par le mécanisme plus commode des temps composés et des particules. Cette loi si remarquable, qui a déterminé, dans le sein de la famille indo-européenne, la formation de deux et quelquefois de trois couches de langues sur un même fond lexicographique et grammatical , n'est pas dominante dans les langues sémitiques. Ni l'hébreu , ni l'araméen , ni même l'arabe n'ont produit d'i- LIVRE V, CHAPITRE I. M9 diome dérivé qui soit à ces anciBOs idiomes ce que le prakrit, le pâli, Iliindoui, lliindoustani sont au sanscrit, ce que les langues néo-latines sont au latin. Il n'y a pas de langues néo- sémitiques. L*arabe vulgaire seul présente quelque analogie avec les langues dérivées dont nous venons de parler, en ce sens que les terminaisons riches y sont tombées , à peu près comme dans le passage du gothique et de YaïAochdeutsch aux moyens dialectes allemands. Mais nous nous sommes expliqué ailleurs sur ce phénomène (liv. IV, ch. n, S 7); nous avons montré que les voyelles finales , nég^gées par l'arabe vulgaire , ne sont pas de vraies flexions , et que , loin d'envisager cette langue comme un débris tronqué de l'idiome antique , il fallait y voir la vraie forme de l'idiome arabe , privée de quelques délica- tesses il est vrai , mais exempte aussi de toute superCétation et de tout règlement artificiel. Est-ce à dire qu'on ne trouve dans les langues sémitiques aucune trace dé ce penchant qui porte le peuple à simplifier l'ancienne langue pour substituer des tours plus développés aux tours plus complexes du vieil idiome? Non , certes. Un grand nombre de faits témoignent que les langues sémitiques, comme toutes les autres , ont obéi au besoin de l'esprit humain , qui , parallèlement à chaque progrès de la conscience , exige dans la langue un progrès de disffté et de détermination. L'hébreu, le type le plus ancien de ces i^omes, montre une tendance mar- quée à accumuler l'expression des rapports autour de la racine essentielle : l'agglutination y est nn procédé constant; non-seu- lement le sujet, mais encore le régime pronominal, les con- jonctions, l'article, n'y forment qu'un seul mot avec l'idée même. «Les Hébreux, semblables aux enfants, dit Herder, veulent tout dire à la fois. Il leur suffit presq^ d'un mot où il nous en faut cinq ou six. Chez nous 4 des monosyllabes «7- &30 HISTOIRE DBS LANGUES SÉMITIQUES. inaccentués précèdent ou suivent en boitant l'idée principale ; chez les Hébreux, ils s'y joignent comme incboatif ou comme son final, et l'idée principale reste dans le centre, formant avec ses dépendances un seul tout qui se produit dans une parfaite harmonie ^ » Un dés traits qui distinguent l'hébreu des temps de la captivité de l'hébreu classique est une certaine propension à remplacer, par des périphrases souvent pléonas- tiques , les mécanismes grammaticaux de l'ancienne langue ; par exemple, bp ou ) ni^K pour le rapport d'annexion : >^ç^ "^p^s « la vigne de moi, qui (est) à moi?? [Cant. i, 6). L'habitude dont nous parlons est encore bien plus forte dans l'hébreu mo- derne ou rabbinique, qui, sous ce rapport, ressemble beau- coup à l'araméen. Or l'araméen est , en un sens, plus analytique que l'hébreu ; il est même fatigant par ses longues particules , par les temps pesamment composés de ses verbes et les pléo- nasmes qui allongent inutilement ses phrases. En voici quel- ques exemples : (Lolmi* «*oi} nV*^^ ff>-i ^contra eam quœ ea bestia = contre cette béte » (Assem. Bibl. orient, 1. 1, p. &o , col. 1, 1. ai); JûCUd o^ ^in eo in mari = dans la mer?» [ibid. t. I,p. 39, col. 1, 1. 5 ajine)\ ^^ Judl PO|bd ^in itto tempore in^eo = en ce temps» (ibid. t. II, p. i6â ^ col. a, fin. tt&«)^; }oS^? oiJ^JSiA»; ^iimor ejus Dei ■= la crainte de Dieu» [Peschito, Rom. m, 18) : l'hébreu dit en deux mots : qui {est) Dominus Joliannes = de eodem Domino Johanne n (Assem. t. II , p. â 3 5 , col. s , 1. 7 ). L'hébreu dirait en un seul nH>t "•n^Vç t^mon royaume»; le syriaque le dira en deux, équiva- ^ Eifrit delapoén&det Hébreux, 1*' dialogue. * On aperçoit toat d^abord ranalogie de cet emploi du pronom avec le rôle que joue dans la basM lattnitë le pronom Hk, d^où est venu Tartide des liingnes romanes. LIVRE V. CHAPITRE I. &21 lant à cinq : ^^Sr^ ««LoâCSklto «retint TMum qaod (es<) mkir> (Michaëlis, ChresL p. 19, 1. a); ofiO-M.} o^Sift| «*oi. t( celle qui à elle le nom d'elle = celle dont le nom» (Barhebrseus^ P ^ p êPT y 9 Chron. p. 439, 1. a); «ttCUAOJOu; II) yZ^^f «(pour moi cpii h moi, moi Dionysius =:: pour moi, Diony- sius» (Assem. t. II, p. aoy, col. 1, 1. a3-a&)^; on voit jus- qu'où eette langue pousse le morcellement du discours. La re- lation du génitif, le pronom possessif, le pronom rela^, au lieu de s'exprimer comme en hébreu par des flexions ou des agglutinations , s'y rendent par des mots froidement entassés : il semble que le plus long détour y soit toujours celui que l'écrivain préfère. Enfin, pour suppléer à l'imperfection des langues sémitiques dans l'expression des temps , les Araméens ont recours à des mécanismes dont l'hébreu ne possède que le germe à peine indiqué. L'arabe, tout en évitant les circonlocutions pléonastiques de l'araméen, pousse aussi l'analyse de certaines relations grammaticales beaucoup plus loin que les anciennes langues sémitiques. Des particules, et surtout des conjonctions nom- breuses, expriment dans cette langue les rapports des membres de la phrase avec plus de précision qu'en hébreu et même en syriaque. Une foule de mots parasites , jouant le simple rôle d'exposants, suppléent à ce que les procédés des autres langues sémitiques ne rendent pas avec assez de clarté : «Xi , par exem- pie, pour exprimer le prétérit; c3^ , U^ »,^*- , ;^> ou l'insépa- rable (^ , pour marquer le futur. On trouve même quelquefois la particule çj^ employée pour marquer le génitif, comme dans les langues les plus analytiques : aMI ^ Jjamj] (Cor. ' Cf. Agrellii Supplemmta $yfUaxeoê tyriacœ, SS 86 et suiv. — Michaëlis, Grmum, «yr. p. 917. — Hoffiorann, Gramm, ayr» p. 3t6 , n* 6. 4â3 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. sur. I?, V. 79) «la libéralité dé Dieu»; jûi) (^ 9^1^ (sur. iii^ V. 99) «une fosse de feu» ^ Mais c'est surtout dans Tarabe vulgaire que Ton voit se dessiner avec évidence cette liberté impatiente de tonte gène , qui porte le peuple à renoncer aux flexions multipliées , pour se faire une langue facile et claire. Toutes les voyelles finales , indices de rapports grammaticaux dans Tarabe littéral, ont disparu : des procédés plus grossiers les remplacent; ce son^ des mots isolés, destinés à marquer les rapports des idées avec plus de détermination , mais infiniment moins d'élégance. Le mécanisme de Vitat construit, qui a tant d'importance en hé-' breu, et qui en araméen est déjà à demi remplacé par des particules, a entièrement disparu en arabe vulgaire : la rela- tion du génitif s'exprime lourdement par ^Ia^, JU et d'autres mots signifiant possession, ou par S^^ , analogue à l'araméen ^^k«|. Le relatif ^^ôJI , conune le latin quod ou quant, usurpe la place de tours plus réguliers. La notation des temps est ar- rivée à une rigueur à peu près complète , grâce à l'emploi de particules préfixes et de mots auxiliaires , tels que jCt , Ijs. pour le présent, Os pour le futur ^; or ces mots, conmie ceux qui servent à marquer le génitif (J^d excepté), sont tous des mots pleins que l'on prive de leur signification pour en faire de simples signes granunaticaux '. L'éthiopien présente les mêmes phénomènes d'analyse , mais ^ Gonf. deSacy, Gramm. arabe, t II, p. 8i9.-T-Rofl«imi^er, lnstit.jadjmdam, Unguœ arab. p. s5&. On trouve de rares exemples de cet idiotisme en hébreu {Job, Vf, i3. — Prov, xxTi, 7). — Gonf. Gesenius, LekrgtbtBudê der hthr. Sprache, S 175 , 3. Pour le tour analogue en syriaque, voy. Hoffmann, Gromm. «yr.p. 197, et AgreHius, S^i^km. $yni. tyr, S 57, n** y. * Gaussin de Perceval, Gramm, arabe vuigair$ , p. 98 et suiv. ^ Ibn-Khaldoun a très-bien aperçu ce caractère analytique de Tarabe vulgaire. (Voy. de Sacy, AnthoLgrammat, arabe, ^. Aïo et suiv.) LIVRE V, CHAPITRE I. &S8 avec une particularité r^narquable, qui prouve bien que la préférence donnée aux mécanismes extérieurs sur les flexions intérieures est> dans les langues sémitiques, le fruit d't^ne longue culture. Dans beaucoup de cas , les procédés nouveaux n'ont pas réussi à exclure de Tusage les procédés anciens : ainsi la relation du génitif s'y exprime à la fois et par l'état construit et par le H» correspondant au n des Araméens^; comme si le français avait conservé , à c6té^de l'emploi des prépositions , les déclinaisons du latin. Les faits qui viennent d'être énumérés sont-ils suffisants pour ériger la tendance à l'analyse en loi générale de^ langues sémitiques? Nous ne le pensons pas. Jamais cette tendance n'a abouti , dans la famille dont nous parions , à une vraie trans- formation du système grammatical. On peut dire que les lan- gues sémitiques ont connu en germe les deux procédés par lesquels se forment les langues dérivées , mais que ces procédés sont restés pour elles inféconds. D'une part, nous avons vu la loi de l'adoucissement et de l'absorption des sons, qui du latin a tiré l'italien , n'amener, chez les Sémites, que de purs chan- gements euphoniques, sans atteindre véritablement le fond de la langue. D'un autre cAté, la loi d'analyse qui, dans l'Eu- rope occidentale, a substitué à la syntaxe latine les méca- nismes plats des langues modernes , n'a réussi, dans les langues sémitiques, qu'à rendre usuels certains procédés commodes que ces langues ne possédèrent pas toujours au même degré. Aucune de ces deux voies n'a conduit à une altération orga- nique ni à la création d'un idiome nouveau. Telle est, sans contredit, la diflérence la plus essentielle qui sépare l'histoire des langues sémitiques de l'histoire des langues indo-européennes. Ces dernières ont , si j'ose le dire , ' Dillmanii, Grat}un. dev œlh, Spr, p. 6-7, 956 ef fuîv. AS& HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. véca deux âges de langues ; à une époque de synthèse et de complexité a succédé pour elles une époque de décomposition et d'analyse. Les idiomes sémitiques, au contraire, n'ont eu qu'une seule série de développement. C'est surtout en parlant dç ce groupe qu'il est vrai de dire que le moule d'une famiUe de langues est immuable et coulé une fois pour toutes. Com- parées aux langues indo-européennes , si essentiellement végé- tatives et vivantes» les langues sémitiques sont ce qu'on peut appeler des langues inorganiques. Elles n'ont pas végété , elles n'ont pas vécu ; elles ont duré. L'arabe conjugue aujourd'hui le vei^e exactement de la même manière que le faisait l'hébreu aux temps les plus anciens ; les racines essentielles n^nt pas changé d'une seule lettre jusqu'à nos jours, et l'on peut affir- mer que , sur les choses de première nécessité , un Israélite du temps de Samuel et un Bédouin du xix* siècle sauraient se com- prendre. Si Ion songe que nous avons des textes hébreux qui datent bien certainement de mille ans au moins avant l'ère chrétienne ; que dans l'espace de trois mille ans, par consé** quent, ni les radicaux, ni la grammaire sémitique n'ont subi d'altération sensible, n'est-on pas en droit d'en conclure que, par cette famille de langues, nous touchons vraiment aux ori- gines de l'humanité, et que la forme primitive des langues sémitiques dut être assez peu différente de celle que nous trou- vons dans l'hébreu? Ce caractère d'immutabib'té , cette absence de développement organi€[ue est , à vrai dire , le trait fondamental qui distingue les langues sémitiques. Le manque de variété, la ressemblance des dialectes entre eux, l'absence d'individualités fortement tranchées, telles qu'on en trouve dans la famille indo-euro- péenne , se rattachent à la même cause. Les langues sémitiques n'ont connu qu'un seul type; elles y sont restées comme em- LIVRE V, CHAPITRE I. â25 prkonnëes, elles n'ont pu ni différer d'elles-mêmes à leurs âges successifs, ni différer les unes des autres. La diversité des physionomies locales , dans le sein d'une même race , est toujours en proportion de l'activité qui s'y est déployée: à cin^ cents lieues de distance, le Russe est semblable au Russe; à dix lieues de distance , le Grec était complètement différent du Grec. L'identité de la pensée sémitique n'exigeait pas dans la langue cette aptitude au changement que réclamaient les fré- quentes révolutions intellectuelles de la race arienne. L'idée qu'on se forme trop volontiers d'un Orient immuable est ve^ nue de ce qu'on a appliqué à tout l'Orient ce qui ne convient qu'aux peuples sémitiques. Les peuples indo-européens de l'Asie ont subi au moins autant de transformations que ceux de l'Europe; l'Inde, qu'on regarde comme le pays de l'im- mobilité , est certainement l'un des points du monde où la langue, les mœurs, l'esprit se sont le plus souvent modifiés. Pour la langue, comme pour les habitudes de la vie, les peu- ples nomades, au contraire, se distinguent par leur esprit essentiellement conservateur. Des causes^ moins efficaces , et pourtant décisives dans l'his- toire des langues , contribuèrent à assurer aux idiomes sémi- tiques ce privilège d'inaltérabilité. L'organe sémitique est d'une remarquable netteté dans l'articulation des consonnes. Livrant les voyelles au hasard et presque au caprice, il n'a jamais fléchi sur ses vingt-deux articulations fondamentales, et l'alphabet sémitique est resté de tous points semblable à lui-même, sous le rapport phonétique comme sous le rapport graphique, depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours. On comprend tout d'abord l'influence capitale que cette pro- priété doit exercer sur les destinées d'une langue. S'il est des langues, en effet, moins résistantes que d'autres, plus friables, &36 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. si j'ose le dire , et plus promptes à tomber en poussif , à quoi l'attribuer, sinou k l'organe du peuple, qui ne sait pas les maintenir ou qui agit sur elles à ia manière d'un corrosif? Que l'on compare la fermeté dn gothique, oà aucune dési- nence n'est tombée , et qui nous représente une langue pair*- faitement jeune et intacte, à la déliquescence de la langue an^aise, usée comme un édifice en pierre pence ^ à demi ron- gée par des organes défectueux! On a dit, avec quelque rai- son, que le français n'est que du latin prononcé k la gauloise; « il est certain , du moins , que la différence des dialectes romans n'a eu d'autre cause que la différence de l'organe, ici soute- nant les finales par l'accent , là éteignant les voyelles pleines et y substituant les voyelles nasales et Ye muet. Si les peuples occidentaux avaient eu la prononciation aussi correcte que la race arabe, on parlerait encore aujourd'hui en France, en Italie et en E^agne , la basse latinité. Cet agent 4e décomposition manqua tout à fait aux langues sémitiques : pas une lettre ne s'y est perdue. Gardées par des bouches fermes et précises , elles tombèrent très-rarement dans le jargon. Les trois articulations fondamentales de chaque ra- cine restèrent comme une sorte de charpente osseuse qui les préserva de tout ramollissement. Le système d'écriture sémi- tique, de son côté, n'a pas peu contribué à ce phénomène de persistance. On ne peut pas dire que les Sémites écrivent d'une manière aussi parfaite que les Indo-Européens : ils ne repré- sentent €[ue le squelette des mots; ils rendent l'idée plutôt que. le son. Le latin et l'italien , écrits à la manière sémitique , dif- féreraient à peine l'un de l'autre ; mais on ne peut nier que ce système d'écriture , si incommode peur l'étranger, ne soit excellent pour la conservation des racines. En écartant de Tor- thographe les particularitéis secondaires , il maintient le radi- LIVRE V, CHAPITRE I. 427 cal comme une sorte de diamant parfaitement pur, au travers de tous les accidents grammaticaux. Des altérations comme celles qui ont tiré oiêeau de aviceUus, et août de A^tgusius, se- raient impossibles, au moins dans la langue écrite, avec le système d'orthographe gardé par les Sémites jusqu'à nos jours. L'intégrité des langues sémitiques fut puissamment proté- gée par une autre circonstance. L'accent , bien que les idiomes sémitiques n'y soient pas complètement étrangers, n'a pas joué, dans les révolutions de ces idiomes, un r61e aussi esseur tid que dans les langues indo-européennes. Or l'accent, loin de servir & la conservation d'une langue , est , pour les radi- caux et les finales, une cause de destruction, en ce sens que la syllabe accentuée dévoré autour d'elle les syllabes plus faibles. Les étranges contractions de la prononciation anglaise, la chute des finales dans le français et dans l'italien du nord, n'ont pas d'autre origine^. Cette prépondérance absorbante de certaines syllabes n'a pas lieu dans les langues sémitiques, dont la prononciation est, en général, égale et unie. Les langues sémitiques, d'ailleurs, échappèrent à la plus rude épreuve qu'une langue puisise traverser, je veux dire au changement de prononciation que subit un idiome lorsqu'il est adopté par des peuples étrangers. Qu'on songe à ce que devint le latin dans la bouche des Gaulois , k ce que devint le français transporté en Angleterre par la conquête normande et trahi par les oreilles anglo-saxonnes. Je dis par les oreilles , car c'est l'organe de l'ouie, bien plus que celui de la voix, qui règle ces sortes de dégradations; quand TAnglo-Saxon écrivait pedigree pour pied de grue, c'était l'oreille qui rendait un faux témoignage sur la nature du son. Les langues sémi- • tiques ne connurent jamais cette torture. Très-rarement elles ' Voy. Egger, NoUam éUm, de grammaire comparée y cb. ii, S i. &38 HISTOIBS OES LANGUES SÉMITIQUES. passèrent à des peuples de race étrangère. Si l'arabe ^s'étaUit comme langue savante partout où se répandit Tidamisme, il ne devint langue vulgaire en Orient que dans les pays déjà sémitiques , et en Afrique il ne fut guère parlé que par la race conquérante. En Espagne, à Malte, nous le voyons adopté, il est vrai, par des races non sémitiques; mais là précisément il dégénère en patois, comme il arrive ftNrcément toutes les fois qu'une langue s'impose à des peuples vaincus. Une exception plus grave à la loi que nous venons de signa- ler est celle que présentent l'amharique et, en général, les dialectes sémitiques parlés au sud de la mer Rouge. Nous avons là des dialectes caractérisés par une prononciation baiv- bare , possédant des articulations tpi'on chercherait vainement dans les. autres idiomes sémitiques, et présentant toutes les irrégularités qu'on est habitué à trouver quand une langue passe d'une race à une autre. Le mendaîte nous olfire , au cœur même du sémitisme, un autre exemple de patois grossièrement altéré ; mais ce sont là des faits trop peu considérables pour porter atteinte à la loi d'incorruptibilité qui semble dominer les langues sémitiques. Il suffît, pour établir cette loi, i^ que les trois grandes branches de la famille soient restées exemptes de toute décomposition ; a"" que la décomposition , quand elle s'est produite , n'ait eu aucune efficacité pour la formation de langues dérivées. Dès lors aucune comparaison n'est possible entre les faits isolés d'altération qu'on peut citer dans la famille sémitique et le5 faits analogues que présente la famille indo- européenne. Ce qui caractérise cette dernière , c'est que la cor- ruption y est féconde et engendre des idiomes qui , issus du barbarisme et du solécisme , s'ennoblissent à leur tour et ar- rivent à reconstituer, aVec les débris de la vieille langue, un organisme nouveau. LIVRE V, CHAPITRE I. 429 8 IV. Nous refusons donc aux langues sémitiques la faculté de se régénérer, tout en reconnaissant qu'elles n'échappent pas plus que les autres œuvres de la conscience humaine à la nécessité du changement et des modifications successives. Ces modifi- cations aboutissent chez elles, non pas à créer des langues différentes l^ine d| l'autre , mais à produire deux formes de la même langue : l'une, écrite , l'autre parlée; l'une savante, l'autre vulgaire. L'extrême régularité de l'orthographe sémi- tique fait que le désaccord entre la langue écrite et la langue parlée ne tarde jamais beaucoup à se produire. L'écriture a toujours été , chez les Sémites , une chose sacrée , qu'il n'est pas permis de profaner en l'appliquant à un jargon sans règles et sans analogies. L'orthographe sémitique a, en général, été fixée, non par la prononciation usuelle, mais par la raison étymologique et grammaticale : un fait comme celui qui se passa en France, au xn** siècle, une langue dérivée qui en- treprmd de s'écrire d'après le témoignage de l'oreille, sans tenir un compte rigoureux: de ses origines, ce fait, dis-je, est presque inconnu en Orient. Il est vrai que les qualités de l'or- gane sémitique rendaient le divorce entre l'étymologie et la prononciation moins sensible, et n'exigeaieçt pas ces perpé- tuelles eoncessions qui sont devenues chez nous nécessaires pour maintenir l'écriture, signe invariable, en rapport avec l'organe variable de la voix. On peut dire néanmoins que très^ rarement les Sémites ont écrit comme ils parlent. L'hébreu était déjà une langue de lettrés à l'époque de la captivité; cinquante ans après Msdiomet, l'idiome du Coran avait besoin de grammaire pour être correctement parlé. 430 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. L'histoire des langues éta})lit ce curieux théorème, que, dans tous les pays où s*est produit quelque mouvement intel- lectuel ,' deux couches de langues se sont superposées , non pas en se chassant brusquement Tune l'autre , mais la seconde sortant de la première par d'insensibles transformations. L'ana- lyse est , en géaéral , le procédé par lequel s'opère cette métar morphose : le mot d'analyse toutefois , ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, n'est pas assez étendu pour exprimer la loi générale dont nous parlons ici , et l'on^ourrlit , en s'y ar- rêtant, s'exposer à de graves difficultés. Ce qui est absolument sans exception , c'est le progrès en détermination et par suite en clarté ; le système des langues modernes accuse uù état très- réfléchi et une conscience trèsnlistincte. Les langues les plus claires ne sont pas Içs plus belles, et il s'en faut que la marche qui vient d'être signalée soit de tout point un perfectionne- ment ; mais , de quelque manière qu'on l'apprécie , le fait même de cette marche doit être envisagé comme nécessaire, puisqu'il existe à peine une partie de l'ancien monde civilisé où deux langues, depuis les temps historiques", n'aient ainsi succédé l'une è l'autre, correspondant elles-mêmes à deux états et comme à deux âges de l'esprit humain. Les langues sémitiques, qui accomplirent leurs révolutions par des voies si différentes de celles que suivirent les langues indo-européennes , arrivèrent en ceci au n»ême- résultat. L'hé- breu disparaît à une époque reculée pour laisser «dominer seuls le chaldéen, le samaritain-, le syriaque, dialectes plus plats et plus clairs , lesquels vont à leur tour s'absorba: dans l'arabe ; mais Tarabe , de son côté , est trop savant pour l'usage vulgaire d'un peuple illettré. Les foules entrées de gré ou de force dans l'islam ne peuvent observer les flexions délicates et variées de l'idiome koreischite^ le solécisme se multiplie et LIVRE V. CHAPITRE I. 431 devient de droit commun , au grand scandale des grammai- riens. De là , à c6té de Tarabe littéral , qui demeure le par- tage exclusif des écoles, l'arabe vulgaire» d'un système beau- coup plus simple et moins riche en formes grammaticales. Mille notations délicates y ont disparu, et la laogue semble rentrer dans l'ancien cercle sémitique, au delà duquel elle avait fait une si brillante excursion. Mais que devient la langue ancienne ainsi remplacée dans Tusage vulgaire par le nouvel idiome? Son rôle, pour être changé, n'en est pas moins considérable. Si elle cesse d'être Tinstrument du commeicce habituel de la vie , elle reste la langue savante et presque toujours la langue sainte du peuple qui l'a décomposée. Fixée d'ordinaire dans une littérature antique, dépositaire des traditions religieuses et nationales, elle sera désormais la langue des choses de l'esprit. Chez les nations orientales , où le livre ancien ne tarde jamais à deve- nir sacré, c'est toujours à la garde de cette langue obscure, à peine connue^ que sont confiés les dogmes religieux et la liturgie. La race sémitique, en particulier, ayant marqué sa trace dans l'histoire par des créations religieuses, c'est prin- cipalement en qualité de langues sacrées que les langues sémitiques sont arrivées à un rôle in^portant. Grâce au judaïsme, au christianisme, à l'islamisme, l'hébreu, le sa- maritain, le chaldéen, le syriaque, le ghez, l'arabe littéral rivent encore comme organes d'une liturgie, comme idiomes d'un livre sacré, ou d'une version de la Bible, que son an-^ tiquité a entourée, aux yeux du peuple, d'un prestige de sainteté. C'est à la ibrme donnée par cette première litté- rature que chaque nation a voulu demeurer invariablement attachée. Le même fait se reproduit, mais avec des modifications pro- &&2 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. fondes , chez les naiionB occidentales. Ce qui est tangue seerie pour ies Orientaux , qui ne conçoivent la science que comme une partie de la religion, est lai^iue classique chez les nations européennes. A yrai dire , ces deux rôles ne sont pas distincts : soit sous forme de langue sacrée , soit sous forme de langue classique, qu'elle se réfugie dans les temples ou dans les écoles , la langue ancienne reste l'organe de la religion , de la science, souvent même des actes civils et administratifs, c^est- à'-dire de tout ce qui s'élève au-dessus de la vie ordinaire. C'est ainsi que l'arabe littéral et le ghèz s'emploient encore dans les lois, dans les ordonnances, dans toutes les pièces officielles. Les Arabes, pour leur correspondance un peu soi- gnée , se rapprochant même beaucoup du style littéral : tant il est vrai que ces peuples regardent la langue ancienne comme étant seule susceptible d'être écrite. Les Sémites , en revenant sans cesse pour l'usage littéraire à une langue morte, n'ont donc fait que subir la loi générale qui impose à tous les peuples une langue classique , et les con- damne à n'enseigner guère dans leurs écoles qu'un idiome de- puis longtemps tombé en dâmétude. Lors même que l'idiome vulgaire s'enhardit à toucher aux choses intellectuelles, la langue ancienne n'en conserve pas moins un caractère spécial de noblesse. Elle subsiste comme un monument nécessaire à la vie intellectuelle du peuple qui fa dépassée , comme une forme antique dans laquelle la pensée moderne devra venir se mouler, au moins pour le travail de son éducation. Les langues dérivées en effet , n'ayant pas l'avantage de posséder leurs racines en elles-mêmes comme les langues de première formation, n'ont d'autre répertoire de mots que les langues anciennes. C'est là qu'au xvi* siècle le français alla puiser, comme dans son domaine propre, une foule de vocables in- LIVRE V, CHAPITRE I. 433 connus an moyen âge ^ ; c'est là encore qu'il s'adresse de nos jours , lorsqu'il profite de la faculté de s'enrichir qui lui a été si étroitement mesurée. La langue moderne d'ailleurs, étant toute composée des débris de l'ancienne , il devient impossible de la posséder d'une manière scientifique à moins de rap- porter ces fragments à l'édifice où ils avaient leur valeur pre- mière. L'expérience prouve combien est imparfaite la connais- sance des idiomes modernes chez les personnes qui n'ont point étudié la langue d'où ils sont sortis. Le secret des mécanismes grammaticaux, des étymologies et, par conséquent, de l'or- thographe étant tout entier dans la langue anq^enne , la raison logique de ces mécanismes est insaisissable pour ceux qui les considèrent isolément et sans en rech^peker l'origine. La rou- tine est alors le seul procédé possible, comme toutes les fois que la connaissance pratique est recherchée à l'exclusion de la théorie. Chaque peuple trouve ainsi sa langue savante dans les conditions mêmes de son histoire. Il est inexact de donner à la dénomination de elatsique un sens absolu et de la restreindre à un ou deux idiomes , comme si c'était par un privilège es- sentiel ^H^sultant de leur nature qu'ils fiiâisent prédestinés à faire l'éducation de tous les peuples. L'existence des langues classiques est une loi universelle dans l'histoire des littéra- tures, et le choix de ces langues, de même qu'il n'a rien de nécessaire pour tous les peuples, n'a rien d'arbitraire pour chaeun d'eux. ^ La réforme da grec moderne qui s^est accomptie de nos jours a fourni un nouvel exemple de ce phénomène. 1. a8 kU HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. sai^HE^^pBBBH^r^^Bs^a^Ba CHAPITRE IL LES LANGUES SlÎMItIQUES COMPARÉES AUX LANGUES DES AUTRES FAMILLES, BT, EN PARTICULIER, AUX LANGUES INDO-EUROPEENNES. S 1. « Un problème s'est souvent offert à nous dans les livres pré- cédents : la distinction des langues sémitiques et des langues indo-européennes est-elle une distinction rafale, absolue, impliquant nécessairement une diversité d'origine et de race? Bien qu'un tel problème ne puisse se résoudre que par l'exa- men du système des langues, et qu'il se rattache, par consé- quent, sous bien des rapports au second volume de cet ou- vrage , nous croyons devoir le traiter ici : le terrain sur lequel pose la discussion est , en effet , plus historique que philolo- gique , et les données qu'on est obligé d'invoquer dans lé dé- bat appartiennent à l'ordre de considérations qui doit trouver place dans la première partie de notre essai. Deux graves questions de méthode sont impliquées dans la recherche qui va nous occuper : i^ jusqu'à quelle limite deux systèmes de langues peuvent-ils différer sans cesser pour cela d'appartenir à la même famille naturelle ? a"" Lors même que deux systèmes de langues sont reconnus pour distincts, jusqu'à quel point est-on autorisé à conclure de là que les peuples qui les parlent ou les ont parlés appartiennent à des races primi- j LIVRE y, CHAPITRE IL A3o tivement distinctes? A la première question il faut répondre, ce me semble , que le critérium de la distinction des familles est riqapossibilit^ de faire dériver Tune de l'autre par des pro- cédés scientifiques. Quelque divers que soient entfe eux les groupes qui forment la famille indo-européenne , on explique parfaitement comment Ums se rapportent à un modèle iden- tique et ont pu sortir d'un même idiome primitif. Il n'est pas permis d'en dire autant des langues sémitiques comparées aux langues indo-européennes, ni du chinois comparé à ces deux familles. On n-expliquera jamais comment le zend ou le sanscrit auraient pu , par des dégradations successives , devenir l'hébreu, ni comment l'hébreu aurait pu devenir le sanscrit ou le chinois. Il y a évidemment entre ces trois systèmes (pour ne point parler des autres) une séparation qui empêche àe les envisager conmie des variétés d'un même type, et, quelles que puissent être les hypothèses futures de la science sur les questions d'origine, le prin<»pe de l'ancienne école, te Toutes les langues sont des dialectes d'une seule , 9 doit être abandonné >è jamais. Mais de cette vérité fondamentale estron en droit de con* dure qu'il n'y eut entre les peuples qui parlent des langues de familles diverses aucune parenté primitive ? Voilà sur quoi le critique peut hésiter k se prononcer, de même que le zoo- logiste, après avoir établi la distinction scientifique des es^ pèces, s'abstient de toute conjecture sur le fait primitif de leur production. On concevrait à la rigueur qu'une même race , scindée dès son origine en deux ou trois branches , eût créé le langage sur deux ou troia types différents. Il n'est pas impossible que la naissance du langage ait été précédée d'une période d'incubation , durant laquelle des causes , en tout autre temps secondaires, auraient agi d'une manière énergique et &36 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. creusé les abtmes de séparation qui nous étonnent. Les ori- gines de l'humanité se perdent dans une telle nuit que rima* gination même n'ose se hasarder sur un terrain où toutes les induirons semblent mises en défaut. Le seul problème qu'il soit permis de poser est donc celui-ci : la différence qui existe entre les langues indo^uropéennes et les langues sémitiques, différence qui est plus que suflSsante pour ériger ces deux groupes en deux familles distinctes, exclut-elle toute idée d'un contact primitif entre les deux races, ou bien penûei-elle , dans un sens plus large , de les rattacher à une même unité? Posé dans ces termes, le problème a beaucoup préoccupé les linguistes, et a inspiré , surtout en Allemagne, des travaux fort inégaux en mérite. Klaproth essaya le premier, depuis la création de 1» philologie comparée , de rapprocher les racines sémitiques des racines indo-gérmaniques , et crut avoir dé- montré que les deux familles de langues, si différentes sous le rapport granimatical, possédaient un ôertain nombre de ra- cines dont la présence de part et d'autre ne pouvait s'expliquer par un emprunt ^. Klaproth n'avait qu'un sentiment trèsnmé- diocre de la vraie méthode comparative; son essai laisse beau- coup à désirer : cependant la distinction qu'il établit entre la comparaison des procédés grammaticaux et la comparaison des éléments lexicographiques, la première n'amenant qu'à voir des différences entre les deux iamilles , la seconde révélant des analogies au moins apparentes, devait rester dans la science. Bopp^ «t Norberg ^ essayèrent des rapprochements du même 1 Klaproth, Obêêrvalionê mr bt roem» iM tongiM* êémitiqHny A ia suite de roavrage de Mërian : JVme^ dv filniê eofnpœratioe âêi langu» (Paris, 1898) « p. aoQ-adg; le même, AiiapolygloUa, p. 108. * YfMiMr/aAr6iîcA«r(i898),tXLn,p. 9&9etsuiY. ' Naoa Aeta Beg, Sodêt. êcisntiartim UpêaHœ, vd. IX, p. 907 et siiiv. et dans les Opuêeula de Noilief^, t U, dissert, n et x?i. LIVRE V, CHAPITRE IL 437 genre, mais avec aussi peu de succès. M. Lepsius^, de sqn c6té, aborda le sujet avec une méthode plus originale que sûre , et crut découvrir dans le sanscrit et Thébreu des traces d'un germe commun, antérieur au plein développement de ces deux idiomes. Gesenius et son école portèrent un ejsprit meilleur dans ces obscures et dangereuses recherches ^. Les rapprochements des racines sémitiques avec celles du sanscrit, du persan, du grec, du latin , du gothique , occupent une place importante dans les derniers travaux de l'illustre professeur de Halle. Ce ne sont plus cette fois des paraUélismes superficiels et satisfaisants seulement pour Toreilie; ce sont des analyses étymologiques, où Ton sent l'influence de la méthode qui a mené les études indo- européennes à de si beaux résultats. Persmadé de la séparation radicale des deux familles', et cherchant beaucoup moins à les fondre Tune dans l'autre qu'à suivre leurs analogies respec- tives , Gesenius sç préserva des exagérations où certains phi- lologues devaient tomber après lui. Les rapprochements qu'il tente dans le Lexican manuaU sont, en général, assez judicieux; seulement il faut avouer qu'ils prouvent peu de chose pour la thèse qu'il s'agit d'établir. La plupart tombent sur des racines dont la ressemblance s'explique, soit par l'onomatopée, soit par des raisons tirées de la nature même de l'idée. Gesenius pensait du reste que , pour trouver les analogies démonstra- tives , il fallait dépouiller les racines sémitiques de leur forme ' trilitère, et remonter jusqu'au thème primordial bilitère, d'où ^ PolcNgropAté ûk Mittêlfir diê Sproel^onehung (Beriîn, i83&) , et les oa- vTtges du même auteur sur les rapports du copte avec les langues sémitiques et indo-européennes. (Voy. ci-dessus, p. 79-80.) — GonC Wiseman, Diêeaun mr bt n^^portê 0iUn la idênee et la rtUgûm HvéUê, dise, i , s* part s Gesenius, Lesnoon tnamuils, pnef. p. tii-tiii; (»ramiiNilt3b (11* édit), p. &. ' Gsir^i^dsr As6r.5|iraeik«(i8i5),Si8. A38 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. les racines actuelles seraient dérivées par Taddition d*une troi- sième consonne accessoire ^ ; hypothèse hardie dont la valeur a été discutée précédemment (L I, ch. in, S i). Cette hypothèse qui, si elle ne menait pas à der^nds ré- sultats , ne pouvait avoir de bien graves inconvénients pour des esprits sages'^comme Tétaient Gesenius et ses élèves , de- vait former la pierre angulaire des prétentions d'une école qoi 8*est annoncée comme devant ch^ger l'aspect des études eocégétiques en Allemagne, celle de MM. JuliusFûrst et De- litzch^. Je me plais k reconnaître la science de ces deux h^ braisants ; mais le désir de se faire une place dans le monde critique par de hardies nouveautés, désir si funeste quand il s'agit d'études presque épuisées comme les études d'exégèse , se manifeste trop visiblement «dans leurs travaux. Le grand mal des sciences philologiques en Allemagne est cette fièvre d'innovation qui fait qu'une branche de recherches, amenée presque à sa perfection par l'effort de pénétrants esprits, se trouve en apparence démolie le lendemain par de présomptueux débutants, qui aspirent, dès leur coup d'essai, à se 'poser en créateurs et en chefs d'école. Groira-t-on que, de paradoxe en paradoxe, M. Delitzsch est amené à trouver un profond sen- timent dç la philologie comparée dans les rêveries de Pfailon , des Talmudistes et des Pijutkim, qui expliquent lès mots hé- ^ G^était auin Ja tlièae de Hupfcid, De emmdmda ratiom kmeogniq^kiw mni»- ticœ eanimenUUio {Mmboatgt 1837). * Vûni^L$h'gtbœudedêrAramœi$AêHldiimiêtmtBezu^ niickm Spraekên (Lôpng, 1835), yorw«rt,etp. 3o et «uiv. feméoM^, iWIm- Mehmm aramœi$cKer Gnotmn uni lA^der (Ldipiig, i836), p. xit-xv; le même, LSfnrum Sacrorum ConecrdanUœ (lipsûe, 1860), pnef. et Hebr. w^ ehàldœiêek. HandwœrteHmeh(Leipiig^iSbt^ i'*livr.). — Fr. bdit»ch,/«raniii,MM/Mgigg« m grammaiiemn «1 lêxieogrtipkiam Unguœ htbrmeœy amira G, GeMènimmêîH.Ewair' dum (Grimmœ, i838). LIVRE V, CHAPITRE IL &39 breux par le grec \ et à faire le procès au grammairien J,ada Hayyoudj, qui, le premier, reconnut la triUtérité des racines^? Nous nous refusons à voir autre chose qu'un jeu puéril dans les analyses de racines et les rapprochements que proposent les deux saVants précités. Il y a mille hasards dans le vaste champ du langage; en jouant sur ces hasards il n'est rien qu'on ne puisse soutenir. Prenant pour accordé que le thème de toute racine sémitique est essentiellement bilitère , et pro- cédant d une façon tout arbitraire à Télimination de la troi- sième radicale, MM. Fûrst et Delitzsch instituent entre le thème ainsi obtenu et les racines indo-européennes tes comparaisons les plus forcées, A l'appui de mes critiques contre des travaux qui ont obtenu, sinon. le suffrage, du moins l'attention de quelques hommes sérieux', je suis obligé de citer des exemples qui fassent sentir au lecteur ce qu'il y a , dans une pareille méthode, de peu scientifique. fr*-3 ns'B tartf T ^ xpiveip. w Q^Tvoi. ?î5a) goth. /tW-an. m^ (ujp, mint-is. ^ goth. Mu^-an f% fad-^re. ^ wfo-ere. ^ So/eiv. ' Goof. Dukes, Diê Spraokê der Miêeknak, p. 60-61. Il est doiïteux que ces rapproehements fussent sérieux pour les Talmudistes eux-mêmes. Ils ne rétaient certainement pftf pan^ Aboulwalid, qui se permet souvent des observations ana- l<^es. ( Voy* Moiik, Netiet êw ÀhouboaUd, p. 1 78 et suiv. ) * i«f«niii,p. 106'et suiv., 181, tgo, igSetsuiv. ^ PoU, dans YEneyel. d^Ersch et Gruber (art. Indogtrmanùchn^ SprackêtamiH , &&0 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Il est dair qu'avec des procèdes aussi libres dans la ma- ni^ de traiter les racines oh tronverait des arguments pour toutes les thèses étymologiques. Les racines sont en philoli^e ce que les corps simples sont en chimie. Sans doute il est . permis de croire que cette simplicité n'est qu'apparente et qu'elle nous cache une composition plus intime ; mais c'est là une re- cherche qui est comme interdite à la science , parce que l'oljet qu'il s'agit d'analyser ne laisse aucune prise à nos moyens d'attaque. Les racines des langues se montrent & nous, non pas comme des unités absolues, mais comme des faits constitués, au delà desquels il n'est pas permis de remonter. Dans les langues sémitiques , bien plus encore que dans toute autre fa- mille, il faut s'en tenir à cette prudente réserve. Nulle part, en effet, la racine ne nous apparaît comme plus inattaquable, plus saine, plus entière, si j'ose le dire. C'est un tuf dans lequel aucune infiltration n'a pu pénétrer. Depuis plus de mille ans avant l'ère chrétienne , les racines sémitiques n'ont pas subi d'atteinte : les radicaux de l'arabe le plus moderne répondent , consonne pour consonne , à ceux de l'hébreu le plus ancien. Il ne s'agit pas ici de ces langues vermoulues , en quelque sorte, où les radicaux, fatigués par un long usage, ont perdu presque toute empreinte , comme des monnaies sans effigie; il s'agit de langues d*acier, restées exemptes de toute altération. Je ne puis donc envisager que comme une véritable alchi- mie les tentatives du genre de celles de M. Delitzsch, aspi- t* flect. t. XYin, p. 8, note) , a consacre qndqoes réflexions jadideoses , maiff trop inddgentes peni-étre, A Tessai de M. Delitzsch. (€onf. Die quman vnd vigtn- mak Zahlmethode an même autear, Hafle , 1 867, p. 1 3o et sniv. i&3 et soi?.) Une lettre d'E. Burnouf à M. Delitzsch, pabfa'ëe par M. Fârst (LAronim Saer. Coth- eord, pnef. p. x, note), est loin de renfermer Tapprobation entière que les deux hébraisants voudraient y trouver. LIVRE V, CHAPITRE IL 441 rant à porter l'analyse àa ddà des limites qui lui sont natu- rellement assignées. M. Delitzsch suppose que les racines trititères se sont formées par l'addition de préfixes ou de suf- fixes : il oublie que le manque absolu du mécanisme des verbes composés de prépositions est un des traits qui caracté- risent les langues sémitiques. Gomment^ si un tel mécanisme avait présidé à la formation de ces langues , n'en resterailril pas quelque vestige? Gomment un organe aussi essentiel se sërait-il complètement atrophié? M. Pott, dans les remarques qu'il a faites sur le système que nous critiquons , observe avec raison que les consonnes auxqueUes M. Delitzsch attribue le rôle de préfixes n'ont rien de déterminé et ne forment pas de catégories significatives, en sorte que toutes les lettres, à leur tour, peuvent jouer ce rftle ^ ; il aurait pu ajouter que ces préfixes ne figurent en aucune façon dans la liste des parti- cules sémitiques : or l'emploi indistinct de toutes le? lettres comme préfixes^ sans qu'il s'y attache aucune acception régu- lière , est contraire aux principes les plus essentiels du langage^. Il faut dire aussi que les éléments sur lesquels M. Delitzsch pratique ses dangereuses opéi^ations sont loin d'être eux- mêmes d'une parfaite authenticité. Parfois il suppose des ra- cines fictives, qui n'ont peut-être jamais existé; trop* souvent enfin il cherche des exemples de racines sémitiques dans l'hé- breu moderne ; or, quel que soit Tintérêt de cette langue , il faut avouer que c'est là une source de renseignements bien suspecte pour le problème qui nous occupe; plusieurs des mots rabbiniques que M. Delitzsch compare au grec et au ^ Vo\i,loe.ek.^a. Ewaïà, Johrb.dêrhthl WiMêenieh4fi,trf(iib2),p. 98- ag. <— M. Fûni avoue, àa reste, cet étrange prinâpe. {LAror. Saer, Coneord» prttf. p. u.) * Les exfdicatîoos de M. Steiothal sai^ ce sujet (Z. dêr i.m.G, 1857, p. &07 et niiv.) ne sont pas plus satisfaisantes. àài HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. iatin ^ sont empruntés eux-mêmes au grec et au latin l C'est comme si , au lieu du sanscrit, on avait pris pour base de la philologie indo-européenne cette langue de formation tertiaire , mêlée d'éléments de toute provenance, qu'on appelle Am- êùUMtmù Malgré l'affectation de MM. Fûrst et Delitzseh è en appeler sans cesse à la méthode de la philologie comparée, nous croyons donc leur tentative en contradiction avec les principes les plus arrêtés de cette science. Leur procédé , ils ne s'en cachent pas, est celui de Platon dans le G*alj(2e. Supposant les mots formés d'une manière logique , ils aspirent à dresser la théorie absolue du langage, à en trouver le secret primitif et à éclaircir toutes les langues les unes par les autres : c'est reculer volontairement d'un siècle en arrière. On ne saurait non plus tenir compte de l'essai de M. Wûllner ^, qui pré- tend déduire le langage de l'interjection , et prouver ainsi l'i- dentité primitive de toutes les familles de langues ; ni de celui de M. Dietrich (de Marbourg)^, qui s'appuie principalemeni sur l'examen de certames catégories de mots, tels que les noms d'herbes, de membres du corps, etc. ni de celui de M. Bœt- tieher^ qui, tout en portant dans l'analyse des racines sémi- ^ Jeiunmy'p. 107-108, , * Ueber àiê YtrwainàUclujfi (In lniagermam»chên, SemUùehen witd TAêta- nùehen, ntèêt &mgr EiMUing ûlter den fJnprung der Spraeke; Munster, i838. ->Goiif.PoU,lM.ci(. ' Abhanihmgmfûr iemUêche Wortfonchvng; Leipâg, iShh. — Abhmidh»' gtn zyr hebrâiichen Granunatik; Ldyiip, 18/16. * Wurzeyonehungen (Halle, i853) et On the ekoê^aiion of êemiUe rwU, appendice B au lome II des OitdtRSi de M. Baosen. On peut rattacher à la même méthode le Htbràûehei WurzeUvârtêHnieh d'Ernest Meier (Mannheim, i8&5) et Fessai de M. Donaidson,dans le Report ofike Brit. Aêsoeiat.for the adoaneemmU <^$ei$nee{ i85i ), p. iii5 et suiv. Je ne dte pas qurfques essais écrits en français et tout à fait dénués de valeor scientifique. LIVRE V, CHAPITRE IL &A3 tiques une méthode meilleure que celle de MM. Furst^ De- litzsch , WûUner, ne me paraît pas avoir satisfait à toutes les exigences d'une sévère philologie. A côté de ces recherches systématiques et téméraires y- il en est d'autres moins ambitieuses , dont les auteurs , sans aspirer à révéler le mode primitif d'éclosion des langues sémitiques et indo-européennes , se contentent de signaler entre les deux fa- miUes, soit des analogies générales, soit des rapprochements de détail, et concluent de ces rapprochements, non une dé- rivation positive, comme le voudraient MM. Fûrst et Delitzsch , mais un aùr général de parenté , une affinité anté-grammati- câle. Les philologues dont nous parions supposent que les peupleis sémitiques et indo-européens , sortis d'un même ber- ceau , auraient d'abord parlé en commun Une même langue ru- dimentaire, analogue à la langue chinoise, et dont les éléments se retrouveraient dans les jradicaux bilitères de l'hébreu; ce sont, en effet, ces radicaux bilitères qui offrent avec les lan- gues indo-européennes les rapprochements les plus accep- tables. Les deux races se seraient séparées avant le déve- ioppement complet des radicaux , et surtout avant l'apparition de la grammaire. Chacune aurait créé à part ses catégories grammaticales, sans autre rapport qu'une certaine similitude de génie. Telle est l'opinion à laquelle semblent se ranger MM. Bopp , G. de Humboldt , Ewald , Lassen , Lepsius , Benfey, Pott, Keil , Bunsen, Kunik, Steinthal , etc. ^ Elle obtenait , jus- ^ GeUe hypothèse avait été entrevue par Fn Schl^el, Philûs,- Vorktungen tHêbeê. ûber die PhiL der Spr. p. 8/i. — Gonf. Ewald, AwfuhrUehe$ Lehrbuch der htbr. Spraehê, p. %U et soi?. (6* édit). — LaaBea, Indueke AUêrtkumtkunde , t. I, p. 5 a 8. — Pott, dans VEnafcL d'Ersch et Gruber, art Indogerm. Sprack- «IMNM, Le — KoDÎk , dans lee MUangm atiatiquêM d$ VAcad, de SoèU-Mênbourg , U I, p. 5i5 et suiv. — Bunsen, Outlmm, t. I, p. 179 et suiv. a^a et suiv. — Steinthal , dans le Z, der d, m. G. (i 867 ), p. 399 et suiv. ' 444 HISTOIBE DES LANGUES SÉMITIQUES. qu*à un certain point, l'assentiment d'E. Bumouf, bien <{ue cet excellent esprit hésitât dans une voie aussi périlleuse, et qu'il n'ait pas peu contribué à m'inspirer, sur ce point, une réserve qu'au début de mes études philologiques je ne gardais pas autant qu'aujourd'hui. 8 11. Observons d'abord que sur la question grammaticale il n'y a qu^un avis. Les linguistes qui ont le plus exagéré la thèse des affinités entre les langues indo-européennes et sémiti- ques ont reconnu que les systèmes grammaticaux de ces deux familles étaient profondément distincts , et qu'il est im- possible de faire dériver l'un de l'autre par les procédés de la philologie comparée. Si l'on excepte les principes communs à toutes les langues , ou du moins au plus grand nombre , et qui ne sont que l'expression mém^ des lois de l'esprit humain , à peine reste-t-il un méca^nisme granunatical de quelque im- portance qui se trouve dans les deux familles. La formation de la conjugaison par l'agglutination des pronoms personnels à la fin de la racine verbale est un mécanisme si naturel qu'on ne peut l'envisager comme une particularité démonstrative. Il existe, sans doute, une foule d'idiotismes d'expression et de syntaxe qui appartiennent également aux deux groupes/ ; mais on n'en saurait rien conclure , puisque ces idiotismes ont tous quelque raison psychologique , et que , d'ailleurs , les langues qui sont parvenues à un degré de culture analogue offrent entre elles , pour le tour, des ressemblances plus ou moins marquées. G. de Humboldt^, signalant les différences qui, à ses yeux, ^ Gewnius, Gueh. der htibr, Spraehe, S 18, 3. — J. A. Emeeti, Opuiada phdokgiea (Lugd. Bat. 1776), p. 171 et suiv. . ' Ddw die VtnehiedenheU des menêehUehen Sprachbauee, S s3 (p. ggguiv et LIVRE V» CHAPITRE IL &&5 ouvrent un abtme entre le systàme indo-européen et le système sémitique , place en premier lieu la trilitérité des racines , et en second lieu la propriété qu^ont les langues sémitiques d'ex- primer ie fond de Tidée par les consonnes et les modifications accessoires de l'idée par les voyelles , si bien qu'on peut dire que les langues sémitiques sont des langues dont les flexions se font par l'intérieur des mots^. Ce sont là, en effet, deux traits essentiels, qui se rattachent eux-mêmes à un fait plus général , à la manière abstraite dont les > Sémites ont conçu une sorte de racine imprononçable, attachée à trois articula- tions et se déterminant parle choix des voyelles; tandis qu'au contraire la racine indo-epropéenne est un mot complet et existant par lui-même. La grammaire sémitique nous apparaît à toutes lea époques comme une* sorte de construction archi- tecturale et géom:étrique, où chaque .mot est, en quelque sorte, classé par sa forme; les langues ariennes ont, sous ce rapport, bien plus de latitude ot de flexibilité. La manière de traiter le nom et le verbe constitue une différence non moins profonde entre les deux familles. L'état construit et empha- tique des substantifs, les nombreuses ybmm du verbe, l'ab- sence de temps déterminés, l'expression des modes par des moyens tout à fait inconnus aux langues indo-européennes, le manque de procédés pour former des mots composés et des verbes précédés de prépositions , sont des-caMC^ères importants , qui assignent évidemment à la grasunaire sémitique une place à part. On n'expliquera jamais , par exemple , qu'un groupe de langues allié grammaticalement aux langues indo-européennes 8uiv. de rij[ikrod. â r£ttat «tir le ïcawi). — Gonf. Ewald , Atuf. L$hrb, der hebr. Spra^ ekê{6* édîL), p. 97 et soiv. — Bopp, VergUichende Grmmnatik, p. 107. ' Les pluriele lirûés et, en général , iee mécanismes de lettres serviles insérées dans le corps des mois se rattachent à la même propriété. khS HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. manqae si radicalement de procéda pour distinguer les temps du verbe , et possède , au contraire , une si étonnante variété de moyens pour modifier les relations verbales subjectives (causatif, désiratif, putatif, réciproque, téfléchi, etc.) Le copte , je le sais, a été envisagé par plusieurs linguistes, entre autres par MM. Lepsius, Schwartze^ Bunsen, comme une sorte de trait d'union entr^ les deux systèmes des langues indo-européennes ei sémitiques. JTai exposé ailleurs (L t, e. n, SA) les raisons qui m'empêchent d'adopter ce sentiment. Les analogies du copte avec les deux familles que nions venons de nommer sont purement extérieures et n'ont rien d'organique : ce sont des ressemblances, et non de véritables affinités lin- guistiques; on n'expliquera jamais comment l'un des systèmes a pu engen La grammaire est donc la forme essentielle d'une langue , ce qui en constitue l'individualité. Le tort de l'ancieùne école était de négliger cet élément essentiel pour suivre la voie de l'étymologie , voie doublement trompeuse , d'abord parce que l'identité des racines ne peut jamais être constatée avec une entière certitude au milieu des rencontres fortuites et des homonymies dont le langage est rempli; en second Ueu, parce que, de l'identité d'un certain nombre de radicaux, on ne saurait rien conclure pour l'affinité originelle des langues auxquelles les radicaux appartiennent, puisqu'on peut tou«* jours se demander s'il n'y a pas eu quelque emprunt de l'une qae par Tusage , parviendra aa bout de qudque temps à n^employer qne des mots reçus dans ie nouveau pays quHl habite. Mais lui demander de se déshabituer de son tour étranger, de ses idiotismes nationaux, c^est iui demander l'impossibie. Ces tours ont vieilli avec lui et se sont, en quelque sorte, assimilés à sa pensée. LIVRE V, CHAPITRE II. hh9 à Tantre. Cea considérations ne tendent nollement à dépré- cier Tétymologie , quand dile est conduite suivant une méthode vraiment scientifique , mais seulement à inspirer une crainte salutaire sur les résultats hâtifs d'une comparaison verbale trop complaisante, qui nous ramènerait, par une autre voie, aux temps de Goropius Becanus et de Court de Gébelin. S m. On ne peut nier que plusieurs des racines essentielles et monosyllabiques des langues sémitiques ne se prêtent à des rapprochements séduisants avec les racines des langues arien- nes. Le tort que M. Fûrst et son école ont fait à cette thèse par leurs analyses artificielles ne doit pas nous porter à rejeter d'autres analc^gies , qui ont frappé les meilleurs esprits. Nous admettons volontiers que les langues sémitiques et indo-euro- péennes ont en réalité un assez grand nombre de racines com- munes , en dehors de celles qui proviennent d'un emprunt fait h une époque historique. Seulement est-on en droit de con- clure de l'existence de ces racines l'unité primitive ou an(é- grammaticale des deux familles ? Ici le doute conunence , et il n'est guère permis d'espérer que la science arrive jamais sur ce point à des résultats démonstratifs. La plupart, en effet, des racines communes aux deux fa- milles ont une raison secrète dans la nature des choses, et souvent on peut entrevoir la cause qui, de part et d'autre, a produit l'identité. Presque toutes ces racines appartiennent à la classe des onomatopées bilitères et monosyllabiques, que l'on retrouve sous les radicaux trilitères actuellement exis- tants , et dans lesquelles la sensation originaire semble avoir laissé son empreinte. Est-il surprenant que , pour exprimer l'ac- tion matérielle , l'homme primitif, encore si sympathique à la I. 29 &50 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. nature, à peine séparé d'elle, ait cherché à Timiter, et que l'unité de l'objet ait partout entraîné l'unité de l'imitation? Sans doute cette unité a dû soufirir de nombreuses excep- tions ; car le fait physique offire plusieurs faces sous lescpielies il a pu être simultanément envisagé; mais parmi ces faces il en est une qui a frappé de préférence les habitants de tous les climats; c'est celle-là qui a laissé sa trace dans la langue de tous les peuples, et est restée coomie le témoin des impres- sions primitives qui déterminèrent partout l'apparition du fait de la parole. Quelques exemples vont éclaircir et compléter ma pensée : La racine vh ou nb sert de fond, dans les langues sémi- tiques, à une foule de radicaux trilitères, comme v)^, y^y, 3?^ , w) , i?) , T?^ , anV , Dn^ ,• en^ , on^; syriaque : ^ arabe : ^, Jaii^pà^ «â*^, cr^' iï^if^^ !^^* ^^ lesquels se retrouve quelque chose de la signification fondamentale de lécher ou à^aoaler. Que le choix de ces deux lettres soit par- faitement approprié à l'action physique qu'il s'agissait d'ex- primer, c'est ce qui frappe au premier coup d'œil : la langue et la gorge étant les organes qui jouent le rôlç principal dans la déglutition , la Ibguale h et la gutturale y formaient la plus parfaite imitation qui se puisse imaginer de l'action d'avaler (y^ygulay Puis, grâce aux procédés flexibles et lâches des langues populaires , la racine , avec des modifications diverses et en s'adjoignant des lettres plus ou moins appropriées à la nuance qu'on voulait rendre, a désigné tous les mouvements de la bouche et les actions qui s'opèrent au moyen de cet or- gane. Or cette même racine vh ou n^, nous la retrouvons dans la plupart des langues indo-européennes avec le même sens : LIVRE V, CHAPITRE II. &51 sanscrit : frT8 (iëcher), Hïï (goûter), Î^ÏSK (parier); Xtl^fa, Xijljukû; Ungo, ligurio, Ungua, gula {gl)yglu^; lecken, lechzen; to Uek; leecarè; lécher; celt. lonkan, et, avec Taddition des la- biales b et m, 2Tjh , DnV, lambere, Xouiiôç, XcMojf labium, sanscr. H^9 pers. 4^, allem. L^i^pe, etc. L'imitaëon de Taction naturelle a été évidemment la cause commune qui a déterminé des lan- gues si diverses à exprimer la même idée par les mêmes arti* culations. . Autres exemples : V}] , S^K , J^^ , etc. expriment l'acclama- tion d'une multitude , et offrent une analogie frappante avec bXoikiU^Vy £kaXoZ$iv, ldXe(ÂO§, ejulare, vltdare, etc. tous imita- tifs d'un cri prolongé. Il en est de même de n;t^> syr. f ^"^nr = Rolangor tubœ, » 4^t , qui correspondent à fyxy&Uvoii^ fiai- l$iVffiodcàf etc. b} est la base de radicaux plus nombreux encore, marquant tous l'action de rouler. Comparez nh} =:= glomus, gbmerare, jglobuê, KuXiùf, xuXivScây etc. ns = idée de frapper. nn|, nns = cudere, perctUere, qua- tere, etc. K^U = crier. Cf. xpéloâ, xfipôtKTca (x|Mry =:x)rpi;y) , kràhen. pn^ = siflGler : ^upi^ù», oépiy^y etc* p^3 = xokiT^,- »)ft = ripLitûOHiVy 'ïiritavov, TJ? » ni? » *1*3'? 7 cte. =: greifen, carpo, grijj^, àpvdZc^, persan : ^j3 = saisir. yn = tanzen, danza, slave : taniec. 2y) (démembrement du radical yS), balbutier, et, par suite : (cbalbutiendo imitatus est perludibrium,irrisit;» chald. 2h:h , « irrisit. » Cf. yeXûfcii, x^v, x^^^^û'» goth. Uakjm, lachen. ht^ (famille hw , Vdk , nSa , Sni ^fal, bal, marquant faiblesse , &53 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. chute). Comparez a, offa. "550, 3JD, ^, liA#, g>i, i^^» ^^l» =: sanscr. 1*1^, pers. (jg^*t ((;;4>^>é^l)9 ijJaycûf misceo, poion. mtecz^on^ to mash, misehen, celt. me^&on. no = amarui f ^l^y ^^^i n^l, etc. idée de creuser, percer, couper, {^, curtuê, fait, ^, 1^, xe/p ce qui était en puissance devient en acte; mais rien ne se crée, rien ne s'ajoute : telle est la loi commune des êtres soumis aux conditions de la vie. Telle fut aussi la loi du langage. Il s'en fallait beaucoup que l'expression vague de la pensée des premiers âges éga- lât en clarté l'instrument (fie s'est fait l'esprit moderne; mais 462 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ee rudiment originaire contenait fe principe de ce qui s*est montré plus tard, et, après tout, l'exercice de la pensée nio* derne diffère de la pensée primitive plus profondément que la langue de nos jours ne diff&re des idiomes antiques, sans que nous admettions dans Tesprit humain l'acquisition d'au- cun élément nouveau. Les linguistes ont depuis longtemps re- noncé aux tentatives par lesquelles l'ancienne philologie cher- chait à dériver l'une dè^autre les parties essentielles du discours. Toutes ces parties sont primitives , toutes coexistèrent dès l'ap- parition du langage , moins distinctes dans doute , maia avec le principe de leur individualité. Mieux vaut supposer à l'origine les procédés les plus compliqués que de faire naître le langage par pièces et par morceaux , et de supposer qu'un seul moment il ne représenta pas, dans son harmonie, l'ensemble des h~ cultés humaines ^ La grammaire de chaque race fut formée d'un seul coup ; la borne posée par l'effort spontané du génie primitif n'a guère été dépassée. Rien n'autorise donc à admettre deux moments dans la création du langage , un premier moment où il n'aurait eu que des radicaux, à la manière chinoise, et un second moment où il serait arrivé à la grammaire. L'affinité anté-grâmmaticade de deux groupes de langues n'offre, par conséquent, à l'es- prit aucune idée satisfaisante. Ce n'est pas sous cette forme que je me représente le contact primordial des Sémites et des Ariens. Je me représenté plutôt l'apparition des langues sémitiques et celle des langues ariennes comme deux appari- tions distinctes, quoique parallèles, en ce sens que deux frac- tions d'une même race, séparées immédiatement après leur ' 6. de Humboldt, Lettre à AbeURémmat ew la nature de$ forme» grammati^ eàlês en général, et sur le génie de la langue ehùunte en particulier, p. 1 3, 79. — Wiseman, Dieeours, etc. (1'*' discours, etc.) LIVRE V, CHAPITRE IL 463 oaissance , les auraient produites sous Tempire de ^eauses ana- logues , suivant des données psychologiques presque semblables, et peut-être avec une certaine conscience réciproque de leur œuvre. Nous devons rechercher maintenant si rhistoire et les anciennes traditions de la race sémitique ne fourniraient pas , pour résoudre le problème qui nous occupe , des indications de quelque poids. S V. Remarquons d'abord que 1^ grand dogme de Funité de l'espèce humaine , dogme qui , dans sa haute signification mo- rale et religieuse, est tout à fait au-dessus de la critique, et n'a rien à craindre des découvertes auxquelles la science pour- rait arriver sur la question de l'origine Aatérielle de l'huma- nité; remarquons, dis-je, que ce dogme appartient en propre aux Sémites et est la conséquence nécessaire de leur mono- théisme. La race indo-européenne, portée à voir en toute chose la diversité plutôt que Tunité, n^Mt. qu'une notion con- fuse de la fraternité humaine, avant d'être initiée aux dogmes juifs et chrétiens. La race chamitique, d'un antre côté, dans son grossier matérialisme, n'avait pas de cosmogonie et se croyait issue du limon du Nil^ La race sémitique seule, par sa foi au Dieu unique, devait être amenée à l'idée d'un Adam unique, d'un paradU unique, d'une langue primitive unique. Cette croyance doçiine toutes les traditions recueillies dans les premiers chapitres de la Genèse. Un thème ethnographi- que tout spécial (chap. x) est destiné à rattacher au mê;ne père et, par conséquent, à mettre en rapport les unes avec les autres les races les plus diverses. L'idée d'une langue pri- mitive unique semble si naturelle aux Israélites que , pour ex- ' Diod. Sic. 1,1, xii. — Pomponiufl Mda ,1,9. &6ft HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. pliquer la diversité actuelle , ils «ont recours au mythe le plus bizarre (ch. xi, ▼• 1-9). Le judaïsme» quoique renfermé dans Tenceinte d'une iribu» le christianisme et Tislamisme, qui sont tout à fait affranchis d'esprit national , proclament hautement leur propre universalité , c'estr-à-dire l'origine unique de tous les hommes » également créés par Dieu et appelés à l'adorer de la même manière , en opposition avec les religions de castes du polythéisme. L'égalité devant Dieu a toujours été le dogme fondamental des Sémites et le plus précieux héritage tju'ils aient légué au genre humain. Il ne peut eetrer dans la pensée de personne de combattre un dogme que les peuples modernes ont embrassé avec tant d'empressement, qui est presque le seul article bien arrêté de leur symbole religieux et politique , et qui semble de plus en plus devenir la base des relations humaines sur la surface du monde entier; mais il est évident que celte foi à l'unité re- ligieuse et morale de l'espèce humaine, cette croyance que tous les hommes âoni enfants de Dieu et frères, n'a rien à faire avec la question scientifique qui nous occupe ici. Aux époques de symbolisme , on ne pouvait concevoir la fraternité humaine sans supposer un seul couple faisant rayonner d'un seul point le genre humain sur toute la terre ; mais avec le sens élevé que ce dogme a pris de nos jours, une telle hypo- thèse n'est plus requise^ Toutes les religions et toutes les phi- losophies complètes ont attribué à l'humanité une double origine , Tune terrestre , l'autre divine. L'origine divine est évi- demment unique, en ce sens que toute l'humanité participe, dans des degrés divers , à une même raison et à un même idéal religieux. Quant à l'origine terrestre^ c'est un problème de physiologie et d'histoire qu'il faut laisser au géologue , au phy- siologiste, au linguiste le soin d'examiner, et dont la solution LIVRE V, CHAPITRE II. 465 n^mtéresse que médiocrement le dogme religieux. La science, pour être indépendante, a besoin de n*étre gênée par aucun dogme, comme il eist essentiel que les croyances morales et religieuses se sentent à Tabri des résultats auxquels la science peut être conduite par ses déductions^.* De ce que les Sémites se crurent, dès l'époque la plus re- culée , en rapport de fraternité avec les autres races, on ne sau- rait rien conclure pour la question ethnographique , puisque cette fraternité ils l'admettaient à priori, et non d'après des renseignements historiques. La critique, toutefois, peut sans témérité apprendre aux races ce qu'elles ignoraient elles-mêmes sur leur propre histoire; elle sait voir dans les traditions ce que la croyance naive n'y voyait pas. Examinons donc si les plus anciens souvenirs des Sémites, convenablement interpré- tés , ne nous aideraient pas à retrouver entre eux et les Ariens la trace d'une parenté dont les uns et les autres auraient éga- lement perdu la conscience directe. Ces souvenirs , c'est évidemment dans les premiers chapitres de la Genèse qu'il hui les chercher. Ecrits à une époque fort ancienne et contenant des matériaux bien antérieurs encore à leur dernière rédaction , les premiers chapitres de la Genèse nous représentent, sinon dans tous leurs détails, du moins dans leur ensemble , les traditions primitives de la race sémi- tique. Or on ne peut nier que sous deux aspects essentiels, sous le rapport de la géographie et des idées mythiques, ces premiers chapitres, jusqu'au x* inclusivement, ne nous placent en dehors du terrain proprement sémitique , et ne nous rap- prochent fort du berceau des peuples ariens. Il a été établi précédemment (1. 1, ch. ii, S i) que la plus 1 Voir 1«8 exeelkntes réflexions de M. A. de Humboidt sur ce sajet, tradoHes par M. Guigniaut, Co$mM, 1. 1, p. &aa-&3a; oonf. t. II, p. i3i, i3&-i35. 1. 3o A66 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ancienne géographie historique des Sémites se rapporte à Vkr^ ménie. C'est là que nous trouvons cette race au moment où , pour la première fois , nous avons quelque connaissance pré- cise de ses mouvements; maison ûe peut croire ^que rAniiénie soit son berceau primitif : elle garde évidemment le souve- nir d'une géographie antérieure , qui ne lui représente rien de bien distinct, et qui flotte mêlée aux vagues souvenirs de son enfance. A TorigiBe, l'homme apparatt dans un pays ^Éien ou de délices, situé à fartent. Là se trouve un jardin qui sert à l'homme de séjour. Du pays d'Eden sort un fleuve qui arrose le jardin , puis «e divise en quatre branchés ou canaux. Le nom du premier fleuve est Phùm; il entoure toute la terre île Havila, où est l'or : l'or de ce pays est excellent; là se trouvent aussi le bedolah ^bdellium?) et la pierre de tehoham (onyx?) ^ Le nom du second fleuve iset Gîhon; il entoure toute la terre de Cousch. Le nom du trorsième fleuve est Hiddékd (le Tigre); il coule devant l'Assyrie. Le quatrième fleuve, c'est le Pkrai [Gen. a^ 8*1 &). Quand l'homme a été chassé du jardin d'Eden , Dieu place devant le jardin des Krubim ou griffons [ypims) et une épée de feu (m, â/t). Kaîn, après son crime, habite une terre de Nod on d'exil, à l'orient d'Eden'; il bâtit une première ville , qui s'appelle Hanok (iv, 16-17). ^P^^ ^^ déluge , l'arche s'arrête sur les montagnes d'irara^vm, &). Ici nous touchons la région occidentale de l'Asie , d'où l'histoire biblique ne sor* tira plus désormais. Il est évident que cette antique géographie , qui ne corres- pondait plus à celle des pays habités par les Sémites , perdit ' Cette idée de richesses minérales attachée A TÉden parait avoir ensté diei les Hébreu sous une forme plus développée {EsUeh. c uviii, v. i3*i^). * Les eipressions QlpD et TDip , qui reviemient souvent dans oes descrip- tions, sont obscures. Je ne puis croire qn^eUes signifient bien rigoureusement à forwiit, à VoriêiU iê,.. Car pourquoi ne trouverait-on pas aussi qudquefois Tex- LIVRE V, CHAPITRE II. 467 de bonne heure sa signification pour eux. La rédaction même de la Genèse en est la preuve. On est porté à croire , en effet , que, parmi les noms primitifs des quatre fleuves, deux au moins ont été changés par les d^rniars rédacteurs en des noms plus connus \ Le Tigre et TEi^hrate n'appartiennent, pas au même système géographiqnQ que le Phison et le Gihon. La même chose est arrivée dans les tsadili^Bf persanes. La mon- tagne sacrée de Bordj, source de tous les fleuves, et TArvand, qui en découle, ont successivement avancé vers l'occident, de- puis rimaûs jusqu'au Tigt^y tt TEuphrate s'est substitué à son tour à des fleUYttl plus orientaux \ Les races portent avec elles leur géographie primitive comia^ leurs dieux, M appli- quent cette géographie aux nouvelles localités où elles sont transplantées. Des quatre fleures du paradis , le Gihon et le Phison seuls méritent donc d'être pris en considération ; mais ils le méritent d'autant plus que ces deux noms , comme ceux de Nod et de Hanok , ne reparaissent plus une seule fois dans la géographie des Hébreux. 11 serait peu conforme à la bonne criUque de supposer à ces vieilles notions une rigueur qu'elles n'avaient pas dans Tesprit de ceux qui nous les ont transmises. Cependant, si nous cherchons à déterminer le pays qui satisfait le mieux au thème géographique des premiers chapitres de la Genèse, il faut avouer que tout nous ramène à la région de l'imaûs , où les plus solides inductions placent le berceau de la race arienne'. prenîan 3^ytDD, à VoeeidintT li me sembld qae, dans cette géographie fantas- tique, poor orienter ies tieux, on les mettait simplement à Vcrient les uns des autres, sans qu^on attachât à cela aucune idée bien précise. ^ Ewald, GnehielUêdn F. hr, 1 1, p. d3i. * Bnmouf, CammtnL 9wr k Yaçna, p. 967 et suiv. addit p. clxxxi et suiv. — Anqaetii du Perron, Ztmimmta, t II, p. 78, 890 et suiv. ^ Bomouf, «p. «lï. p. aSo , addit. cLxnv. — Laasen , Iniùéke Al^rikiim$kitndê , 3o. A68 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Là se trouvent, comme dans le paradis de la Genèse, de Tor, des pierres précieuses, le bdellium^ Ce point est peut-être celui du monde dont on peut dire ayee le plus de vérité que quatre fleuves sortent d'une même source : quatre immenses courants d'eau, Flndus, FHelmend, TOxus, le laxarte, s'en échappent, et se répandent de là vers les directions les plus opposées. De fortes raisons invitent à identifier le Phison avec le cours supérieur de llndus^. M.Lassen et M. d'Eckstein ont démontré que le pays de Havila ne peut guère être que la ré- gion du haut Indus, ce pays de Darada célèbre dans la tra- dition grecque et indienne par sa richesse , et où Ton trouve une foule de noms , entre autres celui de Caboul (les CaboUiœ de Ptolémée ?), qui rappellent celui de Havila '. Qui sait même si l'antique royaume de VOudyâna ou jardin, situé près de Cachemire, n'a pas quelque affinité plus étroite encore avec l'Eden^t Au x* chapitre de la Genèse, Havila est associé à Ophir (v. 99), qui désigne certainement le pays voisin des bouches de l'Indus, et aux pays de Cousch et de Saba (v. 7); ces deux derniers noms correspondent bien à l'expression grecque kldlonssj qui a été souvent appliquée à l'Inde, par suite de la tendance qui portait les anciens à supposer rapprochés les uns des autres les pays très-éloignés d'eux. Le Gihon est probable- 1. 1, p. 5a6 et saiv. — A. de Humboldt, Aii» eenXrahy 1. 1, p. 1 63; t II, p. 365 et soiv. (Voy. mon essai sur VOr^pnê du langag$f S xi; a* ëdit) ^ Vicma est Baètriana m qua héUUimn iiommattMMittm. (Pliii. Hùtma natu- raUê, XII, 19.) * L^opinion qai cherche le Gange dans Ton des fleuves du paradis est inad- missible. Ce fleuve , comme Ta très-bien dit M. d'Edutein , est tout à feit en dehors du rayon visuel de la haute antiquité. {Athenaumfiançaia, 37 mai i85&.) ^ Lassen, Indiêche AUerthunukuinde , 1 1, p. 5a8 et suiv. SSg. — D*Ecbtein, loe, eit, ^ D*Eckstein, Quê$tkm$ relatives aux antiquUés des peupks sémiti^me (Paris, i856),p. 33. LIVRE V, CHAPITRE IL 469 ment TCxus^bien qu*on ne puisse chercher un argument pour cette identification dans le nom de ^j^^»^, que porte encore aujourd'hui cette rivière : ce nom, en effet, peut provenir de la tradition Iâ)lique elle-même , par l'intermédiaire des Juifs et des musulmws^ Le pays de Gousch, que baigne le Gihon, est peut-être le séjour primitif de la race couschite ^, dont le berceau nous apparaîtrait ainsi à c6té de celui des deux autres races. J'aime mieux pourtant y voir un mot de géographie naïve, employé pour désigner un pays oriental ou méridional et lointain' : teb étaient chez les anciens les mots d^Éthiopie, Scyihie, etc. Le manque de cartes et de toute orientation ren- dait possibles les confusions les plus bizarres ^. Quant aux deux fleuves qui , entre les mains du rédacteur de la Genèse , sont devenus le Tigre et l'Euphrate , l'un est peut-être le mystérieux Arvanda du Zend-Avesta, qui, de fuite en fuite, à une époque plus moderne, est devenu aussi le Tigre chez les Persans^. Le nom de Nod est sans doute un mot sémitique significatif comme celui SÉdm, et auquel il ne faut pas attribuer de va- leur géographique précise^. Quanta la ville de Hanok, aucune des conjectures proposées sur ce sujet n'offire un degré suffisant de probabilité pour être discutée. ' Le nom de My4^ on ^L^âb, est devenu pour ie8> Arabes une sorte de nom générique , qu'ils appliquent à tous les grands fleuves , le Gange , TAraxe , etc. (Voy. Gesenias, Tk». au mot pn^3. — Tuch, KommoUar iiber die Genem, P- 77-) * D'Eckstein, Atkefmumjrançmê, sa avril, 97 mai, 19 août i856. * Buttmann, Mff^logu$, 1. 1 , p. 96 et suiv. * Voir, comme ecemple de cette géogi^pbie vague, le voyage d'Io dans le Pro- wMé$ d'Eschyle, v. 707 et suiv. 790 et suiv. * Bumouf, GmimmiiI. êur U Yaçna, addit. p. clxxxiii. * Tuch, Xommsntor ûber diê Gme$k, p. 1 1 1 et suiy. — Wiuer, Bibl Rsalwœrty au mot Nod, — D'autres voient dans le pays de Nod les déserts de l'Asie cenUrale. ( Bunsen , Onliiiisi , t. II , p. 1 9 1 . ) A70 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. Ainsi tout aons infîte à placer FEden des Sémites dans leij nioBis Belourtag, k Tendroit où cette chatne se réunit à THi- maiaya, vers le plateau de Pamir ^« Si les découvertes des voyageurs contemporains ont prouvé que le cKtact et les pro- ductions de ce pays sont loin d^ répondre aux images qu'on se fait de TEden , il faut se rappder que Tidée de délices , atta* chée au séjour primitif, peut très-bien être une conception à priori, amenée par le penchant naturel des peuples à placer Tâge d'or en arrière. Au même point nous ramènent, selon E. Bumouf , les textes les plus anciens et les plus authentiques du Zend-Avesta'. Là est le vrai Mérou, le vrai Bordj et te vrai fleuve Arvanda, d'où tous les fleuves tirent leur source, selon Is^ tradition persane. Là est, selon l'opinion de presque tons les peuples de l'Asie, le point central du monde, l'ombflic, le seuil de l'univers'. Là est l'Outtara-Kourou, le pays dés bien- heureux, dont paile Méfrdsthène^. Là est enfin le point d'at^ tache commun de la "éographie primitive des races Litiques et iado-européennes. Cette rencontre est Un des résultats les ^ Laasen, /. c. — D^Ecksteio, L e. li est remarquable qae Josèphe ^ les pre- mien Pères furent oondiiifs, par des raisons fort différentes des nAtres, à pboer le paradis terrestre dans la même région. (Yoy. one lettre de M. Letronne, pu- bliée par M. de Humboldt, Hùt ie kt géogr. du nowmm eimimtiU, t. III, p. 1 19. ) * CommtnL êwr U YaçtMf p. aSg, addit p. euxnr. — Spi^gel, àomtay 1 1, p. 61 et suÎY. — Hang, Dûm ttêU Kap. dtê Vmàidady dans Bonsen» /Bgypêmm Sidk, 1. Y% p. io&-id7.--Cepert/dansles MoNoft&iTÎdUtderÂcad. de Berlin, ddc i856, p. 681-667. # ' D*Eckstein, dans VAtkmmmi frtmfoiê, «7 msfti85ft, et dans le Ctrrm- potdatU, a5 juillet i85&, p. 607; le même, Queêtûmi reMpa 4ms «mif. dm jMiqi. témiL (Paris, i856 , extrait de la Rn. wrthéoL), et De quêtfmi Ugtmdm hrahuumiquêi qui m rt^portetU au h$re9âu de Vupèoe humomê. (Paris, i856, ei- trait du Joum, osiol.) * L>e»ditnde de lUf^Okm, «a ceci comme «ir bie» d'eulra peu»., a été démontrée par les étades inodemes sur Tlnde. (Lassen , ZÊtUékr^fit dk Kumde dêê iÊmgmdtmdm, t U, p. Sa.) LIVRE V, CHAPITRE IL 471 plus frappants auxquels ait mené la critique moderne; et, ce qu*ii y a de remarquable , c'est qu'on y est arrivé de deux cAtés à la fois : par les études ariennes et les études sémitiques, qui, d'ailleurs, ont si peu de contact et habituent l'esprit à des procédés si différents. Assurément, il faudrait se garder d'attribuer à ces inductions une certitude qu'on obtient si rarement dans les questions d'origine. Pour ne mentionner qu'une seule objection, n'est-on pas en droit de craindre, en voyant l'étonnante conformité de la géographie mythologique du BotmdibeHh^ avec la Genèse, que la théorie des quatre fleuves n'ait été empruntée par les Juifs à la Perse? En combinant les données du Boundéheieh pehivi avec celles des livres zends bien plus anciens^, on ar* rive à une théorie primitive des eaux fort analogue à celle des Hébreux. L'Ar^ (l'Helmend?), 1^ Veh (l'Oxus), l'Arvand (le laxfffte) et le Frat sortent d'une même source; ils coulent quelque temps en commun autour du monde , et se séparent ensuite pour arroser, sous des noms divers , les pays les plus éloignés. L'opinion des exégètes qui , comme Gesenius , Len- gerke, M. Munk^ considèrent le passage de la Genèse relatif aux fleuves du paradis comme purement mythique , se trouve- rait ainsi confirmée. Nous aurions dans ce tmrieux passage une traduction hébraïque de la viéilie opinion persane^ d'après ' Anquelil da Perron, ZmianmtAj t H, p. Sgo et suîv. Lt traduction Tlu BamMktKk d^Anqaetil, la seule qu*on puÛBe dter, estd^uae exactitude suffisante pour les passages qui nous occupent. * Bumouf, CommtnL ntr U Yaçna, p. «67 et suiv. addit. p. cuaxi et suiv. — Anqnetfl, i»p. ctt tu, p. 78. ^ GemiMis, Tkm» s. v. ]W^. — Lengerke, £«1111011, p. ao et suiv. — Mank , Mmtmêff, &a7 et suit. ^ On ne peut suj^Kieer que Temprnnt ait eu lieu à Tinverse, des PersanÈ aux Hâ>reux; car cette action, si c*en est une, est bien plus dans le goAt iranien que &72 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. laquelle tous les fleuves du monde sortent d^un même réservoir : l'Euphrale, le Tigre, Tlndus et le Nil auraient été choisis comme les quatre plus grands courants d'eau que connussent les Hébreux y et Pinduction géographique que nous avons tirée de ce passage sur le séjour primitif des Sémites serait complé* tement anéantie. De graves raisons s'opposent» toutefois, à ce qu'on admette cette explication. Et d'abord, si c'est à une époque relativement moderne et sur une donnée de géographie physique à priori que les Hébreux ont choisi les noms des quatre fleuves, pour- quoi , parmi, ce? noms , en trouve-t-on deux qui ne reparaissent pas une seule fois dans leur géographie réelle? Pourquoi, voulant désigner le Nil , lui auraient-ils appliqué le nom de Gihon, que rien ne justifie, tandis que ce même fleuve est toujours appelé chez eux du nom de "i^n'»^^? Pourquoi, ayant à décrire les pays arrosés par le Nil, auraient-ils nommé le pays de Gousch, plutôt que celui de Mesraîm, placé à leur porte et qu'ils connaissaient sibien? Gomment, enfin, auraient, ils songé à réunir à l'Ëuphrate , au Tigre et au Nil , trois fleuves qui leur étaient familiers , Tlzidus , placé en dehors de leur sphère géographique, et qui n'est pas nommé une seule fois dans les autres documents hébreux ? Je suis donc porté à re- jeter sur ce point l'explication purement mythologique, et à maintenir aux fleuves du paradis une valeur géographique rëelle. Si la tradition persane nous présente un thème ana- logue , au lieu de voir dans cette rencontre un emprunt fait par la Jqdée à la Perse ou par la Perse à la Judée, j'y vois dans le goût sémitique. D*ailieura, si le parsisme eût fait quelques emprunts aux livres des Hébreui, ce qui n^est pas prouve, il serait surprenant qoft Temprunt fût tombe sur une particularité aussi secondaire et qui tient une aussi faiUe place à$M rtiidtoira biblique. LIVRE V, CHAPITRE II. 473 de préférence un souvenir commun que les races ariennes et sémitiques auraient conservé de leur séjour dans Tlmaûs. Ce fait d'une même traditipn primitive se retrouvant chez les peuples sémitiques et ariens nW pas, du reste, isolé. M. Ewaid a ouvert à la science une voie nouvelle , en signa- lant des rapprochements inaperçus ou mal aperçus jusqu'à lui entre les plus vieilles traditions hé)>rsiques et celles de la Perse et de l'Inde ^ Ses hardies tentatives ont reçu la meilleure des. approbations : les deux représentants les plus accrédités des études ariennes, M. Lassen^ et M. Eugène Bumouf ( ce dernier avec plus de réserve)', en ont accepté les principaux résultats. Le contact- anté-historique des peuples indo-euro- péens et des peuples sémitiques est devenu une sorte d*hypo- thèse reçue dans les plus hautes et les meilleures régions de la science allemande ^. Sans me prononcer sur ce point avec la même assurance que M. Ewald et M. Lassen , je dois dire ce- pendant que cette hypothèse me semble n'avoir contre elle aucune ol]jectîon décisive , et qu'elle sert de lien à beaucoup de faits qui , sans cela , restent inexpliqués. Parmi ces débris de l'héritage commun aux Ariens et aux Sé- mites, Ewald, Lassen et Bumouf placent avant tout la croyance h un état primitif de perfection , l'idée d'âges fabuleux qui ont précédé l'histoire , et quelques-uns deà nombres qui expriment la durée de ces âges. Il faut avouer que les récits du paradis , de l'arbre de vie, de la faute primitive, du serpent tentateur ont de grandes analogies avec les fables brahmaniques sur le berceau de l'espèce humaine, et plus encore avec certains * GeêcUchU dêê VoQcêi liraêl, 1. 1 , p. 3o9 et soiv. W. Jones et WîUosd avaient déjà tente cette voie, mais avec une méthode bien arbitraire.. * /iMiiidkeilftfrtftiMMJNMui^y I, 5a8-599. ^ BkégaoatapMràhA, U III, préf. p. xiviiMLix. ^ M. Weber semble 8*y raqger. hdiBehe Skàten, p. 75-76. &74 HISTOIRE DES LANGUES SEMITIQUES. mythes du Vendidad-Sadé; or les chapitres de la Genèse où sont contenus ces récits ont été ^rits avant le contact intellec- tuel des Hébreux avec les peuples ariens, et trandbfint forte- ment avec la couleur des livres conçus sous Tiaftiience persane depuis la captivité ^. M. Ewsdd et M. Lassen mettaient égalo= ment au rang de souvenirs communs aux deux fqms la tra- dition du déluge. M. Lassen renoû^ depuis i ce sentiment^, en présence des savantes recherches par lesquelles M. But- nouf' crut avoir* démontré que l'idée du déluge est étrangère à rinde et s'est introduite dans ce pays à une ^que relativement moderne , probablement par suite de rapports avec la Ghaldée. M. Ewald a maintenu son opinion ^, et les jfeents travaux de R. Roth ^, A. Weber*, Fr. HVindischmann ^ A. £uhn •, fondés suf Tétudd des Védas, semblent lui avoir donné gain.de cause. Mais il est possible que la croyance à une inondation histo- rique tienne è des^ événements locaux et distincts^, bien plutôt ^ Avouons éludant qae la deicriptioji dn jardin d'Édea ao^le ^ionnée sur le modëe des parodié persans, ayant an centre le cyprès pyramidal. (GonL A. de Hombddt, Gonnoi, H, p. 1 13 et les notes, trad. Gaiusky. — Lajard, Mém. nw le cuUê du cypr^ pyramidal, dans les Mém, de VAeadi de$ ùuer, nouvelle série, t. XX| II* part. p. lag et suiv. — Tnch, KommmUar ùher die Gefisnt , p. 68.) — La tradiliQn da cyprès de Kisclimer {Sehahmam^, édit Mohi, IV, p. 363-365) est surtout digne d'attention. Gompa;^ la VâUupd^ vers 8, &3 et suiv. Ajoutons que les premiers chapitres de la Genèse sont tout à fait isoles dans la tradition israé* lite, et qu'il n'y est fait aucune alinsion dans les autres livres hébreux. * Ind, AU. I, Nachtneget p. Kcot. > Bhdg. Pw-. L m, p. xsu, f.1.— Gonf. F. Nève, La traàùùm iadimm âa dé- luge dan$ êa forme la pUu onowMM (Paris, 1 85 1). « Geeeh. dee Volke$ hrael, •* édit. 1 , 36 1, et Jakrhûeher der hibUeeken Wieeeu- «e^,IV(4e6i),p. 937. * Mùnehener gelehHe Anteigen , 18&9, p. a6 et suiv. i85o,p. 79*. * hditeKe Studien, 1. 1 (i85o), p. 161 et suiv. V Vreageu der ariêehen VœVter (Mnncfaen , iSSs) , p. & et suiv. * Zeitschrifïf&r vergleiekende Sprachforeàhimgi t. IV, p. 88 (18S&). LIVRE V, CHAPITRE IL 475 qu'à une tradition commune t en effet , ce ne sont pnd' seule- ment les Ariens et les Sémites, ce sont pfë^e tous les peu- ples qui placent en tète de leurs annales une lutte «Outre Té- lément humide, représeaié f&r un cataclysme. priBdpttl^ J'ai encore plus de pefiae à accepter le système dte tf. Ewald sur les Ages mythiques et les noiÂres ronds qu'il prétend re- trouver dans led premières pages de l'histoire hébraïque. Ce qui caractérise, au contraire, la cosmo^^Miio- de^Séutes , c'est le tour historique qu'elle affecte, lors vnèo^ qu'elle pcHrte sur un terrain évidenunent fabideux ^ c'est l'aiiseif^ de tout sym- bolisme emprunté Jiux formes animales et aux métaux , c'est une extrême sobriété dans i'emploi des jeux ^e nombres qui caractérisent tovjours les cipiations mythologiques à priori. La réalité des combinaisons de ce gvire que M* Evqdd croit dé- couvrir dans les premiers chapitres de la Genèse^ est loin d'être démontrée. Les thèmes numériques ne pouvaient avoir de sens aux yeux des peuples primitif^ que quand ils étaient nettement avoués, c'est-A-dire quand le nombre était relevé avec intention dans lé récit. Or cela n!a point liift dans les Thohiotk hébraïques : le narrateur ne fait jaxt^ la cupputa- tion des listes ^qu^il donne, et il est permis dé croire qu'il n'avait pas conscience des symétries qu'on lui prête. Ce n'est pas, à mon avis, dans dés rapprochements ausri peu décisifs qu'on peut trouver la preuve d'une cohabitation primitive des deux races. L'unité de constitution psychologique de l'espèce humaine, au moins des grandes races civilisées, en vertu de laquelle les mêmes mythes ont dû apparaître parallèlement sur plusieuiB points A la fois, suffirait, d'ailleurs, pour expliquer > VoirraHicklMig»^M.A.lbu]7,daatrJSby«lt;p^& Rflnier. — Wekker, GrMiiieke GatttrUhnr^^ 770 et sniv. ' Comparer les vnetaaalogaes de M. Lengerke, Kemum, p. iix eteuiv. &76 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. les atnàÊiffes qui reposent sur quelque trait général de la con- dition de l'humanité, ou sur quelques-uns de ses instincts les plus profonds. Il est d'autres analogies d'un caractère plus précis, qu'on a cru observer entre le cycle des traditions sémitiques et des traditions ariennes; malheureusement aucune de ces analo- gies n'est de nature à satisfaire une critique exigeante. Le mythe des fleuves* du paradis, dont il a été parlé précédemment, est sans doute le rapprod^ment le plus aixeptable. La grande im- pression produite par les premiers travaux de métallurgie , im- pression qui se retrouve dans* tant de mythes ariens, pourrait bien s'être également conservée dans la tradition sur Tubalcaîn ( Gen, IV, s q). L'opinion de Buttmann , qui croyait reconnaître le nom de ce* personnage dans celui de. Vulcain ^ {Tthàhuxpos , comme To-^pfA)?^= Turms =i Termmtfs ; ou 'SéXxopiç, formes étrusques), ne peut plus être soutenue; mais je pense, avec le baron d'Eckstein^, que le nom du pafriarche de la métallurgie cache un souvenir de l'antique corporation de Tubal (Tiba- rènes, Ghalybes), analogue aux Telchiùes de la Grèce. Les Krubim, que Dieu, suivant le récit de la Genèse, fait habiter à l'orient du paradis, pour en garder l'entrée {Gen. m, ai), sont très-probablement les gréons {^ktiib=:ypv7r) ^ gardiens des trésors et des monts aurifères dans tous les mythes ariens'. L'idée des Kruinm n'est pas sémitique, et la racine de leur nom semble indo-européenne {grif, gteifen, saisir). On pourrait supposer, il est vrai , que les Juifs n'ont connu cet être fabuleux que par ^ Mythologtu, I, i6&. Les autres rapprochements proposés par Buttmaim entre la mythologie gréoo4atÎBe et cdle des Sémites, tds que loubal «» knéXXo», etc. sont plus inadmissibles encore. (Gf.Ewald, Jahrb, der bibl. Wi$$, i85& , p. ig.) * Athenmumjrançaù, 19 aoât i85A, p. 776* — Gonf. Tnài, KommenUar iAir | lii0 (rMMttis , p. 1 1 8- 1 1 9. ' Tuch , ibid. p.' 96-97. — Gesenins , Thés. s. h. v, LIVRE V, CHAPITRE IL 477 leurs rapports avec le haut Orient, et, s'il s'agissait unique- ment des Krubm employés comme motifs d'ornementation dans l'architecture des Hébreux , la question devrait sans doute être ainsi résolue ^ ; mais le rôle de gardiens de la porte d'Eden est trop caractéristique et se rattache à de trop vieilles idées pour qu'une telle explication soit facilement admissible. Y aurait-il là quelque souvenir de l'empire fabuleux des gsiffons et des Arimaspes dans l'Altai, ou des grifibns qui gardent l'or de Kampila(Hav^a)^? La longévité despremiers patriarches semble même un écho de l'OuttaraJCourou ou pays des Bienheureux, situé au nord de Cachemire , et dont le mythe a beaucoup d'ana- logie avec celui des Hyperboréens chez les Grecs'. Enfin, sous le nom de Japhet, j'ai/ toujours été tenté, je l'avoue, de voir, avec les anciens interprètes, le nom du titan iéffsrùt, autour duquel les Hellènes groupèrent tant de traditions ethno'gra- phiques ^. Fils d'Uranus et de 6œa , Japetus s'unit à l'océanide Ana; il a pour fils Atlas et Prométhée, pour petitr-fils Deuca- lion, le père de toute l'humanité post-diluvienne. L'antiquité de ce mythe che^ les Grecs ne peut guère être révoquée en doute depuis le travail de M. Vœlcker ^. Toutefois , comme on ne trouve aucun vestige du nom de Japet 4:hez les autres peuples * Jourmd ofthe R.'ÂMiatie 'Society, voL XVI, part i (i85/i), p. 98 et. soiv. G*est aussi ropinion de M. Layard. M. Ewald songe plutôt aux sphinx de TÉgypte. DiêAUenkamêrdêê Fofibst ./frael ( 9* édiL ) , p. idg. * Sclianffelbei^r«^ Corpui Ser^t VeL fvi de InHaêeripimtÊiU, fasc !•, p. 1 1, ho. — A. de Homboldt, Qurnot, t H, p. 170. — D*Eckstein, Athenœumjrançaût 19 août i85&, p. 777-778, eXDequ^qun Ugmdes hrahmé p. i35 etsniv. * Schanffdberger, op. eU. p. 98. — Lassen, ZtiUehirifi fur di» K. d!» M* L II, p. 66. — Humbddt, Comot, Q, p. 5oA. — Scfawanbeck, QmmenL de Megoi- cUi«,p. 63. * Knobel, Dm Yœlkêrktfel ^^(rmssti , p. 91-99. — Buttmann, Mythologui, I, 999 etsuiv. * DiêMfflkohgie JAJapt^ektn (re«cAJ0c^tes , Giessen , 189À. A78 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. ariens ^, on pourrait supposer que la jprésence de cette dém^ mination ethnographique chez les Hellènes et les Hébreux pro- viendrait d'un contact îles Sémites et des peuples helléniques au sud du Caucase ou à Test àb l'Asie Mineure , région où se localisent précisément les mythes de Japet K On le voit, aucun de ces r^prochem^ts, si l'on en eroepte celui des flwves du paradis , n'offire une base vraiment scienti- fique^ Tous pfétest eu d^ute par deux côtés : d'abord, l'iden- tité n^est dans aucun cas évidente et incontestable; en second lieu, on peut toujours se demanéer*^ cette identité ne pro- vient pas d'un emprunt fait à une époque historique. Il est de la nature des mydies de s'échanger enti« les -races avec une grande faciUté ; en faudrait-Q d'autre exemple que l'étra«ge substitution qui s'est faite depuis quelques siècles, dans l'Inde musulmane , des noms et des souvenirs bibliques aux noms et aux fables indigènes? Qui sait si, à une hautô «ntiquité, il ne s'est pas passe quelque chose d'analogue dans l'Asie occiden- tale? La manière dont plusieurs conceptions babyloniennes et persanes s'introduisirent chez les Hébreux , au vi* et au v* siècle avant l'ère chrétienne , porterait à le croire. Il est donc impos- ' Les va«s de M. Fr. V^ndischmaiiii sur ridentification de Noé et de Japhet avec Nahuscha et Yayâti de la légende indienne soi^t bien hasardées. {Unagmi dêrarmkmi VœUsêTf p. 7-10.) Gf. A. Knhn, ZeUtehr^JurvergL Sprael^wndimg y p. 89-90. > Ewaid, Geêch. dêi F. 7«r. I, 33i, 1" édit; d^&-375, a' édit Les rela- tions incontestables des mythes d'Ioonium et d^Apamée-Kiboloe avec Hénoch et Noé paraissent primitives à M. Ewald. (Ibid. p. 3i/i, 33£, l'^é^t; 356, 376, a* édit; Jàkrh. der hibl Wi$s. i856, p. 1 et 19. — Gf. G. Mûlier, Fragm. hûL gr$B9, m, p. 59&.) Je n^y peux voir, pour mu part, qu^un effet du syncrétisme qui , dès une époque asseï ancî^ne, s^efierça, en Syrie et en Asie Mineure, de fondre la mythologie hellénique avec les traditions des Sémites, méthode dont on trouve tant d*exemples dans Sanchoniathon, Moïse de Khorène, etc. Le mythe diluvien de Mabug ou Hiérapolis-présente une combinaison analogue à cdle des iables d^Ico- nium et d^Apamée. 4flVRE V, CHAPITRE IL 479 • sible d'arriver par la mythologie comparée à une entière certi- tade sur le point qui nous occupe , ou , pour mieux dire , il faut reconnaître que , pour les my^^ coitune pour la langue , un abîme répare les deux races , et qu'on peut à peine saisir entre elles^quelques liens isolés. Toutefois l'hypothèse à laquelle nous avons été amené par Tétude des langues s'applique d'une ma- nière non moins satisfaisante à l'étude des mythes, qui sont aussi une sorte de langage primitif. La considération des my- thologies n'aurait pas suffi, sans doute, pour mettre sur k v^te d'june parenté primitive entre la race séofitique et la race indo- européenne; mais cette parenté étant indiquée d'ailleurs, la question des mythes s'en trouve fort édaircie. S VI. L'étude des caractères physiques et moraux des dfttx races fournit des preuves hien plus décisives en faveur de leur unité primitive. La race sémitique, en effet, et la race indo-euro- péenne, examinées au point de viie de Ja physîgkigie, ne montrent aucune différence essentielle; ^es possèdent en commun et à elles seules le souverain caractère de la bmtUé. Sans doute la race sésûtique {Nrésente un type très^rononcé^ qui fait que l'Arabe et le Juif sont partout reconnaissables ^; mais ce caractère différentiel est beaucoup ipmns profond que celui qui sépare un Brahmane d'un Rus«e ou d'un Sué- dois : et pourtant les peuples brahmaniques, slaves et Scan- dinaves appartiennent certainement à la même race. Il n'y a donc aucune raison pour établir, au point de vue de la phy- siologie , entre les Sémites et les Indo-Européens une distinc- tion de l'ordre de celles qu'on établit entre les Caucasiens, les MongoU et les Nègres. Aussi les physiologistes n'ont-ils pas ' Voy. Nott et Gliddon, Typêê o/Mankmd, p. i si8 et raiv. A 1 1 et suiv. &80 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. été amenés à reconnattre Texistence de la race sémitique , et i'oni-iis confondue , sous le nom commun et d'ailleurs si dé- fectueux de Caucasieiu, avec la. race indo-européenne. L'étude des langues , des littératures et des religions devait seule ^mie* ner à reconnaître ici une distinction que Tétude du corps ne révélait pas. Sous le japport des aptitudes intellectudles et des instincts moraux , la différence des deux races, est sans doute beaucoup plus tranchée que sous le rapport de la ressemblance phy- sique* Cependant, même à cet égard, on ne peut «'empêcher de ranger les Sémites et les Ariens dans une même catégorie. Quand les peuples sémitiques sont arrivés à se constituer en société régulière, ils se sont rapprochés des peuples indo- européens. Tour «à tour les Juifs , les Syriens^ les Arabes sont entrés dans l'œuvre de la civilisation générale, et y Atkenœumframçai» j sa avril et 17 mai i85&; QuntiùMy etc. p.' Sa ettfmv. * Dans les OmÊnn de M. BmiMD, 1. 1, p. a63 et suiv. 473 etfoiv* En aili- qnant Tidëe syatéoaatifpie de Touvrage de M. Mûller, nous rendoDS joadce â la pé- nétratioii avec laquelle le Avant auteur, en cela d^acoord avec les plus habiles india- nistes, a montré les ramifications étendues de la race tartait^finnoise dans Tlnde atttë-brahmanique. ' G^est aussi Tavis de M. Pott. Zeitsekr^ der d. m. G, (i855), p. Ao5 et suiv. Dié Vnginehhêit menicMieher Rai$en , p. 1 9 1 . * A eompùmtivê grammar rf thê Dramdiem or Sowth'Inditmfamihf tfUmguagn , p. /171 et suiv. (London, t856). LIVRE V, CHAPITRE IL Â8d non plus déduites selon la sévère méthode qui convient à ces sortes de travaux. Rien ne s*oppose , toutefois , à ce que Ton se représente les trois ou quatre grandes races qui figurent dans l'histoire de la civilisation comme sortant d'un berceau unique , situé dans rimaûs, restant quelque temps groupées autour de ce ber- ceau , et là formant leur langfle d'après trois ou quatre types di£férents, mais toujours sur un certain nombre de bases communes, et en y faisant entrer beaucoup d'éléments com- muns. La Cy^fé feule resti^ait ainsi en dehors de la givtnde fiuaille asiattco-européenne. Ici, en effet, ce sont de tout au- tr» catégories intellectuelles : fanais que l'arien et le sémi- tique 9 malgré leurs .diversités , accusent une manière ana- logue de résoudre le problème dû langage , le chinois prend les choses sur un autre pied , et arrive par une voie entière- ment êsSirenle au même résultat. En supposant que toutes les ressemblances de détail que l'on cherche k retrouver entre l'arien et le sémitique ne soient qu'apparentes , il restera au moins entre ces trois systèmes une grande et profonde ana- logie , l'existence d'une grammaire. Le chiâois , au contraire , n'a de commun avec les autres langues de l'Europe et de l'Asie qu'une seule chose, le but à atteindre. Ce but, qui est l'ex- pression de la pensée, ii -l'atteint aussi bien que les langues grammaticales, mais par des moyens complètement différents. La civilisation chinoise nous offire également le spectacle d'un développement à part, arrivant par ses propres forces et selon sa mesure à un résultat qui se rapproche beaucoup de la ci- vilisation européenne. Au premier coup d'oeil , la société chi- noise parait bien moins éloignée de la société européenne que la société indienne; et cependant, aux yeux d'un observateur attentif, c'est la même constitution intellectuelle qui a produit 3i. 48A HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. le monde brahmanique et le monde européen , tandis que la Chine est arrivée à un état fort ressemblant à celui de l'Europe , uniquement par ce qu'il y a de nécessaire et d'universel dans la nature humaine. Si les planètes dont la nature physique semble analogue à celle de la terre sont peuplées d'êtres organisés comme nous ; on peut affirmer que IHiistoire et la langue de ces planètes ne diffèrent pas plus des nôtres que l'histoire et îa langue chinoise n'en diffèrent. La Chine nous apparaît ainsi comme une seconde humanité » qui s'est développée presque i rinsu de la première , si bien que c^ deux humanités , l'une tendant toujours vers l'ouest, l'autre restant obstinément murée dans l'est de l'ancien continent , ne sont guère entrées en con- tact que de nos jours. Quant aux races inférieures de f Afrique , de l'Océanie , du Nouveau Monde, et à celles qui précédèrent presque partout sur le sol l'arrivée des races de l'Asie centrale , un abtme les sépare des grandes familles dont nous venons de parier. Au- cune branche des races indo-européennes ou sémitiques n'est descendue à l'état siauvage^. Ces deux races nous apparaissent partout avec un certain* degré de culture. On n'a pas d'ail- leurs un seul exemple d'une peuplade sauvage qui se soit élevée à la civilisation. Il faut donc supposer que les races civilisées n'ont pas traversé l'état sauvage, et ont porté en ellesHmémes, dès le commencement , le germe des progrès futurs. Leur langue n'était-elle pas à elle seule un signe de noblesse et comme une première philosophie? Imaginer une race sauvage parlant une ^ La profonde dégradation où sont tombées certaines families européennes iso- lées sor le continent américain et dans le sud de rAfrique ne prouve point contre notre thèse; car, outre cpie cette dégradation est loin d^étre aussi [m>fonde et aussi incurable nisme endémicpie, dont on ne saurait rien conclure contre les aptitudes générales des' races civilisées. LIVRE V, CHAPITRE H. 485 langue sémitique ou indo-européenne est une fiction contra- dictoire , à laquelle refusera de se prêter toute personne initiée aux lois de la philologie comparée et à la théorie générale de l'esprit humain. Après la différence du langage, celle de la religion est, sans contredit, la plus profonde qui sépare les peuples sémi- tiques des peuples ariens. Les premières religions de la race indo-européenne paraissent avoir été purement physiques ^. C'étaient de vives impressions, teUes que celles du vent dans les arbres ou les roseaux , celles des eaux courantes , celles de la mer, qui prenaient un corps dans l'imagination de ces peu- ples enfants. L'Arien n'arriva pas aussi vite que le Sémite à se séparer du monde ; longtemps il adora ses propres sensations , et, jusqu'au moment où les religions sémitttpies l'initièrent à une notion plus élevée de la divinité, son culte ne fiit qu'un écho de la nature. Le. polythéisme, dans toute la race indo- européenne, n'tf cédé que devant la prédication juive, chrétienne ou musulmane; l'exemple de l'Inde, restée mythologique jus- qu'à nos jours ^, prouve l'extrême embarras avec lequel l'esprit indo-européen livré à lui-même se convertit au monothéisme. La race sémitique , au contraire , y arriva , ce semble , sans au- cun effort. Cette grande conquête ne fut pas pour elle l'effet du progrès et de la réflexion philosophique ; ce fut une de ses premières aperceptions. Ayant détaché beaucoup plus tAt sa personnalité de l'univers ^ elle en conclut presque immédiate- ment le troisième terme, Dieu, créateur de l'univers; au lieu d'une nature animée et vivante dans toutes ses parties, elle ' A. Wdier, Akadmiu Vorktungên vbêr mdiiehe LiteraUtrgiêchichtê , p. 34-35. — M. MuUer, Comparative Mythology, dans les Oxford Eê$ays pour i856. * Le Pr«m''Sagar, le dernier grand poème mythologique de la race indo-euro- péenne, perle la date de 1 806. A86 HISTOIRE D^S LANGUES SÉMITIQUES. conçut, si j'ose le dve, uae nature sècke et sans fécondit4 Ainsi nous revenons > la différence fondamentale des deux races» signalée par M. Lassen : Tune, plus subjective» plus in- dividuellec; Tautre» plus oligective» plus rapprochée de Tuni- vers, d'une personnalité moins concentrée. C'est là, certes, une divergence essentielle, et qui devûl produire deux mouve- ments intellectuels profondément séparés. Cependant il s'en faut qu'elle creuse entre les deux races un abtme comparable à celui qui existe entre le caractère psychologique du Chi- nois , du Nègre et de l'Européen. On s'explique jusqu'à un eer« tain point comment la divergence des Sémites et dos Ariens a pu se produire sous le régime des causes puissantes qui agistaient à l'origine, et dont l'efficaeité était centuplée par l'extrême délicatesse du sujet humain, à peine sorà des langes de ses premiers jours. De même, en effet, ^ue certains accidents extérieurs, qui sont indifférents à l'homme fait, exercent €ur la constitution impressûipnable de l'enfant une inâueno» capitale et qui déci- dera de sa vie entière ; de même il faut admettre qu'à l'ori- gine, du moment où se formait l'individualité des races, la nature humaine était plus flexiUe, plus disposée à rece- voir de profondes et durables empreintes. Deux tribus ju- melles , habitant à quelque distance l'une de l'autre , peut-être sur les deux versants de la même mcmtagne, se trouvttent déterminées, par des causes à peim» saisisiabl^'s, à des habi- tudes, entièrement opposées. La différence dû genre de vie et de l'alimentation , par exem]Je, a pu suffire pour amener efldre deux groupes des différences aussi profondes que celles qui sé- parent le Sémite etl'Ârien. La vie nomade par tribus isolées, conséquence de la vie pastorale, était comme imposée au Sémite ; or on sait quelles habitudes profondes engendre la LIVRE V, CHAPITRE IL 487 vie du èowxr, à qu^l point cette vie développe les instioets in- dividuels, comjrien elle fortifie le caractère personnel, mais aussi combien elle rend incapable de ^cipline et d^organisa* tion. Un cercle d'idées assez étroit, des passions très-profondes, un grand sens pratique , une tendaiice à Adre prédominer les considérations de Tintérét égoïste sur celles de la moralité, une religion simple et pure, tel est l'esprit du donar. Notre habitude d'envisager la vie urbaine comme seule propre à -dé- velopper la civilisation nous fait en génénd concevoir la vie nomade sous de tràs-fausses couleurs. Nous ne compreoien plus propre à cultiver Pindividu que celui de nos paysans. La vie com- mune de la tribu est, 6n efiet, comme une grande école à la- quelle tous assistent; le contact perpétuel et intime des indî^ vidtts excite à un haut degré certaines facultés ; enfin , si une telle vie est impropre aux spéculations sc;ienti^ues et ration- nelles , eSe constitue un milieu souverainement ^étique , et où les grandes idées religieuses trouvent merveilleusement à se développer. La différence de génie de l'Arien et du Sémite serait donc , à la rigueur, suffisamment expliquée par le genre de vie très- différent auquel ces deux races , par suite de causes qui nous échappent, ont dû être tout d'abm*d assujetties. 11 ne paraît pas, en effet, que la race arienne ait primitivement surpassé les autres en intelligence; tout au contraire : elle paraît avoir &88 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. été caractérisée d'abord par une certaine pesanteur de corps et d^esprit^. Les Ghamites, les Gouschites, les Chinois , les Sémites mêmes devancèrent de beaucoup les Ariens dans ce qui exige de l'industrie et un esprit délié , surtout dans ce qui touche au bien-être de la vie. Ce n'est réellement que vers le vu' siècle avant notre ère que les Ariens prennent définiti- vement le sceptre intellectuel de l'humanité, ^i Europe par la Grèce, en Orient par la Perse, fia rudesse des premiers Pélasges, l'extrême grossièreté de leurs idées religieuses sont aujourd'hui reeonnues. Et n'estr-ce pas un fait singulier que des branches essentielles de la race ^enne, celles qui tiennei^ maintenant la tête de la civilisation , les Geltes , les Germains , les Slaves , ne soient sorties de leur vie purement militaire où agricole que sous l'influence chrétienne et gréco-romaine, et cela à des époques fort rapprochées de nous? Quelques ra- meaux de la famille dont nous parions, tels que les popula- tions du Caucase et certains peuples slaves , sont même restés jusqu'à notre temps dans la pure barbarie. La grande supériorité de la race arienne résidait, d'une part, dans sa force physique; de l'autre , dans sa profonde moralité , ^ haute idée du droit , sa puissance de dévouement , la facilité avec laquelle l'individu s'y sacrifiait à. la chose publique, et, par suite, sa capacité politique et militaire. Cette disproportion entre le développe- ment intellectuel, le développement moral et la civilisation extérieure 3'observe encore de nos jours, par exemple chez le paysan breton et le paysan polonais , unissant une moralité très- délicate et un sentiment religieux très-pur à un extrême béo- tisme et à une vie en apparence peu différente de celle du sauvage. C'est assurément un étrange spectacle que de voir l'Eu- * Toy. Kimik , dans les Mélangée maiiques de VAcad, de Samt-PéUrthourg , 1. 1 , p. &08 et soiv. LIVRE V, CHAPITRE IL &89 rope chrétienne du moyen âge, si supérieure à TOrient pour les idées poétiques, morales et religieuses, réduite à emprun- ter la plupart de ses industries de luxe et de ses inventions mécaniques à la Chine , par l'inteittiédiaire des Tartares et des musulmans ^. Quant aux Gouschites et aux Ghamites , s'ils doivent être rap- portés à la grande famille ariennensémitique, il faut dire que leur manque d'idées morales, leurs cultes grossiers et obscènes tenaient À la vie citadine qu'ils menèrent de très-bonne heure, et au despotisme unitaire qui détruisit chez eux toute vie pu- blique, comme on le sait pour TEgypte, rÉthiopie, Ninive, Babylone. Avouons toutefois que, sur ce point, l'ethnographie et la Iktguistique en sont encore réduites aux conjectures, et qu'en voyant les civilisations couschites et chfiooites présenter un caractère si tranché» et devancer de tant de siècles celles des peuples ariens et sémitiques, on est tenté de les envisager comBie l'œuvre d'une première race cultivée , qui précéda dans l'Aaîe occidentale et le nord-est de l'Afrique l'établissement des races ariennes et sémitiques, de même que les Chinois devançaient également dans l'Asie orientale la civilisation des Sémites et des Ariens ^<, ' Voy.Abd-Rémiisat, dans le Journal oBiatique, t.I (iSaa), p. i36 et sniv. Le goût du eot^ortablê, qae Ton s^est habilu4 bien à tort à regarder comme mie partie de la civiiiaaiion, ne a^eat dérdoppé chei lea peuplea indo-earopëena qu'à répoque romaine et eat toujours reaté étranger aux Sémites. UInde brahma- nique présentait le phénomène d^hommea arrivés au plus haut développement intellectuel et philosophique, et vivant d'une façon toute primitive : TArabe bé> douin unit aussi on très-grand raffinement ^fesprit i l'existence la plus misérable. Aux bdles époques de la civilisation grecque , le confortable privé était à peu près inconnu. ' Le commerce , la navigation , l'industrie , paraissent être restés fort longtemps le monopole de ces peuples. Les Sémites et les Ariens ne s'adonnèrent au eom- meree que lard , et quand ils enrent déjà perdu une partie de leur noUesse et de &90 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. En réonissdiit ces aperçus divers , voici le syst^e qu'on rait amené à se former snr i'appadlioii de ilmmanité et la suc- cession des races de Tancien contineat t i' Races infériemes , n'ayunt pas de souvenks , commot le sol dès une époque qu'il est' impossible de rechercW hiskuri- quement et doat la détermination appartient au ^logne. En général, ces races 4mt disparu dans les parties du monde où se sont portées les grandes races civilisées. Partout^ 0a e&t, les Ariens et les Sémites trouvent sur leurs pas, -en voaant s'établir dans un pays, des races à d#m sauvf^fi^ qu'ils exter- minent, et qui survivent dans les lùythes des peuples plus ci- vilisés sous forme de races gigantesques ou iMgiques nées de la terre»' ao^vent sow forme d'animaux. IjOS parties du monde où ne se sont pas portées les grandes races , l'Océanie , l'Afrique méridionale , l'Asie septenteîanale , en sont restées i cette humanité primitive, qui devait ofirir les ^lus profondes diversités, depuis le dour et naïf enfant des Antilles , jusqu'aux méchantes populations de i'Assam et de Bornéo , jusqu'au vo- luptueux Taitien , mais toujours une incapacité abs(diie d'or* ganisation et de psogrès. ù"" Apparition des premières races ciirilisées -: Chinois , dans l'Asie^ orientale ; Gouschites et Ghamites dans l'Asie occiden- tale et l'Afrique. Premières^ civilisations empreintes d'un ca- ractère matérialiste : instincts religieux ^ poétiques peu déve- loppés; faible sentiment da l'art, mais intiment tfès-raffiné de l'élégance; grande aptitude pour les arts manuels et pour les sciences d'application; littératures exactes, mais sans idéal; esprit positif^ iaurné vers le négoce , le bienrétre et l'agrément ieqr pureté. On peut dire sans exagératioii que la Chine avait oonaenré sa supé- riorité industrielle sur TEurope jusqu'au^ grands progrès dans les sdenees'd'ap- pKeatioQ qui ont signalé le commencement de notre âède. LIVRE V, CHAPITRE IL &91 de la vie; pas d'esprit public ni de vie politiqoe; au oostrake, une administration fràs-perfectionnée et telle cpie ies peuples européens ne Tout eue <{u'à Fépeque romaine et dans les tempa modernes; peu d'aptitude miitaire; langues monoeyilabîcpias et aam flexions (égyptien, dIuMÎs); écriture hîéroi^IâcpiB ou idéo^phiqae. Ces races eomptepi trois 0tk quatre nulle ans d'histoire avant fire chrétienne. Toutes les tivilisations eouschitesret chamites ont disparu sous l'eSKi des SAnitis et des Ariens. En Chine, au -contraire , ce type prûaitif de oîvyi* satioD a survécu 4| est venu jusqu'à nous. - 3^ Apparition des grandes races noUes, Ariens et Sémites, venant de l'Imaûs. Ces races apparaissent en mâose temps dans l'histoire, la fMmière en Bcctriane, la seconde en Ar^ ménfe, deui mille ans environ avant 1'^ chrétîemie. Très*- inférieures d'abord aux Gouschites et aux Chamites pour la civilisation extérieure , les travaux maiérieb et la scienae dloi^ ganisation fm failles granda empires, dlos l'emportent nfi- niment sur eux pour la vigueur, le courage , le génie poétique et religieux. Les Ariçns eux^-mémes l'emportent tout d'abord sur les Sémites par l'esprit politique et militaire , et plus tard par l'intdligence ^l'aptitude aux spéculations raftiannelles; mais les Sémites conservent longtemps tme grande sii^ériorité religieuse , et finissent par eniratner presi{ue tous les peuples ariens à leurs idéeH monothéistes. L'islamisme, sous ce rapport, couronne l'œuvre essentielle des Sémites , qui a été de simpli- fier l'eqprit humain , de bannir le polythéisme et les énormes complications dans lesquelles se perdait la pensée rdigfeuse des Ariens. Une fois cette mission accomplie, la race sémi- tique déchoit rapidement , et laisse la race arienne marcher seule à la tête des destinées du genre humain. Ainsi la philologie comparée, aidée par l'histoire, arrive. ft92 HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. non pas certes à résoudre, mais à circonscrire le problème des origines de l'espèce humaine. Elle établit avec une en- tière certitude Tunité delà grande race indo-européenne; or cette race étant éridemment destinée à s'assimUer toutes les autres , avo&r établi l'unité de la race indo-européenne , ce sera , aux yeux de l'avenir, awir établi l'unité du genre humain. — Elle rattache d'une manière très-vraisemblable à la race indo- européenne la race sémitique, inséparable delà première dans l'histoire de la civilisation. — Me permet de rapporter à la même famille les races chamites ou couschites, et arrive ainsi à montrer comme possible l'unité de toutes les races qui ont fondé la civilisation dans l'ouest de l'Asie, dans l'Europe, dans le nord et l'est de l'Afirique. — Elle fixtf avec une vraisem- blance presque égale à la certitude le point de départ de la race arienne dans l'Imaûs ou le Belourtag, et die rattache vo- lontiers à ce même point le berceau de la race sémitique. — f31e répugne à en faire autant pour la race chinoise , et sur- tout pour les races inférieures qui durent former la première couche de la population du globe. — Elle établit d'une ma- nière approximative l'ordre chronologique selon lequel ces races diverses sont entrées dans l'histoire; et la date relative- ment moderne de l'apparition des races civilisées. — Enfin, elle attend sur tous ces points des lumières nouvelles de l'étude encore si peu avancée des idiomes de l'Asie centrale et de l'Afrique , prête à renoncer devant les faits à toute hypothèse préconçue , et persuadée que , dans l'état actuel de la science , tout système ne peut être que provisoire, si l'on compare le peu que l'on sait à la masse énorme de ce qu'il est encore pos- sible de savoir. On arrive ainsi à écarter les idées absolues que certaines écoles philosophiques, celle de Hegel, par exemple, se sont LIVRE V, CHAPITRE IL 493 formées sur le développement de rhumanité; car si la race indo-européenne n'était pas apparue dans le monde, il est clair que le plus haut degré du développement humain eût été quel(jue chose d'analogue à la société arabe ou juive : la phi- losophie, le grand art, la haute réflexion, la vie politique eussent à peine été représentés. Si, outre la race indo-euro- péenne , la race sémitique n'était pas apparue , l'Egypte et la Chine fussent restées à la tète de l'humanité : le sentiment mo- rai , les idées religieuses épurées , la poésie , l'instinct de l'infini eussent presque entièrement fait défaut. Si, outre les races indo-européennes et sémitiques, les races chamites et chi- noises n'étaient pas apparues , l'humanité n'eût pas existé dans le sens vraiment sacré de ce mot , puisqu'elle eût été réduite à des races inférieures , à peu près dénuées des facultés transcen- dantes qui font la noblesse de l'homme. Or à quoi tient-il qu'il ne se soit formé une race aussi supérieure à la. race indo-européenne que celle-ci est supérieure aux Sémites et aux Chinois? On ne saurait le dire. Une telle race jugerait notre civilisation aussi incomplète et aussi défectueuse que nous trouvons la civilisation chinoise incomplète et défec^ tueuse. L'histoire seule (j'entends, bien entendu, l'histoire éclairée par une saine philosophie ) a donc le droit d'aborder ces difficiles problèmes; la spéculation à priori est incompé- tente pour cela, et si la philologie a quelque valeur, c'est parce qu'elle fournit à l'histoire ses renseignements les plus authen- tiques et les plus sûrs. Âi-je besoin d'ajouter que la foi dans les destinées supérieures de l'humanité n'est point troublée par un tel résultat? A son plus humble degré , la nature humaine est divine , en ce sens qu'elle atteint l'infini selon une très •• faible mesure. Dans ses plus hautes régions, l'humanité est mille fois plus divine, en ce sens qu'elle participe au monde A9A HISTOIRE DES LANGUES SÉMITIQUES. idéal d'une manière bien plus âevée; mais, alors même, on abtme la sépare du terme aoquel elle aspire, et Ton aurait tort de prétendre qu'^e n'êAt pu, sus sortir des conditions mêmes de son existenee , être plus puissamment oi;gani0ée pour at- teindre sa fin. FIN DE LA PREMIÈRB PARTIE. TABLE ANALYTIQUE. LIVRE PREMIER. QUESTIONS D>0BI6INB. CHAPITRE PREMIER. GARACrftBB Gisi^kL DES PEUPLES ET DES LANGUES SÉMITIQUES. S L Berceau primitif des langoes sémitiqnes. -^ Dnitë de cette famiHe de lasigoes. Du nom de iémitiquêi; combien il est dëfectneoi. ^~ Dn rMe de la race aémitiqae dans rhîstoire : ce r51e est |dutAt reli(|[ienx qne politique. — Vues de M. Lassen sur le caractère nAjêd^àe la race sémitique. — Le mono- théûme résume et eiplifue tous les ctfactères de la race sémitiqoe . — La race sémitique aperçut tout d^abord Tonité divine. — Exception apparente pour les Phénidens. — Simjdicité des rdigions sémitiques. — Les Sémites n*ont pas de mythdogie. — Intolérance rdi^euse des peuples sémitiques. — Le projMisme ches les Sémites. — Les Sémites n*ont ni science, ai plniosoiMe; ils manquent de curiosité : la pMlosophie arabe n^est pas un produit sémifiqne. — La poésie sémitique, essentieliement subjective, sans variété. — L'esprit sémitique manque du sentiment des nuances. — - Manque d*arls plastiques diei les Sémites. — Rs nHmt pas dMpopée. — Absence de vie politique , vie patriarcale. — La vie arabe, type de la vie sémitique. — Infériorité militaire des Sémites : incapacité d'organisation. — Ganctère égoîrte et passionné des Sémites. — La race sémitique se re- convait à des caractères n^atife : elle comprend Tunité, non la variété. — Les langaes sémitiques n'ont qu'un seul type i S il. Simplicité des hqgnes sémitiques.-— Elles sont peu propres aux spéculations rationnelteB. — Leor caractère physique et sensud. -r- Absence de pé- 496 TABLE ANALYTIQUE. riode et de grande ooostnietion. — Les langaes sémitiiiaes sont pluB poé- tiques qu^oratoires. — E^les manquent de perspective et de ce que nous appelons le style. — >- Le venet, coupe naturelle du discours sémitique. — Sens matérid de presque toutes les racines sémitiques. — Combien les langues sémitiques sont restées rapprochées de leurs origines 18 CHAPITRE IL BXTKNBION PBIMITIYE DU DOKAINB DES LAH0UB8 SiMITIQUBS. S L Les langues sémitiques sont^rement sorties de la région où on les voit éta- blies depuis les temps historiques. — Anciens mouvements de la race sé- mitique.— Émigration des Térachites. — Position d'Onr-Kasdim et d^Âr- phaïad dans le pays des Kurdes. — Passage de TEuphrate; Sémites B^treux. — Les souvenira primitifs des Sémites se rapportent à T Arménie. — Du mythe de la tour de Babel. —->, Clause présumée des migrations sé- mitiques : grands empires non sémitiques sur le Tigre. — Races avec ies- qudles les Sémites furent primitivement en contact : Ariens, Gonschites, NefiUm, Brfaùn, etc. -^ Les Sémites se m^ent peu aux autres races. — Divisions primitives de la race sémitique. — Genre de vie des andens Sémites nomades, Beni-Israël, Hyhioif Philistins. — Différence entre le mode de propagation de la race sémitique et celui de la race arienne : la race sémitique a peu de force d^ezpansion. ^~ Les Sémites ont conservé kmgtemps le sentiment de leur unité. ^- De la table du z* chapitre de la Genèse : elle est géographique et non ethnographique. — Les noms de Japhet, Sem, Gham représentent trois lones; signification étymologique de ces noms. — Le nom de Sem a été pris i tort comme un nom de race 96 S U. On a trop étendu le domaine de la race sémitique. —'Hypothèses gratuites sur les migrations des Sémites ven Tocddent — Limites de la race sé- mitique du côté de Touest et du nord« — L^Asie Mineure est en général arienne; système de Fréret. — Phrygiens, Lydiens, Gariens. — Sémites sur le versant méridional du Taurus : Solymes, Lycie, Giiide, Oiypre. — Position ethnographique de TArménie. — Les Ariens n'ont guèra pénétré au cœur du sémitisme. — Opinions diverses sur les Philistins : ils semblent TABLE ANALYTIQUE. &97 Pag«. venir de Ttle de Crète. — De la laogae des PhiUstins. — Hypothèse d*éta- blÎMements sémitiqiMft en Crète, en Carie, etc 63 S m. Frontière orientide des langues sémitiques. — Mâange des races et des lan- gues sur les bords du Tigre. — i** Séjour primitif dA Sémites au ddà du Tigre. — a* Couschites ou Cépbènes sur le Tigre; Ninive et Babylone. Analogie de la langue des inscriptions babyloniennes avec Tidiome de Mahrah. — 3* Kasdes ou Cbaldéens primitifs d'Our-Kasdim et d^Ar- pbaïad, ariens. — &* A Tépoque d^ Abraham, Iraniens dans la plaine de Sennaar. — 5* Au vui* siècle avant Tère chrétienne, apparition de la puis- , sanee assyrienne parmi les Sémites; caractère non sémitique de cette puissance. Les noms ninivites ne sont pas sémitiques. — 6* Dpastie ba- bylonienne «udogue i cdle de Ninive. — 7* Au vii*^siède, apparition des Kasdim i Babylone. Hypothèses sur Torigine des Kasdim. Rappro- chement avec les Kurdes, la Gordyène : caractère arien de la langue kurde. Conunent les Kasdim s^établirent i Babylone. Comment le nom de Chaidém en vint à désigner une caste de prêtres. — 8* La race indo- européome a seule été conquérante. Le fond de la population de TAssy- rie et de Babylone était sémitique et pariait une langue sémitique. — 9* De fopinion diaprés laquelle la langue des inscriptions cunéiformes assyriennes et babyloniennes serait sémitique. Opinion de M. Lassen et de M. £. Bumouf. Objections contre cette opinion. Les langues sémitiques ont toujours été écrites avec leur alphabet propre. Cet alphabet se re- trouve à Ninive et i Babylone à cèté des caractères cunéiformes. Hypo- thèse de deux caractères, Tun monumental, Tautre cursif. Caractère iur déds du dialecte sémitique que Ton a cru retrouver sous les inscriptions de la deuxième espèce. Insuffisance de la méthode appliquée i ce pro- blème. — 10* Limite des langues iraniennes et sémitiques vers Tépoque de fère chrétienne. Langne de TAdiabène et de la Mésène» — 1 1** Époque des Sassanides: pehlvi; nature, époque et point de formation de cette langne 56 S IV. Frontières des langues sémitiques du c6té de Tisthme de Suez. — Position du copte ou de Tégyptien i Tégard des langues sémitiques. — Opinion de MM. Lepsins, Schwartie, Benfey , Bunsen, etc. sur la patenté du copte avec les langues sémitiques. Opinion contraire de MM. Pott, etc. — Exa- men des rapprochements grammaticaux que Ton a tentés entre les deux systèmes de langues : analogie de syntaxe, analogie des pronoms et des I. 39 &98 TABLE ANALYTIQUE. noms de nombre , anftlogie dans les formes grammaticdes. — QuesÔèn de philologie générale engagée dans le dâMt — Le système copte et le sys- tème sémitique ne dérivent pas Tun de Pautre. — La civilisation ég3fptieniie n^est pas sémitique. — Influence des Sémites en Egypte : Hyksos. — Exis- tence d^une famille de peuples et de langues chamitîques. — Du berber et du touareg. — La jMtion du berber à T^jard des langues sémitiques est la même que celle du copte. •«— Influence continue de la nftce séuû- tique sur le nord de TAfirique; pourquoi Tarabe ne fut conquérant que de ce côté. — Éléments sémitiques qu^on trouve dans presque toalw les langues de l'Afrique 79 CHAPITRE IH. ORIGINE DS8 DIALBCTB8. BTPOTluteB D'UHI LA1I6ITK SÉHITIQim PIIKITITS. S L Les langues sémitiques apparaissent dès k [dus haute antiquité divisées en dialectes. -* Ces dialectes ne dérivent pas Tun de l'autre. — En qud sens Tun peut être regardé conune jdus ancien que Tautre. — ^ Hypothèse d'un prototype commun des langues sémitiques. — Réduction des radicaux tri- litères i un thème bilitère et monosyflabique. — L'état monosyllabique a-i-il existé réellement? — Les langues sont nées complètes et n'ont subi aucune réforme artificielle. — - De la naissance des catégories gramma- ticdes. — La simplicité n'est pas antérieure à la complexité : distinction de l'ordre logique et de l'ordre historique gi S IL Application des mêmes princ^ies à la question des dialectes. — Les dialectes se multiplient avec l'état sauvage ou bari^Mire. — L'unité dans les langues est le résultat de la civilisation. — Liberté, exubérance, indétermination des langues primitives; la réflexion élimine et simplifie. — Les dialectes n'ont pas toujours été précédés d'une langue unique. — Confusion primitive des traits caractéristiques de chaque dialecte : analogie tirée des diidectes de la langue grecque. — Faits qui semblent prouver une promiscuité an- denne des langues sémitiques. — Faits qui établissent la séparation des dialectes. — Les dialectes comparés aux espèces en histoire naturelle ... 98 TABLE ANALYTIQUE. &99 LIVRE DEUXIÈME. PRBHliRB JPOQUB DU DjEvELOPPEMEMT DES UNGUES SEMITIQUES. PiBIODS K^BBAÎQUE. CHAPITRE PREMIER. BEAHGHE TlbÀGlIITB. {hâbbev,) "»■ Trois périodes dans rbistoire des langues sémitiqnes. — Trois r^îoiis géo- graphiques dans 1b même femiUe. — > Restrictions. — Populations du pays de Chanaan : Reiann, GbanAnëens, Ténidiites. — Vkébreu langue pai^ dcnlière des Beni-In«â; position de rhéiiren dans la famille sémitique analogue à edle du sanscrit dans laT famille indo-européenne. — La langue chananéenne devait être fort ressemblante à Thébreu. Explication de cette apparente singularité. — La littérature hébraïque commune, i qudques égards, à tous ies Sémites. Existence d'anciennes littératures sâoDdtiliues. — Origine de récriture chei les Sémites. L'écriture alphabétique leur ai^Mortient en propre. Elle parait venir de BabyUme, mais ne dérive pas de récriture cunéifonne i o5 S n. TVob périodes dans l'histoire de la langue hâiraîque. — Période archaïque. Age des plus anciens monuments hébreux. A qudle époque les IsraâiteB ont-ils eonunencé i écrire?^ Anciens écrits hébreux perdus. — Transforma- tions successives du corps des écritures historiques des Hébreux: analogies prises de lliistoriograpbie arabe. Mode de composition du Pentatenque. — Caractère de la langue du Pentateuque. — Unité grammaticale de la langue hébraïque. — Fragments antiques contenus dans les livres histo- riques et dans le Livre des Psaumes : dires paraboliques , chanson de Lémek , bénédictions des patriarches, cantique de Débora, paraboles de Balaara, psaume £st«rgai, etc. — Arduismes conservés dans les noms propres; l^pendes étymologiques. 1 1 & S m. Siècle de Samud : révolutions qui s'opèrent à cette époque chex les Béni' 39. 500 TABLE ANALYTIQUE. Israël. — Le Livre de la loi. — L^écriUire preod plus d^imporiance. — Époque de David et de Salimion; commencement de la tiltérature propre- ment dite. — Les tribus voisines de la Palestine participent à ce mouve- ment — La Kttérature i laquelle semUe présider Salomon est un (ait istAé dans rhistoire d^Israêl. — Époque dassiqne de Thébreu : il s*é^bJit one langue des livres. — Les prophètes, style nouveau. — Renaissance dn mosaisme sous Josias. — La langue indine vers Taraméen : de TAge du Cantique des cantiques, de Job, du Koh^klk i aà S IV. Perfection abattue de la littérature hébraïque; son universalité. — Bien de grammatical dans Thébrou classique ; pas d^orthographe rigoureuse. — Li- berté de rhébreu dans la oonstraction de la phrase; inoorrectifvi, cons- tructions/ir^gnimtef , phrases inachevées ou doublées.— En quel sens les procédés de Thébreu sont moins avancés (pie ceux des autres langues sé- mitiques. — La langue hébraïque est riche dans Tordre des choses nato- rdles et rdigieuses, pauvre en distractions. Manière incomplète dont les ridiesses de cette langue nous sont connues. Ressources des langues sâni- tiques pour suppléer au nombre des racines. — Des dialectes de Thébrea : de la langue du royaume d*Israëi; samaritain, galiléen. — De la langue populaire en of^position avec la langue écrite. — Affinité des idiotismes provindaux et populaires avec Taraméen i3i % V. Époque de Textinction de Thébreu comme langue vulgaire : substitution gra- duelle de Taraméen à Thébrou. — Ce changement ne se fait pas à Baby- lone, mais par Tinfluence de la Syrie sur la Palestine. — La culture de rhébreu classique se continue à Babyione et reflue de li en Palestine. Purisme des scribes. — Difficulté de préciser Tépoque où finit Tusage vul- gaire de rhébreu. — L^hébreu se conserve comme langue écrite : difficulté de discerner, dans lliistoire des langues orientales, les idiomes pariés des idiomes écrits. «= Ouvrages hébreux composés entre la captivité et Tavé- nement du christianisme. Renaissance de Tépoque des Macchabées. — Style des écrits de ce temps; la littérature tombe entre les mains des sa- vants de profession; imitation souvent heureuse des andens. La langue s^empreint fortement de chaldaïsme. Mots nouveaux, emprunts aux langues non sémitiques. — L'hébreu ancien n*est plus bien compris; méprises que commettent les scribes en remaniant les textes dassiques; droit qu*a la philologie moderne de réformer les interprétations des andens a&s m mk-.kl « ff a ■ * • tti*i 'lé TABLE ANALYTIQUE. 501 Pagw. S VL Les Juife oontinaent jusqn^i nos joun i écrire ea hébreu. — Hébreu rabbi- Dupie. — Deux périodes dans son histoire. — langue de la Mùchna: sa : j!j!!'°' relation avec ridiome Yulgaii^. — Mots hébreux anciens conservés dans ta Mischaa ; mots chaidéens ; nots grecs et latins. — Caractères grammaticaux de la langue de la Mischna : tendance à ia décomposition analytique. — Hétérogénéité du langage savant des Juifs : mâange d'hébreu et de cfaaW "^^''f déen ; difficultés de cette langue. — L'arabe devient la langue savante des Jui6 : on ne cesse pas néanmoins d'écrire en hébreu. — Renaissance de rhébreu au xhi* siède : style appelé rablnmcraîque , au x* siècle , sous l'influence arabe ; Saadia. D'un enseignement grammatical traditionnel avant Saadic — Eode juive du Magreb; exedlence de ses premiers travaux. -^ Les ^» KûnchL — Etudes chrétiennes durant le moyen Age. — Renaissance. La <^ science de l'hébreu passe des Juifs aux Chrétiens; première école toute j^^ rabbinique : Reuchlin, les Ruxtorf. — Révolte contre la Masore, école j^ française. — Travaux dans les langues «orientales voisines de l'hébreu; ^^ appfication de ces travaux à l'édaircissement de l'hébreu : Schultens et ^ Técdb hollandaise. — L'étude de l'hébreu se détache peu à peu de la j^ théologie : école allemande i65 CHAPITRE IL BEAIVGHE CHAirUréKHim {psiNÎOÎBN). la S I. Caractère sémitique de la langue phénicienne. — Identité des Phéniciens et ^ 502 TABLE ANALYTIQUE. Pages. des Ghananëens. -^^Gonfrajktion apparente : le caraclère de ia darilis»- tioa des Phënideiis n*68t pas sémitkiue. ProUème alialogae &k Babylo- nie : inflnenne présumée d*une race couschite oa chamiie : rapports de la Phénde av«c la région du bas Enphrate. — Gomment les Phénideas ae séparèrent profondément des Térachites, tout en leor restant unis par la langue. — Époque de Tarrivée des Phéniciens en Ghanaan; leor n^iport avec les Hyksos. — Pourquoi les Hébreux ont rattaché les Chananéeag è - la race chamitique 1 79 S n. De la littérature phénidenDe: pourquoi il n*en est rien resté. — Monuments ^igraphiques. — Ges monuments établissent àéSai&mnnX I0 caractère sémitique du phéniden et ses affinités particulières avec rhébrev. — La langue phénidenne est d'autant plus semblable à lliâ>reu qu'elle est plus andenne : die indine peu i peu vers Taraméen. — Le phénicien ft4îl>- eu des formes propres, distinctes de odles de lliébreu? Bébratanes ca- ractérisés, aramaîsmes et arabiSmes. — Traits caractéristiques du phéni- deo. — Age des monuments phénidens et, en particulier, des inscripti